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Les Cahiers noirs de Heidegger : un guide de lecture des Réflexions

Par Etienne Pinat. Parution le 16 février

D 19 février 2024     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Rappelons les faits et les dates : fin 2013, à l’initiative de Peter Trawny, traducteur-éditeur de certains volumes des Oeuvres Complètes de Martin Heidegger, s’ouvrait une nouvelle campagne contre le penseur allemand. A l’époque, cette campagne s’appuya sur la publication de quatorze ou quinze fragments jugés antisémites (sortis d’un contexte dont on ignorait tout) trouvés dans ce qu’aussitôt on qualifia, pour enfoncer le clou, de « carnets noirs », ces carnets dans lesquels Heidegger, à partir de 1932, notait, le soir ou dans les nuits d’insomnie, les réflexions qui lui venaient « en marge » de la rédaction de ses écrits ou conférences, écrits pour certains impubliés et qui, selon la volonté de leur auteur, ne devaient l’être que plus tard comme les Beiträge écrits entre 1936 et 1938 (traduits par François Fédier, en octobre 2013, sous le titre Apports à la philosophie. De l’avenance). Ces « révélations », savamment relayées dans la presse et les médias sans bénéfice d’inventaire, firent l’effet d’une bombe à fragmentation dans les milieux intellectuels, y compris chez les traducteurs et les spécialistes de l’oeuvre de Heidegger. L’un des tout premiers à tenter d’analyser, à partir de l’allemand (car si les « carnets » commençaient à être publiés en Allemagne, ils n’étaient pas encore traduits en français), fut Gérard Guest. La chance fut que j’assistais au séminaire que Guest tenait le samedi à Paris depuis de nombreuses années. J’ai donc pu rendre compte dès janvier 2014 de ces séances sur Pileface. Il vous suffit de vous reporter à Faire face à l’ouverture des "Carnets noirs" de Heidegger (I) (20 janvier 2014), Faire face à l’ouverture des "Carnets noirs" de Heidegger (II) (8 avril 2014) et à Faire face à l’ouverture des "Carnets noirs" de Heidegger (III) (30 mai 2014).
En janvier 2015, la revue La Règle du jeu organisa à la BnF un Colloque intitulé « Heidegger et "les Juifs" » (« les guillemets, "les Juifs", que nous empruntons à J.-F. Lyotard, sont décisifs », était-il précisé dans la présentation). J’en ai également rendu compte en publiant les interventions, prononcées le même jour, de Pascal David (« La pensée comptable ». Heidegger et la pensée juive face à l’incalculable) et, à nouveau, de Gérard Guest (L’épreuve du « Danger en l’Être » et le revers de l’impensé). J’ai également invité à écouter « L’Ensorcellement », la conférence de Stéphane Zagdanski faite le 7 février 2015 à Paris.
Trois ans plus tard, en mars 2018, Philippe Sollers publiait dans la collection L’infini (Gallimard) Martin Heidegger. La vérité sur ses Cahiers noirs, la traduction par Pascal David d’un livre de Friedrich-Wilhelm von Herrmann et Francesco Alfieri paru en Italie en mai 2016. La parution de cette traduction ayant été annoncée six mois à l’avance, j’avais pu, dès septembre 2017, présenter un premier dossier que j’ai complété à la sortie du livre. Il comportait notamment l’entretien vidéo de Francesco Alfieri (sous-titré en français) enregistré en novembre 2015, six mois avant la publication du livre en Italie et dont je ne peux à nouveau que conseiller l’écoute tant sa clarté et sa précision me paraissent la meilleure introduction à la lecture du livre.
Ce n’est qu’à la fin du mois de novembre 2018 que commencèrent à être publiés les traductions françaises des « Cahiers noirs » sous le titre initial que leur avait donné Heidegger Réflexions. A ce jour, trois volumes ont été publiés dont j’ai aussi rendu compte sur Pileface : Réflexions II-VI. Cahiers noirs (1931-1938) traduction François Fédier), Réflexions VII-XI. Cahiers noirs (1938-1939) (traduction Pascal David) et Réflexions XII-XV. Cahiers noirs (1939-1941) (traduction Guillaume Badoual), ce dernier volume datant de mai 2021.
En octobre 2018, sur le site « actu philosophia », Etienne Pinat, spécialiste de Heidegger dont il a fait la recension, souvent critique, de nombreuses traductions, faisait le point sur les publications des années antérieures et livrait une analyse serrée de Martin Heidegger. La vérité sur ses Cahiers noirs en commençant d’ailleurs par renvoyer à mon dossier. Puis, pendant deux ans, il fit de longs commentaires des traductions des Réflexions de Heidegger. Vous pouvez les consulter ici. Ce sont ces analyses qu’Etienne Pinat reprend et prolonge aujourd’hui dans un livre publié aux éditions Kime : « Les Cahiers noirs de Heidegger : un guide de lecture des Réflexions ».

Les Cahiers noirs de Heidegger : un guide de lecture des Réflexions

Etienne Pinat

Kime 16 Février 2024.

À propos

En 2014 parurent en allemand les volumes 94, 95 et 96 des Oeuvres Complètes de Martin Heidegger édités par Peter Trawny, qui donnaient à lire pour la première fois quatorze des Cahiers noirs, ces carnets à couverture de moleskine noirs dans lesquels Heidegger, à partir de 1932, consignait les pensées qui lui venaient à la volée. Dès la fin 2013 avaient commencé à circuler des extraits contenant des propos antisémites, et l’éditeur des volumes accompagnait leur parution d’un essai de son cru portant sur ces extraits, livre rapidement traduit en français. S’en suivit une large polémique à ce propos dans la presse internationale qui éclipsa tout autre aspect du contenu des cahiers noirs.

Etienne Pinat, spécialiste de la pensée de la pensée de Heidegger, se propose d’introduire le lecteur francophone à la lecture de ces trois volumes, intitulés Réflexions, en repartant de la polémique sur l’antisémitisme afin de statuer sur cet antisémitisme heideggérien. Il s’efforce de monter que ces passages antisémites ont éclipsé bien d’autres aspects intéressants de ces cahiers, et au premier chef l’explication de Heidegger avec le nazisme, et avec l’erreur que constitue à ses yeux son engagement de 1933-34. S’y révèle le développement progressif d’un véritable antinazisme heideggérien à partir de 1934, puis l’apparition de propos antisémites à partir de 1938, cet antisémitisme n’étant alors pas celui du nazisme, de sorte qu’il faut en penser la spécificité.

SOMMAIRE
Chapitre premier L’antisémitisme des Cahiers noirs et sa découverte.
Chapitre deux Peter Trawny, Heidegger et l’antisémitisme.
Chapitre trois Friedrich-Wilhelm von Herrmann et Francesco Alfieri Martin Heidegger La vérité sur ses Cahiers noirs.

PREMIÈRE PARTIE.
Les Beiträge.
Chapitre premier La « traduction » française.
Chapitre deux Le contenu des Beiträge.

DEUXIÈME PARTIE.
Lecture de « Réflexions II-VI. Cahiers noirs (1931-1938) ».
Chapitre premier Présentation et traduction.
Chapitre deux Réflexions II : le premier cahier (1931-1932).
Chapitre trois Réflexions III : l’épisode du rectorat.
Chapitre quatre 1934-1936 : fin de Réflexions III et Réflexions IV, la genèse des Beiträge.
Chapitre cinq Réflexions V et Réflexions VI, additifs aux Beiträge.
Chapitre six Le rapport de Heidegger au nazisme.

TROISIÈME PARTIE.
Lecture de «  Réflexions VII-XI. Cahiers noirs (1938-1939)  ».
Chapitre premier Présentation et traduction.
Chapitre deux L’apparition des remarques antisémites dans les Cahiers noirs.
Chapitre trois Le rapport au nazisme.
Chapitre quatre Le développement de la pensée de la Machenschaft.
Chapitre cinq Développements sur l’art.
Chapitre six La nuit de l’errance.
Chapitre sept Enquête historique et histoire de l’Être.
Chapitre huit Le jaillissement originaire de l’Être et la question de la parole.

QUATRIÈME PARTIE.
Lecture de « Réflexions XII-XV. Cahiers noirs (1939-1941)  ».
Chapitre premier Présentation du volume : traduction et contenu.
Chapitre deux Le développement des remarques antisémites dans les Cahiers noirs.
Chapitre trois La Russie et le bolchevisme.
Chapitre quatre La guerre, la guerre totale, la guerre mondiale.

BIBLIOGRAPHIE.
TABLE DES MATIERES.

Arnaud Jamin, lecteur fervent de Sollers et de Yannick Haenel [1], l’un des rares, sinon le seul, à avoir consacré un bel hommage à François Fédier après sa mort en avril 2021 dans « La parole de François Fédier » (L’Infini 148, Printemps 2022), a été le premier à faire la recension du livre d’Etienne Pinat sur le site DIACRITIK.

Les insomnies illuminées de Martin Heidegger (Les Cahiers noirs. Un guide de lecture des Réflexions)

Arnaud Jamin, 16 février 2024

Est-il possible de lire aujourd’hui les fameux Cahiers Noirs de Heidegger en traversant les polémiques sans qu’elles ne s’imposent comme des impasses ? Comment plonger dans l’étude de ces notes intimes écrites la nuit dans les intervalles du sommeil par le philosophe allemand, depuis le cœur de sa pensée, vers le cœur de son sombre temps ? Étienne Pinat, déjà auteur aux éditions Kimé de Heidegger et Kierkegaard : la résolution et l’éthique en 2018 et éditeur dans la même maison des Notes sur Heidegger de Maurice Blanchot l’année dernière, propose un ouvrage dense et érudit qui suit pas à pas ces textes couvrant la période 1931-1941 et parus en France en trois volumes chez Gallimard depuis 2018.

C’est une période capitale pour Heidegger qui s’engage durant le régime nazi en 1933 à la tête du rectorat de l’université de Fribourg-en-Brisgau avant d’en démissionner une année plus tard et de profondément penser et critiquer le pouvoir fasciste, tout comme ses origines et ses ramifications. Dans cette décennie, et tout à fait parallèlement à la compréhension de son erreur, s’engage en lui la Kehre, le tournant de son œuvre. Pinat écrit judicieusement que “le Tournant est déjà en germe et en marche depuis 1930-32 avec la conférence De l’essence de la vérité et la confrontation avec Anaximandre et Parménide, il ne s’accomplit véritablement qu’après l’épisode du rectorat, dans ces cahiers des années 34-38, et sans doute avait-il besoin de l’échec du rectorat pour se produire.”

En quoi consiste cette étourdissante volte ? Peu après la démission du rectorat intervenue le 28 avril 1934, Heidegger note ce qui vient de se tramer en lui, lumière de lucidité perçante : « Fallait-il faire ce saut aberrant au cœur du quotidien tapageur et des remous provoqués par ses intrigues, au cœur de son inconsistance habituelle et de son manque de poids dissimulé, pour que soit enfin compris jusqu’à ses plus lointains aboutissements ce qui est, seul, nécessaire : devenir tout à fait solitaire et être ainsi de taille à se mesurer à l’œuvre qu’il s’agit d’œuvrer ? » Heidegger prend conscience de la dimension de son erreur, sa pensée tourne au moment où la solitude s’ouvre. Pinat montre cette évolution fondamentale qui apparaît entre l’écriture de Être et Temps (1927) et la rédaction secrète des Apports à la Philosophie (De l’avenance) (1936-1938) : “En 1932, dans Réflexions II, Heidegger pense encore que c’est l’homme qui a le pouvoir d’habiliter, par la poésie et la pensée, l’être à se déployer. Il faut alors que l’Université soit au service de ce but et qu’elle forme l’élite de l’Être. En 1933, l’épisode du rectorat est cette tentative et cet échec, exposés dans Réflexions III. Heidegger tire d’un tel échec la conclusion qu’habiliter l’Être à se déployer n’est pas au pouvoir de l’homme, et qu’il n’est pas non plus au pouvoir de l’Université de forger l’élite de l’Être. C’est donc l’Être lui-même qui se déploie en un événement par lequel il approprie une élite de poètes et de penseurs à la garde de sa vérité. Voilà pourquoi l’Ereignis apparaît en 1934-35 dans les Réflexions IV.”

C’est précisément ce que les enragés contre Heidegger ne souhaitent pas évoquer ni même envisager : un homme traversant son erreur par un saut intérieur, ardent et courageux. Une erreur qui l’initie même vers la perspective d’une vérité encore plus lointaine, plus en retrait, mais plus nette que jamais : c’est bien la pensée de l’Avenance qui naît dans ces années. En écrivant ce terme-clé introduit par François Fédier, il nous faut dire que l’on regrette fort lorsque l’auteur s’appesantit autant, à plusieurs reprises – et ce, dès le début du livre – sur les choix de traductions de ce dernier, comme certains de Pascal David, autre traducteur historique et classique de Heidegger pour les éditions Gallimard. Non seulement une traduction tient de l’aventure, d’une direction insigne, et en cela me semble devoir être respectée, mais leurs acceptions et emplois des mots Avenance (Ereignis) ou Faisance (Machenschaft) par exemple font désormais partie de l’histoire de l’avancée de la pensée de Heidegger en France. Enfin, quelque chose monte et se sent dans l’utilisation d’anciens termes de la langue française que Étienne Pinat semble abhorrer lorsqu’ils viennent s’appliquer pourtant si clairement à la philosophie. Il s’agit avec la graphie Estre par exemple pour Être d’une remontée à travers la coagulation des Temps Modernes, portée par le sens même du propos heideggerien qui en est une critique aiguë.

Une fois dépassé cet obstacle né d’une nécessaire et bien souvent féconde polémique entre spécialistes (qui ne finira d’ailleurs certainement pas avec cette parution), Étienne Pinat se révèle excellent lecteur et passeur de Heidegger. Précis quand il fait l’historique de la publication des Cahiers Noirs, de la polémique liée à leur réception mais surtout de leur compréhension : le sous-titre Guide de lecture tient vraiment sa promesse d’introduction vers l’engagement soutenu qu’est une véritable approche de l’écriture heideggerienne nocturne. Il cite et commente longuement les passages considérés comme problématiques et conclut qu’“il y a bien des traces d’antisémitisme chez Heidegger et qu’en même temps sa pensée n’est pas antisémite”, frayant ainsi une voie d’ascension assez inédite entre les sommets aussi hauts qu’éloignés des détracteurs et des admirateurs du souabe.

Persiste l’énigme d’un Heidegger qui n’a in fine pas voulu cacher ces écrits, leur octroyant un plan de révélation prodigieusement pensé, même si les publications arrivent bien avant ce que le philosophe prévoyait. Dans ces Cahiers est présente, lisible noir sur blanc, tout comme entre les lignes, une critique foudroyante du régime nazi : là-dessus, aucun débat ne semble possible. Noir sur blanc : « Le national-socialisme est un principe barbare. » (Réflexions III), « Là où un peuple se pose comme autothétique, l’égoïsme prend des dimensions gigantesques, mais rien n’est gagné quant au domaine et à la vérité. La cécité à l’égard de l’estre cherche refuge dans un « biologisme » anémique et simpliste, grand stimulant de rodomontades verbales. » (Réflexions IV). Entre les lignes, voyant évoluer les figures du régime : « À côté, il y a encore tous ceux qui – exhalant la moralité et ruisselant de prudhommerie — ne pensent qu’à platement ranimer le bon vieux temps, qui ont recouvré leurs esprits après que le trône et l’autel ont été mis à l’abri du communisme, lequel avait quand même mis en péril les biens et les situations. Il est de nouveau possible de tenir sa partie de gentleman, raffiné et supérieur, face aux individus grossiers ; mais on a aussi — pour ne pas trop détonner à présent — des « opinions sociales ». Au demeurant, on pousse à l’extrême le « je-m’en-foutisme » spirituel et la barbarie, en arborant le masque de gardien de la « science ». Telle est bien la plus grande inconscience relativement à ce qui se passe. » (Réflexions III)

S’il suffisait effectivement de tout bonnement lire Heidegger ? Car cela tient finalement de la simplicité et d’une expérience philosophique ontique pratique et sidérante : ce matin (ou demain, ou dans des décennies) vous ouvrez un e-mail et votre outlook vous propose une “synthèse quotidienne des réactions de votre réseau, à passer en revue” depuis une adresse commençant par une inquiétante inscription No-Reply. Vous prenez alors un de ses Cahiers et vous lisez : « Comme rien n’échappe aux gens d’aujourd’hui, comme ils ont, prête pour tout ce qui pourrait arriver, une réponse appropriée, grâce à laquelle ils peuvent à coup sûr réduire n’importe quoi au rang de ce qui est connu depuis belle lurette – il faut, dès à présent et à l’avenir, demeurer silencieux sur l’essentiel, mais que ce qui est dit par la force de cette réserve silencieuse soit d’autant plus clair et tranchant. » Vous n’en croyez pas vos yeux, un croisement inouï opère, Heidegger est décidément limpide, tout est écrit, ouvrant l’appel d’une libre suite à l’histoire revigorée de la pensée dont nul ne peut raisonnablement et sérieusement lui en daigner l’initiative.

Alors, vous retentez l’exercice en ouvrant puis refermant aussitôt le réseau X pour retourner vers une autre page au hasard d’un Heidegger qui a écrit pour vous il y a 85 ans : « On travestit la plus stérile exacerbation d’états d’âme creux en ’inoubliable" "expérience vécue", qui dans l’heure ne laissera déjà plus aucune trace – ce qui explique la nécessité de toujours nouvelles occasions d’"expériences vécues" ». Vous aurez probablement alors une furieuse envie de vivre et d’aussitôt vous taire, creusant le trésor de silence que ces pages ne cessent d’offrir : « Nous ne sommes pas assez forts et assez originaux pour véritablement « parler » à travers le silence et la pudeur. De là vient que l’on ne peut que parler de tout, c’est-à-dire bavarder ». Vous avancez dans les pages, Heidegger y est explicite au moment d’évoquer ses propres textes à considérer comme « des avant-postes inapparents – et des bases arrière dans une tentative tout entière consacrée à une méditation à laquelle manquent encore les mots pour conquérir un chemin ouvrant sur ce questionnement à nouveau inaugural qui, à la différence de la pensée métaphysique, se nomme la pensée historiale de l’Être. » Démantibuler par la pensée la métaphysique toute entière, faire œuvre de méditation, trouver un passage vers le choc de l’Être… le travail est considérable. Mais enfin Heidegger a ouvert un champ, anticipant au passage fort curieusement les surprises du Temps : « Peut-être bien qu’il n’y a plus désormais que mes égarements pour avoir encore la force de déclencher le scandale dans une époque surchargée d’exactitudes, et à laquelle la vérité fait défaut. » (Réflexions V)

Étienne Pinat, Les Cahiers noirs de Heidegger : un guide de lecture des Réflexions, éditions Kimé, février 2024, 267 p., 26 €

Le professeur émérite et traducteur Pascal David nous a communiqué cette mise au point que nous publions à la suite de notre recension du livre d’Etienne Pinat.

Mise au point

Deux points semblent controversés dans les traductions françaises que j’ai pu proposer de certains écrits de Martin Heidegger : 1 / La traduction de Seyn par « estre » ; 2 / la traduction de Machenschaft par « faisance ».

1 / Seyn est en allemand la graphie archaïsante du verbe Sein substantivé, soit : être. En français, comme par exemple chez Montaigne, « être » a pu s’écrire « estre », le s disparu se retrouvant dans l’accent circonflexe, de même que « forest » a donné « forêt ». Je ne vois donc pas en quoi il y aurait là matière à controverse.

2 / Machenschaft , qui en allemand courant signifie quelque chose comme « manigance » ou « machination », est le terme adopté par Heidegger pour désigner le règne de l’efficience, de la facture, du « faire ». Même si le terme de « faisance » n’est plus usité en français, il m’a semblé rendre au plus près le terme allemand Machenschaft, du verbe machen = faire. Pour traduire ainsi, je m’autorise aussi d’un passage du livre L’ancien français de Pierre Guiraud (P.U.F, collection « Que sais-je ? », Paris, 1963, p.29) : « – ance marque l’action. (…) Ce suffixe est extrêmement vivant en ancien français : avilance, doutance, desaccordance, parlance, faisance, etc. »

« Faisance » est donc un mot bien attesté en ancien français, et que l’on entend encore aujourd’hui dans « bienfaisance » et « malfaisance ». Toutefois, que la Faisance soit bienfaisante ou malfaisante n’est pas ce qui retient l’attention de Heidegger, mais qu’elle soit (et se comprenne elle-même comme) Faisance.

Pascal David
12/02/2024

Crédit : DIACRITIK

*

Comment ne pas terminer sur un hommage à l’éditeur de « Martin Heidegger. La vérité sur ses Cahiers noirs » ?

Philippe Sollers, le 17 juin 2018

Philippe Sollers, le 1er mars 2019

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