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L’ultime réveillon d’ortolans de François Mitterrand
le 31 décembre 1995

D 27 décembre 2022     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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"L’info de l’Histoire". Les ortolans, ces tragiques oiseaux de fête

Fabrice d’Almeida, historien anime la chronique « l’info de l’Histoire » sur France Info. Dans cette période de fête, il s’arrête sur ce que les grands hommes ont apporté à nos habitudes festives. Lundi 26 décembre, sa chronique portait les ortolans de François Mitterrand.


Des convives mangent des ortolans (oiseau migrateur), serviette sur la tête, en respectant la coutume .(MAXPPP)
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C’était le 31 décembre 1995.François Mitterrand était très malade, fatigué. Il se savait malade depuis si longtemps. Ses proches l’avaient conduit à Latché. Pour le dernier réveillon, il y a sa femme Danièle, sa belle-sœur Christine Gouze-Rénal, Roger Hanin, son beau-frère, Pierre Bergé, PDG d’Yves Saint-Laurent, Henri Emmanuelli, élu socialiste, Jack Lang, le complice de sa politique culturelle.

C’est Emmanuelli sans doute qui a fait venir les ortolans grâce à un camarade du Parti socialiste agriculteur et chasseur de ces volatiles protégés. Roger Hanin a prévenu tout le monde, le mal est ancien. Déjà en 1981. Soutenu par son médecin et par un gendarme, le président arrive. Il est assis, presque allongé, à l’écart de la table. On s’installe comme pour un réveillon. Viennent les ortolans, apportés par le gendarme qui fait le service.

Mitterrand connaît le rituel : il met sa serviette sur sa tête. Puis en prend un. Il s’en imprègne, un deuxième. Puis il repousse son assiette. Ensuite il se confie à ses proches. Sa fin parait programmée : il meurt le 8 janvier 1996. Plus tard viendra la polémique sur ce repas si caractéristique du Sud-Ouest. Car les ortolans étaient déjà en voie de disparition et leur chasse interdite en Europe. Le président pensait que le secret serait bien gardé par ses proches. En ses derniers jours, ce devait être une consolation que de revenir au goût de son enfance...

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[VOIR AUSSI un extrait de a relation par Georges-Marc Benamou, auteur du « Dernier Mitterrand », paru chez Plon,de ce repas d’adieu

« Pas de réveillon sans ortolans, avait fait savoir le président avant de partir pour l’Egypte, rapporte Benamou. Les ortolans sont des oiseaux du Sud-Ouest, des petits bruants à la chair tendre, dont la chasse est interdite. Les meilleurs braconniers du pays revendent à prix d’or ces « petits oiseaux ¬ c’est leur nom de code.

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Archive. Les derniers ortolans de François Mitterrand

Par GERARD COURTOIS

Le Monde du 03 janvier 1997

À DÉFAUT de pouvoir combattre à armes égales la maladie qui allait l’emporter, François Mitterrand avait consacré les dernières semaines de son règne, les derniers mois de sa vie, à soigner sa sortie. « Mort ratée, vie manquée », pensait-il. Il mit donc à réussir l’une et l’autre son ultime énergie, un talent méticuleux et un narcissisme obsessionnel.

Tous les temps forts de cette longue cérémonie des adieux en apportent la preuve. Il y eut les épisodes publics de l’entretien télévisé de l’automne 1994 pour solder les comptes avec Vichy, puis le reportage de Paris Match, autorisé si l’on peut dire, pour reconnaître publiquement sa fille Mazarine, et puis le dernier conseil des ministres, le 3 mai 1995, enfin la double cérémonie de Notre-Dame-de-Paris et de Jarnac, le 11 janvier 1996, qui permit à la France entière ou presque de porter le deuil du président défunt.

Mais le soin que mit François Mitterrand à organiser son départ fut aussi impressionnant dans le cercle de la famille, des familles, du clan des très proches. Il s’était même adjoint pour cela un mémorialiste particulier, témoin et résident des derniers moments.

Le livre de Georges-Marc Benamou que publient le 6 janvier les éditions Plon remplit parfaitement cet office. Le récit du dernier réveillon à Latche, le 31 décembre 1995, a quelque chose d’hallucinant. Roger Hanin, son beau-frère, Pierre Bergé, PDG d’Yves Saint Laurent, Danièle, son épouse, et sa soeur Christine, Henri Emmanuelli, ancien premier secrétaire du Parti socialiste, Jack Lang, confident, grand organisateur des pompes mitterrandiennes, ils sont tous là.

MASQUE FUNÈBRE

Hanin a littéralement assommé tout le monde, en préambule, quand chacun attendait, guettait l’arrivée de François Mitterrand. Pour mieux prévenir que la fin était proche, cette fois-ci, il a lâché : « Vous savez, son cancer, il est ancien », répétant à plusieurs reprises l’information avant d’ajouter : « Il était déjà malade en 1981. » Chacun comprend alors, à ce moment-là, qu’il s’agit d’une information « autorisée ».

Porté par ses fidèles gendarmes et par le docteur Jean-Pierre Tarot, installé, ou plutôt allongé, à l’écart de la table de réveillon, l’ancien président ne vit plus que par son regard, fiévreux au milieu d’un masque funèbre. C’est l’heure de l’ultime rituel, celui des ortolans. « Le gendarme qui fait le service exhibe avec une solennité gaillarde le plat tant attendu. On vous sert la bête entière, brûlante, avec ses os et ses viscères, toute chargée de son jus et de son sang. » François Mitterrand en dévore un, puis un second, avalés tout rond à l’abri de grandes serviettes blanches.

Les uns après les autres, les membres du clan vont s’asseoir à ses côtés pour une dernière audience chuchotée. « Ça y est, je suis dévoré de l’intérieur », glisse-t-il à l’oreille de Benamou.

Indécent à force d’être indiscret, obscène à force d’être intime, glacé d’être trop proche, Benamou est d’autant plus cruel qu’il ne veut pas l’être. François Mitterrand n’avait sans doute pas imaginé ainsi cette dernière chronique.

GERARD COURTOIS

Autre archive pileface


L’évocation du rituel de la dégustation des têtes d’ortolan par François Mitterand, n’est pas sans évoquer celui de « La Bécasse »de Maupassant. Un auteur qui restait très présent pour la génération de François Mitterrand ...Aussi, un auteur cité par Valéry Giscard d’Estaing !

Têtes d’ortolans, mets fins des rois (1). Têtes de bécasses, mets fins des hobereaux de campagne. Même extase ! (2) Jugez-en !

LA BECASSE _ Guy de Maupassant

Le vieux baron des Ravots avait été pendant quarante ans le roi des

chasseurs de sa province. Mais, depuis cinq à six années, une paralysie

des jambes le clouait à son fauteuil, et il ne pouvait plus que tirer

des pigeons de la fenêtre de son salon ou du haut de son grand perron.

[...]

"Y est-il, celui-là, Joseph ! As-tu vu comme il est descendu ?"

Et Joseph répondait invariablement :
- "Oh ! monsieur le baron ne les manque pas."...

...A l’automne, au moment des chasses, il invitait, comme à l’ancien

temps, ses amis, et il aimait entendre au loin les détonations. Il les

comptait, heureux quand elles se précipitaient. Et, le soir, il

exigeait de chacun le récit fidèle de sa journée

[...]

"J’entends : "Birr ! birr !" et une compagnie magnifique me part à dix pas. J’ajuste : pif ! paf ! j’en vois tomber une pluie, une vraie pluie. Il y en avait sept !"

Et tous, étonnés, mais réciproquement crédules, s’extasiaient.

Mais il existait dans la maison une vieille coutume, appelée le "conte de la Bécasse"...

...Au moment du passage de cette reine des gibiers, la même cérémonie

recommençait à chaque dîner.

Comme il adorait l’incomparable oiseau, on en mangeait tous les soirs

un par convive ; mais on avait soin de laisser dans un plat toutes les

têtes.

Alors le baron, officiant comme un évêque, se faisait apporter sur une

assiette un peu de graisse, oignait avec soin les têtes précieuses en

les tenant par le bout de la mince aiguille qui leur sert de bec. Une

chandelle allumée était posée près de lui, et tout le monde se taisait,

dans l’anxiété de l’attente...

...Puis il saisissait un des crânes ainsi préparés, le fixait sur une

épingle, piquait l’épingle sur un bouchon, maintenait le tout en

équilibre au moyen de petits bâtons croisés comme des balanciers, et

plantait délicatement cet appareil sur un goulot de bouteille en

manière de tourniquet.

Tous les convives comptaient ensemble, d’une voix forte :
- "Une, - deux, - trois."

Et le baron, d’un coup de doigt, faisait vivement pivoter ce joujou.

Celui des invités que désignait, en s’arrêtant, le long bec pointu

devenait maître de toutes les têtes, régal exquis qui faisait loucher

ses voisins...

...Il les prenait une à une et les faisait griller sur la chandelle. La

graisse crépitait, la peau rissolée fumait, et l’élu du hasard croquait

le crâne suiffé en le tenant par le nez et en poussant des exclamations

de plaisir.

Et chaque fois les dîneurs, levant leurs verres, buvaient à sa santé.

Puis, quand il avait achevé le dernier, il devait sur l’ordre du baron,

conter une histoire pour indemniser les déshérités.

—oOo—

(1) « ...ceux qui devaient avoir l’honneur d’être mangés par le roi étaient introduits dans une grive, laquelle était elle-même introduite dans une bécasse ; lorsque l’ortolan était cuit, la bécasse n’était pas mangeable, mais la grive était excellente et l’ortolan superfin. »

Alexandre Dumas
Les louves de Machecoul.

(2) Ceux qui ont eu le privilège d’en déguster marinés dans l’Armagnac, le visage caché derrière une serviette blanche (royale) ne sacrifient pas là, à un rituel de secte, où ne cherchent pas à cacher leur forfait (l’ortolan est protégé depuis 1999), la proximité de la mort n’a que faire des interdits et le fait du Prince non plus, mais sert à masquer les mastications dégoûtantes qu’impose la chose. ...Quand même un oiseau entier avec os et tripailles, brûlant, car doit se manger très chaud ! Même rôti à l’Armagnac, ce plaisir fin, s’accompagne d’un ballet mal réglé de la chose dans la bouche. Rustrerie dans le plaisir : un dernier acte d’amour.

...Dernier plaisir de la vie, plus raffiné que la dernière cigarette. A quelle madeleine de Proust songeait alors le Président, redevenu humain et jouisseur des plaisirs premiers ? _ Jouissance gustative, la première à se manifester et ici, la dernière. Extase d’un instant inhibant la douleur et la mort par la force de la volonté et de l’esprit. « je crois aux forces de l’esprit » disait-il dans un de ses derniers messages aux français.

Je ne comptais pas parmi ses thuriféraires, mais ce festin d’ortolans, entre amis, en guise d’adieu, c’est très classe ! Royal (sans Ségolène), simplement royal ! Le dernier des Monarques ! Autres temps, au Sphinx, au partisan de la tradition ancestrale de laFrance profonde, au temps à qui il faut en donner, a succédé Speedy Sarko, héros de bande dessinée qui tire plus vite que son ombre. Qui promet des heures supplémentaires, du pouvoir d’achat. Il faut lui souffler que les Français veulent des ortolans magnifiés par les forces de l’esprit...

A moins que le Béarnais, Bayrou, sur les traces d’Henri IV, ne décide un jour de remplacer la poule au pot par les ortolans rôtis à l’Armagnac. Et finisse, sur ce programme, par se faire élire Roi de France et de Navarre !

—oOo—

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