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Point de côté - Extrait I

« La calomnie s’est imposée, il faut tourner la page. »

D 6 octobre 2008     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



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Dédicace : Pour Juliette

Exergue : « Eh bien, croyez-moi, je cours encore... »
Philippe Sollers, Portrait du Joueur

Le ton est donné, Josyane Savigneau persiste et signe dans ses amours et références.

La destitution

C’était un matin de janvier 2005, dans un bureau neuf, avec un homme neuf. En fait, pas neuf du tout, juste avec un pouvoir tout neuf. Il n’avait qu’une chose à me dire. Une phrase :
« La calomnie s’est imposée, il faut tourner la page. Tu ne diriges plus le service des livres ». Destitution. Ejection en une minute. Je suis resté sans voix, j’ai manqué de ce sens de la répartie dont on me crédite généralement. J’ai portant l’habitude de me défendre. Ou, plutôt, de défendre mes projets, mes idées, et les gens avec lesquels jai envie de les mener à bien. Là, c’est de moi qu’il s’agissait, et je ne savais que dire, je ne trouvais pas les mots pour réagir. Je repensais à cette phrase de Nietzsche, mille fois citée, que certains font même figurer au bas de leurs mails, comme une formule magique : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » La variante de traduction est parfois : « Ce qui ne m’’abat pas me rend plus fort. » Mais j’étais abattue. A tous les sens du mot.
[...]
J’étais stupide. Ce qui venait d’arriver était absolument banal. L’ordinaire du monde de l’entreprise. Des milliers de gens ont connu ce moment. En général, on utilise un argument moins aberrant, mais pas moins meurtrier.
p. 11-12

Son exécuteur, le nouveau directeur de la rédaction du Monde qui lui annonça la sentence, elle évite soigneusement de le nommer. Mépris ou pour ne pas remuer le poignard dans la plaie incomplètement cicatrisée.

La mise au placard

On pouvait, « légalement », me retirer la fonction de chef de service, pas le titre de rédactrice en chef. On l’a fait... Deuxième étape : le bureau. Partout, on connaît cette symbolique là : le bureau, son étage, sa taille, celle de la fenêtre, si fenêtre il y a, son équipement, etc. Inutile d’insister.
[...]

Mon histoire de bureau-placard avait aussi un côté burlesque. On aurait pu en faire un sketch, et jouer - on ne s’en est pas privés - un remake de la fameuse scène de la cabine des Marx Brothers. À combien pouvait-on tenir là-dedans, en se tassant ? Guère plus de six, le record des Brothers ne serait pas battu. Comment faire entrer un bureau - le meuble - dans le bureau - le lieu ? Quant à loger un placard dans le placard, impensable ... Et même avec un seul meuble et une chaise, comment fermer la porte donnant sur un couloir ? Obligation de la démonter, me transformant, essayaient de plaisanter mes amis, en « dame pipi ». Il aurait été sans doute plus judicieux de condamner la porte et d’abattre la cloison, derrière le pilier - lui était inamovible : c’est un pilier portant. La permission devait être demandée en haut lieu. Refusée : la cloison sépare mon cagibi du service que je dirigeais jusque-là ... Je suppose que ma mauvaise influence aurait encore pu se faire sentir. J’ai pris le parti d’en rire. J’ai bien failli pleurer quand même, en m’asseyant pour la première fois dans ce « bureau ». Mais on dispose maintenant de toutes les camisoles chimiques pour éviter de se donner en spectacle, de montrer qu’on est vaincu. En rester à une idée simple : tenir. Ne pas être malade.

Malade, je pensais que j’allais l’être. Pas la dépression, un cancer, sûrement. Le sein - je suis dans la population à risque. C’est sûr, j’allais cesser de me défendre contre les cellules pernicieuses et elles allaient m’envahir. En principe, je vais, chaque année, me faire examiner sans crainte, me disant que je ne mourrai pas de ce cancer-là : trop bien surveillé. Pour une fois, j’avais peur. Je me répétais : si j’ai un cancer, je me battrai, cette maladie ne m’aura pas, mais si je perds quand même la guerre contre elle, je tuerai ce type qui a cassé mes défenses. Mais non, pas de cancer en vue. Peut-être ma violence et mes affreuses pensées de vengeance me protègent-elles. Quoi qu’il en soit, peur de la maladie ou pas, il ne fallait pas renoncer à s’asseoir dans ce bureau mortifère, à occuper ce placard, puisque la disparition était le but recherché. « Elle finira bien par se lasser... »
p.16.

Sur la calomnie

Dans mon cas s’est ajouté un détail. Gros comme une montagne. La calomnie qu’on a mise en avant pour me liquider a eu pignon sur rue. C’était une longue traque, commencée treize ans plus tôt, en 1992. Trois salves. J’ai bien résisté, je suis assez coriace, j’ai préservé cet humour dont on dit, avec raison, qu’il fait trop souvent défaut aux femmes. La première fois, j’ai été aidée, soutenue. Personne ne manquait à l’appel, mon journal a même intenté un procès au premier calomniateur, le moins médiocre finalement, Jean-Edern Hallier.

La calomnie. Tant qu’on ne l’a pas subie, on se trompe sur elle. On se méprend sur le mot. Le dictionnaire la définit comme une « accusation mensongère qui attaque la réputation, l’honneur », et à « calomnier », on peut lire « attaquer, tenter de discréditer (quelqu’un) par des calomnies ». C’est aussi ce que je croyais, que la calomnie cherche à blesser, à salir. Et que des personnalités particulièrement fragiles, vulnérables, en meurent - on en a quelques exemples célèbres dans l’Histoire. Aujourd’hui, je pense l’inverse. La calomnie est destinée à tuer, et, heureusement, certains y résistent. Mais elle tue tout de même. On n’en meurt pas nécessairement, mais quelque chose est tué dans le rapport qu’on a avec les autres. Et avec soi. La calomnie s’infiltre, brûle, instille un durable poison. Au milieu des mensonges, des injures et des insanités se glisse toujours un détail biographique, un petit fait vrai qui conduit la victime à suspecter ses amis, ses proches. Qui a bien pu révéler ce minuscule secret ? Qui a parlé à qui ? Qui a été imprudent, voire malveillant ? Et qui a trahi ? Il faut tenter de ne pas consentir à cette spirale de la suspicion, à cette pente mortelle. Sinon, toutes les barrières cèdent, la vie privée explose, les calomniateurs ont gagné.
p. 20-21

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Suite

Point de côté (Extrait II)
Point de côté (Extrait III)

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Josyane Savigneau était l’invitée d’Alain Veinstein le 21 novembre 2008 :

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art press n° 350 

PDF - 151.4 ko
Jacques Henric, Une leçon de liberté
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Sur amazon :
Point de côté, Josyane Savigneau

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