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Assassin, dis moi ton nom

suivi de : LE CAPTAGON ? LA DESCENTE EST INFERNALE

D 22 juin 2016     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


I - ASSASSIN, DIS MOI TON NOM

Juin 2016 : Nouveaux assassinats, au nom de l’Etat islamique.
En France, un couple de policiers Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne Jessica Schneider, sauvagement tués, lui, à coups de couteaux, elle, égorgée.
Aux Etats Unis, la tuerie d’Orlando dans une boîte de nuit gay où un homme lourdement armé a ouvert le feu : 49 personnes ont été tuées et 53 autres blessées.

Rien, aujourd’hui, n’accrédite que ces assassins-là étaient drogués, mais la drogue a souvent été associée à des actes djihadistes. Le « Captagon », qualifié de « drogue des djihadistes » a fait l’objet de divers reportages dans la presse.

Philippe Sollers :

« J’ai eu la curiosité de me demander si ce n’était pas une tradition très ancienne et j’ai appris qu’elle remontait aux « vieux de la montagne », une secte ismaïlienne fondée en Iran et en Syrie au XIe siècle. Vous avez affaire à un personnage tout à fait important (il se concentre pour bien prononcer le nom) - puisqu’il faut maintenant apprendre des noms arabes -, Hasan-i Sabbâh. Les Vieux de la montagne avaient l’habitude de bourrer leurs tueurs de haschisch, ce qui permettait de les envoyer à la mort. Ils tuaient des croisés. Et les croisés, voyant ces gens qui n’avaient absolument pas peur de mourir et qui les tuaient allègrement, les ont appelés les haschischains. C’est devenu "assassin" par dérivation. »

Sur les origines du mot « assassin », une autre relation tirée de la revue Mots, signée Maurice Tournier [1] :

« Il apparait de plus en plus évident, des textes d’Alamut ayant refait surface, qu’une origine arabe du mot est historiquement première. Il s’agit du terme-racine « Assas »,‘ Asl’, ‘Usûl’, c’est-à-dire « base, source, principes, fondements » de la foi islamique. Les « Assassiyoun » étaient des fondamentalistes religieux, les « vrais croyants » qui défendaient leur foi en attaquant les intrus jusqu’à mourir pour tuer. Foi en Allah mais aussi en Ismaïl, ce septième et dernier des prophètes que ces dissidents chiites reconnaissaient dans l’imam qui avait sur eux une autorité absolue.

Ce mot d’’assassin’, écho d’’ Assassiyoun’, a pris ainsi en charge connotative et sémantique l’effroi et la détestation propres aux pèlerins et croisés, mais sans d’abord en tordre la prononciation pour la rapprocher du‘hachisch’. Cette seconde étymologie ne devient explicite que chez Marco Polo. C’est son récit qui a rajouté la drogue au fanatisme.

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Au pays de La Mecque, tout le monde connaît la petite pilule aux deux C croisés qui semblent dessiner un croissant de lune, symbole de l’islam.On l’appelle al Kabtagon ou encore abou hilalain (le père du croissant de lune, en arabe).

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Dans les années 1990 de la « sale guerre » civile en Algérie, divers témoignages font état de l’usage d’une drogue l’Artane - un médicament normalement utilisé pour soigner la maladie de Parkinson – surnommé “Madame courage”. Pris à fortes doses (souvent avec de l’alcool), il a pour effet de faire perdre toute inhibition et de transformer le drogué en « Rambo », capable alors des pires violences, qu’il aura totalement oubliées le lendemain.

La drogue, arme des assassins, arme de guerre, une grande constance dans l’Histoire !
( On pourrait aussi citer la Pervitine, « la drogue des nazis », largement utilisée par la Wehrmacht pendant la deuxième guerre mondiale : Sans cette drogue, les nazis n’auraient peut-être pas gagné le Blitzkrieg –Voir : http://www.dailymotion.com/video/x2k606k)

II « LE CAPTAGON ? LA DESCENTE EST INFERNALE. »

Par Philippe Sollers

(Technikart, décembre 2015 - janvier 2016)

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Philippe Sollers (photo Jack Guez / AFP)

La drogue des djihadistes a servi de carburant au jeune Philippe Sollers tout au long des années 70. Il a accepté de partager ses connaissances chimiques et littéraires du psychotrope avec nous.

« Bourré de captagon, l’acte consistant à devenir roi du monde et à supprimer tout ce qui est humain devient possible. »
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Bonsoir, maître. On a cru comprendre que certains de vos livres étaient écrits sous les effets du captagon. C’est vrai ?

Philippe Sollers :

Le démarrage foudroyant qui est sa caractéristique essentielle, vous en trouvez trace dans les deux livres où j’ai supprimé la ponctuation pour aller plus vite : H (1973) et Paradis (paru en 1983 mais écrit à partir de 1974, ndlr). À l’époque, avec un médecin complice, le captagon était en vente sur ordonnance. Ça n’est plus le cas depuis longtemps.
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Vous en preniez pour obtenir cet effet de « démarrage foudroyant » ?

Oui, j’ai gagné des heures grâce à cette formule chimique ; elle ne m’a pas donné envie d’aller tuer qui que ce soit, mais d’écrire un peu plus rapidement. C’est une drogue qu’il faut l’utiliser avec prudence, ce que je faisais - quand même - parce que la descente est très compliquée.
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Elle permet de rester concentré sur une seule tâche ?

Absolument. J’ai eu la curiosité de me demander si ce n’était pas une tradition très ancienne et j’ai appris qu’elle remontait aux « vieux de la montagne », une secte ismaïlienne fondée en Iran et en Syrie au XIe siècle. Vous avez affaire à un personnage tout à fait important (il se concentre pour bien prononcer le nom) - puisqu’il faut maintenant apprendre des noms arabes -, Hasan-i Sabbâh. Les Vieux de la montagne avaient l’habitude de bourrer leurs tueurs de haschisch, ce qui permettait de les envoyer à la mort. Ils tuaient des croisés. Et les croisés, voyant ces gens qui n’avaient absolument pas peur de mourir et qui les tuaient allègrement, les ont appelés les haschischains. C’est devenu « assassin » par dérivation.
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C’est une drogue qu’on retrouve dans lalittérature ?

Je vous conseille vivement, ainsi qu’à vos lecteurs, de prendre, dans les Illuminations de Rimbaud, le texte « Matinée d’ivresse » : « Nous avons foi au poison / Nous savons donner notre vie toute entière tous les jours / Voici le temps des assassins ». Relisez Rimbaud : les assassins sont des gens profondément sous substances.
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Vous-même preniez du captagon pour pouvoir écrire plus vite ?

Oui. Un ami médecin m’a parlé du Captagon, de petits comprimés blancs qu’on pouvait prendre par moitié. C’était l’héritier du Corydrane, qui a coûté une partie de sa vue à Sartre, qui s’en gavait pour écrire.
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Vous écriviez la nuit ?

N’importe quand. Avec le Captagon, je gagnais le temps de me mettre en action, deux heures environ. L’écriture est un sport de très haut niveau, si on le pratique vraiment. Tout le monde croit qu’on écrit comme ça, qu’on barbouille, qu’on tapote à l’ordinateur... Tu parles !
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Vous en avez pris uniquement pour ces deux livres ?

J’en ai pris pendant un certain nombre d’années, dans les années 70. Ça va de H à Paradis. Après, j’ai arrêté parce que les effets de descente devenaient pénibles. Et donc j’ai rééquilibré ça, j’ai réintroduit de la ponctuation dans Femmes (1983). Ce sont des expériences... Il faut dire à vos lecteurs de relire aussi Baudelaire : sa découverte du haschich à l’hôtel de Pimodan, le « Poème du haschich » (1858)... Pour le dire autrement : la drogue est quelque chose qui doit automatiquement intéresser un écrivain. Si ça ne l’intéresse pas, tant pis, il peut boire de l’alcool comme tout le monde.
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En lisant les comptes-rendus des attentats, vous avez reconnu la drogue de prédilection de vos jeunes années ?

Mon attention a été attirée par le témoignage d’une otage au Bataclan qui a vu les assassins achever les blessés sans aucun état d’âme. Ce n’est pas la peine de se perdre en idéologie : il faut les voir, les imaginer, entrer dans leur tête, pour savoir ce qui se passe. Cette otage a expliqué que l’assassin commençait sa descente. Or, bourré de captagon, je vous assure que la descente doit être infernale. Et qu’à ce moment-là, il vaut mieux en finir tout de suite : se faire exploser. Donc, ces pauvres types qui se sont fait manipuler et ont été envoyés pour faire le plus de dégâts possible, on connaît maintenant leur référence : un pur produit de chimie. Tout le monde évite d’en parler, ce qui me paraît de plus en plus étonnant. Parce qu’il n’y a pas que les trafics de coton et de pétrole pour l’État islamique, mais aussi la drogue. Et celle-là, notamment, qui permet de manipuler les gens.
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Le moment où les kamikazes du Bataclan se mettent à parler de la Syrie et de Hollande correspondrait à celui de la descente ?

À ce moment-là, ils sont déjà en descente. En principe, ils ne parlent pas. Contrairement aux Kouachi, à Coulibaly - des assassins lyriques qui s’adressaient à leurs victimes -, ceux du 13 novembre ne parlent pas. Ils sont concentrés sur le fait d’arroser les terrasses de café et de tuer le maximum de gens possible. C’est intéressant de voir que, bourré de captagon, l’acte consistant à devenir roi du monde et à supprimer tout ce qui est humain devient possible. Avec cette drogue, pas de dérive rêveuse : elle n’a rien à voir avec la cocaïne, l’héroïne ou la morphine...
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En arrêtant le captagon au début des années 80, vous l’avez remplacé par autre chose ?

Non. J’ai une petite pharmacie dont je ne donnerai pas les composants, mais ce sont des produits d’équilibre. Je n’ai pas besoin de grand-chose, vous savez.
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D’autres écrivains en prenaient dans les années 70 ?

Je n’ai jamais entendu parler du captagon chez les autres, sauf quelques amis à qui j’en ai fourni - parce que j’avais l’ordonnance et eux non. Je ne citerai pas de noms...
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On a entendu parler de BHL... (Sourire.)

Posez-lui la question.
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Il va trouver ça futile, qu’on aille le voir pour lui parler de captagon.

Futile, il faut l’être en effet !

Entretien Laurence Rémila

TECHNIK ART N° double décembre 2015 - janvier 2016


Demande exponentielle

De son bureau situé sous les toits, non loin des Champs-Élysées, le directeur de l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), Bernard Leroy contemple la tour Eiffel en tirant sur ses bretelles vermillon. Le sourire patelin jauge. Cet ancien magistrat, spécialisé dès son premier poste à Évry dans la lutte contre le trafic de drogue, a été détaché à Vienne de 1990 à 2010 auprès de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) où il a œuvré pour l’harmonisation des lois contre les stupéfiants et noué des contacts dans le monde entier. « Ce sont mes interlocuteurs saoudiens qui, les premiers, m’ont parlé du Captagon, au mitan des années 1990,se souvient-il. Ils étaient très inquiets. Pour eux, cette drogue est une honte, un véritable fléau national. » En terre wahhabite, tout le monde connaît la petite pilule aux deux C croisés qui semblent dessiner un croissant de lune, symbole de l’islam.On l’appelle al Kabtagon ou encore abou hilalain (le père du croissant de lune, en arabe),Anadin, Boomerang... Il en existe de toutes sortes et de toutes les couleurs, des blanches, des roses, des jaunes, des violettes, gravées d’un cœur, d’un petit lapin Playboy, des ailes de Batman, d’un smiley, d’une colombe... De la farawla (la fraise, en arabe) à moins d’un dollar, à la Ziniya, la version luxe – matière première de haute qualité et effets stratosphériques garantis – au prix de 20 à 30 dollars le comprimé, celle qui se cachait à Beyrouth dans les bagages du prince. Les douaniers saoudiens luttent comme ils peuvent, las de voir leur pays figurer toujours en haut du palmarès des saisies (près de 40 millions de pilules par an, selon un rapport de l’ONU de 2013). Le Captagon pénètre par le ciel, la terre, les mers, transporté par camions, paquebots, planeurs, caché dans des conteneurs de maïs, des rouleaux de tissu, des olives fourrées, des boîtes d’œufs, de gâteaux, de jouets. La demande est exponentielle.

Au royaume de la Mecque et du Captagon

Au royaume de La Mecque et des plaisirs interdits, le Captagon s’est fait connaître pour ses pouvoirs sexuels. Réputé aussi efficace que le Viagra, avec des effets prodigieux des heures durant, il a commencé à circuler dans les majlis, ces cercles où l’on discute entre hommes. Peu à peu, il a conquis tous les milieux et tous les âges, les accros aux nuits blanches, les étudiants en quête de performance, les chauffeurs de bus, les dépressifs, celles et ceux, nombreux dans ce peuple sédentaire, qui craignent de devenir obèses. Au début des années 2000, l’épidémie de Captagon s’est étendue au Qatar, au Koweit, au sultanat d’Oman... Un chercheur anglais,Justin Thomas, professeur en psychologie à Abou Dabi, a tenté d’expliquer cet incroyable succès dans son livre Psychological Well-Being in the Gulf States (Palgrave Macmillan, 2013). « Une drogue aussi géolocalisée, qui reste la plus prisée en dépit de toute la concurrence, c’est inouï,indique-t-il de son bureau de l’université Zayed. Le Captagon jouit de son prestige d’ancien médicament, il a l’avantage de ressembler à un comprimé d’aspirine. Pas d’injection, pas d’inhalation, il s’avale discrètement. Dans les sociétés du Golfe, où les interdits sont nombreux, le mal-être profond, indicible, les gens n’ont pas beaucoup de moyens de s’évader... Le problème, c’est que la consommation peut commencer très tôt, dès l’âge de 14 ans. » L’addiction au Captagon se soigne en cachette sur les collines de l’île Maurice, au bord d’une piscine ombragée, entre palmiers et bananiers. La clinique des Mariannes propose une cure de désintoxication – 14000 dollars les vingt-huit jours – sur une idée de son directeur, le Dr Siddick Maudarbocus. « J’ai travaillé en Arabie saoudite et découvert que beaucoup de gens, accros aux somnifères, prenaient aussi du Captagon pour se réveiller, être efficaces. Ils disent que, contrairement à l’alcool, ce n’est pas haram [impie], qu’ils peuvent avec lui continuer à prier. Alors, ils forcent les doses et rentrent dans un cycle infernal d’hyperexcitation et d’apathie, avec des descentes douloureuses, des hallucinations qui les empêchent de vivre. Il y a bien quelques centres de rehab, mais c’est encore tabou. Alors, il y a trois ans, j’ai eu l’idée de soigner ici... » L’île Maurice n’est pas si loin, deux avions d’Emirates la desservent chaque jour au départ de Dubaï. Dépaysement total, luxe et anonymat garanti. C’est mieux encore qu’en Thaïlande, où quelques établissements se sont aussi spécialisés dans les détox anti-Captagon. Plus de deux cents patients originaires du Golfe ont déjà été traités aux Mariannes, selon le Dr Maudarbocus :« Quand ils arrivent ici, ils n’ont plus de cadre, plus de frein dans le cerveau, plus de frontière entre le réel et l’irréel ? ; ils ne s’arrêtent jamais et veulent faire du jogging à 3 heures du matin. »Au programme : sevrage immédiat (le Captagon est confisqué dès l’arrivée ? ; le patient renvoyé s’il en cache), acupuncture, yoga, massages, repas diététiques, discussion sur la foi.« On leur explique que Dieu ne leur en veut pas,insiste le médecin. Et ça les aide beaucoup. »

Crédit : Sophie Des Déserts, Vanity Fair, N° 34, avril 2016

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