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Fragonard, les gammes de l’amour

par Jean-Paul Fargier

D 7 octobre 2015     A par Albert Gauvin - Jean-Paul Fargier - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



« Pourquoi s’interdire d’entendre, comme si on les déchiffrait sur une plaque minéralogique, les trois premières lettres de France dans Frago ? » écrit Sollers dans Les Surprises de Fragonard. Eh bien comment ne pas voir les quatre premières lettres de Frago dans le nom de Fargier (du verbe fargar, forger) ? Fragonard, Fargier, la France du Sud.

Fragonard, les gammes de l’amour

Réalisateur : Jean-Paul Fargier
Editeur : France Télévisions
2013, 52 minutes

L’amour au XVIIIe siècle ?

Au siècle de Lumière, le libertinage s’exprime dans les arts avec la recherche du bonheur et des plaisirs charnels, le Marquis de Sade écrit La nouvelle Justine, Mozart compose Don Giovanni... et Fragonard peint l’Escarpolette. Il traduit ainsi le siècle qui se libère des contraintes religieuses et philosophiques pour défendre la liberté amoureuse et bien sûr sexuelle.
Ce documentaire aborde la complexité des relations du peintre à l’Amour car il n’est pas que le peintre du libertinage. Il raconte aussi sa relation à son entourage et au siècle qui l’a révélé.
Philippe Sollers, Pierre Rosenberg, Marie Anne Dupuy-Vachey, Michel Delon et Guillaume Faroult, le commissaire de l’exposition... tous autant amoureux de la peinture de Fragonard, racontent l’élégance de ces gestes, la somptuosité sensuelle des étoffes et des tentures comme ailleurs des feuillages et des bosquets, et l’ivresse amoureuse de la vie.

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Entretien avec Jean-Paul Fargier

Le Grand Palais a rencontré le réalisateur du film, Jean-Paul Fargier – qui a déjà réalisé pour le Grand Palais, les films Bill Viola, expérience de l’infini, En passant par la bohème, Les Nymphéas, le grand rêve de Monet et les Voyageurs de la Korrigane.

Grand Palais : Votre dernière collaboration avec la RMN était à l’occasion de l’exposition Bill Viola. C’est un grand écart…

Jean-Paul Fargier : Oui et non. J’aime filmer des artistes, leurs œuvres, leurs pensées ou celles de leurs admirateurs, de leurs interprètes. Que ces artistes soient modernes, vivants ou classiques, lointains dans le passé. J’ai filmé aussi bien Monet, Cézanne, Rodin, Man Ray que Pierre Buraglio, Alain Kirili, Nam June Paik ou encore Bill Viola. Passer de Viola à Fragonard n’a rien d’un exercice de haute voltige : c’est juste une question d’articulation de diverses phases de mouvements. Il y a des mouvements chez l’artiste vidéo qui tendent vers le repos, l’arrêt, la station, le calme, et chez le peintre libertin des positions arrêtées qui donnent à deviner parfaitement les mouvements fiévreux qui vont suivre.

Grand Palais : Votre première rencontre avec Fragonard ?

Jean-Paul Fargier : Bien sûr j’avais vu au Louvre quelques tableaux mais la première vraie rencontre ce fut au Grand Palais, l’exposition de 88 dirigée par Pierre Rosenberg. Un éblouissement… Et puis peu de temps après, le livre de Philippe Sollers : une promenade intime.

Grand Palais : Le sous-titre du film Les gammes de l’amour a une résonance musicale…

Jean-Paul Fargier : Oui car Fragonard avait sans doute un goût très prononcé pour la musique : il dispose des instruments dans de nombreuses scènes, on sent que jouer de la musique et faire l’amour sont des plaisirs qui s’entendent bien.

Grand Palais : Aujourd’hui, qu’est-ce que Fragonard peindrait ?

Jean-Paul Fargier : Fragonard aujourd’hui en France irait croquer dans les parcs, les rues, les lieux publics, cafés, cinémas, etc. les amoureux qui ne craignent plus d’afficher leurs désirs aux yeux de tous… Dieu merci, la France n’est pas un pays puritain… peut-être un peu à cause de lui.

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Le DVD (Date de parution Septembre 2015)

En couverture du DVD, vous aurez reconnu Le Verrou.

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Les Hasards heureux de l’Escarpolette

« Autant de petits opéras, il faut écouter l’air, la ligne qui vient déchirer le jardin factice. On sait, par exemple, que Les Hasards heureux de l’Escarpolette (tableau refusé par Le Louvre en 1859 et désormais à la Wallace Collection de Londres) est une commande qu’un artiste plus soucieux de respectabilité avait refusé d’exécuter. On se retrouve dans une « petite maison » des alentours de Paris, un homme de cour veut fixer son jeu préféré avec sa maîtresse. On est peut être dans une de ces sociétés libertines secrètes qui ont été nombreuses sous Louis XV, la Société du Moment, l’Ordre de la Félicité [1]. La société du moment. Le moment trouvé. L’instant désiré. »

Philippe Sollers, Les Surprises de Fragonard, 1987.


Fragonard, Les Hasards heureux de l’Escarpolette
Londres, Wallace Collection. Zoom : cliquez l’image.


« Le baron de Saint-Julien, receveur du Clergé, souhaite un portrait de sa maîtresse, balancée sur une escarpolette. En ces temps où les femmes ne portaient pas de dessous, c’est dire l’incongruité de la chose !
Fragonard n’obtient que deux séances de pose pour brosser sa composition avec le baron et sa petite grue. A lui d’imaginer le reste. Le baron a une idée très précise de ce qu’il veut : un évêque doit pousser sa belle amie sur une balançoire lancée pendant qu’il se voit, lui, couché dans l’herbe exactement sous les jupes de la belle, que le vent relève.
Fragonard improvise sur ce thème et prend un plaisir certain et douteux à fignoler sa toile. »

« Dans ce babillage vivement rendu, plein d’esprit, de grâce pétillante et d’une extrême luminosité, il déploie une subtilité de couleurs, de nuances et de légèreté. Puis comme un gentil diablotin, il met toute sa ruse à faire s’envoler une mule de satin rose du pied de la drôlesse. A toute l’espièglerie de l’instant réponde celle de l’artiste, aussi éloigné des fausses délicatesses de son maître — Boucher — que des lascivités corrompues de Baudoin. Ces Hasards heureux de l’escarpolette, mieux qu’un triomphe qui ne dure qu’un temps, déclenchent une mode et font des ravages. Tout le monde veut son "escarpolette", tout le monde va vouloir son Fragonard.
[...]
Il ne le sait pas tout de suite, mais il a peint un tableau vraiment nouveau. Son sujet aurait dû n’en faire qu’une image salace, une anecdote grivoise à la Nerciat comme l’époque les prise. Un rien de maladresse, elle basculait dans la vulgarité, mais Frago joue de malice et d’audace, de subtilités et de nuances, sa touche est ici d’une grâce sans pareille. Finalement entre les frasques passées de la Régence et les horreurs sexuelles de Sade en cours d’exécution, ce gentil baron de saint-Julien a des ambitions érotiques des plus simples, à sa façon innocentes, que Frago rend plus charmantes encore en les traitant avec une totale sincérité, une expression un rien mélancolique mais surtout une ingénuité plus candide que le héros de Voltaire, et dans un décor plus digne de Rousseau que de Versailles. »

Sophie Chauveau, Fragonard, L’invention du bonheur, Editions Télémaque, 2011.

« Dans le tableau, le gentilhomme et sa maîtresse se trouvent au milieu d’un paysage verdoyant. C’est une scène pastorale, l’arbre auquel est accroché l’escarpolette est d’une beauté quasi mythique, le gentilhomme au-dessous est littéralement enveloppé de feuilles et de fleurs. Si cet arrière-plan a un caractère unique, il relève aussi d’une tradition plus ancienne : la peinture des scènes amoureuses avec des courtisanes ou des déesses (en général dévêtues) dans un cadre campagnard. Ici, les deux amants sont habillés et Fragonard peut paraître bêtement sentimental tant que l’on ne comprend pas ce qui sous-tend le tableau, à savoir le désir.
Au mouvement vibrant de la jeune femme sur son escarpolette fait écho la robe de soie rose tourbillonnante, prise dans la lumière qui danse au-dessus d’elle, de son visage, de ses seins, et qui tombe sur le visage de son amant, tourné vers elle avec adoration, l’ardeur joyeuse de sa main tendue vers les pieds de sa maîtresse. Tout exprime la félicité et la frivolité mais aussi le sentiment puissant qui unit la nature et les amants. Comme si l’escarpolette, la jupe, les arbres, le ciel rougeoyant ne faisaient qu’attiser la passion sexuelle qui submergera les corps.
Certes, le tableau ne saisit qu’un moment dans la gamme des plaisirs. Les contingences de la vie quotidienne vont reprendre leurs droits ; si la chaussure rose au-dessus de lui sera bientôt sienne, l’amant n’attrapera jamais le pied de sa maîtresse, du moins dans le tableau… »

Susan Griffin, Le Livre des courtisanes, Albin Michel, 2003.

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DIGRESSION

La Partie de campagne

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Jean Renoir tourne Partie de campagne en 1936, adapté d’une nouvelle de Maupassant. Le rôle de la jeune femme est joué par Sylvia Bataille. Voici la séquence de l’escarpolette. Comme le montre Fargier dans son documentaire, Renoir a sans doute pensé à Fragonard, mais il rend également hommage à son père Auguste Renoir, lui aussi amoureux du XVIIIe siècle français, qui peignit La Balançoire en 1876, avant de peindre de nombreuses scènes de canotiers sur les bords de la Seine. Les propos du canotier Rodolphe (le séducteur moustachu) — « Si elle pouvait s’asseoir, le paysage deviendrait beaucoup plus intéressant » — rappelle furieusement ceux du baron de Saint-Julien, le commanditaire des Hasards heureux de l’Escarpolette, qui donna à Fragonard les recommandations suivantes : « Je désirerais que vous peignissiez Madame sur une escarpolette qu’un évêque mettrait en branle. Vous me placerez de façon, moi, que je sois à portée de voir les jambes de cette belle enfant et mieux même, si vous voulez égayer votre tableau. »
On reconnaitra Jean Renoir dans le rôle du père Poulain, l’aubergiste (qui n’existe pas chez Maupassant), et, furtivement, Henri Cartier Bresson et Georges Bataille dans un petit groupe d’abbés qui passait par là (il y a aussi un abbé dans le tableau de Fragonard : il pousse l’escarpolette ; chez Renoir, pas question de s’arrêter à contempler la scène, même si la tentation, chez certains, est grande).

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La Balançoire

« Renoir aborde ici un sujet relativement rare en peinture, mais dont le caractère plaisant ne pouvait que lui convenir. Il affirme d’emblée une filiation avec Boucher, Fragonard et Watteau, peintres qu’il admire. Ce regard vers le passé révèle le goût de Renoir pour la grande tradition et annonce ses futures recherches. »


Auguste Renoir, La Balançoire, 1876.
Musée d’Orsay. Zoom : cliquez l’image.


Lire : Véronique Duprat-Roumier, La Balançoire

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Jean Renoir présente son film

Jean Renoir présente pour la télévision son film La Partie de campagne (Renoir maintient l’article, pas « une », mais bien LA Partie de campagne) : son envie de réaliser un court-métrage, le fait que Maupassant dans sa nouvelle ne lui imposait qu’un cadre à l’intérieur duquel il était libre de broder, pourquoi il a tourné sur les bords du Loing et comment la pluie durant le tournage l’a obligé à modifier le scénario (« accommodation aux circonstances » qui donne de magnifiques variations sur l’eau) ; il évoque la participation de ses assistants : Visconti, Jacques Becker et Cartier-Bresson....

Au passage, Renoir fait une diversion et se livre à une apologie du plagiat que n’aurait pas reniée Isidore Ducasse.

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Lire : Une partie de campagne
Sur Jean Renoir, voir aussi French Cancan.
Et lire, Thomas A. Ravier, « Le coup de théâtre », dans L’oeil du prince, 2008, Gallimard, coll. L’infini, p. 55-77.

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[1Jean-Luc Quoy-Bodin, « Autour de deux sociétés secrètes libertines sous Louis XV », Revue historique, 1986.

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