4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » SUR DES OEUVRES DE TIERS » Philippe Sollers : L’art du sublime
  • > SUR DES OEUVRES DE TIERS
Philippe Sollers : L’art du sublime

Par Aliocha Wald Lasowski

D 7 mars 2012     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Editeur : Pocket (5 janvier 2012)

Collection : Pocket Agora

« Le sublime ne se décrit pas il se capte. Voilà l’ambition de ce livre » nous dit Arthur Chevalier, son collègue du Magazine Littéraire. Aliocha Wald Lasowski s’est lancé, là, dans une aventure très ambitieuse. Pour s’en donner les moyens, il a lu tout Sollers, a rencontré l’écrivain plusieurs fois. Le résultat est là, « subtilement distillé » dans les 190 pages de ce livre. Festival d’érudition sollersienne.

La présentation du livre en quatrième de couverture - ne vous éclairera guère sur son contenu - lisez plutôt ce qu’en dit Arthur Chevalier, encore que les résonances de cette critique ne déploient toutes leurs harmoniques qu’après être entré au coeur même du livre. Le sublime se capte en direct.


Critique du Magazine Littéraire

Philippe Sollers a beaucoup donné aux génies. Barthes, Mozart, Nietzsche et tant d’autres ont fini par devenir les leitmotiv d’un écrivain qui leur a perpétuellement rendu hommage. De tant d’amour devait naître, un jour, une filiation.

Pour Alliocha Wald Lasowski. Sollers est le digne descendant des artistes qui cultivaient la passion du sublime ; mais le sublime ne se décrit pas, il se capte ; voilà l’ambition de ce livre.

Enquêtant dans la vie de l’auteur de L’Eclaircie, Aliocha Wald Lasowski saisit le « rapport inédit à l’allégresse » commun à Nietzsche, à Mozart à Sollers ; tous ont écrit ou composé pour « la puissance de l’instant », à la recherche d’une fulgurance.

Une enquête infime que l’écrivain mène grâce à force du langage, en le poussant toujours plus loin afin qu’il devienne cette musique qu’on nommerait « le tempo de Sollers ». Le « vertige du sublime » comme seule réponse à la « dévastation des esprits » et au « nihilisme contemporain ».

Au terme d’une réflexion subtile et ambitieuse, Aliocha Wald Lasowski laisse la conclusion à l’écrivain et publie trois entretiens inédits où ce dernier revient sur Roland Barthes, Picasso et Haydn.

Arthur Chevalier
Le Magazine Littéraire, mars 2012

Ci-après quelques extraits du livre :

Portrait d’une rencontre

Je tiens à remercier tout particulièrement Philippe Sollers, qui m’a reçu, à plusieurs reprises, dans son bureau de la rue Sébastien-Bottin, aux éditions Gallimard. Encombré de livres, tapissé de papiers et de dessins, le bureau est au premier étage. Au bout du couloir, au fond à gauche, numéro 16. C’est dans cette caverne au trésor, qu’il qualifie lui-même d’« observatoire-laboratoire discret, où se poursuivent certaines expériences d’avenir », que Philippe Sollers, après être venu me chercher dans le hall, me conduit.

Une fois entré, premier coup d’oeil, premier repérage : les manuscrits et travaux en cours sont là, noircis à l’encre. La générosité de Philippe Sollers, son accueil, sa disponibilité, les moments passés ensemble sont précieux, uniques. À chaque rencontre, se développe une atmosphère de calme et d’intense concentration, dans la parole ou le silence partagés. Parfois, un coup de téléphone interrompt la conversation. Ou l’entrée d’un collaborateur ou d’un proche, comme l’ami de toujours, Marcelin Pleynet. Puis, aussitôt, le fil est renoué. Philippe Sollers reprend. De la fenêtre de son bureau, on aperçoit les jardins secrets de la Maison Gallimard, qui gardent la mémoire de tant de discussions passionnées, mais aussi de dépits, défis, ruptures sans doute, entre écrivains. Philippe Sollers se confie, partage ses passions, admirations, indignations, coups de gueule ou coups de sang. Il fait entendre les voix, les textes, la musique qu’il aime. Question de goût, partage du plaisir.

D’un entretien avec Philippe Sollers se dégage une quiétude de la pensée, une sérénité armée, l’aiguë douceur de vivre. Molto vivace, il raconte, se raconte, commente, ironise, s’agace, défend, s’enthousiasme. Tant de rencontres, tant de passions, de noms, de lieux au fil d’une vie ! Lorsque Philippe Sollers me montre une peinture de bête mythologique, une partition de musique, une lettre de Francis Ponge ou un authentique rouleau de calligraphie chinoise, l’émotion est immédiate. Moments de joie. Fragments d’intensité. C’est le monde qui vient, c’est Sollers par lui-même, une nouvelle invitation au voyage, depuis le bureau de la rue Sébastien-Bottin.

Œuvre totale, toujours en mouvement, saisie par le vertige de l’infini.

Oui, toute l’oeuvre romanesque de Sollers — l’amour désoeuvré du Défi, la virtuosité esthétique d’Une curieuse solitude, le rêve fragmenté du Parc, l’échiquier du récit de Drame, l’épure géométrique de Nombres, la dynamique rythmique de Lois, le concert des voix de H, l’opéra verbal de Paradis, le battement picaresque de Femmes, l’éclat miroitant de Portrait du joueur, les mille histoires de Paradis II, les chroniques quotidiennes du Coeur absolu, le roman de l’Histoire des Folies françaises, le face-à-face amoureux du Lys d’or, l’épiphanie picturale de La Fête à Venise, les aventures romaines du Secret, le récit contemplatif de Studio, l’instant de la rencontre de Passion fixe, la traversée divine de L’Étoile des amants, la solitude nietzschéenne d’Une vie divine, la quête d’éternité des Voyageurs du temps, les vertiges stendhaliens, la passion Manet de L’Éclaircie — s’ouvre à cette expérience exaltante du sublime. Oeuvre totale, toujours en mouvement, saisie par le vertige de l’infini.

[...]

Pour Emmanuel Kant, c’est dans le plaisir sensible [1] pris au dépassement de la nature par elle-même - tempête sur l’océan déchaîné, immensité du ciel étoilé sur nos têtes - que l’individu accède à l’infini. « Un frisson parcourt l’homme dans la représentation du sublime, il sillonne le corps aussi loin qu’il y a de la vie en lui », écrit le philosophe de Königsberg. La puissance de la liberté se dévoile au sein de notre finitude. La nature offre dans un déchirement l’image de la grandeur, la représentation éclatante de nos aspirations, le vertige de notre destinée.

Mais c’est aussi dans la démesure du geste artistique, dans sa puissance créatrice, que l’expérience du sublime est mise en jeu. C’est elle qu’au-delà de l’outrance lyrique et de la vigueur de la pensée vise l’écriture (musicale, philosophique, romanesque) comme mouvement, comme arrachement. Ainsi en va-t-il pour Mozart, Nietzsche, Sollers, qui, tous les trois, dans un rapport inédit à l’allégresse, dans un rapport complexe à « l’infini », font de leur oeuvre et de leur existence un champ d’expérimentation et de renouvellement.

Le sublime accueille le surgissement

« Sollers se donne à cette respiration lyrique (non pathétique) et sensuelle (non sentimentale) de l’écriture. « Au lieu de dire tout le temps que le temps passe, il nous faudrait pouvoir dire qu’il surgit . » Le sublime accueille le surgissement, l’instant du surgissement, qui cherche sa langue, sa musique propre. On pourrait appliquer à Sollers ce qu’il écrit de Rimbaud dans Illuminations (2003) : « Il s’agit d’entendre, dans son rythme, les chocs et contre-chocs de ses chromatismes, les contrepoints et les harmoniques de son art de la fugue » (p. 41). Sollers ou l’art de la fugue...

[...]

Chaque roman de Sollers est le récit de son propre surgissement, dans une course de vitesse avec le langage. Drame joue de la coïncidence entre l’acte d’écriture et le récit, Lois est l’élaboration littéraire d’une construction géométrique, H révèle l’inscription de la lecture dans la récitation. Déjà en 1971,ans Sur le matérialisme, Sollers invite à se défaire de la répétition mécaniste, piège d’une histoire anachronique et dépassée. Au contraire, expérimenter le temps à venir est le propre de l’écrivain, qui écrit en 1988 : « J’ai un peu d’avance sur les évènements, c’est tout » (L’Infini, n° 23).

[...] Et aussi :

Allure, fougue et contretemps : n’est-ce pas là l’élément déterminant pour un art du sublime, dès lors que l’écrivain, dans sa démesure magnifique, cherche à « imposer sa musique des mots dans l’histoire des mots » (« Portrait de l’artiste en voyageur humain », L’Infini, n° 85, hiver 2003, p. 12).

Non omnis moriar. HAYDN

Haydn est l’un des musiciens préférés de Philippe Sollers. Merveilleux antidote, antidote nécessaire à la morosité ambiante, comme le suggère Un vrai roman, lorsque Sollers écrit : « À chaque instant, les préjugés romantiques, la pose romantique, noient la vision, l’évidence, l’écoute, et c’est sur ce dogme mélancolique que la dévastation publicitaire s’installe et progresse. Étrange hypnose, donc, que la moindre sonate de Haydn balaie sur le champ. »

[...]

À propos de Haydn, Philippe Sollers sollicite Rimbaud : « Rien de plus proche d’une Illumination de Rimbaud qu’une sonate de Haydn. »

Circulaire, linéaire, solaire et trépidante au milieu des acclamations et des cris. La vitesse est l’évènement. Avec Sollers, Shakespeare et Nietzsche, Haydn et Mozart deviennent les puissances de l’imprémédité en créant dans l’instant des figurations inédites où la main, l’oeil et l’ouïe visent un même horizon.

Lorsque Mozart devient père, son vrai père à lui reste Haydn. Sollers raconte l’intense amitié entre les deux hommes, la secrète filiation des deux compositeurs. Mozart sait par exemple qu’il n’atteindra jamais aux quatuors et aux symphonies de Haydn. Pour les concertos et les opéras, c’est autre chose, précise Sollers, qui note dans Mystérieux Mozart que « peu d’hommes au monde auront été aussi géniaux, discrets et rigoureusement bien que le grand Joseph Haydn ». Époque où le mot goût prenait tout son sens, l’éloge par excellence.

La Guerre du goût paraît en 1994. On ouvre le livre de Philippe Sollers comme on déchiffre une partition de Haydn : on y est. Sollers y consacre d’ailleurs au musicien un texte éblouissant, « Le lieu et la formule », où il confie combien Haydn ne cesse de revenir dans sa vie.

« En quatuors, en sonates. Après avoir réécouté tous les grands préférés — Gesualdo, Purcell, Monteverdi, Scarlatti, Vivaldi, Bach, Haendel, Mozart —, c’est lui, de nouveau, qui fait signe au moment du plus grand silence. Il reste dans son secret, non omnis moriar. Je pense à un monde reconstruit selon lui, redressement harmonique : par-delà le bien et le mal, la mort et son faux dieu, selon la série trouvée des substances et des densités. Mercure, billes. On le touche à peine, il répond, il tourbillonne en cascade — saut, arrêt, saut, intermittence —, il s’éclipse, glisse, roule, troue, repart. Phrases où il n’y aurait que des verbes. Haydn est un jazz de durée, sans dépression, sans espoir. »

[...]

Sur l’île de Ré, à six heures du matin, devant l’océan, Philippe Sollers écoute une sonate de Haydn. Le lieu est dégagé. La musique et le monde le sont aussi.

A. W. L. : Comment faire « correspondre » touche de musique, touche de pinceau, touche verbale ? Sur quoi repose cette étroite correspondance qui est pour vous un enjeu majeur ?

Ph. S. : Rien n’est plus proche de Haydn que Rimbaud. En 1989, écoutant la radio, je tombe sur la symphonie n° 85, La Reine, ou La Reine de France. J’étais à l’époque en train d’écrire un roman, Le Lys d’or, dont le personnage féminin principal s’appelle Reine. Il est bon de rappeler que Marie-Antoinette a été guillotinée à l’âge de trente-huit ans.

Prenez Illuminations de Rimbaud, ce recueil de 57 poèmes en prose ou vers libres composés entre 1872 et 1875. Je cite, par exemple, « Ornières » : « À droite l’aube d’été éveille les feuilles et les vapeurs et les bruits de ce coin du parc, et les talus de gauche tiennent dans leur ombre violette les mille rapides ornières de la route humide. » Prenez alors Rudolf Buchbinder (Le relieur) en train d’interpréter la sonate de Haydn en la bémol majeur n° 31 de 1768.

Poursuivons la lecture de Rimbaud : « En effet : des chars chargés d’animaux de bois doré, de mâts et de toiles bariolées, au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetés, et les enfants, et les hommes, sur leurs bêtes les plus étonnantes. » Si vous êtes avec Haydn, non seulement vous êtes avec les oiseaux, mais vous êtes aussi très souvent avec les chevaux qui courent à toute allure dans la campagne, de-ci de-là, sans but précis.

Revenons encore à Rimbaud : « Vingt véhicules, bossés, pavoisés et fleuris comme des carrosses anciens ou de contes, pleins d’enfants attifés pour une pastorale suburbaine. » Avec « bossés, pavoisés et fleuris comme des carrosse », on entend l’« os », la voix et le rire. J’ajoute : « Même des cercueils sous leur dais de nuit dressant les panaches d’ébène, filant au trot des grandes juments bleues et noires »

C’est un cercueil qui passe. Ce tableau poétique a été monté pour faire traverser la mort. Vous avez un superbe quatuor de Haydn qui s’appelle Les Dernières Paroles du Christ, qu’on peut jouer dans les églises sous une forme très dramatique.

J’insiste sur ces mots rassemblés ici par Rimbaud : juments bleues et noires ; l’aube éveille ; les talus tiennent ; les chevaux sont tachetés et les ombres sont violettes. Vous écoutez, vous voyez.

Consultez le livre

Postérité. Extrait d’interview par Lauren Malka

Après avoir travaillé sur l’oeuvre de Philippe Sollers de son vivant en lui consacrant un livre, diriez-vous que cet écrivain passera l’épreuve de la postérité ?

Aliocha Wald Lasowski : Mon travail sur Philippe Sollers s’inscrit dans une étude plus large que je mène sur la constitution d’une ?uvre singulière. J’avais publié, dans cette même démarche, une biographie de Jean-Paul Sartre quelques mois plus tôt.

Avec Sollers, j’ai voulu interroger un penseur de premier plan qui est pourtant à contre courant de la modernité et dresser un portrait de l’écrivain dans sa phrase, dans sa plume et dans sa pensée.

En menant ce travail, j’ai réalisé qu’il s’inscrivait en effet dans la tradition des grands écrivains français. Il prolonge la réflexion des classiques et s’adresse aux modernes. Son oeuvre est en cours, elle n’est pas achevée mais c’est une oeuvre qui parle d’infini et qui s’adresse à l’infini. Sollers accomplit les débordements du sens. Avec lui, radicalité esthétique, puissance poétique, détour politique, tout tient dans un même geste. Reconfiguration inédite de l’espace littéraire.

Propos recueillis par Lauren Malka

Crédit : http://www.myboox.fr/actualite/philippe-sollers-choque-t-il-encore-11695.html

A propos de l’auteur

Directeur-adjoint de l’UFR de Lettres modernes à l’Université catholique de Lille, Aliocha Wald Lasowski est membre du comité éditorial de l’Agenda de la pensée contemporaine et signe régulièrement dans le Magazine Littéraire et dans le journal L’Humanité. Il a publié Commentaire de L’Enfance d’un chef de Jean-Paul Sartre (Gallimard, 2007), Pensées pour le nouveau siècle (dir Fayard, 2008), Jacques Rancière : Politique de l’esthétique (codir, Archives Contemporaines, 2009), Rythmes de l’homme, rythmes du monde (codir, Hermann, 2010), Jean-Paul Sartre, une introduction (Pocket, 2011) et Philippe Sollers, l’art du sublime (Pocket, 2012).

Philippe Sollers, l’art du sublime sur amazon.fr


Fragments de la grande histoire du sublime

Notice à lire attentivement : cet encart peut donner des boutons ou d’autres effets indésirables ; il est notamment déconseillé aux puristes et érudits... C’est que la grande histoire du sublime - avec majuscule ou sans - est un monument. Certains y ont consacré des traités (Pseudo-Longin, Quintilien, Boileau traduisant Longin, Burke, Kant et bien d’autres...)

Coluche a été un promoteur-vulgarisateur du sublime dans son sketch :

« Avec OMO, votre linge sera plus blanc que blanc ! ».

Quand le blanc de votre linge devient plus blanc que blanc, il devient sublime...

Et, par analogie, quand le beau devient plus beau que beau, il atteint le sublime ! (Burke puis Kant sont allés un peu plus loin dans leur analyse... [2])

Mais si nous reconstruisons l’étymologie latine « sublimis » de sublime, ne trouve t-on pas sub qui marque le « déplacement vers le haut », et limis, « oblique, de travers », ou pour d’autres, limen, « limite, seuil ». Il est en outre rattaché à super, comme en grec hupo [ὑπό] à huper [ὑπέρ]. Là, n’entend-t-on pas aussi le up de l’anglais ?

Pas de doute le sublime s’accompagne d’ une élévation, ( à moins qu’il ne s’agisse d’une inclinaison vers le haut...?, les mots ont aussi leurs travers, « les calculs de côté, l’inévitable descente du ciel... [3] »)

La signification première de sublimis est bien « qui va en s’élevant » ou « qui se tient en l’air ». Ainsi Ovide distingue-t-il l’homme des autres animaux en évoquant sa « face sublime » (os sublime, Métamorphoses, I, 85), qui se dresse vers le ciel et lui permet de regarder les astres. Et sublimem aliquem rapere signifie enlever quelqu’un dans l’air, à l’instar de Zeus ravissant Ganymède. On ne saurait donc assez insister sur le sens dynamique comme d’ailleurs sur l’obliquité, l’un et l’autre absents du registre sémantique d’ hupsos  [4].

Notons aussi que les historiens modernes désignent par limes, les fortifications romaines établies au long de certaines des frontières ( des limites) de l’Empire qui s’étendait alors jusqu’au nord de Francfort. Là, un tronçon y a même été restauré et reconstitué [5].

Et Sollers, l’homme de L’écriture et l’expérience des limites, ne pouvait qu’être nominé aux Oscars du sublime, par Aliocha Wald Lasowski, même si c’est Jean Dujardin qui vient d’être consacré. (Sollers y consacre une entrée de son journal du mois de février. La non parole, la non langue, la non écriture ! Est-ce là le sublime d’aujourd’hui ? - n’écrit pas Sollers tout en laissant percer son ressentiment ironique. Serait-il jaloux ?)

"Oscar" Dujardin sait tout faire : l’amour, les claquettes, la séduction instantanée, le chien, le cheval, l’humour, la sympathie forcée, l’anglais de cuisine, le muet plus expressif que le parlant, bref, c’est le Français idéal. »

Mais l’histoire du sublime n’est pas une. Une profonde dualité d’origine se cache sous le mot à la confluence de deux traditions : la grecque et la latine. La grecque puise sa source dans un traité ancien, d’un auteur anonyme - longtemps attribué à Longin (213-273 av. J.-C.) et aujourd’hui attribué à un auteur anonyme, plutôt du 1er siècle av. J-C.

GIF «  Sublimis » en rhétorique : le grand style

C’est Quintilien (en latin Marcus Fabius Quintilianus), un rhéteur et pédagogue latin du Ier siècle après J.-C.qui lui donne ses lettres de noblesse dans le champ de la rhétorique : le style sublime renvoie au grand style, c’est-à-dire au style grave mais aussi véhément de la tradition rhétorique (Institution oratoire, XII, 10)

GIF «  Le sublime » de Boileau et sa diffusion européenne ; - Jonction entre les traditions grecque et latine

Nous voilà en 1674, le vieux traité oublié Peri hupsous de « Longin » refait surface et Boileau se lance dans une nouvelle traduction et il est le premier à rendre hupsos par « le sublime » - substantif qu’il dote même d’une majuscule : Le Peri hupsous devient Traité du Sublime ou Du merveilleux dans le discours.

« Il faut donc savoir que par Sublime, Longin n’entend pas ce que les orateurs appellent le style sublime : mais cet extraordinaire et ce merveilleux qui frappe dans le discours, et qui fait qu’un ouvrage enlève, ravit, transporte. Le style sublime veut toujours de grands mots ; mais le Sublime se peut trouver dans une seule pensée, dans une seule figure, dans un seul tour de paroles. Une chose peut être dans le style sublime, et n’être pourtant pas Sublime, c’est-à-dire n’avoir rien d’extraordinaire ni de surprenant. » (p.70) [6].

Le sublime sort du champ de la rhétorique. Mais hupsos n’est pas le seul terme qu’on puisse rendre par « sublime » dans son Peri hupsous. Quatre notions viennent en effet enrichir le terme :

Megaloprepês qui désigne l’ampleur et la majesté du style, plutôt que sa sobriété ;
Megethos (la grandeur) ;
Hadros, que Quintilien donne pour équivalent de sublimis, qui désigne la première source du sublime, et signifie « ce qui atteint son but avec force dans les pensées » ;
enfin Deinos (terrible, redoutable ), qui réfère au modèle du sublime concentré et fulgurant. Se dessinent chez Longin les contours d’un sublime démesuré et irrésistible. Un sublime sorti pour ainsi dire de ses gonds [7].

GIF L’allemand fait de la résistance avec «  Das Erhabene »
Le sublime lancé par Boileau se répand en Europe, sauf en Allemagne

En allemand, erhaben l’emporte dans la seconde moitié du XVIIIe sur sublim , dont l’emploi persiste néanmoins et revivra notamment chez Nietzsche. Sublim s’inscrit dans la grande tradition de la Sublimierung poétique et alchimique qui sera réactualisée par la Sublimierung freudienne de manière à entrer en intéressante concurrence avec l’ Aufhebung hégélienne.

Mais erhaben est le terme choisi par Winckelmann qui le substantive et le lie en 1764 au cultre d’ Apollo : « Apollo hat das Erhabene, welches im Laokoon nicht stattfand [Apollon possède le sublime qui ne se trouvait pas dans Laokoon] » [8].
De Winckelmann, das Erhabene est passé à Kant,
[...].
l’aspect négatif du sublime (le dessaisissement qu’il instaure sous l’effet d’un choc, d’un vertige et d’une terreur qu’il lui faut pourtant mettre à distance) tendrait de la sorte à se trouver minoré. On pourrait alors soutenir que, de la tradition latine du genus sublime dicendi de Quintilien,das erhabene retiendrait l’idée d’élévation, mais rejetterait celle de véhémence.

GIF Le sublime conquiert de nouveaux territoires

Edmund Burke, puis Kant estiment que la beauté n’est pas l’unique valeur esthétique. On peut lier leur réflexion à l’essor du préromantisme à partir de milieu XVIIIe siècle. Devant une tempête déchaînée ou une symphonie de Beethoven, c’est le sentiment du sublime, plus que du beau, qui dominerait. Né de la volonté d’exprimer l’inexprimable, le goût du sublime détrône celui du beau.

« À quiconque vient de contempler l’ art monumental égyptien et de ressentir combien son grandiose excède notre pouvoir d’appréhension [...], les oeuvres admirables de la sculpture classique de l’Antiquité [...] ne manqueront pas d’apparaître comme les produits d’une humanité plus enfantine, plus inoffensive, d’une humanité demeurée insensible aux frissons les plus puissants. Le terme de «  beauté  » lui-même lui semblera parfaitement mesquin et indigent »
(Kant Abstraction et Einfühlung, p.78).

Baldine Saint Girons, auteur de Le Sublime, de l’Antiquité à nos jours (Paris, 2005), et divers autres ouvrages sur le sujet souligne pour quant à elle :

« [...] principe de dessaisissement et de débordement - tout en se rappelant la valeur de stimulation qui lui est inhérente : le sublime oblige à un remaniement de la vie psychique et lance un défi à toutes les facultés productives de l’homme (pouvoir, savoir et vouloir). L’essentiel devient donc d’analyser sa portée dans chacun de ces registres. Et, dans cette perspective, on ne le réduira pas au seul irreprésentable : le sublime s’identifiera avec ce qui semblait, jusque à l’instant de son avènement, impensable, ininventable et « injouissible ». »
JPEG - 29.3 ko
Collant Sublimes distribués par Leg Avenue (sic)
Dernier territoire conquis par le sublime.

Burke et Kant ont lancé l’expansionnisme du sublime Il ne cessera, depuis, de conquérir de nouveaux territoires et l’expressionnisme abstrait défendu par Rothko en fera partie.
...Dernière conquête en date : les Collants Sublimes distribués par
Leg Avenue... Ce n’est pas un gag !
Taille unique, couleur Chair/Noir : 15,99 ?.

(Ne manque plus à Christian Louboutin, le chausseur fétiche des célébrités féminines, sis 14 Rue de Castiglione, 75001 Paris, le chausseur à la semelle "rouge chinois" - sa marque de fabrique mais aussi, rouille, or, vert-amande - d’en faire fabriquer à ses couleurs ! Et le marché du Sublime de décoller... et s’élever jusqu’au delà de toutes les limites connues...!)


Sur le marché de l’art

Ne pas laisser le marché aux Chinois, d’autant que Pablo Picasso, habituellement N°1 des enchères mondiales a été détrôné en 2011 par un Chinois Zhang Daqian [9] suivi d’un autre Chinois Qi Baishi [10] (puis de l’Américain Andy Warhol).

JPEG - 42.3 ko
« L’odeur de lotus après la pluie », 1975, de Zhang Daqian
Crédits photo : SAMANTHA SIN/AFP,

Zhang Daqian est un peintre respectueux des traditions de la peinture chinoise, qui occupait déjà la troisième place en 2010. Quant à l’artiste figuratif Qi Baishi (1864-1957) il conserve sa place de numéro deux.

En même temps que l’économie chinoise, le marché de l’Art, en Chine, s’est développé et pour les Chinois, une volonté nationaliste les pousse à acheter des artistes chinois. C’est un phénomène observé dans d’autres pays émergents comme l’Inde ou le Brésil, attachés à promouvoir leurs propres créateurs.

En outre, "les nouveaux riches de ces pays éprouvent la nécessité de se valoriser socialement en achetant des oeuvres d’art".

La montée en puissance des artistes chinois n’en reste pas moins éclatante. La fin d’une époque ? On pouvait s’attendre à ce qu’un jour Picasso soit détrôné par un artiste chinois. La Chine est devenue l’année dernière le premier pays sur le marché de l’art [11].

Au delà de la marchandisation, il va falloir s’habituer au surgissement du sublime dans les tableaux de maîtres chinois. L’Occident n’en a pas le monopole.

Crédit : D’après AFP.

Mais au fait, comment dit-on "sublime" en chinois ? Est-ce que la pensée chinoise a développé le même concept que s’est forgé la pensée occidentale ? Que recouvre le concept chinois ?...
Autant de questions auxquelles, Jean Michel Lou, auteur de Corps d’enfance corps chinois - Sollers et la Chine pourrait sûrement nous aider à répondre.

*

Crédit :

Aliocha Wald Losowski
Philippe Sollers, l’art du sublime
sur amazon.fr

Baldine Saint Girons
Le Sublime, de l’Antiquité à nos jours, 2005

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pseudo-Longin

http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/SUBLIME.HTM

http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Kant

http://coursdesthetique.blogspot.com/2005/10/sublime-i-dfinitions.html

http://www.fabula.org/atelier.php?Le_sublime_aujourd%27hui

oOo

[1soulignement pileface

[2le sublime se distingue du beau en ce qu’il « dépasse » ou excède notre entendement. Se reporter aux sources pour plus de développement.

[3Rimbaud, Illuminations, formule reprise au dos de la revue L’Infini

[5Des tours de guet sont encore visibles le long des crêtes des monts du Taunus (pas très élevés mais enneigés de novembre à mars , aujourd’hui on y pratique le ski de fond, bien protégé du froid avec des vêtements modernes. Les soldats romains devaient se geler, là !). Des forts (castrum) avaient été construits entre 80 et 135 ap.-J.C. pour le logement des soldats et le stockage du matériel et des munitions. Un de ces camps romain a été restauré et reconstruit à l’identique -celui de la "SAALBURG " que l’on peut visiter - ce qu’un jour je fis. Le Lieu a été occupé par une cohorte( 500 soldats) de la 22eme légion romaine de Germanie de 80 à 260 ap.-J.C. Reconstitution de la vie de A à Z d’un légionnaire romain - engagé pendant 25 ans- aux confins de l’Empire[[Crédit : youtube

[6robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/SUBLIME.HTM

[7Crédit : esthétique

[8(Geschichte der Kunst des Altertums, Darmstadt, 1972, p. 155)

[9(1899-1983)

[10(1864-1957)

[11avec 40% des transactions mondiales

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document


1 Messages