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Pékin 2008, pourquoi la Chine a déjà gagné

D 3 juillet 2008     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Luc Richard, écrivain, correspondant de Marianne à Pékin, est l’auteur de « Pékin 2008, pourquoi la Chine a déjà gagné » aux éditions Mille et Une nuits. Mardi 29 avril, invité dans les Grandes Gueules, sur RMC, il est revenu sur les événements qui ont secoué les relations franco-chinoises ces dernières semaines, avec notamment des manifestations hostiles à la France : « L’information selon laquelle, en Chine, on boycotte les produits français, c’est encore un coup de propagande incroyable. Les manifestations ne sont vraiment pas aussi importantes que ce que l’on dit. Je connais les Chinois, ils ne sont pas xénophobes, ils ne sont pas anti-Français. Ils ne sont pas pro-Français non plus. De toute façon, ces manifestations ont été attisées par une semaine de propagande intense. C’est vraiment quelque chose qui est orchestré et c’est incroyable qu’on ait fléchi devant ça alors que finalement ce n’est pas grand-chose ».

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Jin JIng

En effet, les images de l’athlète chinoise handicapée, à qui un manifestant tente d’arracher la flamme olympique dans les rues de Paris, tournent en boucle en Chine. A ce sujet, Luc Richard parle d’une « manipulation. En effet, elle a été bousculée à Paris. Mais en Chine, on en a fait une véritable héroïne, on l’a interviewée plusieurs fois en lui demandant de politiser son discours. Et le cas de cette athlète a servi de support à cette campagne de propagande. On a commencé à voir apparaître des témoins qui déclaraient que les manifestants pro-Tibet avaient été payés 300 euros pour tenter de s’emparer de la flamme. Les Chinois sont comme nous : quand ils entendent ça et que c’est monté en épingle, les gens sont en colère là-bas. »

Interrogé sur la visite de Jean-Pierre Raffarin en Chine pour tenter de calmer les tensions, il a déclaré : « Mon intime conviction, c’est qu’on s’est complètement ridiculisés auprès des Chinois parce qu’on a fait un petit acte de soumission et c’est une défaite symbolique. Je suis convaincu que Nicolas Sarkozy va aller à la cérémonie d’ouverture des JO ».

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Paris, vendredi 4 juillet 2008

Le quotidien Le Monde daté samedi 5 juillet 2008, actuellement en cours de bouclage, développe pour ses lecteurs les informations suivantes.

LE TITRE DU JOUR
Sarkozy assistera à la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pékin
Le chef de l’Etat se rendra à Pékin pour assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le 8 août. Au printemps, il avait menacé de boycotter cet événement, estimant dans la foulée de la crise tibétaine que les "conditions" de sa venue étaient liées à la reprise d’un dialogue entre la Chine et le dalaï-lama. Aujourd’hui, il a pris sa décision : l’Elysée estime que, "sauf catastrophe", le président de la République annoncera sa présence à ladite cérémonie à son homologue chinois, Hu Jintao, qu’il rencontrera le 9 juillet, en marge du sommet du G8, à Hokkaïdo, au Japon.

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Article de Luc Richard publié le 20 juin 2008.

Le 8 août prochain, la flamme olympique pénétrera dans l ?enceinte du Stade national à Pékin. Dans les gradins siégeront les membres du bureau politique du Parti communiste chinois (PCC), les dirigeants du Comité international olympique (CIO) et une centaine de chefs d ?État. La cérémonie sera regardée par des milliards de téléspectateurs. Avant même que ne commence le décompte des médailles gagnées par chaque nation, la Chine aura atteint ses objectifs : faire des Jeux un triomphe politique. Et plus exactement, le triomphe du parti communiste et de sa dictature. Pourtant, les dirigeants chinois répètent inlassablement qu’il ne faut pas politiser les Jeux de Pékin, s ?alignant sur le credo du CIO. Ce dernier a interdit aux athlètes français de porter à Pékin le badge qu ?ils avaient imaginé : Pour un monde meilleur. Un slogan qui n’aurait pas effarouché les hiérarques du PCC, tant il évoque le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley.

La détermination du Parti communiste chinois à organiser les JO a toujours été fondée sur des facteurs politiques. Au lendemain de la répression sanglante de Tiananmen, en 1989, Pékin s ?était aliéné la communauté internationale et sa légitimité avait été ébranlée auprès du peuple chinois. En 1990, Deng Xiaoping annonce que la Chine va postuler pour accueillir les Jeux ; il s’agit de normaliser l’image du régime. Dès lors, les Jeux deviennent un objectif politique, au même titre que la défense nationale ou l’indépendance énergétique. Et ça marche : le désordre répressif sous la férule du Parti rime avec la stabilité propice aux affaires. Ce qu’attendent les investisseurs occidentaux, éblouis par le miracle chinois qui leur est présenté. En 2001, ils appuieront le choix du CIO qui fait de Pékin une future ville olympique. Le PCC enfile ses habits neufs, les investissements étrangers redoublent et la croissance économique s ?envole.

Sept ans plus tard, la Chine a consolidé ses positions. À l’extérieur, la dictature cherche la reconnaissance. Le Parti compte pour cela sur la fascination qu’exerce toujours l’usine du monde. Il faut aussi dissimuler les faiblesses du modèle libéral-communiste, miné par la corruption et le mécontentement des Chinois. Mais grâce aux Jeux dont le coût en infrastructures s’élève à 35 milliards de dollars , Pékin a été transformé en vitrine clinquante : la ville sera présentée aux 500000 visiteurs et aux 25000 journalistes attendus comme une mégapole ultramoderne. Ainsi sera dissimulée la situation réelle du pays.

Les Jeux sont aussi un formidable moyen de mobilisation populaire derrière la bannière du PCC. Ce dernier cherche toujours à prouver la supériorité du socialisme chinois et veut voir les signes de cette supériorité dans le domaine sportif. Cela n’est pas surprenant. En Chine, comme jadis en URSS ou en Allemagne de l’Est, le sport est piloté par l’État. Il est soumis à son idéologie et se retrouve asservi à ses objectifs politiques. Sait-on par exemple que, dans le cadre de la sélection des athlètes, l’eugénisme est utilisé par les autorités sportives chinoises ? Un seul exemple, celui de Yao Ming, 2,26mètres pour 140 kg, champion de basket célèbre dans son pays mais aussi aux États- Unis, où il joue en NBA. Il participera aux Jeux de Pékin. Yao Ming n’est pas devenu un champion par passion pour le sport. Il est le résultat de l ?eugénisme à la chinoise. Sa mère, Fang Fengdi, 1,88 mètre, était capitaine de l’équipe féminine nationale de basket. Lorsqu’elle se retira, le Parti lui conseilla fortement d’enfanter un champion et lui trouva le géniteur idéal, Yao Zhiyuan, 2 mètres de haut et basketteur lui aussi. Avant même sa naissance, en 1980, l’avenir de Yao Ming était déjà tracé. Peu importe qu’il ait été contraint, dès l’enfance, de s’entraîner à outrance au basket ? un sport qu’il détestait ?

Comme au temps du sport soviétique, dont la Chine s’est inspirée, le réel doit plier pour rejoindre l’idéologie et les athlètes deviennent une variable d’ajustement. Le comble étant que le sport de haut niveau, dans les démocraties de marché, est soumis à une fuite en avant qui conduit à des aberrations similaires. Ainsi, la Chine est le premier producteur mondial de produits dopants, qu’elle exporte surtout vers les États-Unis et l’Europe ?

En Chine, le chiffre 8 est synonyme de faste et de bonne fortune. Voilà pourquoi l’ouverture des Jeux a été fixée au 8 août 2008. La cérémonie commencera à 8h08 précises. Un bon augure, mais dont les bénéfices seront captés par le Parti communiste chinois.

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A signaler également, à propos du livre de Luc Richard, les Editos de Jacques Henric et Fabrice Hadjadj (ainsi que l’article de ce dernier) dans le numéro 347 d’art press (juillet-août 2008)

Drôles de jeux

Il est des Etats dignes. Il est des Etats lâches. Digne, l ?Etat anglais qui assura pendant des années la protection de Salman Rushdie, menacé de mort par une fatwa. Lâches, les gouvernements indien et néerlandais qui abandonnent à leur sort deux femmes condamnées à mort par des groupes islamistes : Ayaan Hirsi Ali, Talisma Nasreen (à qui vient d’être attribué le prix Simone de Beauvoir). Pour ce qui est des jeux Olympiques en Chine, les gouvernements occidentaux n’ont pas brillé par leur fermeté. Soupir de soulagement quand ils ont appris la reprise des pourparlers avec le Dalaï-Lama, l’essentiel pouvait ainsi passer à la trappe, à savoir l’implacable répression des dissidents en Chine même. Un livre vient de paraître aux Editions Mille et une nuits, Pékin 2008 : pourquoi la Chine a déjà gagné, de Luc Richard. Fabrice Hadjadj en rend compte dans ce numéro, mais souhaitait également, à cette occasion, rappeler certains faits à propos du Tibet. On lira également, dans ce numéro, un dossier consacré à un Tibet moins connu : celui des artistes contemporains que présente Nathalie Gyatso.

Jacques Henric

De ce qui se passe en Chine, notre vision est faussée parce que nous nous laissons complaisamment leurrer par quelques cartes postales. La première est celle d’un bouddhisme tibétain virginal comme ses neiges éternelles et que l’atroce Chinois viendrait méchamment polluer. Les émeutes de Lhassa, pour justifiées qu’elles furent, consistèrent malgré tout dans le lynchage de passants qui, comme les autres, subissaient l’oppression communiste. Reconnaissons-le : les lamas ne sont pas les anges auxquels nous voulons croire. Ils manient parfois la batte de base-ball. Ils savaient même jadis massacrer de frais convertis au catholicisme, ou envoyer des tueurs pour décapiter quelque missionnaire gênant dans sa lutte contre la tyrannie organisée des lamaseries d’alors (voir Constantin de Slizewicz, les Peuples oubliés du Tibet, Éd. Perrin). Bien sûr, le régime de Mao sera pire : il interdira toute mission comme impérialiste et enverra au laogaô les quelques prêtres et séminaristes indigènes. Mais il faut se souvenir de ce passé, et s’inquiéter de ce que, aujourd’hui encore, le Dalaï-Lama chante les louanges du S.S. Heinrich Harrer (complaisamment campé par Brad Pitt dans Sept Ans au Tibet) sans la moindre réserve. Est-ce parce que, métaphysiquement, pour un bouddhiste qui se réincarne, le corps n’est qu’une simple défroque ? Oh, Je ne dis pas cela pour jeter l’opprobre sur des religieux qui peuvent être des justes, mais pour casser ce mythe de bouddhistes immaculés par lequel nous fuyons les exigences de l’histoire. La défense du Tibet selon des clichés touristiques ne peut conduire qu ?à son abolition foncière. C’est d’ailleurs une des ambitions du gouvernement de Pékin que de fabriquer une vitrine folklorique, un bouddhisme de galerie, monnayable aux Occidentaux, sans épaisseur historique ni charnelle.

Fabrice Hadjadj

A.G.

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