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Le Prix Décembre à Yannick Haenel pour "Cercle"

D 7 novembre 2007     C 3 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Le Prix Décembre 2007 a été attribué mardi à Yannick Haenel pour son troisième roman, "Cercle" (Gallimard), a-t-on appris auprès du jury.

"Cercle" l’a emporté au second tour par 5 voix contre 3 à Linda Lê pour "In memoriam" (Christian Bourgois), a-t-on précisé.

Yannick Haenel, 40 ans, est notamment l’auteur d’"Evoluer parmi les avalanches" (2003) et d’"Introduction à la mort française" (2001). Il coanime la revue de recherche littéraire "Ligne de risque".

Le narrateur de "Cercle" décide un matin de ne pas prendre le RER pour se rendre à son travail et de dire non au "troupeau" et à une vie "rétrécie". Double de l’auteur, il va rencontrer une danseuse qui l’ouvre à la légèreté du monde et découvrir "l’existence absolue". Ce roman foisonnant de près de 500 pages a notamment figuré début septembre sur la première sélection du Goncourt.

Doté de 30.000 euros, avec le soutien de l’industriel Pierre Bergé, le Prix Décembre a été attribué en 2006 à Pierre Guyotat pour "Coma".

© AFP

—oOo—

Mais d’où vient cette drôle de spirale sur la couverture du livre ? Voici ce qu’en dit Yannick Haenel :

« LE LABYRINTHE

Cette nuit-là, dans la chambre d’amis de Franciszka, j’ai feuilleté mes diagrammes de Berlin. Je cherchais les formes qui me donneraient des phrases. C’était agréable d’avoir cette provision. Je me disais que Cercle II, en un sens, était fini ; mais j’avais envie de fouiller encore dans mes cahiers. Il y a toujours un détail qui peut modifier l’ensemble, me disais-je. C’est là que je suis tombé sur la spirale. Je dis la spirale, mais c’est une tête. Ou plutôt un labyrinthe, un labyrinthe avec un visage au milieu - un visage-labyrinthe.

Ce visage souriait. Je me disais : il y a un sourire dans le labyrinthe. Le labyrinthe sourit. Le labyrinthe est un sourire.

Et puis j’ai pensé le contraire : c’est le sourire lui-même qui est un labyrinthe. Ça me plaisait bien cette idée : tous les sourires sont des labyrinthes, me disais-je. L’acte de sourire ouvre le labyrinthe. J’ai pensé au sourire d’Anna Livia, et au chemin qu’il me fallait parcourir pour arriver jusqu’à lui.

J’ai remarqué que ce dessin apparaissait plusieurs fois dans les cahiers. D’où venait-il ? Je suis sûr que cette chose, je ne l’avais pas vue. Il y avait dans ces cahiers des silhouettes suscitées par le GASTR !, par les rues de Berlin, par la folie de la MINUTE MORTE ; il Y avait toutes sortes de visages, des yeux, d’immenses yeux d’animaux de nuit qui parcouraient ces pages, mais cette forme-là ne venait pas de l’observation. Pourtant, il me semblait que je l’avais toujours connue. Elle ne m’était pas familière, c’est moi qui lui était familier. Je ne la reconnaissais pas : c’est elle qui me reconnaissait.

Cette nuit, jëtais reconnu.

J ? ai eu un frisson de joie. C’est le chemin de mes phrases, me disais-je. Un rouleau de phrases, toutes mes phrases enroulées sur elles-mêmes. À la fin, elles sourient.

Une phrase est arrivée, justement, une phrase limpide de Nietzsche. Le nom de Nietzsche est arrivé en même temps que la phrase - avec la même limpidité. Depuis combien de temps n’avais-je pas ouvert un livre de Nietzsche ? Je voyais les petits volumes bien empilés chez Joséphine. Cette nuit, dans la chambre d’amis de la s ?ur de Wladyslaw Szymanski, à Cracovie, j’avais une soudaine nostalgie pour ces livres. Où sont passés tous les livres dont les phrases viennent me faire signe ? Ça n’a plus d’importance. Ce qui compte, me disais-je, c’est de faire usage des livres - c’est d’employer leurs phrases.

Cette phrase de Nietzsche disait : « L’homme labyrinthique cherche son Ariane. » Alors, le sourire au centre de la figure, c’était celui d’Anna Livia. C’est sa présence que je sentais depuis mon entrée dans le grenier. Dans mon cas, la profusion est toujours sous le signe du féminin. Elle est ici, Anna Livia : son corps se déplace dans la chambre.

Il ne s’agit pas de sortir du labyrinthe, me disais-je : sortir du labyrinthe n’est jamais qu’une autre manière de se perdre. Car le labyrinthe est le nom de la mémoire. Dans le labyrinthe, tout revient sans cesse ; dans le labyrinthe, vous croisez à chaque instant ce que vous avez déjà croisé : les noms, les corps, les voix. Ils reprennent vie sous vos pas. Le passé n’est plus simplement passé. Ce qu’on a vécu revient se vivre sans cesse dans une seule expérience présente.

Le labyrinthe n’est pas le chemin qui vous mène à votre perte, mais le chemin qui revient. Celui qui vous ramène toujours au même point - à cet instant qui est, qui a été, qui sera. Ce point est le vôtre. C’est ce point qu’il faut vivre, et les phrases vous ouvrent à ça. Car au moment où une phrase

s’écrit, toutes les phrases existent. Dans l’éternel retour des phrases, le réveil a lieu à chaque instant. »

Yannick Haenel, Cercle p.464-467

V.K.