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Dali dans les "bras" de Catherine Millet

D 4 mai 2023     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Par Jean-Paul Gavard-Perret
le 29 avril 2023

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Catherine Millet n’est pas une femme colleuse d’étiquettes. Elle montre à l’inverse comment face aux structures d’imageries ambiantes, Dali a permis aux voyeurs du voyeur à se parler à eux-mêmes à travers une iconographie qui n’est pas celle d’un obsédé ou d’un nymphomane mais de celui qui fut capable de mettre en scène des séries de fantasmes dans lesquels même celles et ceux qui ne sont pas forcément amateurs d’art purent et peuvent se reconnaître encore.

Montrant aussi combien Dali fut spectateur autant que peintre, soulignant les détours picturaux de l’affect (froid) du peintre, Catherine Millet explique comment il a su donner dans son œuvre à la fois un sentimentalisme (à l’opposé du mièvre) et un érotisme transcendés par un univers où l’image crée une circulation étrange.

René Quinon écrivait d’ailleurs dans son « Abécedaire de Félixité », qu’après Manet, Dali fut celui qui nous plongea le plus près de l’Origine du monde – entendons le sexe de la femme. Mais là où Manet se contenta d’une image, Dali la diffracta dans tous les sens avec toujours une possibilité d’irruption angoissante – liée chez lui à la masturbation (passage du fantôme au monstre, au monstre d’une monstration auto-agissante et auto-suffisante).

Ainsi et comme le rappelle Catherine Millet, celui qui a toujours présent à l’esprit (surtout lorsqu’il écrit et parle) l’idée qu’il élabore un personnage à destination du public, a su par delà même ses fameuses « théâtralisations » jet-set créer une œuvre proche de ce dernier matin du monde où, contrairement à ce que pensait Novalis, ce n’est pas la lumière qui ne ferait plus fuir la nuit et l’amour mais l’inverse en une sorte de rêve (tout autant que cauchemar) éternel, inépuisable.

La critique a aussi mis l’accent sur l’importance de Gala dans la vie du peintre. A ce titre elle offre sans insister un contre-point à celui qui partagea les notoriétés de la reconnaissance médiatique à la même époque : Picasso. Peut-être parce que femme elle-même, Catherine Millet dégage Gala de son image de harpie. Et l’on peut penser qu’à sa manière cette dernière posséda un rôle comparable et capital à celui que la femme de Beckett eut pour l’auteur (même si les années finales furent plus vivables pour le couple Dali que celui de l’auteur de L’innommable . Gala joua ainsi de gré ou de force le rôle de muse idéalisée (qu’il a représenté en Vierge). On peut à ce titre facilement combien ce rôle frustrant était lourd a porté même si Gala su en tirer des bénéfices.

Catherine Millet montre ainsi l’importance d’une œuvre dont on n’a pas encore compris tous les enjeux, les tenants et les aboutissants. Dali à sa façon – moins radicale certes du moins en apparence que certaines autres expériences - a modifié bien des règles du jeu par le jeu des images lui-même. Jamais rattrapé par ses oripeaux d’apparat et animé d’un souci de cohésion totale le jeu qu’il joua au monde fut un jeu nécessaire afin que le charme de l’œuvre opérât en sa magie blanche et noire.

Jean-Paul Gavard-Perret
https://www.critiqueslibres.com

A propos de l’auteur

Jean-Paul Gavard-Perret, né en 1947 à Chambéry, est un poète, critique littéraire, critique d’art contemporain, et maître de conférences en communication à l´Université de Savoie.

Catherine Millet, Dali et moi


• 192 pages, 58 ill.
Gallimard, 2005
le livre sur amazon.fr

Quatrième de couverture

"Si la voix et le discours de Salvador Dalí se caractérisent par leur lyrisme, en revanche ses écrits frappent par leur crudité. La description des corps et l’évocation de la sexualité sont confondantes de réalisme et souvent touchantes dans leur simplicité. Je ne pouvais pas ne pas y être sensible et cela m’a fourni le point de départ d’une réflexion qui, notamment, lie l’hyperacuité visuelle à l’onanisme. Ce livre est une étude de critique d’art qui révèle l’écho souterrain rencontré par l’oeuvre de Dalí auprès d’artistes contemporains. On verra, à propos des paradoxes du narcissisme, que c’est aussi un petit précis de morale. Mon approche est objective car elle s’appuie scrupuleusement sur les écrits de l’artiste ainsi que sur son oeuvre peinte. Mais j’assume sa part subjective, laquelle tient à la capacité qui a été la mienne de me glisser dans le texte dalinien. Si je me suis engagée dans ce travail, c’est que cette oeuvre, depuis longtemps, me touche en profondeur. J’ai choisi de ne pas réprimer ni dissimuler cette implication personnelle. N’est-elle pas le moteur même de la compréhension d’une oeuvre ?"
Catherine Millet.

A propos de l’auteur

Catherine Millet dirige la revue artpress depuis sa fondation en 1972. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages sur l’art contemporain et, notamment, de La Vie sexuelle Catherine M. (traduit dans une quarantaine de langues), Jour de souffrance, Une enfance de rêve, et Commencements.
Voir aussi : Catherine Millet : une libertine envers et contre toutes
et Un début dans la vie.

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Sur son dernier livre (2022) :

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V.K.