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Penser le Coronavirus : confinement, réseaux sociaux et démocratie

D 16 mai 2020     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

13 mai 2020

Entretien avec Mike Godwin (avocat américain, auteur de la « loi de Godwin ») au sujet d’Internet et du complotisme par temps de Coronavirus. Propos recueillis par Adrien Aszerman.

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L’avocat et auteur américain Mike Godwin

Premier invité de notre série de webminaires « Penser le Coronavirus », Mike Godwin, a été directeur juridique de la fondation Wikimédia, et a siégé au conseil d’administration de l’Open Source Initiative. Avocat et auteur, membre du conseil d’administration de l’Internet Society, il est actuellement directeur juridique de l’innovation et de la politique au R Street Institute et vient de publier un nouveau livre : The Splinters of Discontent : How to Fix Social Media and Democracy without Breaking Them [Échardes de mécontentement : Comment réparer les réseaux sociaux et la démocratie sans les briser].

Commençons par le sujet qui vous a rendu célèbre. Je fais ici référence à la « loi de Godwin » ou, comme on l’appelle en anglais, « GL » [Godwin Law], qui stipule que « plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler s’approche de 1 ». Vous avez forgé cette formulation délibérément pseudo-scientifique en 1991. Le World Wide Web, que nous connaissons en tant qu’Internet, a été créé par Tim Berners-Lee en 1989. Alors comment êtes-vous arrivé à cette « loi » intemporelle à propos d’Internetquand le réseau n’avait que quelques mois ?

Avant l’invention de Tim Berners-Lee, il existait des environnements en ligne dès la fin des années soixante-dix et tout au long des années quatre-vingt ; et personnellement, j’avais déjà beaucoup d’expérience des dynamiques qui émergeaient des forums en ligne. Dans ma ville universitaire, Austin, dans le Texas, beaucoup d’informaticiens amateurs reliaient des lignes téléphoniques à leurs ordinateurs, et nous avions des conversations asynchrones, très similaires à celles que permettent les réseaux sociaux d’aujourd’hui. Ce qui continue de me surprendre, c’est qu’il y avait déjà, dans les balbutiements des années 1985-1990, beaucoup de similitudes avec les phénomènes dont nous sommes témoins en ligne en 2020. Et en ce qui me concerne, je suis très familier, depuis longtemps, avec les bonnes et les mauvaises expériences que les gens font en ligne.

Comment vous êtes-vous personnellement impliqué dans le monde en ligne dès son apparition ?

Je suivais deux programmes de Masters dans mon université, mais mes études ne me satisfaisaient pas et je n’étais pas très sûr de ce que je devais faire. Je savais déjà que j’aimais avoir accès à un ordinateur, puisque je suis écrivain et qu’avoir mon propre logiciel de traitement de texte à la maison était essentiel (je n’ai jamais vraiment maîtrisé la vieille machine à écrire – mais maintenant je tape très vite). Afin de pouvoir m’acheter un ordinateur personnel, j’ai trouvé un travail où je pouvais me former dans ce domaine. J’ai appris le fonctionnement de base des ordinateurs et comme, pendant ma licence, j’avais étudié la philosophie et la logique, j’étais en quelque sorte une des rares personnes à pouvoir mettre en application pratique des études de philosophie. Car lorsqu’on a étudié Wittgenstein, le langage de la programmation informatique et du système d’exploitation est plutôt simple.

Si votre loi s’appliquait déjà aux débuts d’Internet, quand il n’y avait que quelques utilisateurs connectés, et qu’elle s’applique encore aujourd’hui, avec un milliard d’utilisateurs, cela prouve qu’elle ne dépend donc pas de la quantité de personnes impliquées.

C’est que les gens qui utilisaient la télématique au milieu des années 1980 avaient une longueur d’avance. Dès les débuts, en effet, j’ai vu émerger certaines dynamiques ; et, parmi celles-ci, j’ai littéralement vu le nombre de fois où certaines personnes en venaient à comparer d’autres aux nazis ou à Hitler. Cela me troublait d’autant plus que j’étais en fac de droit et que j’étudiais les crimes de guerre et les lois internationales. Je prenais la Seconde Guerre mondiale et la montée du fascisme et de l’autoritarisme très au sérieux, et cela me perturbait qu’on puisse parler si légèrement d’un sujet si sérieux.

Alors, pendant un ou deux ans, j’ai essayé de réfléchir à ce qu’il était possible de faire pour influencer le discours dans un environnement en ligne. C’est ainsi que je suis tombé sur une discussion sur les mèmes, une notion inventée par Richard Dawkins, et je me suis dit : au lieu d’investir beaucoup d’énergie et de capital pour modifier la culture ambiante, pourquoi ne pas essayer de fabriquer un mème, c’est-à-dire une idée suffisamment attirante pour qu’elle se propage toute seule, sans mon aide ? À l’heure où nous nous trouvons encore confinés à cause d’un virus (ou, pour certains pays, en déconfinement progressif), moi je parle d’un virus mimétique que j’ai essayé de créer il y a des années.

Moins célèbre, moins connue, bien que mise en exergue sur votre profil Twitter, vous avez formulé une seconde loi. Celle-ci stipule que « la surveillance est le crack (la cocaïne) des gouvernements ». N’est-ce pas effrayant ? De quoi s’agit-il et quel rapport existe-t-il entre cette seconde loi et la première ?

Il fallait bien que j’invente autre chose – c’est un défi auquel je dois faire face de temps en temps –, car les gens me disaient : « Alors maintenant que vous avez inventé la loi de Godwin, qu’est-ce qui vient après ? »

Dans mes activités professionnelles, en tant qu’avocat, je m’occupe de questions de sécurité, de surveillance informatique et de limitation de l’action du gouvernement. Lorsqu’on se penche sur ce qui tourne autour des écoutes téléphoniques et de l’interception des télécommunications, lorsqu’on observe l’inquiétude de tous les gouvernements de par le monde, y compris le vôtre et le mien, au sujet du cryptage, on constate le chaos qui en découle. Dans la grande majorité de l’histoire humaine, les gouvernements n’ont jamais eu la capacité de surveiller les gens de manière efficace ou massive. Certes, l’Allemagne de l’Est l’a fait, mais ce n’était pas très efficace – et elle a fini par s’écrouler. Maintenant, bien sûr, la technologie digitale rend la surveillance plus facile ; et nous avons absolument besoin que des instances gouvernementales, que ce soit la police ou les renseignements, exercent une surveillance. Nous n’oserions pas vivre dans un monde où nous ne pouvons pas garantir notre capacité de surveiller, d’espionner les criminels potentiels et autres acteurs malfaisants. Et les termes dans lesquels il est fait état de ce besoin sont totalement similaires aux expressions des toxicomanes lorsqu’ils parlent de leurs drogues. C’est ainsi que je suis arrivé à ma seconde loi.

Alors cela veut-il dire que tout le pistage des portables pour combattre le COVID-19, les drones qui patrouillent dans les rues pour s’assurer que les gens ne sortent pas, tous ces systèmes vont s’accroître, à votre avis ?

Assurément. Regardez ce qui se passe en République populaire de Chine, où une surveillance généralisée combinée au système chinois de crédit social constitue une base de données sponsorisée par le gouvernement ; et si l’on devient une personne indésirable, le gouvernement utilise sa base de données contre vous. C’est horrifiant. Et comme la Chine est un gouvernement autoritaire… Il est plus facile de mettre en place ce genre de contraintes dans un régime qui accorde beaucoup moins d’importance à la vie privée et à la liberté ; mais dans les démocraties occidentales aussi, et dans d’autres démocraties du monde, il y a des forces gouvernementales qui sont en faveur de la surveillance, de l’augmentation de la capacité de surveiller, et qui formulent leurs besoins de surveillance en termes de menaces, ces menaces étant essentiellement des crimes potentiels ou des agissements de leurs ennemis. Elles jouent ainsi sur une peur mal définie de l’inconnu et de l’autre.

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A.G., 16 mai.