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François Cheng, De l’âme

D 15 novembre 2016     C 1 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

François Cheng
De l’âme

« Lorsque j’ai reçu votre première lettre, chère amie, je vous ai répondu immédiatement. Avoir de vos nouvelles plus de trente ans après m’a procuré une telle émotion que ma réaction ne pouvait être qu’un cri instantané.
Votre deuxième lettre, que j’ai sous les yeux, je l’ai gardée longtemps avec moi, c’est seulement aujourd’hui que je tente de vous donner une réponse. La raison de ce retard, vous l’avez sans doute devinée, puisque votre missive contient une singulière requête : "Parlez-moi de l’âme"…
Votre phrase : "Sur le tard, je me découvre une âme", je crois l’avoir dite à maintes reprises moi-même. Mais je l’avais aussitôt étouffée en moi, de peur de paraître ridicule. Tout au plus, dans quelques-uns de mes textes et poèmes, j’avais osé user de ce vocable désuet, ce qui sûrement vous a autorisée à m’interpeller. Sous votre injonction, je comprends que le temps m’est venu de relever le défi… » Albin Michel

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L’âme et le corps en toute intelligence avec François Cheng

François Cheng dans son livre " De l’âme" (Albin Michel, 2016, 156 pages), nous parle de l’âme chevillée au corps pendant l’existence humaine, à partir de son expérience personnelle ouverte sur la beauté, l’infini, mais aussi le tragique de la vie en société.

En tant que chinois, taoïste et chrétien, il nous livre aussi un chemin d’espérance après la mort singulière. Il écarte le bouddhisme qui ne connaît pas l’âme dans sa sagesse (page 56-57.) Ce qui me paraît intéressant chez lui, c’est son insistance pour oser parler de l’âme pendant la vie.

Je laisse aux croyants le soin de le suivre sur l’autre face de l’être. Dans la spiritualité laïque et dans l’esprit non-duel qui me sont plus reconnus, puis-je parler de l’âme ?

Il faut revenir à la tri-polarité corps, âme, esprit. François Cheng parle de l’âme magnifiquement à cet égard. D’abord la solidarité corps et âme (page 26), mais avec une prévalence de l’âme.

Elle est si simple dans le vouloir-vivre de l’enfant ( page 28), et de toute la nature (page 29) et plus tard en toute reconnaissance intelligible de la Nature, si proche de Spinoza, dans ce désir d’être qui incite à revenir au grand Désir initial (page 29).

Ce vouloir désir-être, lui semble évident, en particulier sous le poids du tragique de la guerre (page 30-31) qui s’affirme par la conscience du mal inéluctablement liée à l’âme corporelle. Un serpent (ou la mort évidente) se glisse-t-il vers lui lorsque à 16 ans en pleine déroute dans la Chine bouleversée, et tout à coup la peur panique qui l’étreint lui découvre aussi à la fois la vérité de la mort et son dépassement (page 32-34).

il ne peut s’arrêter au pessimisme absolu du philosophe à ce sujet et affirme cette tension vers un Ouvert (page 34). L’âme lui semble en nous depuis notre naissance, d’abord en tant que pré-langage (page 35).

Pour nous en parler, l’âme c’est tout ce qui nous permet de nous émouvoir, de ressentir, de conserver en mémoire inconsciente notre vécu. Pour lui il s’agit du désir, de la mémoire et de l’intelligence du cœur (page 40) et il écrit "l’esprit raisonne, l’âme résonne", "L’esprit est Yang, l’âme est Yin" (page 41).

L’esprit est là pour prendre conscience de la réalité de l’âme. Elle demeure le fait de l’unité de la présence de l’Un dans l’univers (page 42). Unité du fond commun comme valeur de l’être humain (page 43). En conséquence toute dérive, toute marginalité n’est pas à éliminer. L’esprit doit en reconnaître la pertinence comme ce fut le cas chez Simone Weil, pense-t-il (p.124), qui exprime si bien les "besoins de l’âme" (p.133). L’âme est complexe et simple à la fois (p.147) et féconde la poésie (p.48 et 50).

Elle n’exclut pas pour autant le tragique (p.51 et 53). L’âme se profile et s’impose dans presque toutes les traditions spirituelles de l’humanité depuis toujours (p.54 à 69). Elle met en œuvre un processus dialectique (p.67).

Parler de l’âme est-il ringard (p.74) ? Et nous plonge-t-il dans l’étrangeté ? Il ne s’agit pas seulement du corps-esprit qui conduit au dualisme (p.75). Elle ouvre l’espace de la charité (p.81), comme la pleine conscience de la nature ( en Chine p.82) et du sacré dans le monde (p.88) ou dans l’art et la beauté (p.89-90).

Sur ce plan l’âme suscite la création dans la mesure où elle est branchée sur la Voie (p.93) comme dans l’art pictural chinois. Avec l’âme, beauté et bonté se répondent et s’étayent (p.95). Sans exclure la possibilité du Mal (p.96). Mais toujours le corps réclame son dû ( par exemple ce qu’écrit F.Cheng dans son expérience de la soif dans le désert de Gobi p.99 ou d’une syncope dans la rue comme il en a fait l’expérience (p.109-112) ou encore celle de la musique.

L’âme n’exclut pas la souffrance qui en même temps nous relie (p.115). En philosophe, Simone Weil paraît, pour l’auteur, comme l’exemple-type de l’émergence de l’âme chez une personne (p.123 et ss) au delà de l’intellect (p.123).

Ne propose-t-elle pas face au déracinement humain dans nos sociétés tragiques, une nouvelle conscience de l’enracinement (p.130) ? Une reconnaissance du Beau total (p.132) et des "besoins de l’âme" (p.133 et 134) ? N’est-ce pas le point focal du devenir de la raison (p143) en se confondant avec le divin ?

"Suis-je dans le vrai ? C’est une question qui me dépasse" soutient François Cheng dans les dernières pages de son livre ( p.148). Toutefois l’âme demeure pour lui, même si le corps entre en déchéance et l’esprit en déficience.

Il demeure Chinois, en affirmant que l’âme reste reliée au courant du Devenir - la Voie, parce qu’elle relève du Souffle originel qui est le principe de vie même (p.149). Il rejoint ainsi l’Inde non-dualiste tout en s’écartant du bouddhisme, et parle de l’âme-aum, et termine en chrétien par "amen".

Il est le poète de l’Ouvert, si chère à Rainer-Maria Rilke. [...]

René Barbier, Le Journal des Chercheurs.


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Cheng (François) âme