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De l’intime : loin du bruyant amour

D 11 juillet 2013     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Le dernier livre de François Jullien

« II y a pénétration d’un corps dans l’autre pour ouvrir là, planter là, au milieu de tous ces corps étrangers, dans cet étrange dortoir ambulant et menacé, dans ce lieu d’impudeur où ils sont bestialement parqués, quelque chose qui en soit l’envers : quelque chose comme une intimité. Ou ce que je voudrais appeler, plus justement, la ressource de l’intime : ouvrir de l’intime entre eux deux comme puissance et comme résistance — les seules qui restent ? »

« L’intime fait surgir, comme dans toute morale, un clivage ; voire, ce clivage, ici, emporte-t-il tout avec lui. Il y a ceux qui, y compris accouplés ou mariés, n’ont jamais, de toute leur vie, accédé à l’intime. Ils ont vécu durant des années l’un avec l’autre, on pourrait même dire durant des siècles, mais sans avoir ébréché la frontière du quant-à-soi. Ils ont vécu "l’un avec l’autre", mais non pas entre eux. Ils n’ont jamais franchi ce seuil, n’y ont pas songé. Et ce en dépit de — ou dirais-je plutôt à cause de ? — leur côtoiement continu. Car être côte à côte n’est pas être "auprès". Cet Autre a pu devenir un être familier, mais non pas intime. Chacun est resté de son côté : ils ne se sont jamais "rencontrés". »

Que n’avons-nous accordé bruyamment à 1’« Amour » ? Mais « je t’aime » réduit l’autre à n’être qu’un objet, fait de la passion un événement qui bientôt s’use et d’abord en appelle à la « déclaration » pour s’annoncer.

Or je préférerais être attentif au cheminement discret de l’intime — lui qui laisse tomber silencieusement la frontière entre l’Autre et soi, fait basculer d’un dehors indifférent dans un dedans partagé et vit inépuisablement des « riens » du quotidien, y découvrant l’inouï de l’être auprès.

Intimus, dit le latin, ou « le plus intérieur ». Mais on ne promeut de plus intérieur de soi qu’en s ouvrant à l’extérieur de l’Autre, montre Augustin.

Façon donc de se débarrasser de l’éternel du « coeur » humain, puisque nous aurons à suivre, d’Augustin à Rousseau (et Stendhal), comment cet intime en vient à se transporter de Dieu dans l’humain en Europe — est ce ce qui fait « Europe » — et peut servir de départ à la morale.

Gageure aussi pour la philosophie. Car ce que nomme ainsi l’intime n’est-il pas, de droit, ce qui résiste le plus farouchement à la prise du concept ?

F.J.

Extraits du livre.

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François Noudelmann reçoit François Jullien

Le Journal de la philosophie, 1er avril 2013.

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Alain Veinstein reçoit François Jullien

Du jour au lendemain, 5 juillet 2013.

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Critique : Avec François Jullien, l’intime gagne ses quartiers de noblesse.

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