Julia Kristeva, étrange étrangère

Entretien avec Julia Kristeva

Parfois, l’archive permet de se rendre compte de la vivacité d’une pensée développée il y a des dizaines d’années. De la vivacité, de son caractère extrêmement contemporain, de l’urgence qu’elle a conservé. Depuis les images des années 60 évoquant la création de la revue et du mouvement Tel quel, en passant par un film muet et mystérieux d’un voyage en Chine au milieu des années 70, ou encore un interview de 1976 dans l’émission "Tribune Libre", qui rapproche dans une densité de verbe, l’expérience à limite du langage que sont l’enfance et la psychanalyse, et la révolte politique. Tout semble dépliable à l’infini, dans cette pensée que l’on aborde par morceaux brefs et incandescents. Bien sûr, on y retrouve ce qui se place au cœur de votre pensée et de votre vie plus essentiellement, cette idée d’étrange étrangeté, à partir de laquelle, si l’on est en mesure de l’habiter, on peut construire toute une existence.

Julia Kristeva est notre invitée cet après-midi. L’Institut National de l’Audiovisuel (INA) réunit dans un coffret plusieurs heures d’archives évoquant le parcours de Julia Kristeva, de son enfance bulgare à son arrivée en France en 1966, sa découverte de l’Amérique et la façon dont certains des concepts qu’elle a développés, enjambant allègrement les cadres étriqués des disciplines, ont marqué à la fois la psychanalyse, la linguistique, la philosophie, la théorie littéraire de ces dernières années. Marie Richeux.

L’entretien (24 octobre 2012, 38’)

Pour démarrer l’écoute, cliquez sur la flèche verte

Musique : Cecilia Bartoli, Griselda, Agitata Da Due Venti d’Antonio Vivaldi

Crédit : France Culture : Pas la peine de crier

Le DVD « Julia Kristeva »

Le DVD « Julia Kristeva » est disponible sur le site de l’INA avec des compléments indispensables.

Contenu

Julia Kristeva, étrange étrangère (2005 - 1h)

Un film de François Caillat

François Caillat présente Julia Kristeva lors de plusieurs entretiens menés à Paris et de conversations plus informelles filmées à l’île de Ré, son lieu de refuge en France et en Bulgarie où elle retourne sur les traces de son enfance. Ces archives privées, inédites, sont le continent secret d’une vie publique et intellectuelle bien remplie.

Les Compléments

Eloge de l’étrangeté (2005 - 20 min).

Julia Kristeva développe dans cet entretien inédit le thème de l’étrangeté qui traverse son oeuvre. Elle évoque ce qui rend chaque individu étranger à lui-même et aux autres, ce qui en fait un être multiple et foisonnant. Elle parle d’une polyphonie présente à la fois chez l’intellectuel, l’écrivain, le dépressif, l’analyste...

Les années Tel Quel

Une sélection d’interviews et de documents de 1973 à 1976 présente cette avant-garde intellectuelle menée par Philippe Sollers, à laquelle participa Julia Kristeva. Tel Quel a été fondé en 1960 par de jeunes auteurs inconnus. Trois ans plus tard, "l’avenir est à eux", comme le titre le reportage consacré aux six garçons rassemblés dans la cour des Editions du Seuil : Jean-louis Baudry, Michel Maxence, Marcelin Pleynet, Jean Ricardou, Philippe Sollers et Jean Thibaudeau. On pourrait leur associer Jean-Edern Hallier, Denis Roche ou Jean-Pierre Faye. Certains partiront, d’autres les remplaceront. Julia Kristeva sera l’une des figures actives du groupe durant quinze ans.

Julia Kristeva : entretien avec Frédéric Berthet 1976

extrait du DVD Julia Kristeva édité par l’Ina

Rencontre en images avec une étrange étrangère, philosophe et psychanalyste  : Julia Kristeva

Psychanalyste, linguiste, philosophe, romancière, théoricienne de la littérature, féministe, professeur émérite de l’université Paris-VII Diderot… Julia Kristeva a un parcours singulier, riche et complexe. Née en 1941 à Sliven, en Bulgarie, elle s’installe en France à l’âge de vingt-cinq ans pour poursuivre ses études, et y rencontre son mentor, le sémiologue Roland Barthes. Ainsi que les jeunes auteurs de la revue de littérature d’avantgarde Tel quel, dont fait partie celui qui deviendra son mari, l’écrivain Philippe Sollers. « Je me sens bulgare de naissance, française de nationalité, américaine d’adoption », commence-t-elle dans le film documentaire de ce coffret DVD qui donne les clés pour entrer dans la pensée de cette intellectuelle engagée. Personnalité incontournable, elle est l’héritière de Simone de Beauvoir, Roland Barthes et Jacques Lacan. De Paris à Sofia, de l’île de Ré à la mer Noire, Julia Kristeva se livre dans un entretien inédit avec le réalisateur, agrégé de philosophie, François Caillat. Lequel ponctue d’images d’archives privées son interview, manière de mieux explorer le mouvement de la pensée de Kristeva. Nature, celle-ci confie ses souvenirs d’enfance, parle de son père, « cet homme élevé dans la culture orthodoxe », de son arrivée en France, en 1966, marquée par « l’alchimie du verbe » des écrivains de l’Hexagone, de sa rencontre avec le groupe Tel quel. Elle y raconte son rapport à ses origines, à sa culture d’adoption et à la langue française. « J’étais une étrangère qui arrivait à Paris, je ne me sentais pas étrangère, mais c’est le regard des Français qui m’a renvoyée à l’étrangeté. » Julia Kristeva cultive cette « étrangeté » nécessaire à la pensée vivace et refuse de se laisser enfermer dans le carcan d’une culture académique. Empruntant à Freud la notion « d’inquiétante étrangeté », elle développe le concept d’étrangeté tout au long de son oeuvre, évoquant ce qui rend chaque individu étranger à lui-même et aux autres, ce qui en fait un être multiple et foisonnant. « L’étrangeté ? C’est la singularité poussée à l’extrême. » Parce que la rencontre de l’altérité nous renvoie à « l’étrange », ou bien à « l’étrangeté », qui est présente en nous-mêmes. La philosophe nous invite ainsi à admettre notre « troublante altérité », qui nous aide à ne pas rejeter l’étranger qui existe hors de nous. En complément du documentaire, suivent entretiens et images d’archives. Un passage est exclusivement dédié, justement, à la notion d’étrangeté qui traverse l’oeuvre de Kristeva. Un autre documentaire, composé d’archives de l’INA, présente les années du mouvement Tel quel, fondé en 1960. Enfin, un dernier extrait montre l’intellectuelle accompagnée de Philippe Sollers, Marcelin Pleynet et Roland Barthes en voyage en Chine. Ces derniers avaient été invités par la République populaire de Chine, en avril 1974, à venir découvrir un pays encore méconnu à l’époque. Au retour, ils feront un récit critique de leur séjour. Ce coffret DVD aux multiples facettes offre une plongée rafraîchissante dans la pensée en perpétuelle construction d’une femme singulière.

Anna Musso, L’Humanité.

Voir sur pileface Julia Kristeva ou la traversée des frontières.