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Pour Barthes — l’intellectuel le moins inconsciemment à droite

Archives : deux petits textes de Sollers...

D 25 août 2015     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



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Pékin, avril 1974. De gauche à droite : F. Wahl, un guide, Ph. Sollers, M. Pleynet, R. B., un guide.

Cette photo prise en Chine par Julia Kristeva en 1974, abondamment reprise depuis lors, figurait déjà — en noir et blanc — dans le dossier du numéro 97 du Magazine littéraire consacré à Roland Barthes en février 1975.
Barthes venait de publier son « roland barthes par roland barthes » dans la collection Écrivains de toujours [1]. Le Magazine littéraire avait « choisi d’inaugurer ce dossier par Pour Barthes de Philippe Sollers qui, dès 1971, énonçait cette évidence : que Barthes est l’un des plus grands écrivains de notre temps. » De son côté, Le Monde du 14 février 1975 publiait quelques témoignages d’écrivains sous le titre Barthes par les autres. Parmi ceux-ci : Alain Robbe-Grillet, Claude Roy, Michel Butor, Pierre Barbéris.
Voici les deux courts textes de Sollers. Pour mémoire.


Que serait une éthique de la littérature ? Probablement la position la plus surveillée, la plus désespérée qui soit. Elle ne donnerait accès à aucune vérité partageable, à aucune transcendance. Elle n’introduirait à aucune communauté de sujets, toute communauté se fondant sur le refoulement de cet acte irréductiblement singulier (comme l’acte sexuel). Elle ne pourrait se subordonner à aucun dogme, à aucun roman familial socio-politique, à aucune normalité, fût-ce celle de l’anomalie. Elle serait la différence interne au moindre discours, sans affirmation, vide, et pourtant très ferme.

Pas deux fois de suite identique. Déplaisant tour à tour à tout le monde, c’est-à-dire, sans fin, à la métaphysique. Dans le silence de la littérature, la voix du surmoi paraît chevrotante ; l’emphase inaudible ; la croyance idiote ; la connaissance hypothétique ; le doute, fade. Ce qu’on pense d’elle est toujours à côté : ce qui jouit en elle n’a rien d’universel ni même de secret. Ce qui jouit là, c’est le non-pouvoir comme tel. Une éthique de la littérature (celle, par exemple, qu’on peut voir dégager avec la plus grande rigueur et le plus grand jeu chez Kafka et Joyce), est une affaire d’État. Les États, d’ailleurs, ne s’y trompent pas. Kafka résume cela ainsi : Dieu ne veut pas que j’écrive, mais moi, je dois.

La littérature ne construit rien, aucune orthodoxie, aucune école. Elle passe au hasard. Elle est une paternité pour rien. Et, bien entendu, un inceste. C’est pourquoi elle est dans la situation du pourquoi pas. Pourquoi pas la mystique et la science, le bien et le mal, la loi et la perversion, le savoir et l’ignorance ? Pourquoi pas Sade et Loyola ? Pourquoi pas, d’ailleurs, l’absence radicale de littérature si celle-ci devait devenir un rite, une institution ? Une éthique avançant par contradiction : ironie infinie sous un masque de discrétion.

Qu’est-ce qu’un écrivain ? Le philosophe l’envie, le savant en rêve, l’analyste en parle. Le maître l’exile ou l’interne. L’hystérique lui en veut férocement (l’hystérique ne veut pas que ça s’écrive, surtout si c’est dérisoire). Le paranoïaque passe son temps à l’arrêter mentalement. L’obsessionnel le singe. Le pervers en a la nostalgie. Or, l’écrivain ne donnerait pas son absence de place pour un Empire. Même pas pour de l’argent. Voyez Joyce : sa mécène veut le faire psychanalyser. Il fait la sourde oreille. Elle lui coupe les vivres. Il en prend une autre qui le trouve de la même façon illisible, mais on ne sait jamais. Tout ça, froidement.

L’écrivain forme l’envers de la question d’où viennent les enfants ? A son sujet, l’interrogation est : comment fait-il ? Je dis bien l’écrivain, pas « l’artiste ». On a mis du temps à s’apercevoir que la langue était tout autre chose. C’est la raison pour laquelle il y en a si peu (et tellement).

Je viens en somme de parler de Barthes. Il s’est chargé de cette tâche impossible. Celle qui n’a pas de prix : répétition, altérité, plaisir, mort. J’ai proposé de l’appeler : matérialiste. Au sens où l’on pourrait dire : un matérialiste n’avouera jamais.

Philippe Sollers, 1971 (Le magazine littéraire, février 1975).

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1) L’écriture de Barthes se reconnaît aussitôt : elle frappe visiblement l’oreille. Découpée, mate, retenue, elle semble s’éloigner de ce qu’elle dit en l’annulant par avance. « J’ai une maladie : je vois le langage. »

2) Il s’ensuit qu’il s’agit d’un état critique reflétant un corps interrogatif. Barthes n’expose pas ses tremblements, ses décombres. Quand il écrit, il est déjà loin. Sa référence constante à Brecht, c’est cela : une prise de la distance, du conditionnel, de l’ouvert. Barthes n’est pas religieux.

3) Exercice : définir un écrivain par sa reconnaissance de la maladie. Autrement dit : de sa vision de l’autre organique de la langue. Syntaxe bordée par le refus du corps d’être tout. Le sanatorium a été le monastère laïque de Barthes. Il s’y est construit.

4) Barthes a un langage : il voit la maladie. Son entrée dans la littérature a été médicale. Hystéries, cancers, mythologies. Barthes a inventé l’analyse en acte du symptôme littéraire. Quelque chose comme la pénicilline par rapport à la prolifération microbienne du discours. Beaucoup s’en sont sentis stérilisés. Tant mieux.

5) Immédiatement, ouvertement, Barthes est du côté du nouveau. Sa réaction spontanée est anti-obscurantiste. Grand amateur de bêtises en tous genres (comme Flaubert), il ne peut pas faire autrement. Il n’en sera pas moins opposé à tout dogme du nouveau comme nouveau (le « babil » des avant-gardes). On lui doit, dans l’histoire intellectuelle française, un grand nombre d’actes justes. Et justes, quand personne, ou presque, ne l’était.

6) Barthes est l’intellectuel le moins inconsciemment à droite que je connaisse. Combien d’intellectuels de gauche passent leur temps à avoir des tics réactionnaires. J’ai toujours vu Barthes haï par l’extrême-droite.

7) Nous avons, Barthes et moi, une passion commune dont nous ne parlons jamais ensemble : Sade. C’est une passion rare. Les jugements idiots sur Sade courent (encore) les rues. A la limite, il s’agit d’un test. Dis-moi ce que tu penses de Sade, je te dirai pour qui tu as tort de te prendre.

8) La raison moderne se fait avec Barthes. Que voulons-nous ? « Un monde où il n’y aurait plus que des différences ». Crise des catégories, des oppositions figées, des hiérarchies... Univers symbolique en autogestion. Un monde de langue.

Philippe Sollers, Le Monde du 14 février 1975.

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Roland Barthes, en 1942, premier séjour au sanatorium de Saint-Hilaire. Crédit : roland-barthes.org.


Première mise en ligne le 31 janvier 2009.

Lire maintenant (quarante ans après) : L’antifascisme de Barthes.

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2 Messages

  • V.K. | 21 mai 2010 - 15:41 1

    Merci pour ce signalement

    eh oui, cet article trouvera sa place dans la base pileface !

    Ce numéro 90 du 1er mars 1970 de La Quinzaine littéraire est par ailleurs à recommander pour la grande richesse de son sommaire. Jugez-en :

    Du nouveau sur Lautréamont

    Bertrand Russel, ma vie

    Borgès et le temps

    H comme hippie (...manquait ce rapprochement dans l’analyse « alphabétique » du roman H de Sollers, objet d’échanges dans ce forum - bien qu’il s’agisse ici d’un autre roman au titre éponyme H !)

    La Chine et l’art d’aimer

    L’art flamand

    Wilhem Reich et la révolution sexuelle
    ...
    (ce denier article a mal vieilli mais les autres pourraient être publiés aujourd’hui sans grands changements)

    L’article : Sollers parle de Barthes, ici (Crédit : Capucine)


  • Louis Lambert | 20 mai 2010 - 17:05 2

    à partir de ce lien
    http://laquinzaine.wordpress.com/category/acces-aux-archives/
    allez au numéro 90 de la revue
    vous trouverez, pages 22 et 23, un magnifique texte de Ph. S. sur S/Z
    Une publication sur le site ?
    Avec mes hommages