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Marilyn ou la suicidée du spectacle

A propos de : Michel Schneider, Marilyn, dernières séances.

D 18 janvier 2008     A par Albert Gauvin - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Qu’a voulu dire exactement Warhol en mettant sur le même plan plastique Mao et Marilyn Monroe ? N’y a-t-il pas là une immoralité inquiétante ? Mao était-il l’homme que Marilyn aurait pu aimer ? Qui sait ? »

Philippe Sollers, Le journal du mois (dans le JDD, mai 2006)

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« Marilyn ou la suicidée du spectacle »

L’apparition fulgurante de Marilyn Monroe et sa mort plus qu’étrange ont donné lieu à un tel déluge de commentaires, de fantasmes et de rumeurs qu’on est un peu perdu dans cette mythologie déferlante. Mais voici un fil rouge qui, s’il n’explique pas tout, se révèle d’une formidable efficacité. Il suffit de rappeler que John Huston aimait souligner la coïncidence entre l’invention du cinéma et celle de la psychanalyse. Quoi ? Marilyn Monroe et la psychanalyse ? Mais oui, et c’est là que surgit un personnage incroyable, Ralph Greenson, de son vrai nom Roméo Greenschpoon, le psy de la plus célèbre actrice du monde.

Michel Schneider a écrit un roman passionnant, qui est aussi un essai passionnant, à travers une enquête et une documentation passionnantes. Hollywood, en réalité, était un grand hôpital psychiatrique bouclé sous des trombes de dollars, et Freud, qui croyait apporter la peste à l’Amérique, aurait été fort étonné de découvrir que sa bouleversante découverte avait attrapé là un virulent choléra. Cinéma ou vérité des paroles ? Images ou surprise des mots ? Qui va avaler quoi ? Qui va tuer qui ? En Californie, disait Truman Capote, « tout le monde est en psychanalyse, ou est psychanalyste, ou est un psychanalyste qui est en analyse ». Voici donc des séances vraies ou vraisemblables de cure, avec dérive de deux personnages se piégeant l’un l’autre, jusqu’à une folie fusionnelle mortelle. Le roman de Schneider, mieux que toute biographie, permet enfin de déchiffrer la boîte noire de ce crash. Pas de mot de la fin : la chose même, dans toute sa terrible complexité. Une très bonne écoute, donc. Du grand art.

Marilyn se révèle ici très différente de sa légende autoprotectrice de ravissante idiote et de sex-symbol. C’est une fille intelligente, cultivée par saccades, extrêmement névrosée à cause d’une mère démente, enfermée dans un corps de rêve qui fait délirer les hommes, ne sachant plus qui elle est ni à qui parler, contrôlant son image mais sans avoir la bonne partition sonore du film qu’elle est obligée de jouer sans cesse, sous le regard d’un spectacle généralisé que le nom de ses employeurs, la Fox, résume comme un aboiement. Seules les photos la rassurent, il y en a des milliers, c’est son tombeau nu de silence [1]. On ne la voit d’ailleurs pas vieillir en caricature américaine liftée et bavarde. Elle ne voulait pas de cette déchéance. S’est-elle suicidée ? Probable. A-t-elle été assassinée ? Pas exclu. S’agit-il d’une overdose accidentelle de médicaments dont elle faisait une consommation effrayante ? Restons-en là. Marilyn ou la suicidée du spectacle ? C’est sans doute le bon titre de ce film d’horreur. Ce n’est pas tous les jours, en effet, qu’on rencontre pêle-mêle autour d’un cadavre éblouissant le président de la première puissance mondiale (Kennedy), un chanteur-séducteur star (Sinatra), la Mafia (à tous les étages), la CIA et le FBI, un écrivain estimable (Arthur Miller), un champion national de base-ball (Joe Di Maggio), un petit Français à la coule (Yves Montand), des tas d’amants plus ou moins anonymes (dont beaucoup ramassés au hasard) et enfin des millions d’Américains à libido simpliste, soldats, hommes politiques, ouvriers, machinistes, tous affolés du regard à la moindre manifestation de ce corps de femme. Naufrage du cinéma : ce Titanic pelliculaire rencontre un iceberg détourné de sa position, la psychanalyse. L’iceberg lui-même coule à pic. Rideau.

Car ce Ralph Greenson n’est pas n’importe qui. En principe, c’est un freudien strict, auteur d’un livre technique qui a fait date, ami d’Anna Freud, la fille du génie viennois. Seulement voilà : avec Marilyn, sa vie est chamboulée, il s’écarte de plus en plus de la pratique normale, voit sa patiente chaque jour pendant des heures, l’introduit dans sa famille et, sans coucher avec elle, se mêle de ses contrats en garantissant sa présence sur les plateaux (Marilyn a des retards légendaires). Il surveille ses médicaments, ses piqûres, ses lavements, joue la bonne soeur, repère la crainte maladive de sa patiente pour l’homosexualité sans peut-être se douter de sa frigidité, bref se lance à corps perdu dans une tentative de sauvetage très rentable. Schneider relève avec finesse qu’au lieu d’entraîner Marilyn vers le chemin classique père-vie-amour-désir il l’enfonce dans son angoisse mère-homosexualité-excrément-mort. Elle le mène en bateau, il s’installe. Comment aurait-elle pu s’en tirer ? Des enfants ? Peut-être, mais peut-être pas non plus. En 1955, Marilyn est, avec Truman Capote, dans une chapelle de Foyer funéraire universel (ça, c’est l’Amérique) pour l’enterrement d’une actrice, et elle lui dit : « Je déteste les enterrements. Je serais drôlement contente de ne pas aller au mien. D’ailleurs, je ne veux pas d’enterrement - juste que mes cendres soient jetées dans les vagues par un de mes gosses, si jamais j’en ai. » Elle n’en a pas eu, et c’est, bien entendu, une des clés du problème.

En février 1961, Marilyn est hospitalisée dans une clinique psychiatrique. Elle envoie une lettre bouleversante à Greenson : « Je n’ai pas dormi de la nuit. Parfois je me demande à quoi sert la nuit. Pour moi, ce n’est qu’un affreux et long jour sans fin. Enfin, j’ai voulu profiter de mon insomnie et j’ai commencé à lire la correspondance de Sigmund Freud. En ouvrant le livre, la photographie de Freud m’a fait éclater en sanglots : il a l’air tellement déprimé (je pense qu’on a pris cette photo avant sa mort), comme s’il avait eu une fin triste et désabusée. Mais le docteur Kris m’a dit qu’il souffrait énormément physiquement, ce que je savais déjà par le livre de Jones. Malgré cela, je sens une lassitude désabusée sur son visage plein de bonté. Sa correspondance prouve (je ne suis pas sûre qu’on devrait publier les lettres d’amour de quelqu’un) qu’il était loin d’être coincé ! J’aime son humour doux et un peu triste, son esprit combatif. »

Schneider nous dit que cette lettre n’a été retrouvée qu’en 1992 dans les archives de la 20th Century Fox. On veut bien le croire, mais quelle inquiétante étrangeté ! Sensibilité et subtilité décalées de Marilyn, dont Billy Wilder disait : « Elle avait deux pieds gauches, c’était son charme. »

Qu’aurait fait Lacan avec Marilyn ? Rien, ou pas grand-chose. Il lui aurait démontré, par ses silences et ses saillies inspirées, qu’il était absolument allergique à l’industrie cinématographique, à Hollywood, à toutes ces salades d’argent et de pseudo-sexe. Il lui aurait demandé des prix fous pour venir le voir dix minutes. Au lieu de la materner et de la faire déjeuner en famille, il se serait montré indifférent à ses films comme à ses amants. Kennedy ? Sinatra ? Arthur Miller ? Les metteurs en scène ? La Mafia ? De braves garçons, aucun intérêt. Freud lui-même ? Sans doute, mais encore. Anna Freud ? Passons. Bref, en grand praticien de la psychose, très peu humain, il aurait poussé la paranoïa jusqu’au bout avec une patiente hors pair, à la séduction invincible, porteuse du narcissisme le plus exorbitant de tous les temps. Quelle scène ! Marilyn, devinée à fond, en aurait eu marre, et l’aurait peut-être tué puisqu’il ne lui aurait même pas demandé une photo d’elle. Voilà le drame de l’Amérique, et peut-être du monde : la psychanalyse n’y existe plus puisque le cinéma a pris la place du réel.

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 14 au 20 septembre 2006.

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 Michel Schneider parle de son livre 

La rencontre de Roméo Greenschpoon, devenu Ralph Greenson et de Norma Jeane Baker, alias Marilyn Monroe, ne pouvait avoir lieu qu’à Hollywood. Trente mois durant, de janvier 1960 au 4 août 1962, ils formèrent le couple le plus improbable : la déesse du sexe et le psychanalyste freudien.

Elle lui avait donné comme mission de l’aider à jouer au cinéma, de l’aider à se lever, de l’aider à aimer, de l’aider à ne pas mourir. Il s’était donné comme mission de l’entourer d’amour, de famille, de sens, comme un enfant en détresse. Il voulut être sa peau, mais pour avoir été la dernière personne à l’avoir vue vivante et la première à l’avoir trouvée morte, on l’accusa d’avoir eu sa peau. Telle est l’histoire.

Deux personnes qui ne devaient pas se rencontrer et qui ne purent se quitter. Quelques personnages sortiront des coulisses du cinéma pour rejouer le scénario fou de la psychanalyse à Hollywood. On croisera des metteurs en scène : John Huston, Joseph Mankiewicz, Billy Wilder, George Cukor ; des acteurs : Clark Gable, Yves Montand, Jean Harlow ; des psychanalystes Anna Freud (qui sait que la fille de Freud fut un temps la thérapeute de Marilyn ?), Marianne Kris, Milton Wexler ; des écrivains : Truman Capote, Vladimir Nabokov, Scott Fitzgerald. Ce que Freud appelait l’autre scène se jouait là, dans et autour des grands Studios.

Un écran nommé désir. Dans le champ apparaîtront des décors : Los Angeles en Technicolor, New York tout de noir et blanc. Des objets perdus (un piano, des bandes magnétiques, des relevés d’écoutes téléphoniques, des dossiers manuscrits archivés, des seringues, des bobines non montées) se retrouveront sous les projecteurs du plateau où la dernière séquence du film ne fut jamais tournée.

Des mots noirs et des souvenirs blancs s’entendront dans la lumière adoucie d’un cabinet de psychanalyste où se redit la dernière séance de Marilyn. Je n’ai pas voulu écrire une enquête de plus sur la mort énigmatique de la star. Juste un roman retraçant les mois qui l’ont précédée. Seule la fiction donne accès au réel, et ce qu’on atteint à la fin d’un récit comme à celle d’une vie n’est pas la vérité révélée des personnages, mais une suite d’images brisées parcourue de reflets à contre sens.

Car la vraie énigme de ce livre est celle du conflit des mots et des images. Au cinéma, en psychanalyse et en chacun de nous. Mais j’aimerais que ce jeu de paroles secrètes et d’actes visibles ne s’achève que sur un point d’interrogation, lorsque les personnages se fondront dans l’incertain et que tremblera sur l’écran le message NO SIGNAL.

Michel Schneider

 Entretien avec Michel Schneider 

par François Busnel, Lire, septembre 2006

Marilyn, victime de la psychanalyse... Ce livre est-il un document, un récit ou un roman ?
Michel Schneider.
C’est un roman, à cent pour cent. J’utilise le procédé suivant : je prends un personnage qui a bel et bien existé, des faits avérés, des documents incontestables et... je traite tout cela comme s’il s’agissait d’un personnage imaginaire. J’avais déjà procédé ainsi avec Glenn Gould, en 1982. Je n’hésite pas, en effet, à prêter à des personnages réels des pensées, des rêves, des sensations. Je les reconstruis comme des personnages de roman.

Mais pourquoi un roman sur Marilyn puisque la plupart des scènes que vous décrivez ont véritablement eu lieu ?
M.S.
La forme romanesque s’est imposée tardivement. Tout a commencé par un scénario pour Arte : un documentaire d’une heure sur le thème « Psychanalyse et cinéma » destiné à passer avant le film de John Huston sur Freud. Comme tout le monde, je croyais connaître Marilyn et j’avais vaguement entendu parler de son dernier psychanalyste, Ralph Greenson : je savais qu’il était le pape de la technique psychanalytique, qu’il avait écrit « le » traité qui est encore enseigné dans toutes les écoles de psychanalyse du monde et qui s’intitule Technique et pratique de la psychanalyse. Je savais aussi qu’il avait fait, en tant qu’analyste de Marilyn, exactement le contraire de ce qu’il préconisait dans son livre... En enquêtant pour les besoins de mon scénario, j’ai découvert l’histoire complètement folle de leur rencontre : pendant les deux années et demie qui ont précédé sa mort, entre janvier 1960 et août 1962, Marilyn était en cure avec Greenson et dans des conditions hallucinantes. J’ai alors décidé de raconter cette liaison dans un livre. Pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer entre eux. Une histoire de fous, mais extraordinairement exemplaire de ce qui se passait alors à Hollywood.

Vous voulez dire que tout Hollywood était en psychanalyse ?
M.S.
Pratiquement ! Entre 1945 et 1965, Hollywood a produit un nombre incroyable de films qui représentent explicitement la cure analytique, soit sous la forme du psy qui résout tous les problèmes, soit sous la forme maléfique du psy cinglé (que l’on retrouvera plus tard dans Le silence des agneaux, par exemple, avec le personnage d’Hannibal Lecter, le tueur en série). A l’époque de Marilyn, tous les producteurs, réalisateurs et acteurs étaient sur des divans ! Rappelons que le cinéma hollywoodien des années 1940 était fait par des personnalités extraordinairement brillantes, intelligentes, souvent des juifs immigrés d’Europe centrale. Venus des mêmes pays (Autriche, Hongrie, Allemagne...), des psychanalystes se sont installés sur la côte Ouest et sont devenus les proches de ces gens de cinéma. La fascination était réciproque : ces deux mondes ont fait de Hollywood une capitale culturelle. Mais ni l’un ni l’autre, au départ, ne contenait la folie qui s’est déclarée et s’est emparée d’eux. L’histoire de Marilyn et de Greenson est celle de la jonction de deux univers qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Et qui, une fois qu’ils se sont rencontrés, se sont télescopés à un point d’influence et de déformation réciproque de la pensée que l’on a du mal à imaginer - et que j’ai voulu recréer. Mais pour saisir la vérité contradictoire, l’énigme de cette relation entre la plus grande actrice du monde et le plus grand psy d’Hollywood, je me suis vite rendu compte qu’il n’y avait pas d’autre forme possible que le roman.

Ah bon ? Mais dire la vérité sur une histoire, n’est-ce pas précisément la tâche de la biographie ?
M.S.
Oui, la biographie prétend dire les choses telles qu’elles se sont passées. Mais c’est une imposture ! Les biographies sont des romans, mais sans le talent des romanciers. Le piège des biographies est le suivant : soit elles disent toutes la même chose (et c’est sans intérêt parce que cela veut dire que les différents biographes se sont recopiés et que personne n’a eu accès à quoi que ce soit), soit elles disent des choses très différentes les unes des autres. Dans ce cas-là, autant faire de la fiction ! Autant romancer ! C’est-à-dire prendre un élément dans telle bio, quelque chose dans une autre et ainsi de suite jusqu’à ce que l’on forme un récit qui ne soit pas totalement improbable mais qui ne prétendra pas dire la vérité. Moi, je ne prétends pas du tout que ce que je raconte dans ce livre a pu se produire. Je cherche, en revanche, à faire en sorte que tout ce que je raconte ait une nécessité dans la structure de la narration. Les biographes se situent entre les historiens et les romanciers : ils s’autorisent des libertés qui relèvent du roman (par exemple, quelle était la couleur du ciel ce jour-là ; quels furent les mots précis du dialogue qu’ils recomposent à partir de leurs sources...) et prétendent dire l’histoire telle qu’elle s’est réellement passée. Mais cette prétention à dire la vérité est délirante. Une biographie est toujours une fiction qui s’ignore. Moi, je revendique ouvertement le rôle de faussaire. Mais un faussaire qui dit les vérités de chacun. J’espère donc que mes personnages sonnent vrai, comme on dit en musique, même si ce que je leur fais dire n’est pas toujours ce qu’ils ont dit. Je ne veux pas les rendre cohérents. Ce qui compte, au contraire, ce sont leurs dissonances. Etre vrai, ce n’est pas être quelqu’un de cohérent, ce n’est pas gommer les dissonances. Les romans qui m’intéressent sont ceux dans lesquels les dissonances sont maintenues et non lissées. Mais le roman, la fiction, est aussi ce qui peut donner un sens à ces dissonances : dans un roman, elles se fondent dans une forme qui retrace une trajectoire. La vérité n’est pas l’absence de contradictions mais le fait d’assumer ces contradictions. Dans ce livre, tout est vrai mais à l’intérieur d’une fiction ; mais je n’affirmerai jamais que l’histoire de Marilyn et de Greenson s’est vraiment déroulée comme je le raconte. Le romancier n’est tenu à rien d’autre qu’à voler des bouts de vie, des bouts de mot, des bouts d’image et à les mettre ensemble : il commet un crime parfait. Qu’est-ce qu’un crime parfait ? Celui dont on ne retrouve pas l’auteur. Eh bien, c’est cela un roman !

Bon, on peut comprendre qu’un romancier écrive des fictions sur Marilyn (c’est le cas de Norman Mailer ou de Joyce Carol Oates) mais vous, vous êtes psy, c’est-à-dire un individu dont la profession devrait consister à saisir la vérité d’un être plutôt que ses fictions, non ? Donc, pourquoi romancer plutôt que chercher à découvrir la vérité en creusant la psychologie de Marilyn et de Greenson ?
M.S. On ne connaît l’amour qu’à travers le discours amoureux. De même, on ne connaît l’analyse qu’à travers le discours que tiennent sur elle le patient et l’analyste. La vérité existe. Mais personne ne la connaîtra jamais. Et pourquoi donc ?
M.S.
Parce qu’elle est dans le secret du transfert. Nul ne peut prétendre écrire sur la relation Marilyn-Greenson et dire la vérité. Tous deux sont morts et Greenson a emporté ses secrets dans la tombe. Quant à ses dossiers privés, ils sont à la bibliothèque de l’université de Los Angeles mais sont interdits à la consultation ! De plus, c’était un homme très secret dont il est particulièrement difficile de retracer la biographie. Il faut donc recomposer. Et il serait malhonnête de prétendre qu’une recomposition est la vérité, même si j’emprunte à des sources réelles et avérées lorsque je reconstitue les dialogues entre Marilyn et son psy. Ce qu’elle dit de ses retards permanents sur les tournages, par exemple, est tiré du livre de Weatherby, le journaliste à qui elle donna son avant-dernière interview et qu’elle connaissait très bien. J’ai transformé cette confidence en dialogue analytique.

Tout le monde cherche à connaître la vérité sur la mort de Marilyn...
M.S.
Pas moi.

Mais pourquoi ?
M.S.
Parce que j’ai lu une quarantaine de livres sur la mort de Marilyn, chacun développant des thèses différentes. Eh bien, au final, je suis incapable de vous dire si elle s’est suicidée, si elle a été assassinée, si elle a fait une overdose accidentelle ou volontaire, si Greenson a pris une part à cela, si les Kennedy, la mafia ou la CIA sont dans le coup... Je n’en sais rien. Et personne n’en sait rien. Voilà pourquoi la forme du roman s’est imposée : le roman est, précisément, le domaine du non-savoir, de la contradiction qui ne peut jamais être levée. Qui peut affirmer : « Ah, je sais ! Je sais qui est Madame Bovary ou Julien Sorel » ? C’est absurde ! Ce sont des êtres d’énigmes. Des énigmes que l’on ne percera jamais.

Pourtant, vous affirmez beaucoup de choses dans ce roman, notamment sur la personnalité de Marilyn. Les scènes de sexe, très crues, de la page 210...
M.S.
Elles sont inventées. J’ai écrit cette page comme si ça se passait ainsi. Mais ces « inventions » ne sont pas gratuites. Marilyn avait une sexualité addictive. Tout comme elle avait un rapport addictif à la drogue, à l’alcool et aux médicaments. On sait, par les témoignages et les récits publiés, qu’il lui arrivait souvent de mettre une perruque, de sortir dans la rue et de draguer un homme avec qui elle couchait aussitôt. Mais cette scène a pour but de montrer que Marilyn n’était pas seulement la victime d’hommes qui abusaient d’elle ; la réalité est plus complexe. Je ne crois pas à une Marilyn pure corrompue par les sales hommes. J’ai recomposé cette scène à partir de ce qu’elle a dit et écrit sur le sexe. Notamment les fameuses bandes magnétiques qu’elle aurait enregistrées peu de jours avant sa mort à l’attention de son psy.

Pourquoi Marilyn enregistra-t-elle ces confessions ?
M.S.
Sa relation avec Greenson devenait de plus en plus difficile à supporter. Pour elle comme pour Greenson. Elle a donc décidé de ne plus parler devant lui (ou plutôt dans la même pièce car Greenson appliquait la méthode freudienne : le patient sur un divan, le psy en retrait sur un fauteuil) mais de le faire chez elle, devant un magnétophone, à ses moments perdus. Elle pensait qu’en agissant ainsi elle parviendrait à dire davantage de choses. Marilyn aurait donc enregistré deux ou trois bandes qu’elle aurait ensuite données à Greenson et que ce dernier aurait fait entendre à l’enquêteur John Miner dans les jours qui ont suivi la mort de l’actrice. Miner aurait alors transcrit ces bandes. L’année dernière, John Miner a vendu ces transcriptions au Los Angeles Times qui les a publiées en intégralité. Ce sont les dernières confessions de Marilyn. Mais les bandes elles-mêmes ont disparu mystérieusement au lendemain de son décès... Personnellement, j’ai des doutes sur l’authenticité de ces bandes.

Qu’est-ce qui vous fait douter ?
M.S.
Elles sont très favorables à la thèse de Ralph Greenson, c’est-à-dire à l’idée que Marilyn ne se serait pas suicidée mais qu’elle n’aurait pas non plus été assassinée, qu’il y aurait eu une interaction médicamenteuse entre ce que Greenson lui avait prescrit et les drogues et les médicaments qu’elle prenait par ailleurs en douce. Ces bandes sont comme mon livre : vraiment fausses. Ce livre, c’est du « mentir-vrai », comme disait Aragon. Le roman ne répond pas à la question de la vérité mais il construit une nécessité. Il introduit la notion de destin. Au final, on se moque de savoir si telle ou telle scène s’est vraiment déroulée comme je l’écris. Ce qui compte, c’est que le roman permet de montrer que la rencontre entre Marilyn et Greenson était à la fois impossible et nécessaire. Or c’est la définition même du tragique : impossible et nécessaire. Cette histoire est quand même une tragédie : Marilyn meurt alors que, apparemment, elle a résolu tous ses problèmes sexuels et professionnels dans les derniers jours qui précèdent sa disparition.

Vous semblez pourtant défendre la thèse de Miner : une overdose accidentelle...
M.S.
Ce n’est pas impossible. C’est une piste. Pour moi, la mort de Marilyn est un « meurtre sans assassin », pour reprendre le titre du film dans lequel joue Truman Capote (Murder by Death). Marilyn est morte parce qu’il y avait trop de mort en elle, et depuis trop longtemps. Elle était habitée par ce que les psychanalystes appellent la pulsion de mort. Sa vie quotidienne ne pouvait donc aller que vers la détresse. Il est possible que ce soit ce qui l’a amenée à prendre des médicaments incompatibles, à se mettre entre les mains d’une garde-malade pas très nette non plus, à fréquenter des types qui traînaient dans les night-clubs tenus par des mafieux notoires de la bande de Frank Sinatra (qui était à la fois son amant et le patient de Greenson en même temps qu’elle, ce qui peut sembler dingue...). Je multiplie les indices mais tous vont dans des sens différents.

Peut-on dire que Greenson a une part de responsabilité dans la mort de Marilyn ?
M.S.
Greenson est un homme de paradoxes. Il a certainement été très généreux avec Marilyn : il lui a tout donné. Mais, en même temps, c’était un individu très intéressé par l’argent, le pouvoir, la reconnaissance sociale. Lorsqu’il commence à l’analyser, en 1960, Marilyn était la femme la plus célèbre du monde. Il en a tiré une satisfaction réelle, même s’il est vraisemblable qu’il n’ait jamais voulu coucher avec elle. Beaucoup d’histoires ont couru sur Greenson. Des témoins disent l’avoir vu au domicile de Marilyn le soir de sa mort, lui faisant une injection intracardiaque. Mais ces témoins ne me semblent pas très fiables. Ce sont des types d’extrême droite et la dimension antisémite était, à l’époque, très importante : le médecin juif qui tue sa patiente, voilà qui pouvait résonner dans certains milieux policiers d’extrême droite. Mais il est vrai que Greenson adorait faire des piqûres à ses patients. Dans son livre sur la psychanalyse, il écrit que le médecin ne doit jamais toucher le corps du malade mais on sait qu’il adorait administrer des substances chimiques sous forme de piqûre.

Peut-on dire que Greenson a outrepassé les limites de la psychanalyse ?
M.S.
En accueillant chez lui sa patiente, oui. Il envoyait même ses enfants lui chercher ses drogues à la pharmacie. Et il est devenu très puissant sur les tournages : c’est lui qui fixait les cachets que touchait Marilyn, donnait son avis sur un cadre, relisait les scripts...

On est très loin de la psychanalyse freudienne, non ?
M.S.
En effet. C’est d’autant plus troublant que Greenson a étudié la psychanalyse en Europe auprès de Freud lui-même. Il a fait ses études à Vienne, est arrivé à Hollywood et s’est spécialisé dans les acteurs. Ses patients s’appelaient Vincente Minnelli, Tony Curtis, Vivien Leigh, Frank Sinatra... et Marilyn Monroe.

Entre eux, vous parlez d’une « histoire d’amour sans amour ». Que voulez-vous dire exactement ?
M.S.
Ils étaient incompatibles et inséparables. Beaucoup de couples vivent ainsi, vous savez... Trop mal pour vivre ensemble mais trop bien pour pouvoir se quitter. A la fin, Marilyn voyait son psy, Greenson, sept jours sur sept et à raison de deux à trois séances par jour ! Il n’avait plus d’autres patients. Il restait quatre heures avec elle le matin puis revenait quatre heures dans l’après-midi. Et elle l’appelait le soir ou dans la nuit. De temps en temps, il l’hébergeait chez lui, même lorsque sa famille était présente. Greenson a joué le rôle (qu’il croyait devoir jouer) de la mère réparatrice, de la mère qui accueille. C’est un amour sans amour dans le sens où il n’y a pas eu de sexe entre eux. Je présume que s’ils avaient couché ensemble, l’un et l’autre s’en seraient mieux sortis. Marilyn le provoquait pourtant sans cesse, lui parlant jusque dans les moindres détails de ses amants et de ses expériences sexuelles. Seul le corps, c’est-à-dire une décharge pulsionnelle, aurait permis qu’il y ait moins de folie dans leurs rapports. Je ne peux pas affirmer que tout aurait été pour le mieux mais qui sait...

On a également prétendu que Greenson se trouvait dans la voiture de Bobby Kennedy arrêtée par la police la nuit de la mort de Marilyn...
M.S.
Oui, il n’est pas impossible que cela soit vrai. Je ne sais pas si les Kennedy sont les assassins de Marilyn mais on ne peut pas reprocher au président des Etats-Unis et au ministre de la Justice, qui sont l’un et l’autre les amants de l’actrice qui vient de mourir dans des conditions énigmatiques, d’envoyer immédiatement le FBI nettoyer les traces, laver les draps et confisquer tous les documents compromettants. La dissimulation était bien le moins qu’ils pouvaient faire. Pour eux, la mort de Marilyn était une affaire d’Etat. Il est possible qu’ils aient utilisé Greenson pour nettoyer certaines choses. Il a peut-être participé au nettoyage et il s’est peut-être trouvé sur les lieux du décès plus tôt qu’il ne l’a ensuite déclaré à la police.

Pourquoi Greenson n’a-t-il pas été inquiété davantage par la police ?
M.S.
L’institution psychanalytique s’est sentie globalement atteinte par la mort de la patiente la plus célèbre du monde. Elle a donc fait bloc pour ne pas accabler le malheureux Greenson. Dans les lettres qu’elle lui envoie, Anna Freud, la fille de Sigmund, fait semblant de ne pas avoir connu Marilyn alors qu’elle l’a eue elle-même en analyse six ans plus tôt !

Peut-on dire que c’est la psychanalyse qui a tué Marilyn ?
M.S.
C’est ce qu’affirment les ennemis de la psychanalyse. Je ne dirai pas les choses ainsi. Marilyn est morte d’un mélange de Nembutal et d’hydrate de chloral. Mais il est certain que derrière la cause médicale de la mort, on peut chercher un mélange de psychanalyse dérégulée et d’amour passionnel. Mais on peut aussi dire que la psychanalyse a permis à Marilyn de vivre quatre ans de plus. En 1957, elle avait déjà fait une tentative de suicide, qu’elle récidivera quelques années plus tard. On peut soutenir que l’étrange cure entreprise par Greenson allait peut-être porter ses fruits. A la place de Greenson, qu’aurais-je fait ? Peut-être aurais-je agi de la même façon ? Marilyn était dépressive. Il est certain qu’en étendant leur relation au-delà de la cure freudienne traditionnelle, Greenson n’a peut-être pas arrangé les choses. Il est possible qu’il ait transformé la pathologie de Marilyn en folie. En termes psychiatriques, on appelle cela la « folie à deux » : prises séparément, les deux personnes ne sont pas folles ; mises ensemble, surgit une folie qui n’aurait pas surgi dans leurs vies respectives si leurs trajectoires ne s’étaient pas croisées. Marilyn était très déséquilibrée, toxicomane, souffrant d’un syndrome d’abandon. Greenson, lui, était un névrosé narcissique très soucieux de son image. Ce sont deux pathologies, pas deux folies. Mais la rencontre de ces deux pathologies a généré une grande folie.

Le « cas Marilyn » est-il un échec de la psychanalyse ?
M.S.
Non. C’est l’échec d’un psychanalyste qui a cédé à sa passion d’emprise et à son propre désir de reconnaissance. A sa volonté d’être sur le devant de la scène. Marilyn et Greenson ont peu à peu échangé leurs symptômes : elle est devenue une femme de mots et il est devenu un homme d’images. Greenson a accepté de s’assujettir à la logique terrible de ces machines à faire de l’argent que sont les studios hollywoodiens.

Faut-il lire ce roman comme une mise en garde contre la psychanalyse ?
M.S.
Je pense, en effet, que la psychanalyse comporte ses dangers. Elle est aussi capable de magnifiques réussites. Mais il est important de comprendre que ce n’est pas parce qu’on fait une psychanalyse que l’on va régler tous ses problèmes. Surtout, ne pas croire cela ! Ni que l’on trouvera la vérité, sa vérité. D’ailleurs, la vérité, généralement, on la connaît déjà soi-même et on n’a pas besoin de passer des années sur un divan pour la découvrir.

Même lorsqu’on est une actrice, c’est-à-dire que l’on passe sa vie à jouer des rôles ?
M.S.
Là, c’est plus difficile. Dans l’analyse, Marilyn cherchait à s’entendre enfin dire par quelqu’un : « Je prends en compte celle que vous êtes, telle que vous êtes. »

Qu’attendait-elle précisément de la psychanalyse ?
M.S.
Peut-être venait-elle chercher auprès de ses psychanalystes (il y en a eu quatre) quelque chose que l’on pourrait résumer ainsi : fuir l’image qu’elle avait d’elle-même et qui ne la rassurait jamais. C’est pour cela que je joue beaucoup, dans le roman, sur les miroirs, les glaces, le verre : le renvoi perpétuel de votre image. Peut-être Greenson a-t-il réussi à lui faire admettre l’idée que ce que l’on a à dire de soi ne passe pas seulement par un corps et un rire exhibés sur un écran mais aussi par les mots pour dire ce que l’on ressent.

Comment expliquez-vous, justement, un tel conflit entre l’image et les mots : alors qu’elle cherche à s’approprier les mots, elle est incapable d’apprendre par c ?ur ses répliques et de les dire correctement du premier coup ?
M.S.
C’est pour cela que ce roman n’est pas, en fait, un roman sur Marilyn ni sur la psychanalyse mais sur le conflit irréductible qui existe, en chacun de nous, entre les images et les mots. Je veux dire par là que la vérité n’est pas dans l’image. Mais elle n’est pas non plus uniquement dans les mots. Elle est dans la confrontation permanente entre les mots et les images, entre les représentations que nous avons et les mots que nous pouvons mettre dessus. C’est encore plus vrai au cinéma : on est tout le temps confronté au fait de savoir si ce que dit l’acteur est vrai ou non. Et c’est également vrai dans la cure analytique. En psychanalyse, la vérité ne passe pas dans ce que disent les patients mais dans une certaine disposition du corps, dans une manière de se présenter, de s’asseoir, de regarder ou non... Marilyn rencontrait ce conflit entre mots et images à chaque fois qu’elle entrait sur un plateau de tournage. Le symptôme qui l’a amenée à la psychanalyse est précisément celui-ci : elle n’arrivait pas à mettre en place devant une caméra l’image qu’elle donnait pourtant bien volontiers et les mots qu’on lui faisait dire. Elle bafouillait, elle bégayait, alors que cela ne lui arrivait jamais dans la vie quotidienne. Ça lui est également arrivé lors de la célébrissime scène du Madison Square où elle chante « Happy Birthday » à John Kennedy : en arrivant sur scène, elle attrape le micro et le tapote, comme si elle prenait en main un phallus, comme si elle saisissait un objet au vol pour se raccrocher à quelque chose alors qu’elle est au milieu d’un énorme trou noir. Puis elle porte ses mains au-dessus de ses yeux pour voir l’assistance (un millier d’invités plongés dans le noir), comme si le fait de ne pas voir ceux devant qui elle devait chanter l’angoissait terriblement.

On découvre, dans ce roman, une Marilyn très éloignée du cliché de la ravissante idiote...
M.S.
Mais ce n’était pas une ravissante idiote ! Ça, c’était un rôle. Elle s’est parfois servie de cette image pour se protéger, justement. Mais, fondamentalement, elle était à la recherche d’une vérité qu’elle savait devoir trouver de plus en plus dans les mots et de moins en moins dans les images. Marilyn n’était pas du tout cultivée mais était très intelligente. Elle était prise dans ce que l’on avait projeté sur elle : la blonde qui sourit. Mais derrière cette image, il y avait un formidable appétit de langage, de mots, de lectures. Sur les tournages, elle lisait Kafka ou Rilke.

Quel était son rapport à la lecture et aux livres ?
M.S.
Elle lisait énormément. Pas toujours jusqu’au bout : comme tous les autodidactes, elle picorait çà et là. Les écrivains étaient très présents dans son entourage, notamment Truman Capote avec qui elle a pas mal traîné à Manhattan.

Vous affirmez qu’elle aurait inspiré à Capote la Holly de Petit déjeuner chez Tiffany...
M.S.
J’en suis convaincu. Relisez-le : c’est elle !

Quelles furent ses autres lectures ?
M.S.
Dostoïevski, Joyce, Conrad, Fitzgerald... Elle a également rencontré Nabokov, fréquenté Carson McCullers.

Elle a épousé un écrivain, Arthur Miller. Coup de foudre ?
M.S.
Sans doute. Il y a d’abord eu la brute, Joe DiMaggio, le champion de base-ball le plus célèbre des Etats-Unis. Puis ensuite l’intellectuel juif coincé. D’un côté, l’homme de corps et d’images ; de l’autre, l’homme d’esprit et de mots.

Aujourd’hui, quels sont les liens entre Hollywood et la psychanalyse ?
M.S.
Totalement nuls. Aux Etats-Unis, de toute façon, la psychanalyse n’existe plus.

Bio-bibliographie
Né en 1944, Michel Schneider est psychanalyste et écrivain. Il a écrit sur la littérature (Baudelaire, les années profondes ; Maman : Proust et sa mère...), la musique (Glenn Gould, piano solo ; La tombée du jour : Schumann ; Musiques de nuit...) et la psychanalyse (Blessures de mémoire ; Voleurs de mots ; Big Mother...). Il a remporté le prix Médicis de l’essai en 2003 pour Morts imaginaires (Grasset).

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Sur le livre (avec un message audio de l’auteur)

Biographie, filmographie de Marilyn Monroe

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5 Messages

  • Albert Gauvin | 31 juillet 2023 - 10:17 1

    Michel Schneider (1944-2022), auteur, en 2006, de Marilyn, dernières séances (voir ci-dessus) a dessiné en 2012 un portrait radiophonique de l’actrice. France Culture rediffuse la série (20 épisodes d’une heure). VOIR ICI.


    Marlene Dumas, Dead Marilyn, 2008.
    Venise. Photo A.G., 25 juin 2022. ZOOM : cliquer sur l’image.
    GIF


  • Albert Gauvin | 18 octobre 2022 - 14:54 2

    Michel Schneider, dernières séances

    L’écrivain et psychanalyste Michel Schneider s’est éteint cet été, à l’âge de 78 ans. Retour sur son « Marilyn dernières séances » (Gallimard).

    « Aimer quelqu’un c’est lui donner le pouvoir de vous tuer » écrivait Marilyn quelque part dans ses carnets .Aimer les livres c’est leur donner le pouvoir de vous tuer aurait pu écrire Michel Schneider. Il s’est éteint cet été le 21 juillet à l’âge de 78 ans. Officiellement des suites d’un cancer, mais qu’importe, puisque les écrivains sont éternels. Tout le monde le sait, Michel est parti rejoindre Marilyn sur la River of no return. L’amour des livres, la haine des livres : voilà de quoi les écrivains meurent. Et Michel Schneider en était un. Parmi ses essais, sur Proust, Glenn Gould, Schuman, ou encore ses romans, Comme une ombre, Je crains de lui parler la nuit, sans oublier ses écrits psychanalytiques, ma préférence va à Marilyn dernières séances. Seul un homme qui aimait profondément les femmes pouvait relever un tel défi : faire exister Marilyn, donner à entendre sa mélancolie. Si lointaine, si proche, surgie des profondeurs du continent noir. Un pur morceau de littérature. Un vrai faux roman ou un faux roman vrai. Époustouflant. (Anouchka d’Anna, 14 octobre 2022, LIRE LA SUITE ICI).


  • Albert Gauvin | 14 avril 2022 - 11:24 3

    Marilyn Monroe, à l’ami à la mort

    Dans « Marilyn, ombre et lumière », le poète américain Norman Rosten raconte ses souvenirs intimes de la star, entre le jour où elle débarqua chez lui, les pieds trempés et les yeux espiègles, jusqu’à, sept ans plus tard, son ultime appel au secours.


    Marilyn Monroe à New York, en 1956.
    (Elliott Erwitt/Magnum Photos). ZOOM : cliquer sur l’image.
    GIF

    par Philippe Lançon
    publié le 13 avril 2022 à 18h39

    Il existe plus de livres consacrés à Marilyn Monroe que d’aiguilles sur un pin parasol : chaque auteur a voulu affronter le mythe depuis son promontoire ou sa spécialité. Ceux qui veulent se faire une idée sensible de la femme morte en 1962 à 36 ans d’un excès de barbituriques aiment le portrait concis qu’en fit Truman Capote dans Musique pour caméléons (« Une enfant radieuse »). Ils pourront désormais lire Marilyn, ombre et lumière, du poète et dramaturge américain Norman Rosten. Lui et sa femme Hedda ont été amis intimes de l’actrice durant les sept dernières années de sa vie. Elle semblait trouver chez eux, épisodiquement, le foyer et la stabilité affective qui lui manquaient. Elle à qui « la maison finie […] échappa jusqu’au bout ». Elle ne cessait de réaménager la sienne, dans la fantaisie et en vain.

    Les souvenirs de Rosten sont des choses vues et entendues directement. Ils ont le mérite de la sympathie, de la précision, de la sobriété, de s’inscrire dans la durée. Son talent amical et fitzgeraldien donne envie de ressusciter la femme pour l’accueillir délicatement chez soi, tel un splendide félin abandonné. Le livre a été publié aux Etats-Unis en 1973, la même année que Mémoires imaginaires de Marilyn de Norman Mailer. Mailer connaissait Rosten, tous deux étant des Juifs de Brooklyn, et avait lu son manuscrit avant d’attaquer son propre ouvrage. Rosten est mort en 1995, sans la gloire de l’une ni de l’autre.

    « Ils pensaient qu’elle était dingue ; elle pensait qu’ils étaient bidon »

    Quarante ans plus tôt, un ami photographe lui téléphone un jour d’un parc voisin de son appartement. Dehors, il pleut. Peut-il passer avec une amie ? Comme on ne s’attend pas à voir débarquer une star chez soi, Rosten et sa femme ne la reconnaissent pas. Ils se contentent de la mettre à l’aise, de l’observer : « Elle pénètre dans le salon, trouve une chaise et s’assoit aussitôt, avec une certaine raideur, mais ses yeux sont espiègles. Elle se met plus à son aise avec un sourire timide. Je remarque ses chaussures mouillées et lui suggère de les enlever. Ce qu’elle fait. » Ils discutent des jardins botaniques de Brooklyn : « Elle écoute plus qu’elle ne parle ; ses phrases sont courtes, hachées. » Sur la table, elle remarque un livre de Rosten. Ce sont des poèmes écrits pour sa fille : « Ses yeux s’agrandissent. Elle ouvre et lit en silence. »

    Marilyn écrit des poèmes, lit beaucoup, en autodidacte, avec une curiosité dépourvue de cuistrerie. Elle aime Yeats, E.E. Cummings (1). « Quand elle se prit d’amour pour Dostoïevski et suggéra rapidement qu’elle aimerait jouer Grouchenka dans la version cinématographique des Frères Karamazov, écrit Rosten, le milieu littéraire snob éclata de rire. Elle s’en fichait ; ils pensaient qu’elle était dingue ; elle pensait qu’ils étaient bidon. Ils ne pouvaient pas comprendre qu’elle était sérieuse. » A une conférence de presse, elle dit qu’elle aimerait jouer à Broadway. Un journaliste : « Les frères Karamazov ? » Elle : « Je ne veux pas jouer les frères ; je veux jouer Grouchenka. C’est un rôle de femme. » Le journaliste : « Comment épelez-vous Grouchenka ? » « Eh bien, ça commence par un G, répondit-elle. » Son naturel dévoile les imbéciles qu’elle attire.

    Là où elle dort, dit-elle, « je veux qu’il fasse sombre, avec beaucoup d’air. » Elle aime le champagne, le caviar, se promène souvent sans culotte sous ses robes. Lors d’une séance d’essayage dans un grand magasin, la vendeuse, effrayée, découvre sa nudité. Elle essaie six robes, peut-être pour la gêner, puis les achète toutes. Elle a un chat, une perruche nommée Butch. Comme Mitterrand, elle aime les arbres. Tout le monde veut la rencontrer : l’homme de la rue, mais aussi Khrouchtchev qui va la saluer à sa table, Sukarno menacé qu’elle veut héberger chez elle.

    Une lune de miel de courte durée

    Bientôt, elle épouse Arthur Miller, vieil ami de fac de Rosten. C’est l’époque du maccarthysme, Miller, accusé d’être lié aux communistes, refuse de « dénoncer » qui que ce soit. Le Comité des activités antiaméricaines lui demande pourquoi il veut aller à Londres. « Mon objectif est double, répondit Miller. Je veux assister à la représentation de ma pièce, et accompagner celle qui va devenir ma femme. » Marilyn, bouleversée, appelle les Rosten : « Vous avez entendu ? Il l’a annoncé devant le monde entier. Il a dit au monde entier qu’il allait épouser Marilyn Monroe. Moi ! Vous vous rendez compte ! Il ne me l’a jamais demandé, vous savez ? » Et elle les appelle à l’aide. L’annonce du mariage attire les mouches, mais protège Miller : « Le Comité et les médias intelligents comprirent qu’ils ne pouvaient pas intenter un procès à l’amour. Si Miller allait épouser Marilyn, après tout, il ne pouvait être entièrement mauvais. »

    Rosten est témoin de la lune de miel, qu’il raconte. Elle est de courte durée. A Londres, le tournage du Prince et la danseuse se passe mal : la condescendance cultivée de Laurence Olivier et de ses collègues anglais rétracte Marilyn. La vie et le plateau se mélangent. Les rapports avec Miller se tendent, il « vivait de plus en plus comme un témoin de leur vie, et non comme un participant ». La descente est décrite avec délicatesse en quelques scènes mémorables, jusqu’au tournage des Misfits. Le scénario de Miller est beaucoup inspiré par l’échec de leur couple. Elle rejette certaines répliques, il grogne. Elle devient amie avec Clark Gable, dont sa mère avait une photo sur son bureau : elle a grandi « en l’identifiant à son père », lequel avait disparu. L’acteur meurt peu après : « Sa mort fut un coup terrible. Et la tentative de Marilyn de se ressaisir échoua. Elle tomba dans un état dépressif. Pendant cette période, elle alla, sans fanfare, à Mexico, où le mariage fut légalement dissous. »

    Toujours en retard, partout, pour presque tous

    Au début de leur amitié, Rosten lui propose d’aller voir la collection Rodin au Metropolitan de New York. Pendant des mois elle n’est jamais libre, puis, un jour, comme si la proposition venait d’être faite, elle l’appelle : « C’est moi, je suis prête, si tu veux bien. » Prête à quoi ? Marilyn a « une perception philosophique du temps ; elle pense que c’est une valeur arbitraire, donc, instinctivement, elle dédaigne l’importance qu’y accordent les fabricants de montres ou ceux qui se donnent des rendez-vous, car elle sait que le temps commence toujours mais ne finit jamais. » Elle est toujours en retard, partout, pour presque tous. Son psychanalyste dit à Rosten : « Lors de ses premiers rendez-vous, elle arriva en effet en retard. Je lui dis : “Vous rendez-vous compte de ce que votre retard signifie ? Il veut dire : Je ne vous aime pas Docteur Greenson. Je n’ai pas envie de vous voir […].” Après cela, elle n’est plus jamais arrivée en retard. Elle déjeunait souvent dans sa voiture pour être à l’heure. Et non seulement elle n’arrivait plus en retard, mais elle commença même à arriver en avance. Trop en avance. Une demi-heure, puis une heure. » Finalement, elle et Rosten vont voir l’exposition Rodin. Elle est fascinée par la Main de Dieu, qui « représente une énorme main, la paume ouverte, dans laquelle un homme et une femme sont enlacés dans une étreinte lyrique et passionnée. Ils sont ensemble et séparés. […] Marilyn fit plusieurs fois le tour de ce petit miracle blanc, ses yeux grands ouverts lorsqu’elle enleva ses lunettes noires ».

    Sept ans après, la femme au bout du rouleau, sans enfant, sans mari, sans films, est dans sa Cadillac avec chauffeur, dans Los Angeles, en compagnie de l’ami poète. Elle est maussade et lui dit : « Tu n’as jamais nagé dans ta piscine, tu es un ami minable. » Ils s’arrêtent dans une galerie. Marilyn remarque un petit bronze de Rodin : il « représentait les visages d’un homme et d’une femme se donnant un baiser passionné ; une image lyrique et puissante. L’attitude de l’homme était farouche, rapace, presque brutale, celle de la femme innocente, docile, humaine. Marilyn contempla la statue pendant plus d’une minute, puis décida de l’acheter ». Dans la voiture, « Marilyn tint la sculpture en équilibre sur un genou et la fixa intensément. Elle dit, enthousiaste : “Regarde-les, tous les deux. Comme c’est beau, il lui fait mal, mais il veut l’aimer aussi.” Rosten se souvient de la visite au Metropolitan : « Les amants enlacés dans cette paume représentaient alors une extase dont elle pouvait rêver et qu’elle comptait atteindre. A présent, le miracle était derrière elle, il ne s’était pas réalisé. »

    « Je n’ai aucun symbole phallique à perdre »

    Elle décide de s’arrêter chez son psychanalyste pour lui montrer la statue. Il accepte de la recevoir. « Marilyn posa aussitôt la statue sur le buffet près du bar, présentant fièrement son achat.

    – Qu’en pensez-vous ? lui demande-t-elle avec impatience.

    Il répondit tranquillement que c’était une magnifique œuvre d’art. Marilyn semblait particulièrement nerveuse et n’arrêtait pas de toucher les figures de bronze. La voix prenait une tournure agressive.

    – Eh bien, qu’est-ce que ça signifie ? Lui fait-il l’amour ou fait-il semblant ? J’aimerais savoir. Qu’est-ce que c’est que ça ? On dirait un pénis. » En 1958, alors que son mariage avec Arthur Miller tournait mal, elle avait écrit à Rosten : « Nous traversons le détroit de la Désolation. Ça tangue et ça roule, mais pourquoi m’en ferais-je ? Je n’ai aucun symbole phallique à perdre. »

    Le 3 août 1962, elle appelle de Californie les Rosten, qui sont sur la côte Est. Elle semble d’une vitalité débordante, demande comment ils vont, s’inquiète de ce qu’elle a dit au magazine Life, parle, parle. « Il y avait un message codé derrière ces phrases, et je n’arrivais pas à le déchiffrer. Le message, c’était : à l’aide ! Et elle continuait à bavarder. » Dans la nuit, il lui écrit : « Pourquoi avais-tu l’air si soucieuse au téléphone ? Détends-toi. » Au matin, elle est morte. Il n’a retrouvé la lettre, jamais envoyée, que des années plus tard. Elle clôt le livre, avec un poème, une oraison funèbre. Les livres, comme Marilyn, ont un autre sens du temps.

    (1) dans la même collection, les éditions Seghers publient en bilingue Erotiques, un recueil de poèmes (et de dessins) érotiques de E.E. Cummings, délicieux et sauvages, toute une grammaire des corps mise en vers libres et froissés : « d’abord elle comme la pièce d’une machinerie /mal huilée fait quelques trucs déshabillés […] /sa grande bouche marmonne un baiser s’te plaît ».

    Marilyn, ombre et lumière, de Norman Rosten. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Guérif, Seghers, 128 pp, 16 € (ebook : 10,90 €).


  • A.G. | 28 mars 2016 - 22:43 4

    Marilyn, dernières séances de Michel Schneider. Feuilleton en dix épisodes du 21 mars au 1er avril sur France Culture.


  • A.G | 29 juillet 2009 - 11:37 5

    Ce soir sur France 2 à 20h35 : Marilyn, dernières séances, un documentaire de Patrick Jeudy, à partir du livre de Michel Schneider.

    Point de vue : " Patrick Jeudy, réalisateur de plusieurs documentaires sur la famille Kennedy, a porté l’ouvrage à l’écran : c’est une réussite totale. La qualité des documents, l’intelligence du montage, la simple beauté des images en font un documentaire hors pair : " Marilyne, dernières séances " est un plaisir rare. " (François Forestier, Téléobbs)