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Le rire de Céline

Edition illustrée du Voyage (1935)

D 18 décembre 2007     A par D. Brouttelande - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dans le journal du mois d’octobre 2007, Philippe Sollers, accordait une entrée à Céline, occasion pour pileface de tracer quelques références à Céline dans les écrits de Ph. S. En voici, une autre, intéressante par la date de cet écrit : 1963. L’auteur a 27 ans, et déjà, il évoque « le rire de Céline ». Occasion aussi, pour le lecteur curieux, de comparer la forme et le style dans le temps de ces presque 45 ans qui séparent cet écrit de ses « mémoires » et ce « journal du mois ». Quant au fond, le Sollers 2007 est déjà dans le Sollers 1963. Louis-Ferdinand Céline est mort à Meudon, deux ans plus tôt, le 1er juillet 1961, d’ une hémorragie cérébrale. Son décès ne sera annoncé par la presse qu’après son inhumation au cimetière de Meudon.

Pileface


Le rire de Céline

Pour finir, dans l’ombre mortelle que notre société ne pouvait qu’imposer à son génie, Céline, dont l’art était parvenu à son comble (il le commente de manière savamment grotesque dans l’Entretien avec le professeur Y : s’il écrit, dit-il, c’est pour rendre les autres illisibles, c’est le « style émotif », direct, le « crawl » surpassant la brasse), Céline a réussi des chefs-d’oeuvre comme D’un château l’autre et Nord, bien supérieurs, je crois, au Voyage et à Mort à crédit. Le cauchemar historique que nous vivons a trouvé en lui son seul chroniqueur exact. Qu’il ait eu des opinions plutôt folles (et rétroactivement « impardonnables »), c’est évident. C’est même tellement évident qu’on peut soupçonner une entreprise délibérée, trop voyante pour ne pas cacher une cible secrète : « Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage. » (Rimbaud.) Malheureusement pour lui, il était doué.

Céline n’a pas craint de faire du bruit avec des paradoxes équivalents à notre sommeil. L’avantage imprévu de sa voix - qui n’a pas peur de l’obscénité, et, par conséquent, l’annule - est de couvrir désormais par l’absurde celle des mégalomanes qui ont essayé - essaieront - de nous intimider. Lui, détestait les hommes, leur cruauté, leur fadeur (celle-là même du sang qu’ils font couler). Avec eux, et leur monde de « branlettes mécaniques », c’était de toutes façons le malentendu. Ils n’ont pas reculé, bien sûr. Lui non plus.

D’où, chez lui, ce piétinement un peu accablant, ce refus de toute dialectique (justification immorale par excellence). D’où ce défi lancé à l’intelligence moyenne, rassurante, dont les bons sentiments alimentent, en feignant de le contester, chaque crime. Quelle force pour repousser cette intelligence-là.

Qu’on ne dise pas qu’il a soutenu un parti contre un autre : ses tableaux sont automatiquement implacables. Il était contre tout ce qui incarne. Se prend pour. Merveilleux démystificateur. Bouffon précis. Clinicien. Expert. Désintéressé. Personne n’a mieux inventorié, avec une plus superbe mauvaise foi, les sournoiseries de la pose. Caricature ? Sans doute. Mais que paraissons-nous, qui rencontrons-nous sinon des caricatures ? Comment ne pas penser ici au fameux : « Tics, tics et tics », et à son symétrique dans le Temps : « Words, words, words » ?

Le rire de Céline servira encore contre beaucoup de faiseurs. Il est là, choeur syncopé, sur le devant de la scène : rien de ce qui s’agite, affirme, s’arrête, ne lui échappe. Aucune maladie. Aucune excroissance. Prose antibiotique, qui défend, comme les dragons des contes, l’entrée de la poésie.

Certainement, ces livres resteront, dans un futur qui dépassera l’imagination, les seules marques profondes, hagardes, de l’horreur moderne. Isolé, moins coupable que d’autres aujourd’hui couronnés ou en place (on sait toujours s’y prendre pour sabrer le véritable talent), Céline n’a pas cessé de crier une vérité dont nous mourrons tous. Il n’a pas cédé aux commandes tièdes ; il a refusé d’être l’homme pseudo-moral dont la dégradation béate a fini de nous amuser. Peut-être, d’ailleurs, s’est-il borné volontairement l’esprit pour attirer l’attention sur sa syntaxe. Son coup d’ ?il est infaillible, d’une pénétration qu’il refuse à sa raison. Il a inventé, en français, une rythmique inouïe. N’est-ce rien ? On peut saluer en lui (comme en Artaud ou Joyce) un courage irréductible. Plaignons ses imitateurs.

Philippe Sollers, 1963

Théorie des Exceptions, Gallimard, Folio Essais, 1985, p 112-114



Edition illustrée du Voyage (1935)

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édition illustrée de 1935, en 2 vol.
(le Voyage est de 1932)

28/12/07


L’autre rire de Céline

Louis-Ferdinand Céline est aussi l’auteur de pamphlets haineux, notamment Bagatelles pour un massacre (1937) et l’École des cadavres (1938) qui « mêlent des pages d’une confondante beauté, sur l’écriture ou la danse, à des satires d’une rare virulence contre les Juifs ». Il a suscité, à la fois admiration et répulsion chez beaucoup d’écrivains. Jean-Louis Bory est de ceux-là et voici comment il le dit et évoque aussi le rire de Céline :

L’outrance dans les thèses, l’impudence dans les arguments me paraissaient haïssables, je les haïssais donc. Avec application je me fermais les oreilles et le c ?ur au lyrisme satanique des pamphlets. Devant ce Pierrot-Arlequin à la mesure de notre planète, à la fois athlète et saltimbanque, sanglotant et rageur, pitoyable et grotesque, admirable et odieux, je n’accepterai plus que de me blesser aux éclats de son mauvais rire. Mais que j’ouvre le Voyage, Mort à Crédit - ou, plus tard, D’un Château l’autre ou Nord, ma rancune s’évanouissait.

Pileface

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