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Guy Debord au cinéma

A propos des "Oeuvres cinématographiques complètes" de Guy Debord

D 5 juillet 2007     A par Albert Gauvin - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Guy Debord s’est donné la mort le 30 novembre 1994.

Un mois avant sa mort, Gallimard avait publié ses Oeuvres cinématographiques complètes. 1952-1978. Titre qui aurait dû faire rire celui qui écrivait, dans In girum imus nocte et consumimur igni [1978] :

« A considérer l’histoire de ma vie, je ne pouvais pas faire ce que l’on appelle une oeuvre cinématographique. »

Le 9 janvier 1995, Canal+ passait le dernier film auquel il avait collaboré : Guy Debord, son art et son temps. C’est donc sous le signe du cinéma et de la télévision comme reflets de la société du spectacle et instruments de sa critique que Debord disparaissait et le faisait savoir. Si le cinéma, c’est la mort (ou « la mort au travail »), il faut noter que que c’est à la toute fin de son dernier film, Guy Debord, son art et son temps, que Debord y annonce, souverainement, les raisons de son suicide : une « polynévrite alcoolique [...] devenue réellement pénible seulement à partir de la fin novembre 94. »

On ne l’a pas assez remarqué.

Contrairement à une idée reçue, Debord ne haïssait pas les images. Ou plus exactement, il n’en avait pas une conception simpliste. S’il pouvait affirmer dans dans ses Commentaires sur la société du spectacle que « l’image est devenue le principal rapport de l’individu au monde qu’auparavant il regardait par lui-même », n’écrivait-il pas au début de Panégyrique : « Les tromperies dominantes de l’époque sont en passe de faire oublier que la vérité peut se voir aussi dans les images » ? Ce que Debord critiquait, c’est le « respect d’enfants pour les images », ou, comme le remarque Sollers, « la formidable aliénation industrielle par l’image ».

Évidemment cette critique suppose tout un art, du montage en particulier.

Les films, longtemps invisibles — Debord lui-même les avait retirés de l’affiche en 1984 après l’assassinat de son ami le producteur Gérard Lebovici —, sont maintenant disponibles en DVD. Il n’est pas inutile de les revoir et de les écouter. Certains, In Girum par exemple, ont gardé toute leur force subversive.
Est-il encore possible d’y entendre le sens des images et des sons qui s’y manifestent à un moment où le "spectaculaire intégré" a encore décuplé sa puissance ? On en fait le pari.

Quelques jours après la mort de Guy Debord, Philippe Sollers écrivait un court article dans le journal Le Monde. Publié sous le titre Puissance du spectacle, il sera repris dans Éloge de l’infini sous le titre Guy Debord au cinéma.

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Guy Debord en 1959, tournage de "Quelques personnes à travers une assez courte unité de temps".
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Puissance du spectacle

« La fonction du cinéma, écrivait Guy Debord il y a déjà longtemps, est de présenter une forme cohérente isolée, dramatique ou documentaire, comme remplacement d’une communication et d’une activité absentes. » Effacer le cinéma de sa propre vie revient donc précisément à rentrer en communication avec soi. C’est un acte : on ne perçoit plus le réel comme toujours-déjà-filmé (ce qui est le but des propriétaires de la société), on neutralise la violence communicative imposée (celle qui se déchaîne, jour et nuit, dans l’appareillage technique), on reprend sa parole comme dimension présente.

Rares, très rares, sont les films qui, eux-mêmes, auront tenté de faire la critique directe de cette formidable aliénation industrielle par l’image. On peut citer tous les films de Debord : quelques Godard (dont son récent autoportrait, (JLG/JLG, inédit [1]) ; Méditerranée de Pollet (à cause de sa leçon de montage) [2] ; celui enfin que j’ai réalisé à partir de La Porte de l’Enfer de Rodin [3]. Là, et là seulement, le spectacle dans son ensemble se trouve interpellé, renversé, combattu, pensé. « Le spectacle est l’affirmation de l’apparence et l’affirmation de toute vie humaine comme simple apparence. » Ou encore : « Le spectacle, comme organisation sociale présente de la paralysie de l’histoire et de la mémoire, est la fausse conscience du temps. » Voilà ce qu’on peut lire (ou relire) dans ce livre magnifique qui vient de reparaître ces jours-ci, en même temps que son auteur choisissait de se donner la mort.

Le spectacle est de plus en plus tout-puissant ? Cela va sans dire. « Les spécialistes du pouvoir du spectacle, pouvoir absolu à l’intérieur de son système du langage sans réponse, sont corrompus absolument par leur expérience du mépris et de la réussite du mépris ; car ils retrouvent leur mépris confirmé par la connaissance de l’homme méprisable qu’est réellement le spectateur. » Où que l’on se tourne, on ne rencontre que cette crédulité spectatrice, ce « respect d’enfants pour les images ». Le comportement de chaque individu en est infecté, ses sensations, sa mémoire, ses rêves. Banaliser, falsifier et égaliser l’espace ; confisquer le temps au profit d’une représentation d’un temps artificiel, voilà ce que le cinéma, et son cancer local, la télévision, veulent. « La réalité du temps a été remplacée par la publicité du temps. » Dans ces conditions, parler d’un "bon cinéma" ou d’une "bonne télévision" constitue, même si cela n’est pas faux, un mensonge supplémentaire. Il y aura de "bons CD-Rom" comme il y avait, autrefois, des livres moins mauvais que d’autres. Le marché du cinéma n’est qu’un des noms du cinéma du marché : son règne est obligatoire.

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L’affiche du film produit par Gérard Lebovici

A propos de son film La Société du spectacle, Debord écrivait avec humour : « Les spécialistes du cinéma ont dit qu’il y avait là une mauvaise politique révolutionnaire ; et les politiques de toutes les gauches illusionnistes ont dit que c’était du mauvais cinéma. Mais quand on est à la fois révolutionnaire et cinéaste, on démontre aisément que leur aigreur générale découle de cette évidence que le film en question est la critique exacte de la société qu’ils ne savent pas combattre ; et en premier exemple du cinéma qu’ils ne savent pas faire. »

On peut remplacer ici le mot « cinéma » par celui de « littérature » : le raisonnement restera le même. Les spécialistes de la littérature diront maintenant d’un livre révolutionnaire qu’il est de la mauvaise politique ; et les politiques de toutes les gauches illusionnistes (devenus, depuis vingt ans, super-illusionnistes en bloc) diront que c’est de la mauvaise littérature.

Pendant ce temps, personne ne semble avoir remarqué la musique qu’utilise Debord dans ses films : Delalande, Couperin, Michel Corrette. On rappellera, en passant, qu’il s’agit de musiciens français.

Philippe Sollers, Le Monde du 06/12/94.

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Hurlements en faveur de Sade, 1952 (01:03:31)

Fiche du film

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Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, 1959 (18’49)

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Fiche du film

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Critique de la séparation, 1961 (17’23)

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Fiche du film

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La Société du spectacle, 1973

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Note pour le film La société du spectacle.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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Réfutation de tous les jugements, 1975 (21’46)

« L’organisation spectaculaire de la présente société de classes entraîne deux conséquences partout reconnaissables : d’une part, la falsification généralisée des produits aussi bien que des raisonnements ; d’autre part, l’obligation, pour tous ceux qui prétendent y trouver leur bonheur, de se tenir toujours à grande distance de ce qu’il affectent d’aimer — car ils n’ont jamais les moyens, intellectuels ou autres, d’en venir à une connaissance directe et approfondie, une pratique complète et un goût authentique. Ce qui déjà est si apparent quand il s’agit de l’habitat, du vin, de la consommation culturelle ou de la libération des moeurs, doit être naturellement d’autant plus marqué quand il s’agit de la théorie révolutionnaire, et du redoutable langage qu’elle tient sur un monde condamné. Cette falsification naïve et cette approbation incompétente qui sont comme l’odeur spécifique du spectacle, n’ont donc pas manqué d’illustrer les commentaires, diversement incompréhensifs, qui ont répondu au film intitulé La société du spectacle. » (esprit68.org )

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In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni, 1978

Le titre du film est un palindrome latin qui se lit donc indifféremment de gauche à droite et de droite à gauche et qui signifie « Nous tournons en rond dans la nuit et nous serons dévorés par le feu ».
« Je ne ferai dans ce film aucune concession au public. Plusieurs excellentes raisons justifient, à mes yeux, une telle conduite ; et je vais les dire. Tout d’abord, il est assez notoire que je n’ai nulle part fait de concessions aux idées dominantes de mon époque, ni à aucun des pouvoirs existants. Par ailleurs, quelle que soit l’époque, rien d’important ne s’est communiqué en ménageant un public, fût-il composé des contemporains de Périclès ; et, dans le miroir glacé de l’écran, les spectateurs ne voient présentement rien qui évoque les citoyens respectables d’une démocratie... » [4]

In girum imus nocte et consumimur igni from Magazin on Vimeo.

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Note pour le film In Girum.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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L’intégrale découpée

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Guy Debord, son art et son temps, 1994

Film de Guy Debord
Réalisé par Brigitte Cornand
Moyen-métrage (60 min), noir et blanc
Documentation : Géraldine Gauvin
Montage : Jean-Pierre Baiesi
Musique de Lino Léonardi extraite de son album consacré aux poèmes de François Villon.

Production déléguée : INA, avec la participation du CNC
Coproduction : Canal+/INA

Rediffusé sur M6.

Archives A.G.
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Dernière déclaration de Guy Debord communiquée à Brigitte Cornand par Alice Debord pour paraître à la fin du film Guy Debord, son art et son temps le 9 janvier 1995 :

« Maladie appelée polynévrite alcoolique, remarquée à l’automne 90. D’abord presque imperceptible, puis progressive. Devenue réellement pénible seulement à partir de la fin novembre 94. Comme dans toute maladie incurable, on gagne beaucoup à ne pas chercher, ni accepter de se soigner. C’est le contraire de la maladie que l’on peut contracter par une regrettable imprudence. Il y faut au contraire la fidèle obstination de toute une vie. »

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Guy Debord, son art et son temps : le scénario inédit

Les dernières projections de Guy Debord par Hélène Hazera

Le film-testament de Guy Debord

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FILMS DE GUY DEBORD SUR UBUWEB

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Saint Guy, 12 juin 2001.

Frédéric Badré, Cécile Guilbert, Yannick Haenel, François Meyronnis, Stéphane Zagdanski parlent de Guy Debord.

Autour de Guy Debord

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Lire de Giorgio Agamben :
Le cinéma de Guy Debord, extrait de Image et mémoire, 1995.

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Écoutez Une vie Une oeuvre et Projection privée (cette dernière émission avec Cécile Guilbert et Stéphane Zagdanski (France Culture, printemps 2013).

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Détournement
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[1Note Pileface : Le film, tourné en 1993, est sorti en mars 1995.
L’année suivante sortait For ever Mozart (aussi beau que le précédent). A cette occasion, Jean-Luc Godard avait souhaité rencontrer Philippe Sollers, Alain Finkelkraut, Jean-François Lyotard et Jean-Claude Biette. Cette rencontre eut lieu le 26 novembre 1996 à la télévision lors d’une émission de Laure Adler. For ever Mozart sortait le lendemain. Cf. Godard à portée de main.
Les textes des deux films sont publiés chez POL.

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JLG/JLG. Autoportrait de décembre.



A propos de JLG (son parcours) voir ici

” L’image ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte. Deux réalités qui n’auront aucun rapport ne peuvent se rapprocher utilement. Il n’y a pas de création d’image et deux réalités contraires ne se rapprochent pas, elles s’opposent. “
Jean-Luc Godard, dans Sans Entraves et sans temps morts, de Cécile Guilbert, Gallimard, 2009, p.70.

[4La bande-annonce.

« Compression In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni de Guy Debord » (2009) par Gérard Courant est la réduction de In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni de Guy Debord en un film de 3 minutes. Le film est « compressé » à la manière d’une œuvre d’Arman ou de César. Mais à la différence du travail de ces artistes qui compressaient des objets usuels, Compression In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni de Guy Debord compresse une œuvre d’art !
Le tour de force et le pari a été de fabriquer une compression totale : dans ce film, il ne manque pas un seul plan du film original.

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Lire : Serge Milan, L’étendard de Guy Debord.

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4 Messages

  • Albert Gauvin | 7 décembre 2023 - 12:45 1

    10 films et bandes-annonces au vidéo-club de la GGG

    Voici aujourd’hui tout le cinéma de Debord, ce dont il est question dans Debord ou la diffraction du temps (liens vers les films après le texte). LIRE ICI.


  • Albert Gauvin | 27 juillet 2019 - 09:14 2

    Du 19 au 20 octobre 2019, la Cinémathèque consacrera une rétrospective à Guy Debord.

    Fondateur de l’Internationale situationniste, théoricien de la société du spectacle, Guy Debord est l’auteur d’une œuvre cinématographique serrée – trois longs métrages, trois courts – et subversive, qui jumelle avec ses écrits. Son but : arracher le spectateur de cinéma à la passivité et l’aliénation imposée par l’ordre spectaculaire marchand », l’engager dans un rapport nouveau à partir duquel repenser la vie et la société. Pièce éminente de l’histoire des avant-gardes et des idées en France, l’entreprise guerrière de Guy Debord, derrière l’apparente sévérité de sa réputation, porte la marque d’un humour souverain et d’une radicale mélancolie qui ne dit pas son nom.

    GUY DEBORD PAR OLIVIER ASSAYAS

    Depuis que les films de Debord sont de nouveau accessibles, et qu’on peut donc les penser, la mise en perspective historique de son œuvre évolue plutôt du côté des arts plastiques, du cinéma expérimental. On peut se demander si ce n’est pas là précisément ce que Debord redoutait. L’importance des films excède ce cadre, mais les historiens du cinéma, ses théoriciens, ne se sont jamais, à ma connaissance, préoccupés de placer son œuvre dans la perspective plus large d’une réflexion sur le cinéma contemporain, sur l’évolution de la post-cinéphilie. Et ce notamment parce que ce champ, que Debord devrait occuper, l’est en partie par Jean-Luc Godard, qui n’est pas si loin de Debord mais en même temps tout à fait l’inverse. Il est donc très difficile de faire cohabiter les deux.

    Le plus troublant c’est la beauté des films. Là encore, Debord aurait-il aimé qu’on dise que La Société du spectacle (1973), c’est d’abord beau, et ensuite intelligible ? Il y a toujours chez lui cette préoccupation pour la forme, pour l’élégance de l’écriture, littéraire ou cinématographique, c’est elle qui valide la pensée, qui assure sa pérennité. D’une certaine façon, le cinéma révèle le contenu poétique du livre, sa dimension la moins visible, certainement la moins reconnue. La musique de Corrette sur les images de La Société du spectacle suscite une profonde émotion. Cela dit, le film est plus difficile, à beaucoup d’égards, que In girum imus nocte et consumimur igni (1978), qui appartient à une autre époque de l’œuvre de Debord, où il renoue de façon plus littérale avec la pratique artistique.

    In girum imus nocte et consumimur igni commence par un texte qui pourrait être une sorte de commentaire de La Société du spectacle, en tout cas comme une remise à jour de la théorie du spectacle, adaptée à une période où les idées révolutionnaires sont en net recul, et où on retourne à une sorte de jouissance de la consommation. Après le prologue vient l’évocation littéraire du passé, où tout d’un coup se déploie un côté Bossuet, et l’on sent une sorte de plénitude dans cette expression à la première personne, qui était absente avant. Il se produit le passage de la voix théorique au « je ». De ce point de vue-là, chaque fois que je rencontre des gens qui n’ont pas lu Debord, qui le connaissent mal, qui le comprennent mal, ou qui se sont cassé les dents en lisant les premiers chapitres de La Société du spectacle, je leur dis : voyez In girum..., c’est sans doute la meilleure introduction à l’œuvre de Debord. Tout y est.

    Olivier Assayas
    Propos recueillis par Laurence Le Bras, Emmanuel Guy et Thierry Grillet (décembre 2012)

    Calendrier des projections.


  • A.G. | 11 janvier 2010 - 09:21 3

    De Stéphane Zagdanski (ce jour) :

    « http://parolesdesjours.free.fr
    _ "Debord contre le cinéma", de Stéphane Zagdanski.
    _ Ce texte peut être conçu comme un chapitre inédit de "La mort dans l’oeil". »

    *

    Coup de pub (pour en savoir plus) :

    — « La mort dans l’ ?il : Critique du cinéma comme vision, domination, falsification, éradication, fascination, manipulation, dévastation, usurpation » a été publié aux éditions Maren Sell en 2004.

    _ — voir La mort dans l’ ?il (septembre 2004)
    _ — lire aussi de Jonathan Mangez (2008) : À propos de La mort dans l’oeil
    _ — une discussion entre Daniel Guthmann et Stéphane Zagdanski (2005) : Métaphysique du cinéma
    _ — une autre entre Jean-Luc Godard et Stéphane Zagdanski Littérature et Cinéma (4 novembre 2004).

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    Godard face à Zagdanski


  • A.G. | 3 janvier 2010 - 15:15 4

    Dossier complété et mis à jour le 3 janvier 2010.