On en parlait, on savait qu’ils étaient là, quelque part, on en avait vu certains, ici ou là, mais il était difficile d’imaginer qu’ils étaient groupés en masse offensive, harmonique, formant une percée sans équivalent dans la représentation des corps.
Les voici donc, ces dessins [...] A quoi pense le Penseur ? A ça. Que contemple, enfermé en lui-même et rejeté en arrière, le Balzac ? Ca. Sur quoi ouvre la Porte de l’Enfer ? Sur ça. A quoi rêve Hugo sans pouvoir le dire ? A ça. D’où sortent tant de bustes, de mains, de jambes et de gestes, de visages tendus, de couples musculeux, de demi-dieux ou déesses emportées ? De ça. De ces femmes uniques, au pluriel nu, en situation extrême. Découvrant en mouvement leur sexe, le désignant et le profilant, l’imposant de face, Méduse enfin affrontée et vaincue par au moins un explorateur ou criminel de fond, encore un Français comme par hasard, concentré, obstiné, au milieu de la régression générale, atelier réservé, convenances dehors, en pleine action dedans, on ne pourra évidemment montrer le résultat que beaucoup plus tard.
[...]
Une bacchante, une courtisane, une coquille, une araignée, une constellation, une Danaé, - et puis Satan, le Diable en personne. Avec sa vibration et son fouet. Il y a un tremblement, un tressautement, des étincelles, un courant de possession furieux et pourtant serein. Assises, allongées, emboîtées, elles tournent. Rodin, jupitérien sous forme d’une pluie d’ondes, les pénètre de toutes parts, ces mortelles ou demi-mortelles, il se situe exactement à l’intersection de leur jouissance et du trait. [...]
S’il fallait en choisir une, ce serait le numéro 6187.
En regardant, j’écoute L’Enlèvement au sérail, de Mozart.
Philippe Sollers, Rodin, dessins érotiques, avec Alain Kirili, Gallimard, 1987
Qu’y a-t-il sur vos murs ? [1]
Presque rien. Un dessin de Rodin, un petit nu ; un magnifique rouleau que j’ai trouvé dans un coin à Pékin — de la calligraphie. Elle représente mon idéal, le paysage avec l’écriture, le tableau en même temps que le poème. C’est magnifique de ne pas accepter la dislocation entre d’un côté ce qu’il y a à voir et de l’autre ce qu’il y a à dire. C’est la même chose.
Propos recueillis par Pierre Assouline
Extrait de "Le jardin secret de Philippe Sollers"
Voir aussi : « Rodin, le culte du nu » par Alain Kirili
[1] Dans son bureau, chez Gallimard.
2 Messages
La Saisie du modèle, Rodin, 300 dessins 1890-1917
Jusqu’au 1er avril 2012 au Musée Rodin
Quelques dessins de l’exposition
Rodin, Femme nue agenouillée, de dos, le vêtement relevé jusqu’à la taille
et d’autres encore, commentés par Sollers, dans notre dossier sur La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin
Sollers le Sacré possède tous les pouvoirs artistiques car il sait voir, et, comble de générosité, nous en fait part.
De tous ces dessins érotiques de Rodin, sur fond de Mozart, il transporte le profane désireux de beauté, à la croisée de l’Art. Il doit bien exister un carrefour où Sollers fait la circulation !
Ses goûts, avides dans leur diversité nous éclairent sur le monde des artistes définitifs, complexe et pas toujours simple de décryptage.
A croire que l’Art, muet, n’attendait que Sollers pour entrer en communion avec le commun des mortels, côté pile, avec les initiés, côté face. Paradoxe, quand tu nous tiens !
De Fragonard à Courbet, il nous emmmène en Chine, fera un détour par l’Allemagne afin d’affiner ses connaissances philosophiques, n’oubliera pas Cézanne et la Provence, pour arriver enfin à l’apothéose archi-texturale de Venise.
Entretemps, grand seigneur, il nous aura invité au Crazy Horse, où, la Naissance du monde exposent ses divines créatures.
Luz, (lumière en espagnol), doit éclairer notre Bordelais préféré, à très forte dose !
Voir en ligne : http://valeriebergmann.hautetfort.com/