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La guerre des sexes

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur, 16/03/2006.

D 2 février 2007     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« J’étais derrière toi », un roman de Nicolas Fargues.

Un couple marié, avec enfants, se déchire. Sur l’amour, la jalousie, l’humiliation, le désir et l’enfer, le trentenaire Nicolas Fargues a écrit un roman magnifique.

C’est une chose qui se voit, se dit, s’écrit, se chuchote : le mâle (et surtout le mâle français) va mal, il est prêt à abandonner la partie, il est fatigué, usé, déprimé, contradictoire, ruminant, ralenti, poussif. Il perd le pouvoir, les femmes s’en emparent, retour de bâton historique, revanche normale. Un effondrement a donc eu lieu, mais pourquoi ?
Le stupéfiant roman de Nicolas Fargues radiographie la situation. Jamais on n’a encore aussi bien décrit, dans un style soutenu et vif, la nervure de la guerre des sexes et l’aliénation masculine de notre époque, celle des hommes de 30 ans dont les mères semblent avoir perturbé le tonus.
Modiano nous a déjà dit les ravages de sa mère « au coeur sec ». Houellebecq, de son côté, a insisté sur le traumatisme subi dans son enfance par l’absence de tendresse de la sienne. Fargues, lui, va plus loin : son narrateur est constamment lessivé par sa vie de couple. Il va s’en tirer, mais à quel prix.

C’est une confession crue, brûlante et hâtive. Le narrateur blanc adore sa femme noire, ils ont deux enfants, ils vivent dans un drôle de pays tropical. Le contrat est celui d’une fidélité absolue et d’une transparence réciproque constante. On est donc en pleine idéalisation fusionnelle, fatale erreur. Le narrateur fait un petit écart de conduite et il l’avoue : deuxième erreur. A partir de là, sa femme le trompe à son tour, mais le lui reproche, et c’est la violence déchaînée, la cruauté jalouse au jour le jour. Le narrateur ne se fait pas de cadeau, il se trouve monstrueux, sacrilège, coupable, il parle de « sa sale gueule de saccageur d’épouse et de mère », il accepte toutes les humiliations, au point de se faire tabasser par son épouse avec un manche à balai en aluminium dévissé de sa brosse. « En fait, constate-t-il, j’ai épousé une folle. »
Portrait : « Alexandrine m’impressionne trop, elle est trop grande, trop femme, trop froide, trop distante, trop sévère, trop altière, trop intelligente, trop exigeante, trop imprévisible, trop foudroyante, trop punitive, trop crispée, trop âpre, trop perpétuellement insatisfaite de tout, trop orgueilleuse, trop agressive [...], le cul entre nous, c’était pas de la rigolade, c’était un drame, c’était devenu pour moi un vecteur d’angoisse absolue, et pas moyen de rigoler avec ça... »

Voilà l’enfer : on ne rigole pas, on s’appartient corps et âme, on n’a pas droit au secret, on doit dire la vérité en jurant sur la tête des enfants, on ne passe rien, on s’espionne, on se soupçonne, on souffre, on croit qu’on a raison de souffrir. Et tout cela parce que le narrateur, « Don Juan contrarié, fidèle, idéaliste, romantique », a cru pouvoir éviter la guerre, ce qui revient à la porter à son comble.
Moralité : « Je viens de réaliser que je viens de perdre tant d’années de ma vie à chercher et à recevoir de la douceur et de la bonne humeur d’une femme qui me trouvait trop doux, pas assez mec à son goût. » En somme, il est resté « comme un môme avec sa môman ». Stupide.

Et voici le contre-poison : le narrateur est en Italie, il dîne dans un restaurant avec des membres de sa famille, il va très mal, mais le serveur lui apporte un petit mot en italien signé Alice : « J’étais derrière toi », avec un numéro de téléphone. Une fille le drague donc. « Je trouvais ça osé, sexy, féminin, italien. »
Fargues n’a pas assez de mots admiratifs pour la vie en Italie, la vie toute simple, l’air, la détente, au-delà des clichés et des stéréotypes culturels. Il va téléphoner à son Italienne, une étudiante de 20 ans. Elle est très jolie, c’est « une nana vive, vivante, marrante, alerte, critique, pas narcissique ». Les plus belles pages du livre racontent cette rencontre. C’est tout de suite l’entente consciente, la souplesse, et pourquoi pas, l’amour.
Bien entendu, la guérison n’est pas immédiate, le narrateur retourne en enfer, avoue, obéit à sa femme, lui promet de rompre avec son Italienne, se trouve minable, lâche, odieux, se voit obligé de jouer dans une mauvaise série télé, plaint sa femme en larmes, dont il dit très justement : « Elle me haïssait de ne pas être aussi malheureux qu’elle. »
Il apprend la clandestinité, les coups de téléphone en douce, les SMS envoyés à des milliers de kilomètres, avec des réponses en italien qu’il est obligé de traduire. (Alice et lui, quand ils se parlent, le font dans un anglais approximatif.) Pour finir, il cesse de se sentir coupable, apprend à être « impie » en mentant sur la tête de ses enfants, et va même, miracle, jusqu’à citer Nietzsche : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » C’était bien une question de vie ou de mort.

Adieu donc Alexandrine, bonjour le désir, bonjour l’Italie, bonjour Alice, et surtout bonjour à soi-même, après une vie de chien tenu en laisse par sa propre peur. « Je me suis sauvé la vie », dit-il. On sent décidément que ce magnifique roman est beaucoup plus qu’un roman, et c’est pourquoi on a envie de souffler à l’auteur : bonne chance.

Philippe Sollers

« J’étais derrière toi », par Nicolas Fargues, POL, 218 p.

Né en 1972, Nicolas Fargues vit à Madagascar, où il dirige l’Alliance française. Il a publié notamment « One Man Show » et «  Rade Terminus ».

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