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Le rire de Sollers, par Yannick Haenel

suivi de Éclipse Sollers par Philippe Lançon (Charlie Hebdo du 17 mai)

D 17 mai 2023     A par Albert Gauvin - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Le rire de Sollers

Yannick Haenel

Mis en ligne le 17 mai 2023
Paru dans l’édition 1608 du 17 mai

Philippe Sollers est mort le 5 mai, à 86 ans. Il était mon éditeur, il était mon ami, nous avons dialogué pendant vingt-cinq ans dans son bureau chez Gallimard et dans un café qui s’appelle, je souris en écrivant ces lignes, L’Espérance. Il m’a appris ce qu’est la littérature comme forme de pensée, comme ouverture des sens, comme poésie et liberté, comme rire.

Son rire, justement, je l’entends encore, et je revois ce plissement des yeux, presque chinois, qui accompagnait d’un trait d’indulgence la manifestation de son humour. Ne croyez pas la propagande qui vous dira à son propos qu’il était mondain et désinvolte, fuyez ceux qui le réduisent par intérêt (ou par connerie) à son fume-­cigarette : sa profondeur se révèle dans tous ses livres, son cœur était avant tout philosophique, son ironie vient des Lumières, c’était un voltairien rigoureux, un passionné de Mozart qui se moquait de la respectabilité. Le monde n’est supportable qu’à la condition que rien n’en soit respecté, une idée ne devient intéressante qu’après qu’on en a ri au moins une fois : voilà ce qu’était son credo. C’était un vrai nietzschéen : la moraline lui répugnait, la bêtise des offusqués professionnels lui pompait l’air.

Sollers aimait le Pape

Il est possible que l’ironie soit devenue la chose la moins acceptée par la société. Rire pour démystifier, se moquer de la pesanteur d’esprit, n’est-ce pas pourtant la véritable intelligence  ? En cela, Sollers était très Charlie. Vous allez me dire que Sollers aimait le pape. Et alors  ? J’aime le Christ, ce génie. Je n’en trouve pas moins que toutes les religions sont des machines à asservir. L’absolu, c’est privé. Le fanatisme, c’est la mort.

Sollers, sa vérité relève d’un anarchisme bourgeois. Étrange animal réfractaire s’opposant de l’intérieur du système à ce Gros Animal qu’est la société. Était-il de droite  ? Certainement pas. De gauche  ? Soyons sérieux. Il n’idéalisait pas la politique. Seule comptait à ses yeux l’expérience sensorielle, la poésie de Rimbaud, les oiseaux d’Ars-en-Ré, la solitude de la littérature, Venise et Picasso, le jazz, Proust, Joyce, la magique étude du bonheur et l’intelligence des femmes. Il aimait le Marquis de Sade parce qu’il ne tolérait aucune censure, surtout pas en matières sexuelles. Il adorait la presse, lisait tous les journaux. Quand je lui ai dit, il y a huit ans, que j’allais écrire dans Charlie, il m’a répondu, à la manière de Lacan : « Plus on est de saints, plus on rit. »

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Qu’est-ce qu’il voulait dire  ? Les saints seraient donc drôles  ? Alors vive la sainteté  ! Je lis et relis ses livres, mille fois plus beaux que ce qu’on dit de lui et de son « image sociale » (quelle expression  !). Seule compte la liberté du langage, et son grand fou rire. Et s’il y en a bien un qui était à fond pour la liberté d’expression, c’est Sollers.

Éclipse Sollers

Philippe Lançon

Il y a douze jours, Philippe Sollers s’est éclipsé. J’en conclus qu’il reviendra  ; fugace et éternel retour dont, tels les Incas du Temple du Soleil, je me réjouis : les bibliothèques, la mienne en tout cas, sont faites pour ça. Elles entretiennent quelques miracles dans la nuit et me murmurent aujourd’hui que le vide laissé par l’auteur de L’Éclaircie, en cette époque pesante et malveillante, dans ce monde d’épiciers vides, de boyards numériques et d’insoumis à culs de plomb, est une illusion.

Sa disparition m’a fait chagrin, comme disait une grand-mère. J’ajoute qu’elle m’a surpris, car, bien que le sachant malade, je continuais de le croire paré de cette vertu propre aux écrivains qui semblent ouvrir et fermer les parenthèses autour d’une existence de lecteur : survivant, résistant, sans âge et sans frontières , toujours en mouvement tel qu’en lui-même. 86 ans  ? Tu parles  !

J’aurais préféré qu’il continue d’écrire chaque année un livre de plus, semblable à ceux des vingt dernières années, un de ces livres qui ne se vendaient pas et dans lesquels j’entrais et sortais n’importe quand, n’importe où, le cœur léger, l’esprit en éveil, avec le désir de retrouver les auteurs et les peintres qu’il avait embarqués.

Une présence autonome et libératrice

Des livres courts, rapides, ironiques, suggestifs, ­elliptiques, enfantins, canoniques, insaisissables, orgueilleux, espiègles, ni romans ni ­autobiographies, ni essais ni récits, ni prose ni poème, mais un peu tout ça à la fois. Des courants d’air d’admiration, insolemment soufflés par la vie et les lectures que les créateurs qu’il aimait en font. Des mauvaises pensées et autres sous forme de secrets , sans plaintes ni indiscrétions, toujours les mêmes, toujours sans insister, tamisées par un léger tulle de fiction. Des manuels d’escrimeur en somme, qui à chaque touche fouettent la conversation, et qui sont comme des cabanes ­d’enfants au fond du jardin : des îles où enterrer ses trésors. Au coeur de chaque île, au pied d’un grand arbre, peut-être un chêne bordelais, je sentais l’ombre du trésor, le chagrin, mais la brise des mots était faite pour l’enchanter.

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Oui, j’aurais préféré qu’il prolonge la conversation intime et distanciée avec ces petites pièces pour clavecin ou pianoforte, ces post-scriptum aux post-scriptum de post-scriptum écrits pour la musique et au présent, et que je puisse dire un jour, la main froissée sur le dernier drap : « Merde  ! Je vais rater le prochain… » Comme on parle d’un train qui vous conduit là où la plupart des passagers, n’y montant pas, n’iront pas.

Et sans doute aurait-il aimé qu’on écrive de ces livres ce qu’il écrivait en 2000, dans Passion fixe, de la peinture chinoise : on ne peut la mettre « à l’imparfait puisqu’elle ne se donne jamais comme présente. Présente, elle le devient sans cesse de nouveau, depuis un passé transmis au futur. Ça roule, ça coule, ça s’enroule. C’est très proche et c’est très lointain ». On grandit avec les écrivains qui, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs cris et leurs couacs, contribuent à former notre paysage. C’est une vraie vie de couple et la présence de Sollers entretenait aussi en moi, en mode mineur, cette vie.

Depuis pas mal de temps, tout ce qui avait pu m’inspirer de l’agacement ou de la fatigue vis-à-vis du personnage médiatique, du parrain éditorial et du gras social qu’il avait pu faire avec ça, toute cette mousse sur la bière avait disparu au profit de ce qu’il n’avait jamais cessé, avant et après tout, d’être : un lecteur, un guetteur, un éditeur, un écrivain. Autrement dit, une présence autonome et libératrice, en qui le métier de vivre se confondait avec le goût de lire et l’acte d’écrire.

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À la première page de Studio (1997), l’un de ses multiples doubles se présente ainsi : « Je ne cherche rien, je n’espère rien, je ne tiens à voir personne, et d’ailleurs ceux que je pourrais rencontrer sont, pour la plupart, morts ou absents. […] La société m’a oublié ou m’ignore. J’ai tout mon temps.  » Nous sommes quelques-uns, depuis son éclipse, à trouver le temps un peu plus long.

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