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“Jeanne Dielman”, le chef-d’œuvre de Chantal Akerman, ressort en salles

D 19 avril 2023     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Presque cinquante ans après sa sortie, le film de la cinéaste belge n’en finit pas de fasciner les cinéphiles. Un chef-d’œuvre épuré et radical, à la beauté inépuisable. »
Jacques Morice, Télérama, 18/04/2023

C’est Jean-Pierre Salgas, décédé récemment qui nous avait fait connaître Chantal Akerman et nous lui avions dédié un large article à l’occasion de la rétrospective qui lui était consacrée par la Cinémathèque française en février 2018.

La nouvelle affiche


L’affiche de "Jeanne Dielman" de Chantal Akerman © Capricci

Il fut, à sa sortie, le film des fauteuils qui claquent. Raillé, décrié par beaucoup (y compris certaines féministes) ; encensé par d’autres. Cinquante ans après, le voici célébré, au premier rang de la cinéphilie, sans qu’il n’ait rien perdu de sa radicalité – un mot bien galvaudé, mais qui recouvre ici pleinement son sens. Radical sur le fond comme sur la forme, Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles fait partie de ces œuvres inépuisables, plurivoques, sujettes à des interprétations multiples, voire contraires. S’agit-il d’aliénation ou de griserie ? D’une érotique du travail domestique ? D’une ode à la frigidité ? Le film est-il un manifeste féministe malgré tout ? Une satire burlesque ? Un film de Hitchcock au féminin ? En exagérant à peine, on serait prêt à soutenir chacune de ces hypothèses.
Jacques Morice, Télérama

Bande annonce du film

Synopsis
Trois jours de la vie d’une femme, Jeanne Dielman, une mère veuve qui se prostitue pour joindre les deux bouts. Son quotidien monotone est rythmé par les tâches ménagères et les hommes qui défilent chez elle, jusqu’au moment où le désordre s’installe…

Archive INA (1976)

Clap : émission du 17 janvier 1976 Chantal AKERMAN et Delphine SEYRIG évoquent leur film "Jeanne Dielman Jeanne Dielman 23 Quai Du Commerce 1080 Bruxelles". Selon la réalisatrice Chantal AKERMAN, avec ce film , elle a "fait de l’art avec une femme qui fait la vaisselle". Delphine , interprète du rôle principal, défend l’idée que c’est la première fois qu’un film traite de la vie d’une femme au foyer.

Rétrospective à la Cinémathèque française (2018) - Bande annonce


http://www.cinematheque.fr/cycle/chantal-akerman-424.html

La chronique de Jérôme Lachasse (BFMTV)

Sorti en 1976, ce film belge signé Chantal Akerman (1950-2015) retrace trois jours de la vie d’une femme, Jeanne Dielman (Delphine Seyrig), une mère veuve qui se prostitue pour joindre les deux bouts. Aussi minimaliste que minutieusement construit, le film met en scène son quotidien monotone rythmé par les tâches ménagères, ses dîners avec son fils de 17 ans et ses clients. Un jour, le désordre s’installe...

Sa ressortie ce mercredi au cinéma en version restaurée - prévue depuis deux ans - va permettre de revoir sur grand écran ce film pour en saisir toute la modernité et toute l’importance. "Tous les cinéastes aujourd’hui en vogue, une part de leur héritage vient de Jeanne Dielman", insiste Loris Dru-Lumbroso, responsable marketing de Capricci, la société de distribution qui ressort Jeanne Dielman.

"C’est un film qui a été éminemment précieux pour Agnès Varda, Gus Van Sant, Céline Sciamma, Alice Diop, Apitchatpong Weerasethakul, Barry Jenkins... Aux quatre coins du monde, c’est un film qui a eu sa postérité, sa légende, alors qu’il n’était pas simple à voir."

"Perfection de la mise en scène"

De par son dispositif cinématographique, qui consiste à montrer en quasi-temps réel certains gestes anodins du quotidien, et son sujet, une dénonciation de la charge mentale et de l’aliénation domestique des femmes, Jeanne Dielman occupe une place à part dans l’histoire du cinéma. "Pour moi, c’est le meilleur film de tous les temps", sourit Céline Brouwez, responsable de la Fondation Chantal Akerman. "Il est révolutionnaire, avant-gardiste. Personne n’avait parlé de ce sujet avant."

Chantal Akerman s’est inspirée de sa mère. "Je suis partie de quelques images très précises de mon enfance : ma mère que je voyais à l’évier, ma mère portant des paquets", avait-elle confié à Télérama en 1976. Entourée d’une équipe essentiellement féminine (un fait rarissime à l’époque), Chantal Akerman redéfinit avec Jeanne Dielman les sujets dont une femme peut s’emparer dans l’art.

"Chantal Akerman met à nu une certaine violence du réel", décrypte Corinne Maury, maître de conférences à l’Université de Toulouse-II, et autrice d’un livre sur Jeanne Dielman. "Le cinéma est là pour questionner ce qui se passe dans nos existences. Il n’est pas là pour déployer du spectacle, il est là pour nous inviter à regarder ce qu’on ne veut pas regarder : notre quotidien."

Malgré son rythme et son dispositif en apparence rebutants, Jeanne Dielman est universel. Difficile de ne pas ressentir une profonde émotion en regardant ce personnage condamné à répéter inlassablement ses actions. "Ce qui me touche le plus dans le film, c’est l’idée de mêler l’évocation de la prostitution à celle de son quotidien, le fait qu’elle mêle ces deux vies très machinalement", confirme Louis Descombes, responsable de la distribution chez Capricci.

"Ce qui m’impressionne le plus, c’est la perfection de la mise en scène, qui s’accompagne d’une précision du montage. Tout paraît à la fois parfaitement naturel et parfaitement calculé", s’enthousiasme Loris Dru-Lumbroso. "Je ressens une puissance devant le film. C’est un film tellement complet, tellement monumental", ajoute Céline Brouwez. Un aplomb que l’on retrouve sur le plateau du Masque et la plume, en 1976, lorsque Chantal Akerman remet à leur place des critiques. "Elle a une espèce de maturité assez étonnante", acquiesce Corinne Maury.

Revalorisation des réalisatrices

Principalement circonscrit à la cuisine, à la salle de bain et au salon de son héroïne, le film provoque une vive émotion dès qu’il suit son héroïne hors de son appartement. "C’est là que la mélancolie est la plus forte", note Loris Dru-Lumbroso. "Elle se confronte à d’autres personnes. Il y a une barrière sociale très forte, en permanence. À chaque fois qu’elle se rend quelque part, elle a du mal à obtenir ce qu’elle veut. Il y a ces petits moments de réconfort, quand elle boit un café toute seule."

Comme le note l’universitaire Alexandre Moussa sur le site Critikat, Jeanne Dielman reste aussi un film important, car il "propose un cinéma politique qui n’impose pas de modèles mais produit de la pensée, qui continue à soulever des questions plutôt que d’asséner des réponses". "La force du film donne une grandeur de réflexion", poursuit Corinne Maury. "Quand un film nous donne ainsi à penser, il a une force de vie."

Pour cette raison, Jeanne Dielman réconcilie cinéphiles français et anglo-saxons. C’est ainsi qu’en dix ans, il est passé de la 36e place du classement Sight and Sound à la première. En une décennie, le panel du classement, qui réunit plus de 1.600 de spécialistes du 7e Art, a beaucoup évolué. Le monde, aussi. #MeToo est passé par là. Le travail de nombreuses réalisatrices invisibilisées a été remis en lumière.

Pour certains, ce sacre ne serait pas sincère, malgré les qualités évidentes de Jeanne Dielman. Paul Schrader, connu pour avoir notamment écrit le scénario de Taxi Driver, s’était indigné en décembre dernier sur Facebook, jugeant ce choix comme le "symbole d’une réévaluation woke et déformée" de l’histoire du cinéma. Selon lui, le choix d’encenser ainsi Jeanne Dielman, un film qu’il apprécie par ailleurs, jette "le discrédit" sur Sight and Sound, une institution de la cinéphilie depuis 1952.

"Je ne sais pas si j’ai fait mieux..."

Richard Brody, critique du New Yorker, suggère au contraire que ce sacre propose "une vision plus audacieuse du cinéma". Dans un contexte "où la majorité des blockbusters de qualité floppent et l’intérêt du public pour les productions indépendantes s’émoussent", Sight and Sound "met au défi les réalisateurs contemporains de faire des films sans se soucier du box-office, des tendances, du goût de l’opinion publique" pour créer des œuvres qui perdureront dans l’histoire de l’art.

Lorsque le meilleur film de tous les temps s’oppose aux formes dominantes du cinéma, ne remet-il pas en cause la manière dont on regarde le cinéma ? Comme son héroïne qui parvient progressivement à échapper à son quotidien aliénant, le film appelle à sortir des carcans. "Ce serait super de l’utiliser comme référence, que ce ne soit pas toujours les mêmes qui soient cités comme des références", insiste Céline Brouwez.

Chantal Akerman, qui n’avait que 25 ans à la sortie de Jeanne Dielman, a vécu toute sa vie en se demandant "comme faire mieux", avait-elle confié en 2009 dans les bonus DVD de son film. "Et je ne sais pas si j’ai fait mieux..." Le public pourra bientôt s’en (re)faire une idée : Capricci va prochainement sortir ses autres films, qui sont "des portes d’entrée plus simples d’accès à son cinéma", note Louis Descombes. "On prévoit une rétrospective en salles en deux parties des films de Chantal Akerman pour 2024."

Jérôme Lachasse
Journaliste BFMTV

Entretien avec CHANTAL AKERMAN autour de JEANNE DIELMAN

Comment a germé l’idée du film ?

Une nuit, j’ai plus ou moins vu Jeanne Dielman. J’ai vite écrit quelques mots, recommencé le lendemain, puis le tout en quinze jours. Chaque geste était très écrit, presque à la façon d’un nouveau roman. Évidemment tout est venu très facilement parce que c’est ce que j’ai pu observer autour de moi, sauf le meurtre et la prostitution, celle-ci étant une sorte de métaphore, mais le reste est dans ma peau. J’ai fait ce film pour donner une existence cinématographique à ces gestes.

Est-ce que c’est parce que vous êtes une femme que vous avez choisi ce sujet ? N’aurait-il pas pu être traité par un homme ?

Je ne peux pas vraiment répondre par l’affirmative. Le film est construit sur des images que j’ai enregistrées dans ma toute petite enfance, images liées à ma mère, et aux autres femmes dont j’ai été entourées à ce moment-là. Moment où tout vient encore d’elle(s).
Il est vrai que les hommes ont tous eu une mère mais très vite on leur apprend que pour eux les vraies valeurs sont ailleurs ; on ne fait pas de l’« Art » avec une femme qui fait la vaisselle. C’est pour cela que je pense que ce n’est pas un hasard si c’est moi, une femme qui ai utilisé ces souvenirs spécifiques pour les organiser dans un film.

Que représentent ces nombreux gestes ?

Je vivais dans un monde de femmes. Mon père avait trois sœurs et ma mère avait trois tantes. Nous étions tout le temps ensemble, si ce n’était pas chez l’une c’était chez l’autre. J’ai donc vu ça. C’était une manière de vivre d’Europe de l’est qui, d’une certaine façon, avait remplacé le rituel juif où chaque geste de la journée était ritualisé. J’ai vécu dans ce rituel là jusqu’à mes huit ans, quand mon grand-père, qui vivait avec nous, est décédé. Mon père et ma mère y ont mis fin mais les gestes sont restés. C’est comme si les gestes de Jeanne Dielman avaient rem - placé ce rituel-là, qui est un rituel perdu et qui, je pense, donne une sorte de paix. Pour elle, savoir chaque jour et à chaque minute ce qu’elle va faire la minute d’après donne une forme de paix, il n’y a pas de place pour l’angoisse. C’est pour ça que le lendemain, quand elle se lève trop tôt, elle a une heure à remplir. Qu’est-ce qu’elle va faire de cette heure ? C’est l’angoisse qui la prend quand elle reste dans le fauteuil. Il y a une tension qui se crée parce que souterrainement on sent qu’il va arriver quelque chose. C’est comme une tragédie antique, avec rien, presque rien...

Ce qui est abordé dans votre film n’est-il pas un problème qui concerne également femmes et hommes ? Ne montrez-vous pas comment on remplit son temps de manière à ne pas laisser surgir l’angoisse ? Et ce thème-là n’aurait-il pas pu être abordé par un homme ?

Si, bien sûr et il l’a probablement déjà été plus d’une fois. C’est dans sa forme que ce film est plus spécifiquement féminin. Comme je viens de vous le dire, je ne pense pas qu’un homme aurait abordé ce thème en montrant la vie quotidienne d’une femme au foyer ; il ne se serait pas attaché aux mêmes images, images qui ne sont pas valorisées cinématographiquement ou socialement, images qui le plus souvent font parties des elypses, ou sont utilisées accessoirement pour renforcer ou faire avancer une narra - tion. Là, non seulement elles sont dans le film, mais elles sont le film.

Le rôle était-il prévu pour Delphine Seyrig ?

J’ai écrit Jeanne Dielman avec Delphine complètement en tête... Ce qui était extraordinaire c’est qu’elle n’était juste - ment pas ce personnage : elle était une « grande dame ». Si on avait quelqu’un qu’on a l’habitude de voir faire le lit et la vaisselle, on ne la verrait pas, comme les hommes qui ne voient plus leur femme faire la vaisselle. Il fallait quelqu’un qu’on n’a pas l’habitude de voir faire la vaisselle, c’était donc parfait avec Delphine parce que tout devenait visible.

Cela peut sembler contradictoire à première vue.

A première vue, oui, bien que non. Ce choix se justifie complètement par le style du film. Il ne s’agissait pas pour moi de faire un film naturaliste, où il n’y a aucun geste en trop, aucun parasite, le personnage devient le reflet juste de mille autres Dielman sans être vraiment aucune d’elles. Et toute la mise en scène va dans le même sens, c’est pour cela, les plans fixes, le découpage stylisé de l’espace, la caméra face aux personnages (que le personnage soit de face ou de dos.)
L’acharnement minutieux à cerner chacun des gestes pour, comme dans la peinture hyper réaliste, donner une valeur exem - plaire à ce qui est montré, pour dépasser l’anecdote, le sujet, et en découvrir la vérité profonde, si j’ose dire.

Pourquoi avoir réuni cette équipe technique composée quasi exclusivement de femmes ?

C’était important d’avoir une équipe composée à quatre-vingt pour cent de femmes car c’était très difficile pour elles. On ne fai - sait pas confiance aux cheffes-opératrices par exemple, c’était vraiment considéré comme un métier d’homme. Même les pre - neuses de sons n’existaient quasiment pas. Il y avait des scriptes, des monteuses, des habilleuses, des maquilleuses, mais per - sonne à l’éclairage... Beaucoup de postes étaient exclus aux femmes donc j’ai voulu montrer que c’était possible, et on l’a fait.

La réception du film a-t-elle été chahutée ?

J’avais aucune intention d’être dans la provocation. Quand le film est passé à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes, Delphine et moi étions assises à l’arrière de la salle. On entendait les gens qui partaient, les chaises qui claquaient. Je me suis rendu compte à ce moment que les gens ne supportaient pas, il y avait Marguerite Duras qui s’est levée et a dit : « Cette femme est folle ! ». Elle était obsédée par la folie des femmes... J’ai répondu : « Comment ça “elle” est folle ? Qu’est ce que vous voulez dire ? », Delphine me disait : « Arrête d’être si agressive ! Tais-toi ! ». Le lendemain de la projection à Cannes, il y avait cinquante personnes qui demandaient le film pour des festivals. J’ai fait le tour du monde avec Jeanne Dielman, j’existais en tant que cinéaste et pas n’importe quelle cinéaste. À l’âge de vingt-cinq ans on m’a fait comprendre que j’étais une grande cinéaste. C’était agréable mais pénible parce que je me demandais com - ment faire mieux... Et je ne sais pas si j’ai fait mieux...

Texte issu du dossier de presse d’époque de Jeanne Dielman (1975) et d’un entretien réalisé pour l’édition vidéo Criterion Collection (2009)

CHANTAL AKERMAN par CHANTAL AKERMAN, à la sortie de JEANNE DIELMAN

C’est à quinze ans que pour la première fois de ma vie j’ai eu l’impression de voir un film.
Il s’agissait de Pierrot Le Fou .
Je connaissais très mal le cinéma, je n’avais vu que quelques films « Jour le plus long, Gendarme à Saint-Tropez, Centurions » etc, et c’est par hasard que je suis allée voir ce film de Godard dont je n’avais jamais entendu parler auparavant.
C’est ce jour-là aussi que pour la première fois, j’ai eu envie et violemment de faire du cinéma. Un peu plus tard, en 67, je suis entrée dans une école de cinéma.
C’est aussi cette année-là que j’en suis sortie.

Je me suis très vite rendu compte que les barrières techniques sont de fausses barrières, les vraies étant celles de l’argent. J’ai donc travaillé pour en avoir un peu et faire mon premier court-métrage Saute ma ville sans me préoccuper de trouver une production ou une distribution. Ce qui m’obligea à tourner dans des conditions difficiles et un peu pirates mais aussi en toute liberté.
C’est ainsi que j’ai fait tous mes autres films. Sauf Jeanne Dielman. Mais ceci c’est pour plus tard.

Mon second film, L’enfant aimé, je l’ai réalisé seulement trois ans après le premier. J’avais commencé alors à réfléchir sur le langage que j’utilisais.
J’avais déjà quelques idées sur la forme (remise en cause du montage, appréhension différente de la notion de réalisme) mais que je n’avais pas encore bien intégrées.
Elles ne trouveront leur aboutissement que dans Jeanne Dielman. L’enfant aimé est un mauvais film, maladroit.

Ensuite je suis partie aux Etats-Unis, j’y ai passé un an et y ai réalisé trois films (Hotel Monterey, La chambre, Hanging out yan kers, 1973).
La rencontre avec les États-Unis ou plutôt avec New York fut aussi importante qu’avec Pierrot Le Fou...
New York et quelques films comme ceux de Michaël Snow (Wavelength, La région centrale), Brakhage, etc.
Et j’ai eu l’impression que tout était possible.
Là je me suis donné le droit (droit que je n’aurais certainement pas pu imaginer prendre si j’étais restée en Europe) de faire des films dont la narration n’était plus le moteur ou la justification...
Des films dont l’objet devenait le langage cinématographique lui-même.

Ensuite je suis revenue en Europe et depuis j’ai fait trois autres films et un retour vers la narration avec Je, tu, il, elle et Jeanne Dielman.
Jeanne Dielman est l’aboutissement de mes recherches précédentes, formelles aux USA, narratives en Europe.

C’est pour moi la rencontre d’un sujet et d’une forme.

C’est aussi le premier film que j’ai pu réaliser dans des conditions à peu près nor males de production ; c’est à dire que j’ai pu disposer grâce à l’aide du ministère de la Culture en Belgique et celle d’Unité 3 de l’argent nécessaire, tout en restant ma propre productrice.

CAPRICCI FILM

L’INFLUENCE de JEANNE DIELMAN

« Jeanne Dielman est une expérience qui change votre manière de penser, de voir, de concevoir le cinéma. C’est un film d’un suspens extraordinaire qui révolutionne l’idée de narration et la représentation de la vie d’une femme à l’écran : la façon de se river à la routine des tâches domestiques ou cette caméra à la Ozu qui se confronte à elle dans sa cuisine m’ont grandement influencé. »
TODD HAYNES

Chantal Akerman est l’une des réalisatrices les plus importantes de l’histoire du cinéma et chaque image qu’elle a fabriquée a été importante. Jeanne Dielman vous fait croire en la mise en scène, à quel point on peut être radical. Or être radical, c’est aussi être généreux, c’est là la force qu’elle nous donne. »
CÉLINE SCIAMMA

« La découverte de Jeanne Dielman m&#8217 ;a incommensurablement marqué. Je le revois souvent et je reste stupéfait des frontières qu’elle explose dans ce film, ce qu’elle y invente en termes de narration, de rapport au personnage.Il a constitué pour moi une influence plus qu’essentielle. »
GUS VAN SANT

« Jeanne Dielman a quelque chose de totalement hypnotique dans sa façon d’utiliser simplement des pièces d’appartements, des embrasures de portes, des couloirs avec l’idée que tout était simplement possible. Chantal Akerman est une cinéaste essentielle et le fait que ses films puissent exister est renversant. »
KELLY REICHARD

« Jeanne Dielman est un film magnifique, unique et inclassable. Il montra que le temps, la matière même du cinéma, pouvait être le temps de la vie quotidienne d’un être humain et il montra que cet être humain pouvait être une femme. Deux découvertes simples et majeures qui inaugurèrent une nouvelle ère du cinéma.
LUC DARDENNE

CAPRICCI FILM

BIOGRAPHIE

Chantal Akerman nait à Bruxelles le 6 juin 1950. À 15 ans, elle découvre par hasard Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard qui lui donne l’envie de faire du cinéma. Elle entre à l’INSAS en 1967 qu’elle quitte aussitôt, rejetant le cadre rigide de l’école et réalise l’année suivante son premier court-métrage, Saute ma ville, première expression d’un cinéma libre et radical. Akerman s’installe à New York en 1973 où elle découvre le cinéma expérimental de Jonas Mekas, Michael Snow et de Stan Brakhage qui influence les films qu’elle tourne sur place : La Chambre ou Hôtel Monterey. À son retour en Belgique, elle réalise Je, tu, il, elle puis réunit les financements nécessaires, grâce au concours de son actrice Delphine Seyrig, pour produire Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975). Ce quasi huis-clos suivant le quotidien d’une femme au foyer est considéré comme une des œuvres les plus influentes de la modernité cinématographique et pièce essentielle d’un cinéma féministe. Le film la propulse à 25 ans parmi les francs-tireurs de sa génération avec Rainer Werner Fassbinder et Philippe Garrel. Artiste infatigable, Akerman trace sa route librement en explosant les frontières narratives et géographiques pour vagabonder entre les genres, avec comme constante la mélancolie, le trauma personnel ou l’angoisse du monde contemporain. Elle touche ainsi au road-movie (Les rendez-vous d’Anna, 1977), au film choral (Toute une nuit, 1982), à la comédie musicale (Golden Eighties, 1986) ou à l’adaptation littéraire (La Captive, 2000). Son oeuvre documentaire navigue dans le monde entier, allant des États-Unis (Sud et De l’autre côté, 1999 et 2002) à l’Europe (D’Est, 1993) jusqu’en Israël (Là-bas, 2006) et creuse une veine intimiste (de News from Home en 1977 jusqu’à son dernier film No Home Movie). Chantal Akerman met fin à ses jours en 2015. Elle demeure une influence inestimable pour des cinéastes tels que Gus Van Sant, Tsai Ming-Liang, Claire Denis, Todd Haynes, Kelly Reichardt ou Apichatpong Weerasethakul.


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3 Messages

  • Albert Gauvin | 31 juillet 2023 - 14:15 1

    Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles

    Élu meilleur film de tous les temps en 2022, "Jeanne Dielman" de Chantal Akerman est un film intimiste de 1976 qui suit sur trois jours la vie d’une ménagère se prostituant occasionnellement. Retour sur une oeuvre qui consacre l’espace domestique et le quotidien de ses occupantes.

    Avec Claire Atherton Monteuse, collaboratrice de Chantal Akerman
    Hélène Fleckinger Maître de conférence en cinéma à Paris VIII
    Jean-Marc Lalanne Critique de cinéma et rédacteur en chef du magazine Les Inrocks


     
    Série « Les films qui ont changé le monde »


  • Viktor Kirtov | 4 mai 2023 - 11:30 2

    Yannick Haenel·
    Charlie Hebdo, édition 1606 du 3 mai

    Une femme en tablier bleu prépare à manger dans sa cuisine. Ça sonne, elle enlève son tablier, va ouvrir la porte et fait entrer un homme dont elle prend le chapeau. L’homme la suit dans le couloir. La porte se ferme. L’homme ressort et la paie, elle met l’argent dans une soupière puis retourne en cuisine où un plat mijote sur le feu. Elle va dans la chambre, ouvre la fenêtre pour aérer, enlève la serviette froissée, refait le lit, va se laver dans la baignoire, récure la baignoire, se rhabille et met la table. Son fils rentre de l’école, elle accroche son pardessus à une patère, retourne à la cuisine où elle remplit deux assiettes de potage qu’elle porte dans la salle à manger. Elle débarrasse la table et ainsi de suite.

    Je m’arrête : les gestes de cette femme à la maison se répètent pendant trois jours, cuisine, passe, dîner avec son fils, cuisine, passe. De la chambre à coucher à la salle à manger, tous les espaces de sa vie sont consacrés à sa servitude : en saturant le réel, la succession des tâches domestiques crée une béance qui va mener au pire.

    « J’ai fait de l’art avec une femme qui fait la vaisselle » : ainsi parlait Chantal Akerman de son film Jeanne Dielman. 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, qui date de 1975 et vient de ressortir sur les écrans après que la très influente revue Sight and Sound du British Film Institute l’a consacré meilleur film de tous les temps.

    Addiction aux gestes de Jeanne

    Si vous ne l’avez pas encore vu, réservez trois heures et vingt et une minutes de votre vie : c’est une expérience unique et sidérante. Ne dites surtout pas que vous n’avez pas le temps, vous passez plus de trois heures, chaque soir, devant des séries que vous qualifiez d’« addictives », n’est-ce pas ?

    Eh bien, Jeanne Dielman aussi est addictive : cette femme qui n’arrête pas de s’activer, sans que jamais personne ne lui vienne en aide, cette femme qui a intériorisé les contraintes auxquelles on assigne les « femmes au foyer », cette femme dont les gestes s’enchaînent selon un rituel dont le film révèle la nature psychotique, est jouée par Delphine Seyrig, l’éternelle fée des Lilas de Peau d’ âne, qui, même en pelant des pommes de terre, est fascinante. Tous ses gestes sont passionnants, on la suit comme dans une tragédie, un thriller (le film, à sa manière conceptuelle, conjugue les deux).

    Lorsque Jeanne Dielman-Delphine Seyrig se coiffe pour recevoir son client, c’est l’aura de Greta Garbo qui se révèle sous son tablier de cuisine. Quelle femme la ménagère a-t-elle sacrifiée en elle ? Dans ce film stupéfiant, on voit tout du sacrifice des femmes. On découvre où passe ce qui s’enfouit dans la servitude : Jeanne Dielman retourne le sacrifice et se réapproprie la violence dont elle est l’objet. En voyant le film, Marguerite Duras s’est exclamée : « Cette femme est folle ! » La vérité l’est encore plus.


  • Albert Gauvin | 20 avril 2023 - 14:48 3

    Chantal Akerman a aussi filmé La Captive d’après La Prisonnière de Marcel Proust. VOIR ICI.