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Steinbeck méconnu - Steinbeck reconnu

Parution en Pléiade le 2 mars

D 4 mars 2023     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



John Steinbeck en 1962.
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John Steinbeck a obtenu le prix Nobel de littérature en 1962. On dit qu’il a eu le Nobel « par défaut ». Lui-même a dit qu’il ne le méritait peut-être pas. Il est mort en 1968. Cinquante-cinq ans après sa mort, il entre dans la Pléiade. Hemingway, prix Nobel en 1954, mort en 1961, y était entré dès 1966. Faulkner, nobélisé en 1949, a dû attendre 1977, quinze ans après sa mort. Fitzgerald, mort en 1940, est entré dans la collection en 2012. A ce rythme-là, très aléatoire, Philip Roth, qui n’a pas eu le Nobel, pourrait entrer dans la Pléiade... vers 2080.
J’ai mes préférences (Faulkner, Hemingway). Je n’ai pas fait de sondage mais je suis prêt à parier que, pour le grand public, Steinbeck est, avec Hemingway [1], le plus connu des écrivains américains sus-cités. Qui n’a pas entendu parler des Raisins de la colère (prix Pulitzer), sorti en 1939 et mis en scène par John Ford dès 1940 (Oscar du meilleur réalisateur) ? Le catalogue de la Pléiade précise que le « volume propose la "trilogie du travail" formée par En un combat douteux (1936), Des souris et des hommes (1937) et Les Raisins de la colère (1939), ainsi qu’À l’est d’Éden (1952), roman de la maturité. » On parle souvent de « réalisme social » (voire de « réalisme prolétarien ») à propos des romans de Steinbeck. Il est vrai que le dernier livre publié de son vivant America and Americans and selected nonfiction (1966) sera édité en français sous le titre Un artiste engagé. Sartre, théoricien de la littérature engagée, admirateur de Dos Passos et de Richard Wright, considérait Steinbeck comme « le plus rebelle, peut-être » des écrivains américains. C’était après la guerre et Steinbeck, qualifié de « romancier rouge » avait eu quelques ennuis après la sortie des Raisins. Le livre fut interdit dans plusieurs villes de Californie : « Je fais attention à n’aller nulle part et de ne rien faire sans témoins » écrit-il à son ami Carlton Sheffield, en avril 1939 (Cf. John Steinbeck : Le roman de la colère).
« Trilogie du travail », « engagement » : en lisant ces mots, je ne m’étonne plus que le nom de Steinbeck ne figure nulle part dans l’index des textes publiés dans les revues Tel Quel et L’Infini, pas plus que dans les index des œuvres de Philippe Sollers de La guerre du goût à Complots. Idem d’ailleurs pour l’index Pileface.
Il y a pourtant une exception, notable. Un Steinbeck méconnu. On trouve en effet un texte de l’écrivain américain dans le numéro 126 de L’Infini (Printemps 2014) [2]. Ce texte, admirable, est en fait une lettre datée de « Tokyo, le 13 mai 1967 » à Alicia Patterson, une journaliste américaine, fondatrice du Newsday et... décédée quatre ans plus tôt, en juillet 1963. Cette lettre est extraite des Dépêches du Vietnam (Steinbeck in Vietnam : Dispatches from the War, 2012), une série de reportages de guerre publiée à titre posthume. Il y est question de la Chine de Mao au moment de la révolution culturelle et de L’Art de la guerre d’un certain Sun Tzu dont Steinbeck recommande la lecture (on comprend que cela ait retenu l’attention de Sollers). On y découvre un Steinbeck particulièrement dégagé, faisant preuve de beaucoup d’humour et d’une extraordinaire lucidité. Cet extrait publié dans L’Infini est suivi de la préface très fine de Pierre Guglielmina, son traducteur. Je vous propose de les lire aujourd’hui tant, les relisant moi-même, en cette époque troublée (agression russe en Ukraine, rivalité Chine/Etats-Unis), leur actualité m’a sauté aux yeux. Il y a tellement de guerres secrètes.

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Dépêches du Vietnam rassemble la dernière série de reportages de guerre de John Steinbeck. Inédit en France, cet ouvrage reprend les chroniques écrites à partir de 1966 pour le magazine Newsday par celui qui reçut le Prix Pulitzer en 1940 pour les Raisins de la Colère et le prix Nobel de littérature en 1962.
John Steinbeck, à 64 ans, est déjà un homme malade et fatigué – il mourra deux ans plus tard – quand il part pour couvrir le conflit qui mine l’Amérique. Mais il a beau bien connaître la guerre – il a suivi les boys en Europe en 1943 pour le New York Herald Tribune et a été blessé en Afrique du Nord – il est dérouté par ce qu’il découvre : une guerre qui ne comporte « ni front, ni arrières », écrit-il. Embarquant sur les vedettes qui sillonnent les deltas, volant à bord des hélicoptères Huey, il retrouve également son fils, futur écrivain lui-aussi, qui a choisi de s’engager. Est-ce l’une des raisons pour lesquelles Steinbeck, dans ses dépêches, soutient la guerre menée par l’Amérique ? S’il émettait des réserves en privé sur cette dangereuse aventure, il serre les rangs derrière la politique suivie par le président Lyndon Johnson, ce que lui reprocheront beaucoup d’intellectuels. Lui le défenseur des faibles et des opprimés, « l’écrivain social » qui en son temps fut soupçonné d’être communiste est devenu belliciste mais est surtout « désespéré que ces merveilleuses troupes n’apportent pas une victoire rapide. »

Le traducteur

Traducteur prolifique des grands noms de la littérature anglo-saxonne (Bret Easton Ellis, Ernest Hemingway, Jack Kerouac, Francis Scott Fitzgerald…), Pierre Guglielmina a récemment traduit aux Belles Lettres, de Francis Scott Fitzgerald, Une vie à soi (Goût des idées, 2011).

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DEPÊCHES DU VIETNAM
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13 mai 1967 / Tokyo

Chère Alicia,

Je me souviens t’avoir promis d’être un Observateur de la Chine et de te donner un récapitulatif de ce qui se passe réellement dans ce pays. Bien, nous sommes arrivés à Hong Kong, un endroit tout à fait improbable — le Neiman Marcus [3] de l’Extrême-Orient. Tous les produits magnifiques et désirables du monde à des prix imbattables, une citadelle d’opulence au bord d’une mer de confusion et de faillite. J’étais prêt à devenir, au pied levé, un expert de la Chine au second degré.
Tu te souviens de Cynthia Walsten [sic], n’est-ce pas ? C’est elle qui a formulé le principe selon lequel « Jamais une bonne action ne reste impunie. » Ce que le Viêt-Cong ou un accident — incendie, inondation, bombes explosant dans les airs a échoué à m’infliger, une impulsion pleine de bienveillance de ma part l’a fait. Dans notre hôtel, j’ai vu un petit porteur oriental, tout à fait honnête, essayer de hisser un diable chargé de trois caisses de bières en haut d’un escalier sans pouvoir y parvenir. Je lui ai donc donné un coup de main et ensemble nous avons monté le truc sur le palier. Mon impulsion était de la pure bienveillance, mais le lendemain matin, je ne pouvais plus marcher. Le docteur de l’hôtel a dit que je souffrais d’une hernie discale et que le seul traitement consistait à rester allongé sur une planche. Ma bonne action m’avait valu un châtiment suprême.
Heureusement, j’avais pu contempler la frontière désolée de la Chine, qui fait penser à la vue des marécages du New Jersey depuis le sommet de l’Empire State Building. Tu vois que je n’ai pas pu, par conséquent, aller retrouver les Observateurs de la Chine, mais j’ai eu la chance que les meilleurs d’entre eux viennent me voir. Les meilleurs d’entre eux m’ont fait profiter de leurs connaissances. Je ne donnerai pas de noms. Un Observateur de la Chine, digne de ce nom, protège ses sources et je ferai de même.
L’Observateur de la Chine n° 2 m’a tout particulièrement intéressé. Il y a cinq observateurs n° 1 et, dans une certaine mesure, ils se neutralisent les uns les autres. Mais n° 2, n’ayant pas à défendre sa position, a été très utile — et a moins redouté de commettre une erreur. Comme je n’ai pas de place dans la hiérarchie des observateurs, comme je ne redoute absolument pas de commettre une erreur, je suis en mesure de raconter ce qu’il en est en Chine et ce qui est susceptible de se produire — le fait que toutes mes informations proviennent des experts est peut-être une source de confusion pour toi au départ, mais tu vas t’y habituer dès que j’aurai commencé.
La première question, naturellement, est de savoir à quoi rime tout ce conflit ? Ma propre réponse consiste à dire que, comme dans tous les conflits depuis la nuit des temps, un camp veut se procurer une chose et l’autre camp veut la garder, et donc ils se battent. C’est exactement le jeu du « Roi de la Montagne » auquel jouent les enfants.
Le président Mao Ze-Dong est un vieil homme à présent. Certains semi-experts pensent qu’il est mort, d’autres qu’il a perdu la tête, et d’autres encore parient des deux côtés en soutenant que Mao a toute sa tête par moments et perd un peu la boule à d’autres. Cependant, il existe quelques points d’accord. Mao a bien accompli une révolution d’une portée immense. Pour le faire, il a posé un certain nombre de principes, dont certains après les faits. Quelques-unes de ses décisions ont provoqué des catastrophes, mais elles ont été effacées des comptes-rendus historiques. Comme la plupart des vieillards qui ont réussi, Mao ne peut pas envisager qu’il y ait deux voies ou plus qui soient viables. Et un dirigeant qui a réussi ne peut pas accepter de changer. Tu me suis, Alicia ? J’espère suivre moi-même.
Accomplir et diriger une révolution n’est pas du tout la même chose que concevoir une nation productive et organisée. La première exige un contrôle militaire et la seconde, la délégation du pouvoir à une bureaucratie. Qu’on l’appelle d’un nom ou d’un autre, la gestion locale est nécessaire pour produire de la nourriture, construire des maisons, introduire l’éducation, extraire des minerais et les transformer en produits finis, et enfin organiser la police pour surveiller l’ensemble. La bureaucratie, quel que soit l’endroit où elle opère, a une tendance universelle à être bureaucratique, que ce soit en Chine communiste, en Union soviétique ou dans l’État de Californie. C’est un organisme qui a ses propres objectifs et ses propres tendances. Et elle est l’opposé d’une révolution active, qui est la destruction de l’organisation existante. Pour cette raison, toute révolution accomplie devient automatiquement une contre-révolution. C’est ce que Mao appelle le révisionnisme. Si on ne suit pas une ligne d’action, même si elle s’est révélée erronée, on devient un révisionniste. Lorsque Mao a constaté que sa propre révolution empruntait la voie inévitable d’une expérimentation pratique fondée sur la correction des erreurs, il n ’a pas pu le tolérer. Il a appelé les masses laborieuses à se soulever et à se battre de nouveau. Mais les masses laborieuses s’en tiraient pas mal, bien mieux en fait qu’elles ne l’avaient jamais fait auparavant.
C’est alors que Mao a brandi le danger de la Russie, qui avait trahi la révolution — de la guerre imminente, de l’Amérique impérialiste qui brûle d’envahir la Chine, comme si nous n’avions pas assez d’ennuis pour défendre notre nation contre Lurleen Wallace [épouse du gouverneur de l’Alabama, George Wallace] et les masses laborieuses de l’Alabama. Cela n’a donc pas marché non plus. Il n’y avait qu’un seul réservoir immense de gens prêts et même impatients de tout laisser tomber pour se lancer dans la révolution permanente, et c’était les millions de gamins des écoles qui semblent avoir la même aversion pour le travail que les nôtres. Ils se sont précipités dans les rues, ils ont défilé, acclamé, pris des décisions, accusé de trahison quiconque était en désaccord avec eux et, dans l’ensemble, se sont marrés comme des fous.
Mais, entre-temps, la production avait dégringolé dans les usines, les semailles n’avaient pas été faites, l’armée n’avait guère apprécié de se faire bousculer par des garnements. Et c’est alors que l’inévitable s’est produit — les gamins ont commencé à se battre entre eux. Et, par conséquent, Mao ou celui qui parle avec sa voix a ordonné aux Gardes Rouges de rentrer chez eux, de retourner à l’école, de reprendre le travail. Ça n’a pas très bien fonctionné. Ils ne veulent pas rentrer chez eux. Et ils trouvent constamment de nouveaux ennemis de Mao contre lesquels manifester. On ne peut pas manifester et donner des ordres en tous sens, vivre sur l’habitant, se sentir important et, tout à coup, devoir rentrer à la maison pour faire des divisions et apprendre l’histoire, même la fascinante histoire réécrite de la Chine.
J’espère que je ne simplifie pas trop, mais la plupart des Observateurs de la Chine s’entendent là-dessus. Que Mao soit actif ou non n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui indique qu’il ne l’est pas, c’est l’émergence de sa femme, une actrice vieillissante qui, jusqu’à présent, avait été mise sous le boisseau. L’impression générale, c’est que si Mao se portait bien, elle y serait encore.
Pendant de nombreuses années, Chou En-Lai a perfectionné l’art de marcher sur des œufs. Il a affronté toutes les tempêtes, rassurant telle ou telle faction, dissimulant toute une série de statistiques — un vrai magouilleur et très doué pour ça. La preuve de son efficacité, c’est le fait qu’il est encore en vie. Mais tous mes instructeurs pour ce qui est de la Chine insistent sur deux choses. La première, c’est qu’il n’y aura jamais de paix entre Madame Mao et Chou En-Lai. L’un des deux doit tomber. Le second point est le suivant : quoi qu’il puisse émerger de la mêlée générale, cela va s’appeler Maoïsme, tout comme en Russie cela s’appelle Léninisme, quelle que soit la personne qui prend les affaires en main. À cet égard, nos propres petites manies sont toujours imputées à la démocratie. Peu importe que Mao doive mourir maintenant ou qu’il soit déjà mort, tout ce qui va se passer en Chine va porter son nom. J’ai lu beaucoup des pensées de Mao et elles ont cette qualité merveilleuse de pouvoir justifier tout ce qu’on veut faire. C’est donc le Maoïsme, peu importe le camp qui va gagner ou qui va prendre le pouvoir.
Ce qui va se passer est ce qui se passe partout. Huit cents millions d’habitants environ qui vont se lasser des slogans et des directives, si ce n’est déjà fait. Ils vont revenir à leur problème fondamental qui est d’avoir suffisamment à manger et aux problèmes de la sécheresse, des épidémies, de la répartition des tâches et des relations personnelles au sein la famille, du district, du village, des enfants et du comportement vicieux de l’étranger qui vient d’arriver. Ils vont vouloir ce que tout le monde veut — le confort, la sécurité, la santé et assez de loisirs pour s’attirer des ennuis dans le coin. C’est ce qui va se passer et je suis en train de prendre des risques en disant ça — mais c’est un risque que les siècles ont tendance à émousser.
Voilà la Chine, Alicia, mais si j’étais un véritable expert, j’aurais rendu le truc bien plus compliqué et, par conséquent, bien plus érudit. Mais la question demeure de savoir ce que nous devrions faire. Et, encore une fois, je vais prendre un risque en essayant d’affûter un peu mon propos.
Nous devrions attendre la fin, tout comme nous attendons que nos enfants aient fini de découvrir le sexe et les gros mots. Mais pendant que nous attendons, nous devrions avoir des échanges avec la Chine dans les limites de nos capacités. Nous devrions leur vendre nos trucs, marchander avec eux les prix et non les idéologies — plus il y aura de commerce et mieux ce sera, plus nous serons associés aux Chinois et mieux ce sera. Un bulldozer est une meilleure arme qu’une bombe et une cargaison de vaccins est bien plus efficace qu’un chargement de napalm.
Nous ne devrions pas donner, mais vendre et acheter ; et, au cours de ce processus, nous devrions perdre un peu la face — nous en avons à revendre. Tu sais aussi bien que moi, Alicia, que les gens qui doivent sauver la face sont ceux qui ne sont pas sûrs d’en avoir une. Alors perdons un peu la face dans l’intérêt de l’avenir. La Chine va être la Chine pendant longtemps — pas Mao — mais la Chine. Je pense que la restriction des échanges commerciaux avec n’importe quel pays du monde est une idiotie et que c’est autodestructeur. Peux-tu suggérer le nom de quelqu’un dans notre système de pouvoir qui serait susceptible d’écouter la musique inaltérable de l’histoire ?

[Note du rédacteur en chef de Newsday] : C’est le dernier de la série des reportages de John Steinbeck au Sud-Vietnam et d’autres pays de l’Asie du Sud-Est. Steinbeck et son épouse, Elaine, après avoir été témoins de chaque phase de la guerre au Vietnam pendant cinq mois, seront bientôt de retour dans leur maison de Sag Harbor à Long Island. Steinbeck, dont le fils John, âgé de vingt ans, sert dans les forces armées des États-Unis au Sud-Vietnam, a vécu avec les soldats sous le feu ennemi, a volé avec eux dans toutes sortes d’appareils de combat et s’est détendu en leur compagnie quand les armes s’étaient tues. La lettre qui suit récapitule ses vues sur l’avenir de la région.

John Steinbeck


John Steinbeck et son épouse Elaine en 1962.
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« LA POLITIQUE EST UNE SIMPLE CONTINUATION DE LA GUERRE PAR D’AUTRES MOYENS » [4]

« Lire Sun Tzu est un émerveillement : ce traité ancien n’a jamais été révisé et il est parfaitement applicable aujourd’hui, en particulier au Vietnam. »

« Je crois qu’il serait important pour tous les Américains de lire ce traité [L’Art de la guerre de Sun Tzu]. Il pourrait leur apporter quelques lumières sur leurs jugements erronés concernant cette guerre et sur la nature de l’ennemi et de ses pratiques. »

John Steinbeck, Dépêche de février 1967
(non publiée à l’époque)

« Je savais bien que le soldat tue, mais j’ignorais qu’il fût meurtrier. On parle beaucoup de la guerre sans savoir qu’elle est nécessaire, et que c’est nous qui la rendons telle. »

Joseph de Maistre, Du Pape

Dans La 317e Section de Pierre Schoendoerffer, un supplétif vietnamien explique à un jeune lieutenant français, tout juste débarqué de Coëtquidan, comment le Viêt-Minh présente la situation après la chute de Diên Biên Phu. Il brise un œuf dans sa main, l’ouvre et dit : « Lui dire … blanc foutre le camp … jaune rester … Lui dire comme ça. »
Le blanc des dépêches de John Steinbeck va foutre le camp, mais le jaune va rester. La preuve en est cette intuition qu’il note, un mois environ après son arrivée au Vietnam, le 14 janvier 1967 : « La célèbre phrase, ultime et inflexible, de Carl von Clausewitz est en train de mourir, sinon déjà morte. Il a dit, tu t’en souviens, “La guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens.” Cette phrase doit être maintenant amendée et c’est notre grand et seul espoir. “La politique est une simple continuation de la guerre par d’autres moyens”. »
Cette intuition est jaune en ce sens qu’elle est incompréhensible, dans sa teneur profonde, sans une révision radicale de nos préjugés « blancs ». Et sans un dépassement de la position un peu hésitante de Steinbeck qui, au moment où il écrit cette phrase, pense qu’elle est un amendement de celle de Clausewitz, alors qu’elle en est, en réalité, le retournement. Il va falloir plusieurs mois à Steinbeck pour cerner véritablement ce qu’il a formulé et remonter vers sa source ancienne, colorée, lumineuse, au-delà de tout racisme irréfléchi. C’est le cœur de ce livre sur la guerre du Vietnam et c’est une expérience bouleversante pour Steinbeck qui ne publiera plus une seule ligne de son vivant après la parution de ces dépêches.

Que diable allait-il faire dans cette galère de la guerre du Vietnam ? John Steinbeck se le demande lui-même dès la quatrième ligne de sa première dépêche : « À l’âge de soixante-quatre ans, est-ce que ça n’a pas l’air idiot ? Et on dit qu’il n’y a pas plus idiot qu’un vieil idiot. » Mais ce Géronte se révèle immédiatement aussi fourbe et subtil que Scapin quand il écrit à la ligne suivante : « […] quand je vois une partie de la jeunesse à cheveux longs manifester contre une vie qu’ils ont encore à vivre, je ne crois plus que nous, les vieux, ayons le monopole de l’idiotie. Ce qui ne nous rend pas moins idiots. Nous avons tout simplement plus de compagnie. » Ce départ pour le Vietnam est par conséquent l’occasion pour Steinbeck de fausser compagnie à cette Amérique vieillissante, où jeunes et vieux de plus en plus confondus se disputent le monopole de l’idiotie. Il va d’ailleurs adresser toutes ses dépêches à une femme, à une amie de longue date, à une morte, à une « Alicia » déjà de l’autre côté du miroir (Alicia Patterson, fondatrice de Newsday, le journal qui l’envoie là- bas), pour bien faire sentir que son propos n’est pas destiné à ses contemporains et suggérer peut-être que le sort de la guerre se décide dans ce haut parage matriarcal. Si Steinbeck part pour l’enfer, c’est parce que, dit-il, « je n’ai jamais eu beaucoup de sympathie pour le spectateur innocent. Si nécessaire, je préfère être un spectateur coupable. » Le projet, par nécessité, est pour ainsi dire dantesque et, peu avant son départ, Steinbeck fait savoir à sa Béatrice que « la seule façon dont j’ai jamais appris quoi que ce soit sur quoi que ce soit a consisté à le voir, l’entendre, le sentir et le toucher. » C’est encore et toujours la seule manière de traverser le spectacle et de rendre à l’action sensible son innocence.

Le 10 décembre 1966, Steinbeck entre dans Saigon, armé d’une seule conviction : « […] je crois que les poètes sont sans doute les meilleurs correspondants de guerre qui soient au monde. Ernie Pyle était un poète, Walt Whitman l’était aussi — et Homère également, bien sûr. » Conviction qui lui permet de noter, au bout de huit jours d’expérience sur le terrain, des choses comme : « Le temps s’étire et claque comme un élastique. » Ou encore : « C’est une guerre à sentir, sans ligne de front, sans arrière. Elle est partout comme un gaz léger, toujours présent. » Ou plus longuement : « [Ces pilotes d’hélicoptère] me rendent malade d’envie. Ils pilotent leurs appareils comme un homme monte un demi-sang bien entraîné. Ils serpentent au-dessus des lits des rivières, s’élèvent comme des hirondelles pour passer des arbres, tournent, basculent et plongent comme des martinets dans la lumière du soir. J’observe leurs mains et leurs pieds sur les commandes, la délicatesse de la coordination me rappelle les mains sûres et apparemment lentes de Pablo Casals sur le violoncelle. […] Désolé de cette bouffée extatique, Alicia, mais il fallait que je l’exprime ou que j’explose. »
Le temps plurimillénaire de l’Extrême-Orient peut vous claquer dans les doigts comme un élastique ; l’espace entier, sans front ni arrière, est constamment envahi par la guerre indirecte qui est un gaz léger à sentir, mortel à respirer ; la guerre comme technique virevolte désormais, oiseau de combat ou archet d’attaque, entre la nature et l’art. Et enfin la nécessité de le dire est une extase qui met à l’abri d’une explosion dévastatrice celui qui ose s’exprimer. Steinbeck, en quelques jours et quelques lignes, a déjà atteint la zone dangereuse, celle où la pensée extatique ne cherche pas, mais trie les sensations et trouve sa voie. Il s’agit dès lors de progresser en gardant en tête le conseil que lui avait donné, pendant la Deuxième guerre mondiale, le photographe Robert Capa :
« “Ne bouge plus. S’ils ne t’ont pas descendu, c’est qu’ils ne t’ont pas vu.” Meilleur conseil jamais reçu. » Être invisible ou insaisissable. Ou bien avancer en donnant l’illusion de ne pas bouger, ce qu’un autre ami de Robert Capa appelait, en définissant son art d’écrire, la technique du canard : immobilité et calme apparents en surface, mouvements frénétiques des palmes sous l’eau.

Ce temps élastique qui finit par claquer, ce gaz léger à sentir qui donne accès à l’espace tout entier, ces hirondelles, ces martinets pilotés par des musiciens, voilà des images qui révèlent, chez Steinbeck, une intelligence sensible et une imitation consciente de l’imagination plutôt chinoise de l’adversaire.
« Connaître votre ennemi et vous connaître vous-même ; au cours de cent batailles, vous ne serez jamais en péril, » peut-on lire en annexe d’une dépêche non datée. Ce principe très connu de L’Art de la guerre, Steinbeck l’adopte au moment où il confronte ses nouvelles sensations et impressions d’Asie à ce qu’il est supposé savoir de la stratégie américaine. Il écrit avec prudence : « À présent, dans le fantasme changeant qu’est cette guerre, nous avons découvert que l’individu, avec son jugement et son initiative, est non seulement précieux, mais essentiel. L’époque des grands bataillons est peut-être révolue. […] Le soldat doit penser tout seul, exercer son jugement pour survivre et assez souvent prendre le commandement, quand les pertes subies l’imposent. » Changez quelques mots et vous aurez l’impression de lire une offre d’emploi pour cadres dans n’importe quel hebdomadaire d’informations d’aujourd’hui. Le bonheur « total » est peut-être une idée révolue en Europe, mais la guerre subjective « intégrale » est un fantasme nouveau que l’Amérique teste en Asie. « Les techniques de la paix doivent être non seulement une continuation, mais une partie intégrante de la guerre, » annonce Steinbeck, sans mesurer encore les implications profondes de cet énoncé. À ce stade de sa réflexion, le conflit du Vietnam ne fait qu’exposer la projection occidentale d’un individualisme devenu rouage essentiel de la guerre, comme il l’était devenu de la politique au moment de la Terreur en France.
Cette « subjectivisation » de la guerre, Steinbeck voudrait croire qu’elle résulte d’un amendement au précepte « ultime et inflexible » de Clausewitz, selon lequel « la guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens. » Amendement qui mettrait fin à un âge de la stratégie qui remonte à « l’époque des grands bataillons », à l’âge des guerres napoléoniennes. Steinbeck redresse Clausewitz qu’il croit mourant et le réécrit : « La politique est une simple continuation de la guerre par d’autres moyens. » Cependant, dès le paragraphe suivant, il évoque Sun Tzu pour la première fois : « [Il] a écrit L’Art de la guerre, il y a quelque 3000 ans, [et] dit cette chose à la fois sage et intemporelle : il y a trois objectifs militaires dans cet ordre d’importance décroissant — l’esprit, la terre et l’économie. Si on gagne l’esprit, les deux autres tomberont sans même combattre. » Comment comprendre le rapprochement diplomatique, au sein de la même dépêche, de ces époques concurrentes de la guerre occidentale et de cette sagesse militaire chinoise intemporelle ?

Amender Clausewitz en pensant que « c’est notre grand et seul espoir » sonne comme le slogan d’une scission au sein du parti de la guerre totale. La bombe atomique en portant la puissance de feu à des hauteurs paroxystiques a rendu le concept de guerre totale absurde. Steinbeck a raison de considérer la thèse de Clausewitz moribonde ou déjà morte : la dissuasion nucléaire n’opère même plus comme décision politique crédible [5] et la continuité, dans ces termes, de la politique et de la guerre ne peut dès lors s’arc-bouter que sur un scénario apocalyptique, mauvais film qui ne contente plus qu’un personnel politique médiocre, des faux prophètes, des terroristes manipulés et des services secrets infiltrés, et les victimes innombrables des uns et des autres. Ces religions de fin d’empire pullulent.
À l’époque de la guerre du Vietnam, les partisans de la « guerre subjective intégrale » sont certes minoritaires, mais ils ont bien conscience de mener une action révolutionnaire contre la religion de la guerre totale. Steinbeck les décrit ainsi : « […] le Développement Révolutionnaire, peu importe le nom qu’on lui donne, est le mur fluide qui peut faire fondre la pression impérialiste écrasante du nord et de l’ouest, appelée à tort communisme. » Le « Développement Révolutionnaire » combat donc, avec ce mur fluide qui semble emprunté à la technique de la guérilla de T. E. Lawrence, impérialistes de droite et impérialistes de gauche. Le communisme n’étant plus qu’un ours en carton-pâte ou un dragon de soie. Comme nous le savons, il existe aussi un impérialisme du centre qui porte, lui, le nom de tigre de papier. Le « Développement Révolutionnaire » le combat de l’intérieur : c’était une guerre secrète, commencée bien avant la guerre du Vietnam, qui apparaît à ce moment-là en plein jour. Steinbeck en sait sûrement plus long sur ces luttes internes qu’il ne l’écrit. Il ne faut pas oublier qu’il a été un agent de l’OSS pendant la Deuxième guerre mondiale, mais n’a jamais pu, en dépit de ses demandes répétées, se faire admettre dans les rangs de l’armée [6].

Quelle étrange logique préside à ce fantasme qu’est devenue la guerre pour les Américains au Vietnam ? Étrange logique qui pousse à Steinbeck à rapprocher spontanément, ou peut-être délibérément, Clausewitz de Sun Tzu. Il écrit encore : « C’est une guerre de mouvement, avec des avancées et des retraites, impliquant un sens de l’esquive et de la feinte comme chez un grand boxeur. Si on y réfléchit, c’est le tout premier genre de guerre qu’aient jamais connu les Américains. Nous l’avons appris des Indiens et nous nous en sommes servis avec succès pour conquérir notre indépendance. Il serait bien étrange que nous ne puissions pas réapprendre ce que tout pionnier savait autrefois. » Les Vietnamiens, ces Peaux-Rouges en plus jaunes, vont-ils réapprendre aux Américains à reconquérir leur indépendance face à leurs propres menées impérialistes ? La guerre de l’Indépendance américaine a commencé par une guerre contre l’impérialisme britannique et s’est achevée par une politique d’extermination des Indiens.
La phrase de Clausewitz, pointe ultime et inflexible de la stratégie impériale, une fois amendée par Steinbeck, devient ainsi : la politique d’extermination est la continuation de la guerre impérialiste par d’autres moyens. C’est ce qu’il faut bien appeler un phénomène d’inconscient à ciel ouvert, sans le moindre refoulement. Ce n’est pas tout à fait gratuit, mais cela présente l’avantage de ne pouvoir faire l’objet d’aucune transaction et d’aucun transfert. Le sujet qui en fait l’expérience est contraint de se transformer radicalement. Steinbeck va le faire en comprenant de mieux en mieux Sun Tzu, ses intérêts s’orientant progressivement vers la source au-delà du Vietnam, vers la Chine.
« Lire Sun Tzu est un émerveillement : ce traité ancien n’a jamais été révisé et il est parfaitement applicable aujourd’hui, en particulier au Vietnam. » Le haut commandement américain, Westmoreland en tête, n’était pas du tout émerveillé par Sun Tzu, mais pensait qu’il était partiellement utile pour comprendre l’ennemi et en avait fait distribuer de brefs extraits aux officiers. Or l’émerveillement ouvre ce qui est fermé.

La politique d’extermination provient de cette subjectivisation graduelle de la guerre, de cette projection de l’individualisme dans la stratégie occidentale. Le renoncement, plus ou moins lucide, plus ou moins forcé, des nations à des objectifs impériaux, sous la pression non pas d’un mur fluide, mais de guerres mondiales successives, y conduit. On pourrait apprécier toute l’histoire militaire du XXe siècle à la mesure du dosage plus ou moins explosif d’impérialisme et d’extermination. Hiroshima, de ce point de vue, est l’aube blafarde d’une ère sans mélange. Nous nous y éveillons à peine. L’Amérique, dans ce contexte, avait une certaine avance, en ce sens qu’elle avait été exterminatrice avant d’être impérialiste. En disant vouloir amender Clausewitz, Steinbeck n’interroge jamais le concept occidental de la guerre. Il ne fait que permuter des catégories qui n’opéraient déjà plus dans l’ordre qu’avait pensé le stratège allemand. Si l’expansion de l’individualisme moderne s’accompagne nécessairement d’un déclin du politique au sens impérial que lui donnait Clausewitz, l’introduction de ce même individualisme dans la guerre a deux conséquences notables et contraires : l’organisation militaire repose entièrement sur la prise en considération de l’individu, chose jamais imaginée auparavant ; l’individu devient la cible par excellence. Que s’est-il passé de Clausewitz inflexible à Clausewitz amendé ? La guerre est devenue anthropocentrique [7], paradoxalement, à mesure que le Mal se désincarnait et déployait son œuvre qui est entièrement spirituelle. La guerre est même aujourd’hui, avec la propagation du terrorisme, un département de l’anthropométrie judiciaire. La guerre, « partout comme un gaz léger, toujours présent, » dit Steinbeck, qui ne cesse de s’étonner d’attirer sur lui, partout où il va, le feu ennemi et s’insurge contre le fait que les soldats américains sont traités de meurtriers dans la presse américaine. Joseph de Maistre, à travers les siècles et les continents, réplique infailliblement : « Je savais bien que le soldat tue, mais j’ignorais qu’il fût meurtrier. On parle beaucoup de la guerre sans savoir qu’elle est nécessaire, et que c’est nous qui la rendons telle. » Nous, inhumains trop humains.

Lorsque Steinbeck s’émerveille à la lecture de Sun Tzu, quelque chose s’ouvre et vient immanquablement s’inscrire dans la première mention qu’il en fait, le 14 janvier 1967 : « […] il y a trois objectifs militaires dans cet ordre d’importance décroissant — l’esprit, la terre et l’économie. Si on gagne l’esprit, les deux autres tomberont sans même combattre. » Si, en évitant de bavarder sans raison, on suit l’esprit, la guerre n’est pas nécessaire et c’est l’esprit qui, en combattant, la rend telle. Non nécessaire. Au-delà du bien et du mal. Voilà ce que répond Sun Tzu à Joseph de Maistre, qui n’a pas besoin de se faire traduire la dépêche puisqu’il sait que la guerre est divine, spirituelle, « continuation de la nature par d’autres moyens [8] », et que c’est nous qui, dans notre ignorance, la rendons funestement nécessaire. C’est la merveille inattendue que découvre John Steinbeck au Vietnam. Dans la dépêche enthousiaste qu’il écrit pour en faire part à Alicia, on lit : « Tu verras qu’il est peu question d’éthique, de bien ou de mal — de quoi que ce soit en fait, en dehors de l’obligation de vaincre. » On ne s’étonnera qu’à moitié du fait que cette dépêche consacrée à L’Art de la guerre n’a pas été publiée par Newsday, en dépit de l’insistance de Steinbeck : « Je crois qu’il serait important pour tous les Américains de lire ce traité. Il pourrait leur apporter quelques lumières sur leurs jugements erronés concernant cette guerre et sur la nature de l’ennemi et de ses pratiques. »
Le 31 août 1967, de retour aux États-Unis, Steinbeck écrit à son agent littéraire, Elizabeth Otis : « […] nous ne gagnerons pas. Dans des directions multiples, nous sommes battus par des techniques et des attitudes plus efficaces que les nôtres. Nous n’avons pas le choix dans ce domaine … »
Entre-temps, Steinbeck a préféré s’engager, seul, dans un combat moins douteux. Il se dit « prêt à devenir, au pied levé, un expert de la Chine au second degré. » Puisque la République populaire de Chine ne veut pas lui accorder de visa. Sa chronique du 13 mai 1967 consacrée à la Chine est d’une intelligence et d’une drôlerie inégalées dans les autres dépêches. Elle s’achève sur ses mots :
« Mais la question demeure de savoir ce que nous devrions faire. Et, encore une fois, je vais prendre un risque en essayant d’affûter un peu mon propos. Nous devrions attendre la fin, tout comme nous attendons que nos enfants aient fini de découvrir le sexe et les gros mots. Mais pendant que nous attendons, nous devrions avoir des échanges avec la Chine dans les limites de nos capacités. Nous devrions leur vendre nos trucs, marchander avec eux les prix et non les idéologies — plus il y aura de commerce et mieux ce sera, plus nous serons associés aux Chinois et mieux ce sera.
[…]
Nous ne devrions pas donner, mais vendre et acheter ; et, au cours de ce processus, nous devrions perdre un peu la face — nous en avons à revendre. Tu sais aussi bien que moi, Alicia, que les gens qui doivent sauver la face sont ceux qui ne sont pas sûrs d’en avoir une. Alors perdons un peu la face dans l’intérêt de l’avenir. La Chine va être la Chine pendant longtemps — pas Mao — mais la Chine. Je pense que la restriction des échanges commerciaux avec n’importe quel pays du monde est une idiotie et que c’est autodestructeur. Peux-tu suggérer le nom de quelqu’un dans notre système de pouvoir qui serait susceptible d’écouter la musique inaltérable de l’histoire ? »
Beaucoup de monde était aux écoutes à l’époque, mais personne n’a rien entendu.

Voici maintenant le texte que m’a envoyé hier un écrivain chinois, qui a tenu à rester anonyme :
« Mais la question demeure de savoir ce que nous devrions faire. Et, encore une fois, je vais prendre un risque en essayant d’affûter un peu mon propos. Nous devrions attendre la fin, tout comme nous attendons que nos enfants aient fini de découvrir le sexe et les gros mots. Mais pendant que nous attendons, nous devrions avoir des échanges avec l’Amérique dans les limites de nos capacités. Nous devrions leur vendre nos trucs, marchander avec eux les prix et non les idéologies — plus il y aura de commerce et mieux ce sera, plus nous serons associés aux Américains et mieux ce sera.
[…]
Nous ne devrions pas donner, mais vendre et acheter ; et, au cours de ce processus, nous devrions perdre un peu la face — nous en avons à revendre. Tu sais aussi bien que moi, que les gens qui doivent sauver la face sont ceux qui ne sont pas sûrs d’en avoir une. Alors perdons un peu la face dans l’intérêt de l’avenir. L’Amérique va être l’Amérique pendant longtemps — pas Obama, pas Hillary — mais l’Amérique. Je pense que la restriction des échanges commerciaux avec n’importe quel pays du monde est une idiotie et que c’est autodestructeur. Peux-tu suggérer le nom de quelqu’un dans notre système de pouvoir qui serait susceptible d’écouter la musique inaltérable de l’histoire ? »
Le nom de quelqu’un ? Un seul ? Mais cent noms se sont déjà épanouis, que cent mille rivalisent.

John Steinbeck, rare survivant américain de la guerre du Vietnam, s’est illustré notamment au cours de l’opération « Musique inaltérable de l’histoire », menée seul en territoire hostile pour décrypter le code secret de l’ennemi qui lui a sauvé la vie. In extremis. Dernier message envoyé de Tokyo le 20 mai 1967 et pas encore réellement déchiffré : « […] l’imagination va être attirée vers l’Ouest comme toujours et le nouvel Ouest, c’est l’Asie. […] L’Est est devenu l’Ouest. […] L’Orient est devenu l’Occident. »

Pierre Guglielmina, Formentera, octobre 2013.

Je remercie Pierre Guglielmina qui m’a transmis sa préface en pdf , me permettant de corriger le texte reproduit ci-dessus, le texte publié dans L’Infini comportant plusieurs erreurs.

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John Steinbeck
Romans

Trad. par J.-C. Bonnardot, Maurice-Edgar Coindreau, Edmond Michel-Tyl et Charles Recoursé. Édition publiée sous la direction de Marie-Christine Lemardeley-Cunci. Avec la collaboration de Jakuta Alikavazovic, Marc Amfreville, Alice Béja et Nathalie Cochoy.

Parution le 2 Mars 2023
Bibliothèque de la Pléiade, n° 666
Achevé d’imprimer le 01 Février 2023
1664 pages, rel. Peau, 104 x 169 mm

Ce volume propose la « trilogie du travail » formée par En un combat douteux (1936), Des souris et des hommes (1937) et Les Raisins de la colère (1939), ainsi qu’À l’est d’Éden (1952), roman de la maturité. Le fil conducteur des trois premiers livres, c’est la réaction de l’individu à la pression du groupe. En un combat douteux, qui prône l’action collective, revêt une dimension épique. Des souris et des hommes traduit, par la simplicité de son intrigue et ses ressorts dramatiques, la dimension tragique d’une humanité abandonnée à la fragilité de ses rêves. Les Raisins de la colère, grand roman de la route, entremêle le destin de la famille Joad et des chapitres « collectifs » qui élargissent la perspective à l’ensemble du « peuple ». À l’est d’Éden enfin donne corps à l’imaginaire familial de Steinbeck et illustre la faculté de l’homme à choisir son destin. S’y mêlent souvenirs intimes et éléments allégoriques et historiques ; le bien et le mal s’y livrent une lutte placée sous le signe de Caïn.
En s’inspirant de thèmes et de figures bibliques, Steinbeck participe à l’écriture du mythe américain, y compris dans ses aspects les plus désespérés. Marqués au fer rouge par la Grande Dépression, ses personnages, laissés-pour-compte du rêve américain, sont des victimes de la modernité en marche. Dans des dialogues d’une grande virtuosité, le romancier fait entendre la crudité de leur langue (ce qui choqua ses contemporains) et leur confère une présence véritablement poétique. Quant aux analyses écologiques, économiques et sociales qui sous-tendent ses livres, elles demeurent troublantes d’actualité.

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John Steinbeck en 1962.
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Les romans de Steinbeck entrent dans la Pléiade

La prestigieuse collection de La Pléiade met à l’honneur un pilier de la littérature américaine : John Steinbeck. Le Book Club invite Jakuta Alikavazovic et Marie-Christine Lemardeley-Cunci, spécialistes de l’écrivain, pour explorer son œuvre engagée.
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Avec Jakuta Alikavazovic romancière
Marie-Christine Lemardeley professeur de littérature américaine à l’université Paris

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L’entrée dans la collection de la Pléiade marque la reconnaissance de la qualité littéraire d’un auteur ou d’une autrice : John Steinbeck, Prix Nobel de littérature en 1962, est aujourd’hui sujet à cette consécration. Quatre de ses romans sont regroupés dans cette publication : En un combat douteux (1936), Des souris et des hommes (1937) et Les Raisins de la colère (1939), ainsi qu’À l’est d’Éden (1952).

Né en 1902 en Californie, la carrière d’écrivain de Steinbeck est marquée par la Grande Dépression et il n’aura de cesse que de donner à voir les laissés-pour-compte du rêve américain dans ses romans, dont les personnages sont souvent des victimes de la modernité en marche. De plus, ses analyses de la société américaine, sur le plan social, économique et écologique, sont encore troublantes d’actualité.

Jakuta Alikavazovic est autrice et traductrice. Après sa formation à l’ENS Cachan et une agrégation d’anglais, elle commence par écrire pour la littérature jeunesse (plusieurs albums publiés à l’École des loisirs) avant de publier ses romans, principalement aux Éditions de l’Olivier. En 2007, Corps volatils obtient le Prix Goncourt du Premier Roman, tandis que son essai Comme un ciel en nous est récompensé du Prix Médicis en 2021. Elle écrit également pour Libération des chroniques littéraires mensuelles qui ont été publiées en 2022 dans un recueil intitulé Faites un voeu (Éditions de l’Olivier). En parallèle, elle traduit régulièrement des œuvres de littérature américaine contemporaine. Jakuta Alikavazovic a révisé la traduction et rédigé l’appareil critique pour Des Souris et des Hommes dans ce volume de la Pléiade.

Marie-Christine Lemardeley-Cunci est angliciste et professeur d’université spécialiste de littérature américaine. Après sa formation universitaire à Paris, elle mène des recherches en littérature à Washington et Princeton, notamment sur les poétesses américaines. Elle enseigne à la Sorbonne Nouvelle avant d’en prendre la présidence entre 2008 et 2014. Depuis 2014, elle est adjointe à la maire de Paris, en charge des questions relatives à l’enseignement supérieur, la vie étudiante et la recherche. Spécialiste de John Steinbeck, elle a publié plusieurs ouvrages sur l’écrivain, notamment des commentaires sur Des Souris et des Hommes (Foliothèque 1992) et Les raisins de la colère (Foliothèque 1998). Marie-Christine Lemardeley-Cunci dirige la publication de cet ouvrage de la Pléiade et en signe l’introduction.

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Les raisins de la colère (The Grapes of Wrath)


John Ford, The Grapes of Wrath, 1940.
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"Des types comme nous, y a pas plus seuls au monde." - "The Grapes of Wrath" est le "grand roman américain" symbole de ces sombres années de la Dépression qui voit la famille Joad s’entasser dans un vieux camion avec ce qui lui reste de meubles et prendre la fameuse route 66 qui conduit vers l’Ouest... et qui deviendra le chemin des opprimés et des déracinés de l’Amérique.
Avec John Steinbeck, la masse des hommes empoignés par la peur ou la colère, décrite en fonds de mythologie biblique, de forces élémentaires et de primitivisme, entre avec fracas en littérature.
On lui reprochera certes tour à tour un sentimentalisme facile, un symbolisme excessif et mal contrôlé, une psychologie trop stéréotypée, une vision marxiste, mais Steinbeck marque à sa façon la fin d’une époque de l’histoire américaine : le temps de la Frontière est terminé, l’individualisme forcené du pionnier est devenu totalement impuissant face à ces nouvelles forces économiques et sociales qui s’emparent brutalement et inexorablement de nos moyens d’existence. Que leur impose-t-on en retour, la tentative de la "masse", "we are the people..", mais une tentative qui est reste lettre morte : "le bien le plus précieux de l’homme est bien le cerveau isolé de l’homme...". L’individu est bien plus que ce qu’il paraît, et bien plus que ses préjugés peuvent laisser deviner. Fondamentalement "l’esprit de l’homme ne peut se contenter de vivre avec son temps comme le fait son corps..." (A l’est d’Eden)

La nation américaine est à l’orée des années trente plus troublée qu’à toute autre époque antérieure de son Histoire depuis la guerre de Sécession. Le krach de Wall Street traduit, après octobre 1929, l’effondrement du système capitaliste américain, dont la cupidité et les profits exorbitants des années vingt conduisaient inéluctablement à cette catastrophe tant morale qu’économique. L’idéalisme de l’opulent Gatsby devient soudain une incroyable fiction. Rares sont les écrivains alors enclins à brosser du busínessman américain une image flatteuse. Le capitalisme est désormais ressenti comme au-delà du bien et du mal, évoqué comme une gigantesque abstraction, anonyme et insondable, une force opaque et secrète échappant au contrôle moral et économique de tout agent humain ...
(Thomas Hart Benton (April 15, 1889-January 19, 1975) - Departure of the Joads (1939) - lithograph - SDMA San Diego Museum of Art)


John Ford, The Grapes of Wrath, 1940.
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John Steinbeck reproduit dans le chapitre 5 de "The Grapes of Wrath" (1939) la réaction de gens frustrés et désemparés. Un métayer spolié de l’Oklahoma, qui menace de tirer sur le représentant du propriétaire foncier, se rend bientôt compte que le propriétaire est en réalité un monstre tentaculaire appelé la Banque ou la Firme, qui à son tour "gets orders from the East". La leçon est implacable et tragique : cela ne sert à rien de tirer sur une banque. Steinbeck glisse en outre un trait révélateur dans le défi qui, naissant de cet esprit de résistance individuel et collectif qui tentait de prendre forme, engage l’agriculteur en lutte à proclamer la dignité humaine par ces mots : "We”ve got a bad thing made by men, and by God that’s something we can change"...

(V) "Les propriétaires terriens s’en venaient sur leurs terres, ou le plus souvent, c’étaient les représentants des propriétaires qui venaient. Ils arrivaient dans des voitures fermées, tâtaient la terre sèche avec leurs doigts et parfois ils enfonçaient des tarières de sondage dans le sol pour en étudier la nature. Les fermiers, du seuil de leurs cours brûlées de soleil, regardaient, mal à l’aise, quand les autos fermées longeaient les champs. Et les propriétaires finissaient par entrer dans les cours, et de l’intérieur des voitures, ils parlaient par les portières, Les fermiers restaient un moment debout près des autos, puis ils s’asseyaient sur leurs talons et trouvaient des bouts de bois pour tracer des lignes dans la poussière.
Par les portes ouvertes les femmes regardaient, et derrière elles, les enfants - les enfants blonds comme le maïs, avec de grands yeux, un pied nu sur l’autre pied nu, les orteils frétillants. Les femmes et les enfants regardaient leurs hommes parler aux propriétaires. Ils se taisaient.
Certains représentants étaient compatissants parce qu’ils s’en voulaient de ce qu’ils allaient faire, d’autres étaient furieux parce qu’ils n’aimaient pas être cruels, et d’autres étaient durs parce qu’il y avait longtemps qu’ils avaient compris qu’on ne peut être propriétaire sans être dur. Et tous étaient pris dans quelque chose qui les dépassait. Il y en avait qui haïssaient les mathématiques qui les poussaient à agir ainsi ; certains avaient peur, et d’autres vénéraient les mathématiques qui leur offraient un refuge contre leurs pensées et leurs sentiments. Si c’était une banque ou une compagnie foncière qui possédait la terre, le représentant disait : " La banque ou la compagnie... a besoin... veut... insiste... exige... "› comme si la banque ou la compagnie étaient des monstres doués de pensée et de sentiment qui les avaient eux-mêmes subjugués. Ceux-là se défendaient de prendre des responsabilités pour les banques ou les compagnies parce qu’ils étaient des hommes et des esclaves, tandis que les banques étaient à la fois des machines et des maîtres.
Il y avait des agents qui ressentaient quelque fierté d’être les esclaves de maitres si froids et si puissants. Les agents assis dans leurs voitures expliquaient : "Vous savez que la terre est pauvre. Dieu sait qu’il y a assez longtemps que vous vous échinez dessus."
Les fermiers accroupis opinaient, réfléchissaient, faisaient des dessins dans le sable. Eh oui, Dieu sait qu’ils le savaient. Si seulement la poussière ne s’envolait pas. Si elle avait voulu rester par terre, les choses n’auraient peut-être pas été si mal.
Les agents poursuivaient leur raisonnement :
— Vous savez bien que la terre devient de plus en plus pauvre. Vous savez ce que le coton fait à la terre ; il la vole, il lui suce le sang.
Les fermiers opinaient... Dieu sait qu’ils s’en rendaient compte. S’ils pouvaient seulement faire alterner les cultures, ils pourraient peut-être redonner du sang à la terre. Oui, mais c’est trop tard. Et le représentant expliquait comment travaillait, comment pensait le monstre qui était plus puissant qu’eux-mêmes. Un homme peut garder sa terre tant qu’il a de quoi manger et payer ses impôts ; c’est une chose qui peut se faire.
Oui, il peut le faire jusqu’au jour où sa récolte lui fait défaut, alors il lui faut emprunter de l’argent à la banque. Bien sûr... seulement, vous comprenez, une banque ou une compagnie ne peut pas faire ça, parce que ce ne sont pas des créatures qui respirent de l’air, qui mangent de la viande. Elles respirent des bénéfices ; elles mangent l’intérêt de l’argent. Si elles n’en ont pas, elles meurent, tout comme vous mourriez sans air, sans viande. C’est très triste, mais c’est comme ça. On n’y peut rien.
Les hommes accroupis levaient les yeux pour comprendre.
— Est-ce qu’on ne pourrait pas nous laisser continuer ?
L’année prochaine sera peut—être une bonne année. Dieu sait combien on pourra faire de coton l’année prochaine. Et avec toutes ces guerres... Dieu sait à quel prix le coton va monter. Est-ce qu’on ne fait pas des explosifs avec le coton ? Et des uniformes ? Qu’il y ait seulement assez de guerres et le coton fera des prix fous. L’année prochaine, peut-être.
Ils levaient des regards interrogateurs.
— Nous ne pouvons pas compter là-dessus. La banque... le monstre, a besoin de bénéfices constants. Il ne peut pas attendre. Il mourrait. Non, il faut que les impôts continuent. Quand le monstre s`arrête de grossir, il meurt. Il ne peut pas s`arrêter et rester où il est.
Des doigts aux chairs molles commençaient à tapoter le bord des portières, et des doigts rugueux à se crisper sur les bâtons qui dessinaient avec nervosité. Sur le seuil des fermes brûlées de soleil, les femmes soupiraient puis changeaient de pied, de sorte que celui qui avait été dessous se trouvait dessus, les orteils toujours en mouvement. Les chiens venaient renifler les voitures des agents et pissaient sur les quatre roues, successivement. Et les poulets étaient couchés dans la poussière ensoleillée et ils ébouriffaient leurs plumes pour que le sable purificateur leur pénétrât jusqu’à la peau. Dans leurs petites étables, les cochons grognaient, perplexes, sur les restes boueux des eaux de vaisselle.
Les hommes accroupis rabaissèrent les yeux.
— Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Nous ne pouvons pas diminuer notre part des récoltes... nous crevons déjà à moitié de faim. Nos gosses n’arrivent pas à se rassasier. Nous n’avons pas de vêtements, tout est en pièces. Si nos voisins n’étaient pas tout pareils, nous aurions honte de nous montrer aux services. Et finalement les représentants en vinrent au fait.
— Le système de métayage a fait son temps. Un homme avec un tracteur peut prendre la place de douze à quinze familles. On lui paie un salaire et on prend toute la récolte. Nous sommes obligés de le faire. Ce n’est pas que ça nous fasse plaisir. Mais le monstre est malade. Il lui est arrivé quelque chose, au monstre.
— Mais vous allez tuer la terre avec tout ce coton.
— Nous le savons. A nous de nous dépêcher de récolter du coton avant que la terre ne meure. Après on vendra la terre. Il y a bien des familles dans l’Est qui aimeraient avoir un lopin de terre.
Les métayers levèrent les yeux, alarmes.
— Mais qu’est-ce que nous allons devenir ? Comment allons-nous manger ?
— Faut que vous vous en alliez. Les charrues vont labourer vos cours.
Là-dessus les hommes accroupis se levèrent, en colère.
— C`est mon grand-père qui a pris cette terre, et il a fallu qu’il tue les lndiens, qu’il les chasse. Et mon père est né sur cette terre, et il a brûlé les mauvaises herbes et tué les serpents. Et puis y a eu une mauvaise année, et il lui a fallu emprunter une petite somme. Et nous on est nés ici. Là, sur la porte... nos enfants aussi sont nés ici. Et mon père a été forcé d’emprunter de l’argent. La banque était propriétaire à ce moment-là, mais on nous y laissait et avec ce qu`on cultivait on faisait un petit profit.
— Nous savons ça... Nous savons tout ça. Ce n’est pas nous, c’est la banque. Une banque n’est pas comme un homme. Pas plus qu’un propriétaire de cinquante mille arpents, ce n’est pas comme un homme non plus. C’est ça le monstre.
— D`accord, s’écriaient les métayers, mais c’est notre terre. C’est nous qui l’avons mesurée, qui l’avons défrichée. Nous y sommes nés, nous nous y sommes fait tuer, nous y sommes morts. Quand même elle ne serait plus bonne à rien, elle est toujours à nous. C’est ça qui fait qu’elle est à nous... d’y être nés, d’y avoir travaillé, d’y être enterrés. C’est ça qui donne le droit de propriété, non pas un papier avec des chiffres dessus.
— Nous sommes désolés. Ce n`est pas nous. C’est le monstre. Une banque n’est pas comme un homme.
— Oui, mais la banque n’est faite que d’hommes.
— Non, c’est là que vous faites erreur... complètement.
La banque ce n’est pas la même chose que les hommes. ll se trouve que chaque homme dans une banque hait ce que la banque fait, et cependant la banque le fait. La banque est plus que les hommes, je vous le dis. C’est le monstre. C’est les hommes qui l’ont créé, mais ils sont incapables de le diriger.
Les métayers criaient :
— Grand-père a tué les Indiens, Pa a tué les serpents pour le bien de cette terre. Peut-être qu’on pourrait tuer les banques. Elles sont pires que les Indiens, que les serpents. Peut-être qu’i1 faudrait qu’on se batte pour sauver nos terres comme l’ont fait Grand-père et Pa.
Et maintenant les représentants se fâchaient :
— Il faudra que vous partiez.
— Mais c’est à nous, criaient les rnétayers. Nous...
— Non. C’est la banque, le monstre, qui est le propriétaire. Il faut partir.
— Nous prendrons nos fusils comme Grand-père quand les Indiens arrivaient. Et alors ?
— Alors... d’abord le shérif, puis la troupe. Vous serez des voleurs si vous essayez de rester et vous serez des assassins si vous tuez pour rester. Le monstre n’est pas un homme mais il peut faire faire aux hommes ce qu’il veut.
— Mais si nous partons, ou irons-nous ? Comment irons-nous ? Nous n’avons pas d’argent.
— Nous regrettons, disaient les représentants. La banque, le propriétaire de cinquante mille arpents ne peuvent pas être considérés comme responsables. Vous êtes sur une terre qui ne vous appartient pas. Une fois partis vous trouverez peut-être à cueillir du coton à l’automne. Vous pourrez peut-être recevoir des secours du fonds de chômage. Pourquoi n`allez-vous pas dans l’Ouest, en Californie ? Il y a du travail là-bas, et il n’y fait jamais froid. Mais voyons, vous avez des oranges partout, il suffit d`étendre la main pour les cueillir. Mais voyons, il y a toujours quelque récolte en train là-bas. Pourquoi n’y allez-vous pas ? ..."

Crédit : insidewalk

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L’horreur économique - Autour des "Raisins de la colère" de Steinbeck


John Steinbeck en 1939.
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La Compagnie des oeuvres
Série « La bourse ou la vie : histoires de crises en littérature », jeudi 30 août 2018

L’œuvre de John Dos Passos se referme sur la crise de 1929, celle de son compatriote, John Steinbeck (1902-1968) s’ouvre sur cette sombre perspective et s’étend jusqu’au commencement de la Seconde Guerre mondiale. L’argent n’est ici rien de plus que des raisins secs.
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Avec Marie-Christine Lemardeley professeur de littérature américaine à l’université Paris 3.

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Pour cette dernière émission de la série consacrée à la crise financière en littérature, nous recevons Marie-Christine Lemardeley, professeure de littérature américaine à l’université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, auteure d’un essai sur John Steinbeck, publié en 2000 aux éditions Belin, dans la collection « Voix américaines » et responsable de l’édition des Raisins de la colère, dans la collection de poche Foliothèque des éditions Gallimard en 1998.
Le roman qui suit la famille Joad, illustration de l’Amérique rurale est celui des fermiers sans argent, sans illusion non plus. Ils nous confient leurs luttes sans victoire contre les grands propriétaires, les sociétés influentes, les banques puissantes. Leur quête de meilleures conditions de vie les conduit sur la route :

Les petits fermiers allaient habiter la ville, le temps d’épuiser leur crédit et de devenir une charge pour leurs amis ou leurs parents ; et finalement ils échouaient eux aussi sur la grand’-route, où ils venaient grossir le nombre des assoiffés de travail des forcenés prêts à tuer pour du travail. John Steinbeck, Les Raisins de la colère, chapitre XXII, 1939.


Ces travailleurs se racontent et Steinbeck écrit comme ils parlent, un phrasé qui donne une certaine authenticité au récit. Ils quittent leurs terres et tentent d’en trouver une qui porte encore des fruits. La problématique de la faim est dans le roman au sens propre comme au sens figuré. Leur colère se nourrit de la frustration, du manque.

Des effets, non des causes : des effets, non des causes. Les causes sont profondes et simples… les causes sont la faim, une faim au ventre multipliée par un million ; la faim dans une seule âme, faim de joie et d’une certaine sécurité, multipliée par un million ; muscles et cerveau souffrant du désir de grandir, de travailler, de créer, multipliés par un million. John Steinbeck, Les Raisins de la colère, chapitre XIV, 1939.


À réécouter : De Steinbeck à aujourd’hui : l’Amérique de crise en crise
La Grande table culture

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John Steinbeck : Le roman de la colère

Réalisation : Priscilla Pizzato
Pays : France
Année : 2018
Diffusion : Arte

Parmi les intervenants : Marie-Christine Lemardeley
Pap Ndiaye, actuel Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.

Brûlot politique et écologique dénonçant la misère sur fond de Grande Dépression, "Les raisins de la colère", roman culte de John Steinbeck, fit scandale à sa parution en 1939. Plongée dans une oeuvre à l’acuité rageuse.
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"Ils ne peuvent pas m’abattre maintenant, parce que ce serait trop flagrant." Au printemps 1939, lorsque paraît Les raisins de la colère, roman de la révolte qui divise l’Amérique en révélant crûment la face sombre du capitalisme, John Steinbeck craint pour sa vie. Rigoureusement documenté, ce livre, écrit sur le vif, conte la terrible odyssée de la famille Joad, métayers de l’Oklahoma, chassés de leurs terres par les tempêtes de poussière et la mécanisation de l’agriculture, sur fond de crise de 1929 et de Grande Dépression. Jetés sur les routes à l’image d’autres crève-la-faim immortalisés à l’époque par Dorothea Lange, dont les photos apparaissent dans le film, ces migrants, confrontés à la misère à leur arrivée en Californie, sont parqués dans des camps. D’une violence et d’une force bouleversantes, le best-seller fiévreux, porté un an plus tard à l’écran par John Ford, participe du mythe américain – l’emblématique route 66 et la traversée des frontières –, en dévoilant l’envers de la conquête de l’Ouest, au travers d’un exode rural éreintant. Mais l’œuvre dénonce aussi l’exploitation cynique de tous les damnés de la terre, exilés qui subissent l’hostilité de populations plus nanties, hier comme aujourd’hui, en Europe ou en Californie.

Éveiller les consciences
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De son écriture à sa réception en passant par sa résonance universelle, le documentaire plonge dans ce livre furieux et foisonnant où Steinbeck avait mis toute son âme pour provoquer la colère et éveiller les consciences. Brûlot politique et écologique, le roman, considéré comme l’un des plus grands du XXe siècle, dénonce déjà l’agriculture intensive, la financiarisation de l’économie et la déshumanisation des migrants. Au fil de formidables lectures d’extraits par Denis Podalydès, d’images prégnantes de détresse de la Grande Dépression – qui rappellent d’autres tragédies contemporaines – et d’éclairages, dont les réflexions vibrantes de l’écrivain sur son œuvre, le film revisite ce livre culte, en montrant qu’il n’a rien perdu de sa prodigieuse acuité quatre-vingts ans après sa parution.

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John Steinbeck reçoit le prix Nobel de littérature

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Discours de John Steinbeck à l’hôtel de ville de Stockholm, le 10 décembre 1962.

Vos Majestés, Vos Altesses Royales, Min Vackra Fru, Mesdames et Messieurs.

Je remercie l’Académie suédoise d’avoir jugé mon travail digne de ce plus grand honneur.

Dans mon cœur, il peut y avoir un doute sur le fait que je mérite le prix Nobel plus que d’autres hommes de lettres que je respecte et révère — mais il n’y a aucun doute sur le plaisir et la fierté que j’éprouve à le recevoir pour moi-même.

Il est d’usage que le lauréat de ce prix fasse des commentaires personnels ou savants sur la nature et l’orientation de la littérature. À ce moment précis, cependant, je pense qu’il serait bon de considérer les hautes fonctions et les responsabilités des créateurs de la littérature.

Le prestige du prix Nobel et de ce lieu où je me trouve est tel que je suis poussé, non pas à couiner comme une souris reconnaissante et apologétique, mais à rugir comme un lion, par fierté pour ma profession et pour les hommes grands et bons qui l’ont pratiquée à travers les âges.

La littérature n’a pas été promulguée par un sacerdoce critique, pâle et émasculé, chantant ses litanies dans des églises vides — et elle n’est pas non plus un jeu pour les élus cloîtrés, les mendiants en fer-blanc du désespoir hypocalorique.

La littérature est aussi vieille que la parole. Elle est née du besoin de l’homme et n’a pas changé, sauf pour devenir plus nécessaire.

Les skalds, les bardes, les écrivains ne sont pas séparés et exclusifs. Depuis le début, leurs fonctions, leurs devoirs, leurs responsabilités ont été décrétés par notre espèce.

L’humanité a traversé une période grise et désolée de confusion. Mon grand prédécesseur, William Faulkner, qui s’exprimait ici, y faisait référence comme à une tragédie de la peur universelle si longtemps entretenue qu’il n’y avait plus de problèmes de l’esprit, de sorte que seul le cœur humain en conflit avec lui-même semblait valoir la peine d’être écrit.

Faulkner, plus que la plupart des hommes, était conscient de la force et de la faiblesse de l’homme. Il savait que la compréhension et la résolution de la peur constituent une grande partie de la raison d’être de l’écrivain.

Ce n’est pas nouveau. L’ancienne mission de l’écrivain n’a pas changé. Il est chargé d’exposer nos nombreuses et graves fautes et échecs, de déterrer à la lumière nos rêves sombres et dangereux dans le but de les améliorer.

En outre, l’écrivain est chargé de déclarer et de célébrer la capacité avérée de l’homme à faire preuve de grandeur d’âme et d’esprit — de bravoure dans la défaite — de courage, de compassion et d’amour.

Dans la guerre sans fin contre la faiblesse et le désespoir, ce sont les drapeaux de ralliement lumineux de l’espoir et de l’émulation.

Je soutiens qu’un écrivain qui ne croit pas passionnément à la perfectibilité de l’homme, n’a aucun dévouement ni aucune appartenance à la littérature.

La peur universelle actuelle est le résultat d’un bond en avant dans notre connaissance et notre manipulation de certains facteurs dangereux dans le monde physique.

Il est vrai que d’autres phases de la compréhension n’ont pas encore rattrapé ce grand pas, mais il n’y a aucune raison de présumer qu’elles ne peuvent ou ne veulent pas se mettre au diapason. Il est même de la responsabilité de l’auteur de s’assurer qu’ils le fassent.

Compte tenu de la longue et fière histoire de l’humanité, qui a toujours tenu bon contre ses ennemis naturels, parfois face à une défaite et une extinction presque certaines, nous serions lâches et stupides de quitter le terrain à la veille de notre plus grande victoire potentielle.

Il est compréhensible que j’aie lu la vie d’Alfred Nobel — un homme solitaire, disent les livres, un homme réfléchi. Il a perfectionné la libération de forces explosives, capables de créer le bien ou de détruire le mal, mais sans choix, sans conscience ni jugement.

Nobel a vu certains des abus cruels et sanglants de ses inventions. Il a peut-être même prévu le résultat final de ses recherches — l’accès à la violence ultime — à la destruction finale. Certains disent qu’il est devenu cynique, mais je ne le crois pas. Je pense qu’il s’est efforcé d’inventer un contrôle, une soupape de sécurité. Je pense qu’il ne l’a finalement trouvé que dans l’âme et l’esprit humains. Pour moi, sa pensée est clairement indiquée dans les catégories de ces prix.

Ils sont offerts pour une connaissance accrue et continue de l’homme et de son monde — pour la compréhension et la communication, qui sont les fonctions de la littérature. Et ils sont offerts pour la démonstration de la capacité de paix — le point culminant de tous les autres.

Moins de cinquante ans après sa mort, la porte de la nature a été déverrouillée et le terrible fardeau du choix nous a été offert.

Nous avons usurpé bon nombre des pouvoirs que nous attribuions autrefois à Dieu.

Craintifs et non préparés, nous avons pris le pouvoir sur la vie ou la mort du monde entier, de tous les êtres vivants.

Le danger, la gloire et le choix reposent finalement sur l’homme. L’épreuve de sa perfectibilité est proche.

Ayant pris le pouvoir de Dieu, nous devons chercher en nous-mêmes la responsabilité et la sagesse que nous espérions autrefois qu’une divinité pourrait avoir.

L’homme lui-même est devenu notre plus grand danger et notre seul espoir.

De sorte qu’aujourd’hui, l’apôtre saint Jean pourrait bien être paraphrasé...

A la fin est le Verbe, et le Verbe est l’Homme — et le Verbe est avec les Hommes.

Merci.

Avant le discours, R. Sandler, membre de l’Académie royale des sciences, a déclaré : "M. John Steinbeck — Dans vos écrits, couronnés de succès populaires dans de nombreux pays, vous avez été un observateur audacieux du comportement humain dans des situations tant tragiques que comiques. Vous l’avez décrit aux lecteurs du monde entier avec vigueur et réalisme. Vos Voyages avec Charley ne sont pas seulement une recherche mais aussi une révélation de l’Amérique, comme vous le dites vous-même : "Ce monstre de terre, cette nation la plus puissante, cette progéniture du futur s’avère être le macrocosme de mon microcosme". Grâce à votre instinct pour ce qui est authentiquement américain, vous vous distinguez comme un véritable représentant de la vie américaine."

Lorsqu’en 2012, la Fondation Nobel rend publiques les archives des délibérations vieilles de cinquante ans comme le stipule le règlement, elle révèle que John Steinbeck fut récompensé par défaut. Les quatre autres auteurs retenus dans la sélection finale de 1962 étaient la Danoise Karen Blixen, le Français Jean Anouilh puis les Britanniques Lawrence Durrell et Robert Graves.

Il fut d’emblée décidé que Durell serait écarté. Son œuvre ne faisait pas l’unanimité au sein du jury qui avait déjà évincé sa candidature l’année précédente sur l’insistance d’un membre du comité trouvant que ses livres avaient un « arrière-goût douteux », en raison d’une « préoccupation monomaniaque pour les développements érotiques. ». Blixen mourut un mois avant l’élection du gagnant et Anouilh fut évincé car sa victoire aurait été trop proche de celle Saint-John Perse, le dernier lauréat français. Graves, quant à lui, était connu comme poète bien qu’il ait publié quelques romans.

Mais pour Anders Österling, secrétaire perpétuel d’alors, personne dans la poésie anglophone n’égalait le talent d’Ezra Pound dont il fut décidé qu’il serait privé de la récompense à cause de ses positions politiques. Steinbeck obtint finalement le prix. L’annonce de son couronnement fut mal reçue par la presse suédoise et américaine pour qui il était un auteur du passé. En effet, l’écrivain américain n’avait rien publié de marquant depuis longtemps et ses grands romans (Les Raisins de la colère, Des souris et des hommes et À l’est d’Eden) étaient derrière lui.

Quand il répondit à un journaliste lui demandant s’il méritait la distinction, Steinbeck, lui-même surpris par sa victoire, répondit : « Franchement, non. » Jamais par la suite, Anouilh, Graves et Durrell ne furent primés.

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Ce qu’en a dit Le Monde en 1962

Le prix Nobel de littérature a été attribué ce matin à Stockholm à John Steinbeck. C’est la sixième fois qu’un romancier américain obtient cette distinction. Les précédents lauréats avaient été Sinclair Lewis (1930). Eugène O’Neill (1936), Pearl Buck (1938). Faulkner (1949) et Hemingway (1954). En décernant son prix l’Académie suédoise a déclaré qu’elle avait choisi Steinbeck "parce que dans ses écrits l’imagination est fertile sans détruire le profond sens de la réalité, et que de ses livres se dégageait une psychologie empreinte de tendresse humaine et d’humour". Le prix, qui s’élève à près de 250 000 NF, sera remis à l’écrivain le 10 décembre.
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Le Monde
Publié le 26 octobre 1962

Né en 1902, dans une vallée de la Californie qui hantera plus tard son œuvre, John Steinbeck est issu d’une famille de modestes fonctionnaires d’origine allemande. Son enfance est modeste, plus vouée aux travaux de plein air qu’aux études. Pourtant dans la bibliothèque de sa mère il puise vite une large culture, approfondie sans doute pendant ses cinq années d’université à Stanford. Tout tourné qu’il soit vers la vie, la terre et l’aventure, Steinbeck n’est pas un autodidacte. Un séjour confus à New-York en 1926, où ayant voulu vivre sa vie, il fait un peu tous les métiers : maçon, peintre en bâtiment, employé de drug store, puis c’est la nostalgie de Salinas, sa vallée natale, et le retour en Californie, où il accepte modestement d’être gardien de propriété.

De cette reprise de contact avec la terre naît l’écrivain. Steinbeck écrit quatre romans qui restent inédits, et qu’il détruisit par la suite. Enfin, en 1929, Coupe d’or paraît. Cette vie romancée du fameux boucanier anglais qui conquit Panama sur les Espagnols est sa première rencontre avec le public. Mais la véritable inspiration californienne, celle à qui il devra ses chefs-d’œuvre, il ne la trouvera qu’avec les Pâturages du ciel (1932), un recueil de nouvelles. Le succès vint à lui avec Tortilla Fiat, où Steinbeck se libère en donnant cours à sa verve. Commence alors l’époque des grandes œuvres : En un combat douteux (1936), Des souris et des hommes (1937), les Raisins de la colère (1939). Il devient le romancier de ce monde paysan, rude et primitif, te ton s’élève. Ces êtres naïfs et brutaux, en qui il voit des tendres, sont des victimes de la société. Les Raisins de la colère obtinrent le prix Pulitzer en 1946. Quand après la guerre il fut traduit en France, lé livre eut le tirage d’un Goncourt. Steinbeck avait atteint la renommée mondiale.

Cette veine féconde, qui donnera encore un fruit en 1945 : la Rue de la Sardine, a-t-elle été coupée par la guerre, par la transformation du monde, par l’abandon de la terre natale ? Toujours est-il que les ouvrages suivants déçoivent. Ils tournent au mélodrame et deviennent moralisants : la Perle (1947), les Naufragés de l’autocar, et surtout A l’est d’Eden (1952), dont l’échec fut assez retentissant. Les derniers livres de Steinbeck, même Tendre Jeudi (1954), le Règne éphémère de Pépin IV (1957), fantaisie sur les mœurs politiques françaises, et l’Hiver de notre mécontentement, qui a été traduit l’an dernier en France, n’ont point apporté le renouvellement attendu.

Un Giono américain
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Il avait fait la guerre comme correspondant de presse en Afrique du Nord et en Italie. Il se révéla journaliste de grand talent (Il était une fois une guerre), comme dans les reportages qu’il fit par la suite sur ses Voyages en Russie et ses séjours à Paris : Un Américain de New-York à Paris.

On l’a comparé à Jean Giono pour ses personnages, ses thèmes, sa poésie, son sentiment de la lecture. Il a eu, comme Giono, une rupture dans sa veine littéraire. Le grand Steinbeck, que le prix Nobel couronne aujourd’hui, c’est celui des années 1935-1939.

Le Monde



[1Paris est une fête s’est très bien vendu après... les attentats islamiques de 2015.

[2Je m’en souviens d’autant plus qu’il suit, à très peu près, un petit article, amicalement repris par Lionel Dax, que j’avais consacré à La seconde vie de Shakespeare – Paradis, une cassette rarissime éditée par Sollers en 1979.

[3Grand magasin célèbre de New York.

[4Préface des livres de John Steinbeck, Dépêches du Vietnam, Belles Lettres, 2013, collection Mémoires de Guerre, dirigée par François Malye.

[5À l’heure tardive où nous sommes, Barack Obama et son homologue iranien en discutent en riant aux éclats.

[6Thomas Barden, l’éditeur de ces dépêches de Steinbeck, fournit sur ce point des renseignements précieux dans sa belle introduction et un commentaire subtil dans son excellent « Épilogue. »

[7« […] l’humanisme anthropocentrique mérite le nom d’humanisme inhumain, » a écrit Jacques Maritain dans une formule savamment contradictoire.

[8Formule « en avant » de Philippe Sollers dans la conclusion de Guerres secrètes, Carnets Nord 2007.

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2 Messages

  • Albert Gauvin | 5 mars 2023 - 16:38 1

    Cher Pierre Guglielmina,
    Je vous remercie. J’ai d’ores et déjà repris votre préface — remarquable ! — dans son intégralité.
    Bien à vous
    A.G.


  • Pierre Guglielmina | 5 mars 2023 - 13:42 2

    Cher Albert Gauvin,
    Je découvre le dossier que vous consacrez à Steinbeck et je me réjouis de voir y figurer ma préface. Hélas, la version de L’Infini était un peu bancale, l’erreur la plus flagrante étant à la dernière ligne, “L’Ouest est devenu l’Occident.” Je ne sais si vous corrigez les textes mis en ligne, mais voici la version qui fait foi.
    Merci en tout cas.
    Bien à vous,
    PG