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Louis-Ferdinand Céline face à ses critiques

"Les Beaux draps", "Londres", le nouvel inédit de Céline

D 7 juillet 2022     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Attentif à tout ce qui était écrit sur lui, Céline a souvent remercié les critiques qui l’ont soutenu, tant qu’il l’a été. Mais dès Mort à crédit, il a surtout retenu les attaques dont il a fait l’objet. Avec le temps, il a de moins en moins été tenté de justifier ses œuvres ou ses actions mais, que ce soit pour ses écrits ou dès qu’il était question de lui d’une façon qui lui déplaisait, il n’a pas manqué de réagir, souvent vertement, pour commenter ou rétablir sa vérité.

LETTRES

A dans 6 ans

Monsieur,

J’ai lu et relu avec beaucoup d’émotion votre admirable critique

de ce matin sur le Voyage. Je l’attendais. Vous avez très finement et très profondément raison (Je parle de vos griefs). Il faut faire attention à la fatigue... au bavardage, au paradoxe qui les Jours gris tend à remplacer la verve défaillante... On ne délire pas assez franchement, assez simplement. Jamais assez. On veut paraître raisonnable. On a honte, on a tort. Tout cela vieillit si vite... Il faut en [faire] énormément pour qu’il en reste un petit peu. Au prochain livre ( dans 6 ans ) j’aimerais si vous le voulez bien, vous soumettre le manuscrit.

Agréez je vous prie l’assurance de mes sentiments très reconn[aissa]nts

Destouches
Céline


Lettre à Edmond Jaloux,
Paris, 10 décembre 1932

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« J’écris comme je parle [ ... ] je vous prie de le croire  »

Cher confrère

Tout d’abord ma très vive reconnaissance pour l’article que vous le tout premier vous avez bien voulu me consacrer. Je ne sais ce qu’il me faut admirer le plus, votre bienveillance ou votre courage ! Surtout que vous avez dû éprouver de votre public de très vives réactions. Il est plus (bien) facile de m’accabler que de me défendre !

Je le sais.

Maintenant aux querelles !

Griefs de l’argot : truc, procédé, manière, artifice, [ un mot illisible] etc. !

Mais non ! J’écris comme je parle, sans procédé, je vous prie de le croire. Je me donne du mal pour rendre le « parlé » en « écrit », parce que le papier retient mal la parole, mais c’est tout. Point de tic ! Point de genre en cela ! De la condensation c’est tout. Je trouve quant à moi en ceci le seul mode d’expression possible pour l’émotion. Je ne veux pas narrer, je veux faire RESSENTIR. Il est impossible de le faire avec le langage académique, usuel - le beau style. C’est l’instrument des rapports, de la discussion, de la lettre à la cousine, mais c’est toujours de la grimace et du figé. Je ne peux pas lire un roman

en langage classique. Ce sont là des PROJETS de romans, ce ne sont jamais des romans. Tout le travail reste à faire. Le rendu émotif n’y est pas. Et c’est lui seul qui compte. D’ailleurs cela est tellement exact que sans camaraderie, forcerie, complaisance, pénurie, on ne les lirait plus depuis longtemps ! Leur langue est impossible, elle est morte, aussi illisible (en ce sens émotif) que le latin. Pourquoi je fais tant d’emprunts à la langue au « jargon », à la syntaxe argotique, pourquoi je la forme moi-même si tel [est] mon besoin de l’instant ? Parce que vous l’avez dit elle meurt vite cette langue. Donc elle a vécu, elle VIT tant que je l’employe. Capitale supériorité sur la langue dite pure, bien française, raffinée, elle TOUJOURS MORTE, morte dès le début, morte depuis Voltaire, cadavre, dead as a door nait. Toute le monde le sent, personne ne le dit, n’ose le dire. Une langue c’est comme le reste, ÇA MEURT TOUT LE TEMPS, ÇA DOIT MOURIR. Il faut s’y résigner, la langue des romans habituels est morte, syntaxe morte, tout mort.

Les miens mourront aussi, bientôt sans doute, mais ils auront eu la petite supériorité sur tant d’autres, ils auront pendant un an, un mois, un jour, VÉCU. Tout est là. Le reste n’est que grossière, imbécile, gâteuse vantardise. Dans toute cette recherche d’un français absolu

il existe une niaise prétention, insupportable, à l’éternité d’une forme d’écrire, une seule, en français ! le joli style ! la jolie momie ! Bandelettes !

Ne rien risquer. Vite en momie ! C’est le mot d’ordre de tous les lycées. Bandelettes ! Encore suis-je moins cruel qu’Élie Faure. « La plupart du temps les artistes sous prétexte d’art s’arrangent pour faire plus mort que la mort, ils lui ajoutent un poids spécifique que la mort n’a pas. La mort possède encore une espèce de vie ... »

Votre ami
Céline

Lettre à André Rousseaux,
24mai 1936

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Sont-ils jaloux de mon expérience vivante ?

Cher Maître,

La critique ( en général) fait preuve contre mon nouveau livre d’une partialité écœurante. Il s’agit de me faire payer cher le succès du Voyage (acquis en grande partie grâce à vous). Tous les moyens sont bons pour me faire passer pour un rusé, un farceur, un maniaque, enfin et surtout bien plus grave pour un ennuyeux ! ... Rien n’y manque ! On ne me lit même pas. Le siège est fait !

Il s’agit de nuire le plus possible et de propos délibéré, sans aucune

élémentaire probité morale ou artistique. Évidemment tout ceci est classique. Dans un art quelconque les ratés formant une proportion de 999/ 1000 tout ce qui n’est pas raté provoque une révolution, un déluge de haines. Bon. Mais il me peinerait beaucoup que ce mascaret bileux vous empêchât au moins de me lire. Je me suis très sincèrement appliqué à cet ouvrage, énormément à vrai dire. J’y ai passé depuis quatre ans mes jours et mes nuits, en plus de ma misérable pratique au dispensaire (1500 francs par mois). Je ne suis pas riche, j’ai une fille et une mère à ma charge. Le Voyage

a rapporté environ 1200 francs de rente mensuels. Je cite ces chiffres parce qu’ils disent bien les choses telles qu’elles sont. Pour Mort à crédit je me suis crevé littéralement. Je l’ai fait le mieux que

j’ai pu. Si ceux qui se permettent si lâchement, si impunément de me « piloriser » possédaient le vingtième de ma probité et de mon application, le monde deviendrait aussitôt un édénique séjour, et j’avoue alors que ma littérature deviendrait injuste. Mais nous n’en sommes pas là. On me fait aussi, profondément je crois, le grief de rompre avec toutes les formes académiques classiques, consacrées. J’écris dans une sorte de prose parlée, transposée.

Je trouve cette manière plus vivante. Ai-je le droit ? Cette forme a ses règles, ses lois, terribles aussi, vous le savez bien. Que d’autres essaient. Ils verront. J’ai effacé mon travail derrière moi, mais il existe. Autre chose, on me reproche aussi de n’être point latin, classique, méridional ( caractères bien définis... élégance... mesure... joliesse... etc). Je suis très capable d’apprécier les diverses beautés du genre, mais bien incapable de m’y soumettre !... Je ne suis pas méridional. Je suis parisien, breton et flamand de descendance. J’écris comme je sens. On me reproche d’être ordurier, de parler vert. Il faut alors reprocher à Rablais [sic], à Villon, à Brughel, à tant d’autres ... Tout ne vient pas de la Renaissance. On me reproche la cruauté systématique. Que le monde change d’âme.je changerai de forme. D’où me viennent tous ces puristes soudains ?

Je ne les vois pas s’élever contre les films gangsters ! contre Détective ! contre tant de pornographies qui sont elles sans excuses ... C’est que ces puristes sont aussi des lâches. Ils ne risquent rien surtout anonymement à vider leur petit fiel contre un auteur solitaire, ils risquent trop contre les formidables intérêts du film ou d’Hachette. Lèchebottes d’un côté ou farouches défenseurs moraux selon l’intérêt du bifteak. Sont-ils jaloux de mon expérience vivante ? Évidemment je n’ai jamais été au lycée. J’ai fait mes bachots, ma médecine, tout en gagnant ma vie. On apprend beaucoup par ce moyen. C’est peut-être ce qu’on me pardonnerait le moins facilement. Enfin je suis médecin. On hait les médecins, leur expérience aussi. En écrivant des livres du genre que vous savez, je risque beaucoup d’être éliminé de partout, de perdre mes emplois.

Je ne fais pas de la littérature de repos.

Enfin on me reproche ce qu’on appelle la confusion... L’autre ne me trouve pas vraisemblable ! J’écris dans la formule rêve éveillé. C’est une formule nordique. Ah ! comme je serais heureux que vous me réserviez un article, non pour me louer (cette demande ne serait digne ni de vous ni de moi), mais pour définir clairement comme vous seul pourriez le faire, avec votre immense autorité, ce qui existe et ce qui n’existe pas dans mon livre.

Croyez-moi toujours, cher Maître très sincèrement reconnaissant et amical .

Louis Destouches
(L.-F. Céline)

Lettre à Léon Daudet,
vers fin mai 1936

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Ah ! que vous êtes loin du problème

Mais non, satané damné vieux con,

ce n’est pas de grossièreté qu’il s’agit, mais de transposition du langage parlé en écrit !

Vous dire merde, ce n’est rien...

Vous botter le cul pas grand chose... mais faire passer tout ceci en écrit.voilà l’astuce... l’impressionnisme !

Ah ! que vous êtes loin du problème.

Allez, signez des listes noires ! des proscriptions, mouchardez ! fliquez ! bourriquez ! Vous n’êtes bon qu’à ça !

L.-F. Céline

Lettre à André Billy,
Copenhague, 22 octobre 1947

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LES BEAUX DRAPS


Alors que Ralph Soupault caricature la saisie des Beaux Draps 1 ci-dessus), Céline se fait plus discret. "Vous me demandez pourquoi je n’écris plus ? Vous êtes bien aimable.

Ma réponse est simple. Ce qui est écrit est écrit. Jamais de redites. Ce qu’il faut écrire, rien de plus, au juste moment. Le moment passé, le danger passé, place aux commerçants 1 Aux chiens et aux moutons ! Aux vendeurs de tout !

Aux bêleurs en tout !

Il faut de tout pour faire un monde !... ", écrit-il à Jean Lestandi, journaliste au Pilori,

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le 10 septembre 1942.

« Il faudrait apprendre à danser. La France est demeurée heureuse jusqu’au rigodon.

On dansera jamais en usine, on chantera plus jamais non plus. Si on chante plus on trépasse, on cesse de faire des enfants, on s’enferme au cinéma pour oublier qu’on existe, on se met en caveau d’illusions, tout noir, qu’est déjà de la mort, avec des fantômes plein l’écran, on est déjà bien sages crounis, ratatinés dans les fauteuils, on achète son petit permis avant de pénétrer, son permis de renoncer à tout, à la porte, décédés sournois, de s’avachir en fosse commune, capitonnée, féerique, moite."

Les Beaux Draps

Après la débâcle de juin 1940, à laquelle il a assisté, Céline décide de raconter à chaud ce qu’il vient de vivre dans un nouveau pamphlet, Les Beaux Draps, qui paraît en février 1941 aux Nouvelles Éditions françaises, une société que vient de créer Robert Denoël. Il y donne sa propre version de l’exode en tournant en dérision la déroute de l’armée française. La guerre qu’il redoutait tant étant arrivée, ce sentiment d’écœurement que la défaite a fait naître en lui, il veut le faire partager en laissant une nouvelle fois libre cours à ses obsessions. Il y dessine un avenir noir pour la France de l’après-¬guerre, une sorte de communisme où la petite bourgeoisie règne en maître. Un avenir tellement noir que le gouvernement de Vichy fait symboliquement saisir le livre en zone libre.
Il accompagne cette publication d’un « Acte de foi » paru dans La Gerbe, première d’une série de contributions plus ou moins destinées à la publication dans la presse de l’Occupation à laquelle pourtant il refuse de collaborer de façon régulière. Outre les questions raciales, Céline est sollicité sur l’actualité sociale (les restaurants coopératifs ou la réédition de « La Médecine chez Ford »), l’actualité littéraire (Cocteau ou Péguy) et l’actualité politique. Mais Céline ne s’engage dans aucun parti et provoque même souvent les Allemands en leur prédisant une défaite inéluctable bien qu’elle lui fasse peur pour son propre avenir. En même temps qu’il vitupère contre les Juifs ou les communistes, il n’hésite pas à soigner des Juifs ou des résistants et à aider des jeunes gens à ne pas partir travailler en Allemagne.


1942, le peintre Gen Paul, Céline et l’acteur Pierre Labrie, maire de la Commune libre de Montmartre.
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Céline voit se dessiner la fin de la guerre, et l’année 1942 - malgré quelques manifestations à caractère politique ou des lettres circonstancielles et quelques polémiques à propos des Beaux Draps - est marquée par son retour au roman, avec la rédaction de Guignol’s Band dont le premier tome est publié par Denoël en mars 1944. A la mi-juin, après le débarquement, Céline décide de quitter Paris. Il appréhende la Libération et les représailles contre ceux qui, comme lui, vont être accusés de collaboration. Avec sa femme Lucette et leur chat Bébert, ils gagnent l’Allemagne. Ils retrouvent leur ami, l’acteur Robert Le Vigan, à Baden-Baden où ils resteront jusqu’à fin juillet. Céline veut se rendre a Danemark, mais doit demeurer à Neu Ruppin, près de Kraentzlin, jusqu’au mois d’octobre où il rejoint la colonie française regroupée autour du maréchal Pétain à Sigmaringen. Pendant quatre mois, et bien qu’il n’y occupe aucune fonction officielle et loge à l’extérieur du château, il y pratique la médecine auprès des réfugiés de la colonie française.


Pascal Fouché
CELINE « ça a débuté comme ça »
Découvertes Gallimard Littératures, 2001


LONDRES

Gallimard a décidé d’exhumer un deuxième roman inédit de l’auteur de "Voyage au bout de la nuit".
Après le succès de "Guerre", sorti en mai, sa suite intitulée "Londres" paraîtra le 14 octobre prochain.
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Louis-Ferdinand Céline à la sortie de son procès, au début des années 1950, en France. (ECLAIR MONDIAL/SIPA / SIPA)
ZOOM : cliquer l’image
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Le retour du soldat Ferdinand

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« Guerre » s’achevait sur le départ du protagoniste, le brigadier Ferdinand, pour l’Angleterre. « Londres », écrit en 1934, en « est la suite directe », a expliqué Gallimard dans son programme de parution. « Il s’impose comme le grand récit d’une double vocation : celle de l’écriture et celle de la médecine. Ou comment se tenir au plus près de la vérité des hommes, au beau milieu de cette farce outrancière et mensongère qu’est la vie », a ajouté l’éditeur. Grièvement blessé lui aussi lors la Première Guerre mondiale, Céline part pour la capitale britannique en 1915, affecté au consulat de France. Il n’y reste qu’un an.
Cette période est évoquée dans « Guignol’s Band », roman paru en 1944, et « Le Pont de Londres (Guignol’s Band II) », publié en 1964, trois ans après la mort de l’auteur. Ces romans ont pour point commun de dépeindre le milieu de la prostitution. Dans « Londres », « Ferdinand prend domicile dans une mansarde de Leicester Pension, où Cantaloup, un maquereau de Montpellier, organise un intense trafic sexuel avec la complicité d’un policier », indique Gallimard.

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GALLIMARD présente « Londres »
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« On ne s’arrêtera pas à #Guerre parce que dans les manuscrits, il y a également un deuxième gros roman, qui est “Londres”, et qui est en réalité la suite de “Guerre”. [...] Là où vraiment “Guerre” est le roman du traumatisme, de la prise de conscience, “Londres” est à bien des égards, le roman du salut. »

« “Guerre” s’achève sur une scène de départ et "Londres" commence par une scène d’arrivée à Londres. Nous sommes en 1915, épisode qui correspond effectivement au passage londonien de Céline pendant la guerre, et qui va décrire la suite des aventures de Ferdinand. »

Alban Cerisier (Éditeur)

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Après un itinéraire qui n’est pas connu, ces manuscrits inédits de Céline ont été donnés à un journaliste, Jean-Pierre Thibaudat. Après les avoir longtemps conservés en secret, il a dû les restituer aux ayants droit de l’auteur de Voyage au bout la nuit, en juin 2021. La maison Gallimard s’était alors montrée déterminée à publier ces inédits avant que toute l’œuvre de Céline ne tombe dans le domaine public, en 2032.

L’écrivain n’a pas fini de faire l’actualité puisque l’éditeur prévoit d’autres parutions, avec notamment une version remaniée de Casse-pipe, un roman inachevé paru en 1949 sur la vie de caserne avant la Première Guerre mondiale, et La Légende du roi Krogold, un conte médiéval que l’éditeur Denoël avait refusé.

Gallimard, Paris Match avec AFP, leclaireur.fnac.com/, TF1-Info

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