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Différence de Miles Davis

26 mai 1926 à Alton (Illinois) / 28 septembre 1991 à Santa Monica (Californie)

D 28 septembre 2021     A par Albert Gauvin - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Jouer est un travail de la main. La main de Miles Davis. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

A l’occasion des 30 ans de sa mort retour sur la vie de l’étoile filante à la trompette : Miles Davis ! Sur France Musique.

Véritable Picasso du jazz, Miles Davis, ce héros, cet « anarchiste chinois », révolté, séducteur, indifférent aux modes — c’est lui qui les crée —, accompagnant-traversant toutes les formes (du be-bop au jazz-rock), ne pouvait que toucher l’oreille de Philippe Sollers. On lira ci-dessous le texte publié en 1994 dans La guerre du goût (il se trouve entre Mozart et Haydn, ce qui, on en conviendra, n’est pas rien).
Jamais texte sur Miles Davis n’a visé aussi juste, dans un style aussi concis. Qui n’y entendrait la trompette de Miles ? Son détachement, son ironie. Et même : « le son qui n’existe pas ».


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ZOOM : cliquer sur l’image
Exposition Cent ans de jazz (photo : A.G.)

Différence de Miles Davis

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Il est toujours ailleurs, distant, plus loin que ce qu’on attend, et c’est cela qu’il veut dire : l’au-delà de la pression, l’appel au dessus de la ligne d’horizon, simple ponctuation décalé, parfois, au milieu de l’immersion ou de la décomposition globale. Pour cela, il faut la trompette, instrument du réveil et de la résurrection. Les saxophones ont beau agiter la vie, la tordre, la tourbillonner en tous sens, il se retrouve avec la batterie et la basse, allons, allons, on n’est pas obligé de se rouler indéfiniment dans les ondes, le bruit, le cri, la profusion psychique. Il attend, il se fait attendre, va-t-il jouer la prochaine note, ce n’est pas certain. Il reste acide, mat, violent-pondéré, il compte de l’autre côté, à l’envers, il ne retombe pas dans le thème. Sa trompette bouchée est l’écho d’un écho, un métal au deuxième degré, comme si elle était obligée de traverser une énorme masse liquide (les préjugés, les clichés, l’expressivité répétitive). Son obsession est le son qui n’existe pas. Eux jouent la virtuosité qui déborde, ils se ressoudent par rapport à lui, ils le haïssent, ça les fait marcher, ce sont des hystériques. Il les écoute, il les traite de façon détachée, flottante. Il les laisse à leurs organes et à leurs pulsions, il y touche à peine, il dérape, il revient à la raison de tout ce trafic, je suis la tête, je suis la joie du concept. L’émotion est plus forte d’être un peu sardonique, pas de pathos, j’y suis, j’y suis toujours : Bye bye blackbird , 4 juillet 1958, Newport.

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Miles Davis, anarchiste chinois, travaille dans le noir et blanc radical. Il me fait penser à Apollinaire, un soir de demi-brume à Londres ("Je ne chante pas ce monde ni les astres, je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres"). Pas de plainte, ni maître ni esclave, jamais banal. La révolte totale se marque dans l’art des fractions. Je traîne le son pour le rendre à sa rage vraie, je le fais éclater de manière rentrée. Les phénomènes passent, je cherche les lois [1]. Un tel retrait féminin est un comble de virilité qui féminise les mâles à vue d’oeil. Je persiste dans l’engloutissement, je fais signe quand même. S’il le faut, je mettrais en scène l’incroyable mauvais goût de l’époque, juste pour dire, à un moment donné : attention la cour. Jugement tranchant, sans emphase. Si la mort parle, ce doit être, au fond sur ce ton.

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Bye bye blackbird, Newport, 1958

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Le live dont parle Philippe Sollers

Miles Davis avec John Coltrane

Miles Davis sextet : Miles Davis (trompette), Cannonball Adderley (saxophone alto), John Coltrane (saxophone tenor), Bill Evans (piano), Paul Chambers (contrebasse), Jimmy Cobb (batterie).


En dehors de Bye bye blackbird, les morceaux joués à Newport sont : Ah-leu-cha, Fran-dance, Straight no chaser, The theme, Two bass hit.

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Miles Davis au Gleason’s Gym dans le Bronx, 1970.

J’en ai parlé dans mon article sur Boxe de Jacques Henric.

Miles Davis, A Tribute to Jack Johnson

6 mars 1970, Fillmore East.
Miles Davis (trompette), Wayne Shorter (saxo), Chick Corea (clavier), Dave Holland (bass), Jack DeJohnette (batterie), Airto Moreira (percussions).

Extraits (montage). Avec des images de combats du « bad nigger » et, notamment, de ceux contre Tommy Burns le 26 décembre 1908 à Sydney (Australie), où il remporta son 1er titre de champion du monde, contre Stanley Ketchel le 16 octobre 1909 à Colma (Californie) et, à la fin de la séquence, contre James Jackson Jeffries le 4 juillet 1910 à Reno (Nevada).

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La musique fut utilisée pour le film sur Jack Johnson réalisé par le promoteur de combats de boxe William Cayton (1970, 90’) avec d’autres musiciens (le saxophoniste Steve Grossman, le guitariste John McLaughlin, l’organiste Herbie Hancock, le bassiste Michael Henderson et le batteur Billy Cobham).

L’un des morceaux de l’album [2]Yesternow — se termine par un caméo vocal de l’acteur afro-américain Brock Peters prononçant une des plus fameuses phrases dites par Jack Johnson : « I’m Jack Johnson, heavyweight champion of the world ! I’m black ! They never let me forget it. I’m black all right ; I’ll never let them forget it. » En français : « Je suis Jack Johnson, champion du monde poids lourds ! Je suis Noir ! Ils ne me laisseront jamais l’oublier. Je suis Noir, ça, c’est vrai, et je ne les laisserai jamais l’oublier. »

Miles écrit dans son « Autobiographie » [3] :

Ce printemps-là [1970], j’ai enregistré « Jack Johnson », disque et bande sonore d’un film sur la vie de ce boxeur. La musique était faite à l’origine pour Buddy Miles, le batteur, mais il n’est pas venu. À l’époque où j’ai écrit ces thèmes, je m’entraînais au Gleason’s Gym avec Bobby McQuillen, qui se faisait désormais appeler Robert Allah (il était devenu musulman). Bref, j’avais ces mouvements de boxeur en tête, ce glissement des pieds si caractéristique. Presque comme des pas de danse, ou le bruit d’un train. En fait, ça me donnait l’impression d’être dans un train lancé à 130 kilomètres/heure, avec ce rythme qu’on entend se répéter à cause de la vitesse des roues qui touchent le métal, le plop-plop, plop-plop, plop-plop des roues passant sur la jointure des rails. Cette image de train surgissait dans ma tête quand je pensais à un grand boxeur comme Joe Louis ou Jack Johnson. Quand un poids lourd s’avance vers vous, c’est un véritable train…
Puis, dans ma tête, la question est devenue : cette musique est-elle assez noire, a-t-elle un rythme noir ? Est-ce que je peux faire que le rythme de train devienne un truc noir ? Jack Johnson danserait-il là-dessus ? Il faut dire que Jack Johnson aimait faire la fête, aimait s’amuser et danser. C’est James Finney, mon coiffeur — et celui de Jimi Hendrix — qui a donné son titre à l’un des thèmes, Yesternow.
Finalement, la musique a collé parfaitement au film. Mais quand le disque est sorti, il a été enterré. Aucune promotion. À mon avis, parce que c’était une musique sur laquelle on pouvait danser. Et aussi parce qu’on y trouvait beaucoup de choses que jouaient les musiciens de rock blancs : les gens ne voulaient pas qu’un musicien de jazz noir fasse ce genre de musique. Enfin, les critiques ne savaient pas par quel bout le prendre. Alors Columbia n’a fait aucune promotion. Beaucoup d’artistes de rock l’ont entendu, n’en ont pas parlé publiquement, mais sont venus me dire qu’ils l’adoraient. Début 1970, en enregistrant Duran, je me suis dit que je tenais un hit. Mais Columbia ne l’a sorti que bien plus tard, en 1981. Duran tenait son titre de Roberto Duran, le grand champion de boxe panaméen. (p. 335)
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Voir en ligne : Le site officiel de Miles Davis



So what ?

« Kind Of Blue », 17 août 1959 on Columbia Records.

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Interviews de Miles Davis

1. INTERVIEW, 1982 (VO)

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2. Nice (1987)

Plateau en direct de Nice avec Miles Davis, venu participer à la Grande Parade du Jazz. Miles Davis, mâchonnant son chewing-gum, répond aux questions de Jean-Jacques Dufour et Norbert Balit, au sujet des différences entre le public Américain et français, il apprécie les cadeaux qu’on lui a apportés : une toile et un chaise faite de trompettes assemblées. Puis il évoque son prochain disque et explique pourquoi il joue dos au public afin d’avoir une sonorité différente. Durant son interview, il se plaint qu’on ne le laisse pas terminer ses réponses. Entre l’interview du musicien, diffusion d’un reportage de Jean-Jacques Dufour diffusé dans le journal télévisé du 04/11/1986 : extrait d’un concert de Miles Davis accompagné de ses musiciens en alternance avec des images de sa conférence de presse donnée au Palais des congrès ce même jour.

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Miles Davis, Isle of Wight (1970)

Miles Davis - "Call It Anything"
présenté par Keith Jarrett

Artists :
Miles Davis - Trumpet
Gary Bartz - Alto, Soprano saxes
Keith Jarrett - RMI ElectraPiano/organ
Chick Corea - Hohner Electra-Piano
Dave Holland - Bass
Jack DeJohnette - Drums
Airto Moreira - Percussion

La légende dit que lorsqu’on lui a demandé comment s’appelait ce qu’il venait de jouer, il aurait répondu de sa voix brisée, définitivement éraillée, depuis qu’un soir de 1956, deux jours après une opération de la gorge, il hurla sur un type d’une maison de disque et se bousilla définitivement les cordes vocales, Call it anything. Le type qui a posé la question a dû avoir des frissons en entendant cette voix et en sentant le regard de Miles plongé dans ses yeux. Call it anything.

When the legend becomes a fact, print the legend, le nom est resté... la suite ici.

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Portfolio

  • Miles
  • Noir et blanc radical
  • Miles Davis, trompette cuivrée et housse (photo A.G.)

[1Lautréamont, Poésies II.

[2Album mis en ligne dans mon article sur Arthur Cravan. Cf. Apparente digression musicale (Miles Davis).

[3Miles, L’autobiographie. Rééditée en 2016 chez Infolio, dans une version revue et corrigée.

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