4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » SUR DES OEUVRES DE TIERS » Hommage à Michel Deguy (1930-2022)
  • > SUR DES OEUVRES DE TIERS
Hommage à Michel Deguy (1930-2022)

D 19 février 2022     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Michel Deguy est mort à Paris le 16 février 2022 à l’âge de 91 ans. Les obsèques se tiendront le mardi 22 février à 14h15 en l’Église Saint-Séverin à Paris. Poète et philosophe, il avait fondé la revue Po&sie en 1977. Le numéro 177-178 paraît ce 23 février après avoir été plusieurs fois différé. Il est grande partie consacré à « Dante : un appareil à capter l’avenir ». J’y reviendrai dans les prochains jours. Michel Deguy avait obtenu le Prix Goncourt de la poésie 2020. En mars 2020, il avait écrit et lu une « chronique » poétique de circonstance : Coronation, puis une réflexion en prose sur le vivre en commun à l’échelle du monde en temps de pandémie.

Après avoir repris les hommages que lui ont rendus Martin Rueff et Patrick Kéchichian, je reviens, Pileface oblige, sur le bref passage de Deguy à la revue Tel Quel aux débuts des années soixante. Ce ne sont que quelques mois qui ne pèsent pas grand’chose au regard d’une vie qui dura 90 ans et d’une oeuvre très importante, mais que ce passage se fît sous le signe d’une poésie de Hölderlin - Retour - qu’il avait traduite ainsi que son commentaire par Heidegger [1], est symptomatique des intérêts que Tel Quel et Deguy portèrent très tôt pour l’un des plus grands poètes que le monde a connus. Que son départ — son éviction — de la revue fût consécutif à la mort de Georges Bataille en 1962 et que, malgré cela, il y publia encore en 1965 un texte intitulé Biographie, par lequel je terminerai ce court hommage, ne l’est pas moins. J’aime qu’il ait pu écrire dans un poème nommé Dévotion : « Je suis un prostitué de la lecture » et dans Vérités :

Dire que peut-être dire est voué
aux paradoxes surnommés triviaux
d’un logos plafonné que la science aphone crèverait !
Mais la pensée est espérance
que ne défaille le savoir
que c’est au dire que se réserve en vérité le dire

GIF

MICHEL DEGUY, PRIX GONCOURT DE LA POÉSIE 2020

En dialogue avec Martin Rueff & Claude Mouchard en duplex.

Enregistrement le 05/12/2020 sur la scène de la Maison de la Poésie.

Poète, essayiste, philosophe, professeur de littérature, Michel Deguy crée en 1977 l’incontournable Revue Po&sie. Auteur d’une oeuvre monumentale, Michel Deguy a reçu en mai dernier le Goncourt de la poésie – Robert Sabatier pour l’ensemble de son œuvre. Nous fêtons enfin, ensemble ce soir, ce bel événement.

GIF
GIF

Lecture de « Coronation »

GIF

« Le coronavirus »… déjà un hémistiche !
L’épigramme peut cadencer !

La contamination descend des Contamines
Tes confins mes confins se confinent
Mais nos confins débordent le confinement
Nousnous se contamine
J’entends l’économie décroître dans les bourses

Dix millions de Chinois auront perdu la face
Masques et vidéos se toisent en chiens de faciès

Le gros Trump a tweeté
“No virus in the States”
Poutine a remis Dieu dans la constitution
Marine avec sa clé rouillée
Verrouille les frontières
Son compère Boris en bouffon Victoria
Repeint sa City en Singapour sur Tamise

Les croisières s’enquarantainent à quai de covirés
Venise sauvée des veaux
Les Verts tout exaucés avant les élections
Sont décontenancés

Le film passe à l’envers la mondialisation
Le ciel bleu rebleuit à Pékin
Le piéton de Paris bouge son spleen en trottinette

Six millions de Lombards et 631 †
80 929 chez Xi et plus de 3 000 †
1 784 hexagonaux et seulement 33 †

Le mot reconnaissance a perdu le bon sens
Et quittant Levinas retrace l’ADN

Mondialisation et pandémie font connaissance
Et ne se quitteront plus
Les migrants vont mourir encoronavirés
Les passeurs de Libye font monter les enchères

Mais pas d’souci Raymonde
Tout ça va repartir
L’empereur Xi démasque son sinisme

Michel Deguy, mars 2020.

Tout le monde ne peut pas faire comme tout le monde

Après sa lecture du poème « Coronation », Michel Deguy nous offre une réflexion en prose sur le vivre en commun à l’échelle du monde en temps de pandémie.

GIF

LIRE : Michela Landi, A propos de « Coronation »

GIF

Michel Deguy, mort du poète extrême contemporain

Le fondateur et rédacteur en chef de la revue « Po&sie » est décédé mercredi à 91 ans.

par Martin Rueff, traducteur, poète et philosophe


Michel Deguy à Paris en 1986.
ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF

« Quand quelqu’un meurt », tonnait Deguy, « il ne faut pas dire qu’il “nous a quittés”, ou “qu’il s’est éteint” ». « Pas de mots creux », recommandait-il, et encore moins de « a rejoint le seigneur, le ciel ». Lui, le théoricien de la paraphrase et de la périphrase, le poète du comme, le défenseur de la métaphore ne supportait pas ces faux-semblants doucereux. Il nous faut donc écrire : « Michel Deguy est mort à Paris le 16 février. Il était âgé de 91 ans. »

Il avait publié son premier livre de poèmes, les Meurtrières en 1959 ; il fera paraître, futur tenace, son dernier livre le 3 mars : la Commaison (Ed. l’Extrême contemporain). Considérer l’œuvre de Deguy, c’est donc traverser plus de soixante ans d’écriture et d’interventions, d’échanges, de luttes, de colères, de palinodies, de prises de risques : une soixantaine de livres portés par l’Energie du désespoir et la conviction que la littérature est un art du langage et le poème la mise en vers des mots. Il faut dire la force de son œuvre de poète et de poéticien qui fit de lui, le poète, un « extrême contemporain ».

Deguy était convaincu que la poésie ne se contente pas des mots avec lesquels elle fait tout un monde, mais qu’elle a son mot à dire. Il aura permis à la poésie de prendre le large en refusant les solutions de facilité – le sentimentalisme (« oh un petit poème, comme c’est gentil »  : c’est la fonction apéritive du poème)  ; la grandiloquence (« oh un grand poème, comme c’est impressionnant »  : c’est la fonction monumentale du poème)  ; l’avant-gardisme (« oh un poème raide, comme c’est violent »  : c’est la fonction disruptive par déclaration). La poésie était pour lui l’extrême du langage et le langage l’extrême de la vie, son intimité. Il la voulait plus forte que la mort. Le vers de Deguy, c’est un couteau de mots qui remue la vie dans la plaie du temps. Si Deguy est l’extrême contemporain, c’est aussi parce qu’il a fait du poème un art de pointe, qu’il l’a mis à la pointe avancée du contemporain, celle qui rentre dans le cœur  : « N’était le cœur /nous serions sourds /En vie sans doute mais comme les méduses /ou les vipères dérivées /N’était le cœur nous serions sans monde // […] N’était le cœur nous serions sourds /Entends mon cœur entends la douce vie qui marche. »

Heurté

On peut distinguer cinq périodes dans cette production immense : dans la première (qui va des Meurtrières,1959, – à Gisants, 1985), le poème est confiant, prompt et décidé, la poétique se place sous l’influence de Friedrich Hölderlin et de Martin Heidegger que Deguy avait traduits. La deuxième, se construit sur des arcs-boutants de prose réflexive. Elle va de la Machine matrimoniale (1982) à l’Energie du désespoir (1998). Au contact de la théorie, le poème se fait plus coupant. Heurté, il heurte : on mentionnera Jumelages suivi de Made in USA et Aux heures d’affluence. La troisième phase, a-t-il pu écrire, est « trempée de deuils, avec des accents de thrène » (A ce qui n’en finit pas), de retrempe aussi chez Baudelaire (Spleen de Paris), de combat dans « la sortie du religieux » (Sans retour) et de fidélité argumentée à la raison ardente d’Apollinaire (la Raison poétique) comme à des vérités de jugement dans l’attachement au monde ouvert (Au jugé). Une quatrième phase fut celle de l’écologie, ou de l’écopoétique. Cette phase s’ouvre avec Desolatio, 2007 et Réouverture après travaux, 2007, se poursuit avec la Fin dans le monde, 2009, N’était le cœur, 2011, Ecologiques, 2012 et la Pietà Baudelaire, 2012. La cinquième phase s’ouvre avec la Vie subite (2016) et se poursuit avec le Tombeau d’Yves Bonnefoy (2017). La Commaison est le livre poignant de cette allégresse pensive. Deguy commentait ainsi ces derniers poèmes : « Les quatre-vingt-dixièmes rugissants, chacun comprend qu’il s’agit des dernières latitudes : les grandes tempêtes, vie et terre ainsi ressoudées. » Leur tonalité est souvent lumineuse, parfois sombre – les tombeaux rythment le livre. Tombeaux pour cent mille poèmes.

On l’aura compris – ce poète lauréat cherchait à se laisser bousculer. Quand on lit ses poèmes plusieurs éléments peuvent désarçonner et éblouir : la richesse lexicale, la densité théorique, le plurilinguisme, la variété des univers et des tons, la rage, la vitesse aussi.

Ainsi Deguy aura été l’extrême contemporain, parce qu’il a su, la main ferme, répondre à tout ce que l’époque lui offrait. On détournera volontiers la formule de Terence pour proposer la devise de Deguy : « Je suis poète et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. » Poète, celui qui prend en charge dans son arche la totalité de l’expérience humaine et qui demande au poème de répondre à la littérature, aux arts, à l’actualité, à la politique. Poéticien résolu, il a fait entrer la pensée de la poésie dans un débat intellectuel que se partagent depuis cinquante ans la philosophie et les sciences humaines. Philosophe, il a défendu la raison poétique. Il est traduit dans le monde entier, de nombreux colloques lui sont consacrés – la bibliographie des travaux qui prennent son œuvre pour objet donne raison à ses combats. Il a remporté tous les prix.

Silence

Bretteur, débatteur, rageur, il fut un homme de convictions, fait pour l’amitié et pour la confrontation. Des poètes de sa génération, il est celui qui eut le plus à cœur de transmettre. Philosophe, proche de Jacques Derrida, de Jean-Luc Nancy et de Philippe Lacoue-Labarthe, il fut professeur à Vincennes, où il a formé des générations de philosophes et d’écrivains, de poétesses et de poètes. Son héritage est pluriel comme son œuvre.

Homme de revues, (il était au comité de les Temps modernes, et de Critique) il avait fondé la revue Po&sie en 1977. Il venait de mettre sa main au numéro 177/178 (Dante un appareil à capter l’avenir). Il y signe un éditorial bouleversant : « Taciturnité ».

Nous ne parlons pas de l’homme (la voix, la stature, la démarche, l’œil, la poigne, l’élégance et la puissance mêlées, la tendresse) car il était notre ami. Silence ici. Silence.

Dans un poème récent il écrivait  : « Il va falloir mourir /Le poème commencerait par /L’âme est un corps étranger dans le corps /et se terminerait par /On s’était bien habitué à vivre ». On ne s’habituera pas à vivre sans Deguy, sans Deguy Michel comme il ironisait, ce poète qui avait écrit à propos du film Shoah qu’il y a bien « quelque chose de plus intéressant que la mort ».

Pour une première approche  : les deux volumes d’anthologie  : Donnant Donnant, Poèmes, 1960/1980 (Paris, Gallimard, Poésie, 2006)  ; Comme si comme ça, Poèmes 1980/2007 (Paris, Gallimard, Poésie, 2012).

Voir aussi Po&sie, 177 /178 (Humensis édition) et son site https://po-et-sie.fr /
Enfin, le numéro de la revue Critique, « N’était Deguy », n°887, 2021.

Libération, 18 février 2022.

GIF

Michel Deguy, poète et philosophe, est mort

Le fondateur de la revue « Po&sie », décédé le 16 fevrier, à l’âge de 91 ans, laisse une œuvre poétique empreinte de lyrisme et attachée à la part concrète de l’existence.

Par Patrick Kéchichian


Michel Deguy, en février 1988.
LOUIS MONIER / GAMMA RAPHO. ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF

Pour Michel Deguy, qui est mort le 16 février, à Paris, à l’âge de 91 ans, la poésie ne fut pas un camp retranché, menacé par les autres disciplines, ou en concurrence avec elles. Universitaire, philosophe, essayiste, éditeur… il le fut autant que poète. La poésie, sa poésie, furent toujours associées à la raison. Il parlait même de «  pensée-poésie ». Ainsi, par ces activités convergentes, il sut enrichir et étendre le champ de ce qui restera cependant son mode d’expression privilégié : « Le savoir ne m’est plus que poème effrité… », disait-il. Et aussi, dans la même direction : « Un poème ne s’achève dans aucun savoir. » Rien d’éthéré, de distant ni même d’abstrait chez cet écrivain qui se voulait « géopoéticien », attaché, avec tous les moyens de la pensée et de la langue, à l’expérience concrète du monde, dans son histoire comme dans sa géographie.

A ses débuts, en 1960, dans son deuxième recueil, Fragments du cadastre (Gallimard), il écrivait que le poète « veut écouter le précipice, la pente, l’orage, la colline, hérauts de l’être, et qui lui annoncent de quelle manière il est au monde ». Le titre de l’un de ses recueils, publié en 1988, doit être rigoureusement entendu : La poésie n’est pas seule (Seuil).

Proche de Jacques Derrida

Né à Paris le 23 mai 1930, Michel Deguy fit ses études au lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), puis à Louis-le-Grand. Reçu à l’agrégation de philosophie en 1953, il enseigna une dizaine d’années dans plusieurs lycées parisiens, puis une trentaine à Vincennes, à l’université Paris-VIII, où il termina sa carrière. Proche de Jacques Derrida, il présida parallèlement, de 1989 à 1992, le Collège international de philosophie, puis la Maison des écrivains, jusqu’en 1998.

En 1969, il est présent aux mémorables Séminaires du Thor, en Provence, organisés par René Char, avec, en invité vedette, Martin Heidegger ; il avait participé (avec François Fédier) à la traduction de l’essai du penseur allemand, Approche de Hölderlin (Gallimard, 1962).

En juin 1977, il crée, notamment avec Jacques Roubaud, la revue Po&sie, éditée chez Belin, que l’on peut considérer, après plus de cent cinquante numéros, comme la meilleure publication en cette matière, la plus ouverte aussi aux autres langues et contrées. Dans l’esprit du fondateur, il s’agit de « faire place aux rapports, aux interactions » et au « travail de disjonction et de conjonction de l’écriture poétique ».

Ecarté de Gallimard

Chez le même éditeur, il crée la collection « L’extrême contemporain », qui témoigne de la même ouverture que Po&sie, dans les domaines de l’essai aussi bien que de la création littéraire. Michel Deguy fut également actif au sein des comités de rédaction de deux autres revues importantes, Critique et Les Temps modernes. Passage également, mais très rapide, à Tel Quel, au début de cette publication, en 1961-1962, avant d’en être écarté.

Ecarté, il le fut également, vingt-cinq ans plus tard, de son principal lieu d’ancrage éditorial, Gallimard. C’est cette maison qui publia, d’abord dans la collection « Le chemin », de Georges Lambrichs, ses principaux livres, de 1960 à 1986. Durant ces années, il fut aussi l’un des membres du comité de lecture de la maison. C’est par une lettre, signée de Claude Gallimard, que son congé lui fut signifié.

En 1988, il publia Le Comité (Champ Vallon), où il fustige « ces princes qui nous éditent », avec ironie, et aussi une certaine rancœur à l’égard d’un « comité d’autant plus croupioneux qu’augmenté de gloires narcissiques et flemmardes  ».

Vivacité de la réflexion

Même si les saillies polémiques n’en sont pas absentes, l’œuvre de Michel Deguy ne peut sans cesse y être rapportée. Sa poésie est avant tout habitée par la nécessité de se penser elle-même, dans ses instruments autant qu’en fonction de son horizon.

Dans cette réflexion, la philosophie, notamment phénoménologique, demeure centrale. Et cette importance marque l’âge moderne, contemporain, d’une poétique qui «  n’est plus un royaume enchanté, ni enchanteur » (dans L’Impair, Verdier, 2001). Et d’ajouter : « J’ai voulu examiner la raison poétique poursuivie par tous les moyens, comme une capacité, une énergie si l’on veut, qui ne doit compter que sur ses propres forces… »

Sa poésie est avant tout habitée par la nécessité de se penser elle-même, dans ses instruments autant qu’en fonction de son horizon

A suivre Deguy dans cet examen, on se perd parfois… Comme si l’écrivain réfléchissait à haute voix avec une vivacité que le lecteur, même averti, a du mal à suivre. Mais la part la plus concrète de l’existence ne perd jamais ses droits. Un certain lyrisme, mais sans cesse bousculé, en tire même grands profits de ces droits... « Je voudrais que le poème se fasse roman pour y attirer les gestes de la cuisine, les propos de téléphone, l’emploi du vent, l’insignifiance de ce qui nous sépare de la mort. » D’une certaine manière, ce beau livre de deuil – celui de son épouse, Monique – que fut A ce qui n’en finit pas (Seuil, 1995) témoigne de cette volonté.
Coq-à-l’âne, les sauts et gambades

Cependant, il serait injuste de cantonner Michel Deguy à ce lyrisme, accompagné d’un constant retour sur soi. En 1990, par exemple, il publie, cinq ans après la sortie du film de Claude Lanzmann, un recueil collectif, Au sujet de « Shoah » (Belin). Les textes qui le composent – notamment ceux de Lanzmann lui-même –, et que Deguy présente avec une très vive intelligence, soulignent l’importance et la portée de cette œuvre qui marquera des générations entières. En 2019, un an après la mort de l’auteur de Shoah, pour «  protéger » l’œuvre et sa mémoire, il rassemble des études et des entretiens dans un livre, L’Amitié avec Claude Lanzmann (La Rumeur libre).

Malgré tout, c’est l’ironie, chez Deguy, qui trouve toujours son mot à dire. Les hauteurs conceptuelles cohabitent heureusement avec les grandes plaines du prosaïque. Son érudition est joueuse, passant par les coq-à-l’âne, les sauts et gambades du langage, avec ce constant besoin «  de paradoxaliser les angles de vue, de disloquer les joints, de démonter les stéréotypes… »

Sa poésie n’a jamais rien de languide, encore moins d’assoupi. Une urgence difficile à définir la tient au contraire éveillée : « Tout s’est aggravé. La poésie est devenue problématique à elle-même plus qu’elle ne l’a jamais été » (Figurations, 1969). Toujours, la prose guette, menace le poème, pour l’expliquer ou la bousculer. « La vitesse, afflux de soi dans sa parole vive et véridique, est un critère interne d’authenticité ; en elle se résume, s’exprime, un sujet ; elle rassemble le sujet en le faisant se rassembler », écrit Deguy dans La Machine matrimoniale, son essai sur Marivaux (Gallimard, 1981). Jean-Luc Nancy, dans un numéro que la revue Critique consacra à l’écrivain (« N’était Deguy », n° 887, avril 2021) décrit rigoureusement la langue, le rythme, le style de son ami : « Il s’exclame, il proclame, il acclame, il déclame, il réclame. (...) Il écrit comme il parle. Il y a chez lui un rapprochement (une feuillure) de la voix bondissante au stylo vibrant, barrant, griffant la feuille. (...) Toutes clameurs distinctes et fugaces, vibrantes et vivaces – non exemptes de patience ni même de lenteur, surgissant dans l’instant et progressant avec calme à travers le bouillonnement… »

« Hôte des circonstances »

«  Hôte des circonstances » : c’est ainsi qu’il se qualifia lui-même. Et dans ces colonnes, il y a bien des années, Bertrand Poirot-Delpech précisa : « La circonstance est sa muse. » Et le feuilletoniste d’ajouter pertinemment : « Une pensée que fascine la vitesse doit pouvoir rebondir librement, sans crainte de cuistrerie, sur tout ce qui l’a précédée.  » Mais elles peuvent être aussi tragiques, ces « circonstances »… L’énergie du désespoir, ou d’une poétique continuée par tous les moyens (PUF, 1998) ou encore, plus récemment, Poèmes et tombeau pour Yves Bonnefoy (Ed. La Robe noire, 2018) en témoignent.

Parmi une abondante bibliographie, citons les deux volumes d’une anthologie poétique composée par l’écrivain, en 2006 et 2012, dans la collection « Poésie/Gallimard ». Dès 1975, Pascal Quignard consacra un essai à Deguy dans la collection « Poètes d’aujourd’hui ». Citons également l’ouvrage collectif dirigé par Yves Charnet, Le poète que je cherche à être. Cahier Michel Deguy (La Table ronde-Belin, 1996) et l’étude récente, plus philosophique, de Martin Rueff, Différence et identité. Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel (Hermann, 2009).

A la fin de l’année 2016, en même temps qu’un livre d’entretiens approfondis avec Bénédicte Gorrillot, Noir, impair et manque (Argol), Michel Deguy publie La Vie subite (Galilée), une suite de poèmes dont un ensemble autobiographique, constitué de ce qu’il nomme des « Biographèmes ».

Patrick Kéchichian, Le Monde, 17 février 2022.

GIF

Michel Deguy et Tel Quel (I)

Un bref moment membre du comité de rédaction de la revue Tel Quel pour laquelle il traduisit certains textes de Heidegger sur Hölderlin [2]. Dans son Histoire de Tel Quel, Philippe Forest raconte le bref passage de Michel Deguy, poète déjà reconnu, au comité de rédaction de la revue et les circonstances particulières de son éviction.

MICHEL MAXENCE ET MICHEL DEGUY ENTRENT À TEL QUEL

Dès l’exclusion de Jean-René Huguenin, Tel Quel entre dans une zone de fortes turbulences. Le bel équilibre originel de la revue est irrémédiablement brisé. Pour tenter de retrouver une forme satisfaisante de stabilité, la solution la plus simple consiste à ouvrir le comité à de nouveaux écrivains. C’est ainsi que, venus des Editions de Minuit et du nouveau roman, feront leur entrée Jean Thibaudeau puis Jean Ricardou qui appartiendront à Tel Quel une décennie durant. En 1961-1962, deux noms apparaîtront de manière plus éphémère sur la liste des membres du comité : celui d’un écrivain aujourd’hui totalement oublié, Michel Maxence ; celui d’un poète et essayiste de premier plan, Michel Deguy.
[...] Plus rapide encore que celui de Maxence sera le passage de Michel Deguy dans le comité de rédaction. Au cours de celui-ci, ce dernier n’aura publié dans Tel Quel que deux textes :« Sur le commentaire heideggerien de Hölderlin » et « Devant une toile de David ». On imagine mal contribution quantitativement plus limitée pour un membre du comité [3]. L’histoire de Michel Deguy ne rencontre que tangentiellement celle de Tel Quel. Né le 23 mai 1930 dans la région parisienne, Deguy est à la fois philosophe et poète. Agrégé, il enseigne en province puis à Paris, notamment dans ce lycée Claude-Bernard dont le nom revient plus qu’à son tour dans ce récit. En 1959, il publie Les Meurtriers chez P.J. Oswald. Ses deux recueils suivants paraissent chez Gallimard : Fragments du cadastre en 1960 et Poèmes de la presqu’île en 1962. Le premier de ces livres obtient le prix Fénéon, et le second le prix Max-Jacob. Dès cette époque, l’auteur de ces ouvrages remarqués est accueilli au sein du prestigieux comité de lecture de la rue Sébastien-Bottin. C’est donc avec étonnement et un rien d’agacement que l’on apprend chez Gallimard, à la fin de l’année 1961, que Deguy vient d’accepter de se laisser coopter par l’équipe de Tel Quel. Le jeune poète de Fragments du cadastre collabore déjà activement à la revue Critique — au comité de laquelle il entrera en 1963. Mais Tel Quel ne bénéficie pas de la respectabilité qu’a su acquérir la revue de Georges Bataille, et, apprenant la nouvelle, Paulhan s’exclamera : « Comment diable un garçon qui vient d’entrer à la NRF peut-il commettre un tel écart ? » A vrai dire, Michel Deguy n’a aucune intention de déserter Gallimard. Il n’est à aucun moment question que Le Seuil publie ses prochains recueils poétiques. Contacté par Sollers et Hallier, Deguy n’entend rompre ni avec son éditeur ni avec Critique. Il souhaite seulement s’associer à une entreprise dirigée par des jeunes gens qui appartiennent sensiblement à la même génération que lui, qui n’ont pas été indifférents à ses premiers essais poétiques et que son travail sur Heidegger et Hölderlin intéresse.

LA MORT DE GEORGES BATAILLE
ET L’EXCLUSION DE MICHEL DEGUY

L’association sera de brève durée. Au début du mois de juillet 1962, les membres du comité de rédaction s’apprêtent tous à partir en vacances. Seul Deguy doit quelque peu retarder son départ. Professeur de philosophie, il lui reste à corriger les copies du baccalauréat. Pour rendre service à ses amis, il accepte d’assurer la permanence de Tel Quel et, en leur absence, d’expédier, rue Jacob, les affaires courantes. En cette période assez calme de l’année, sa tâche principale sera de sr­ veiller la composition et la fabrication du numéro 10 dont le sommaire a été bouclé. La revue doit s’ouvrir sur un important inédit de Georges Bataille : les « Conférences sur le non-savoir ».
Aux yeux des jeunes membres de Tel Quel, Bataille jouit d’un prestige énorme que n’égale celui d’aucun contemporain. Salué par certains de ses pairs, il fait figure d’écrivain maudit et son œuvre, dispersée, fragmentaire, loin encore d’être reconnue, exerce une forte fascination. Pour Sollers, la lecture de L’Expérience intérieure — ouvrage découvert par hasard alors qu’il était âgé de 17 ans — fut un événement déterminant. De même pour Boisrouvray. En 1972, Sollers a raconté les visites de Bataille dans le local de Tel Quel : « Je revois Georges Bataille dans un bureau où il passait quelquefois. Ce bureau ouvre sur un jardin intérieur accessible par une fenêtre. Bataille veut visiter le jardin. Fatigué, il a du mal à sauter. Je le prends par le bras, nous retombons sur la terre et l’herbe. Les feuilles sont noires. Il fait beau. » Sollers a rapporté également comment, un jour de 1961, alors qu’avec quelques membres du comité, dont Michel Deguy, il prenait un verre au Pré-aux-Clercs, après des années de silence et de distance, Bataille et Breton, par hasard, se retrouvèrent, échangèrent quelques mots anodins et se firent la promesse vie de se revoir bientôt. Quant à Hallier, dans La Cause des peuples, il évoque certaines de ses dernières visites à l’auteur de L’Expérience intérieure : « Je le connus dans les derniers temps et traçai de ma propre main Les Larmes d’Éros que son hémiplégie l’empêchait d’achever. Ses grands yeux étaient tournés vers l’ailleurs [...]. Sa tête restait toujours penchée et l’un de ses bras était à demi paralysé. Au matin, quand il vous recevait dans sa grande robe de chambre violette, sur son torse et ses jambes, de longues marbrures mauves de sang coagulé rendaient indistincts le velours et la peau en son vêtement céleste d’éternel agonisant. »
Au moment où le rencontrent les jeunes gens de Tel Quel, Bataille est mourant, mais la manière même dont son corps et son esprit se défont lui confère une sorte de sainteté qui accroît encore sa grandeur. Bataille laisse à la revue certains de ses derniers ,textes, souvent presque à l’état de brouillons. Ainsi ces « Larmes d’Eros  » retranscrites par Hallier, puis ces « Conférences sur le non-savoir » que Jean-Louis Baudry dut mettre au net, car leur auteur était trop faible désormais pour le faire lui-même.
C’est ce dernier texte que devait livrer, à l’été 1962, le numéro 10 de Tel Quel. Mais Michel Deguy reçoit un coup de téléphone de Jean Piel, beau-frère de Bataille et directeur de la revue Critique. Ce dernier lui apprend que, quelques jours auparavant, le 8 juillet très exactement, Georges Bataille est mort. Sachant que Tel Quel est sur le point de publier les « Conférences sur le non-savoir », conscient de ce que l’état de santé de leur auteur ne lui a pas permis de revoir avec attention le manuscrit soumis, Piel, soutenu par Mme Bataille et par Michel Leiris, demande à Tel Quel de surseoir à la publication. Deguy doit décider seul au nom de la revue. Proche de Piel dont il est l’ami et avec lequel il travaille pour Critique, sensible à ses arguments et surtout désireux de respecter la volonté d’une famille endeuillée, Deguy retire les « Conférences » du sommaire de Tel Quel. Lorsque Hallier, quelques jours plus tard, découvre l’affaire, il est furieux. Il reproche à Deguy d’avoir cédé à une conception bourgeoise des convenances et d’avoir du coup privé la revue d’un texte auquel la mort de Bataille donnait une dimension nouvelle et comme une valeur testamentaire. Usant de ses pouvoirs de secrétaire général, Hallier réintroduit les « Conférences » dans le sommaire d’un numéro qui, du coup, paraîtra avec un certain retard. Il réunit à la rentrée un comité spécial qui, en l’absence de celui-ci, décide à l’unanimité l’exclusion d’un Michel Deguy reconnu coupable de n’avoir pas assez défendu les intérêts de Tel Quel.
L’exclusion de Deguy se fit sans provoquer trop de vagues. Le jeune poète se sentait trop peu impliqué dans l’aventure de Tel Quel pour nourrir quelque amertume ou quelque ressentiment de son éviction. Celle-ci fut obtenue sans difficulté par Hallier, mais chacun des membres du comité, à titre individuel, écrivit à Deguy pour lui exprimer ses regrets de la décision qui venait d’être prise collectivement. Comme le prouve la suite de l’histoire, les ponts ne furent pas totalement rompus et Deguy, après son exclusion, publia encore dans Tel Quel.
L’affaire est intéressante surtout par ses non-dits et ce qu’elle révèle du climat régnant alors au sein de la revue. En cette fin d’année 1962, le plus léger prétexte de discipline interne suffit à faire tomber le couperet symbolique de l’exclusion. L’ambiance est détestable à un point tel que chacun croit deviner dans autrui un traître à la cause de la revue. Il est clair, ainsi, que si Hallier s’en prend à Deguy, c’est moins en raison de son attitude lors de la mort de Bataille que parce qu’il le soupçonne de mener un double, voire un triple jeu : n’appartenant à Tel Quel que pour mieux faire monter les enchères auprès de Gallimard et de Critique. Au sein du comité, une véritable paranoïa se développe ainsi, nourrie de la somme inavouée des suspicions réciproques et des ambitions rivales.

Philippe Forest, Histoire de Tel Quel, Seuil, 1995, p. 110-114.

GIF

Michel Deguy et Tel Quel (II)

Sur l’épisode de la publication des « Conférence sur le non-savoir » de Bataille dans la revue Tel Quel, j’ai apporté quelques précisions dans mon Hommage à Georges Bataille (cf. Bataille/tel quel) :

Bataille meurt en juillet 1962. Malgré les pressions de certains de ses proches, Tel Quel publie dans son n° 10 (été 1962), sorti en octobre 1962, les Conférences sur le Non-Savoir. Le texte est suivi de cette note signée de Jean-Edern Hallier (il est alors « secrétaire général » de la revue) et de Philippe Sollers :

Quelques temps avant sa disparition, Georges Bataille nous avait remis les manuscrits des conférences qu’il fit, en 1952, au Collège Philosophique. Son intention semblait alors de les publier sous forme de texte continu, exclusion faite des points de repère et des notes ayant dû servir à un développement oral. Il avait été convenu du titre général : Conférences sur le Non-Savoir.
Toutefois, d’accord en cela avec Michel Leiris et d’autres proche de l’auteur, il nous a paru préférable, Georges Bataille n’ayant pu revoir les épreuves, de donner les manuscrits dans leur état original. On s’est donc contenté d’indiquer entre crochets les titres primitifs de chacune des conférences, ainsi que les fragments allusifs.
Il est inutile de souligner l’importance de ces textes qui reprennent et précisent les thèmes capitaux de la pensée de G. Bataille, non plus que la perspective prise par eux du fait de sa mort. Cette mort, celle d’un homme dont le génie nous semblait un des plus incontestables de ce temps, nous touche d’une façon particulière. Nous rendrons hommage à G. Bataille dans l’un de nos prochains numéros.
GIF

Sur la rencontre entre Bataille et Breton au Pré-aux-clercs, maintes fois racontée par Sollers, se reporter à mon article Le salut - ou l’ultime rencontre - entre Breton et Bataille. J’y rapporte également le témoignage discordant de Michel Deguy sur cette rencontre et sur son éviction de Tel Quel telles qu’il les relata dans Les Temps Modernes en 1998 (cf. « Georges Bataille », n° 602 des TM, décembre 1998/janvier-février 1999). Je rappelle ces deux épisodes :

[...] Cette rencontre du Pré-aux-Clercs semble avoir marqué d’autres personnes. Car, dans le même numéro des Temps Modernes, il y a un autre témoignage sur ce qui s’est passé « ce jour-là » : celui de Michel Deguy, membre du comité de rédaction de Tel Quel (pour quelques mois) en 1962, ancien membre de Critique (revue fondée par Bataille après guerre), membre du comité de rédaction des Temps Modernes et rédacteur-en-chef de la revue Poésie. Deguy donne sa version de la scène. Elle diffère un peu de celle de Sollers dont le rôle est minimisé tandis qu’une femme disparaît :

« [...] je vais parler sur un ton un peu biographique, mon rapport à Georges Bataille a compté à plusieurs reprises. Par exemple, en tant que conseiller de Jean Piel et de Critique pendant un quart de siècle [4]. On ne peut oublier que Georges Bataille vivant était toujours présent dans le lointain, comme une référence, tout comme après sa mort : c’est la revue qu’il a fondée. Il était là, indépendamment des liens familiaux. Je me rappelle, et je m’en souviens d’autant plus volontiers que Sollers en parle dans sa propre interview, de telle ou telle rencontre avec Bataille, comme celle avec Breton au café qui se trouve au coin de la rue Bonaparte et de la rue Jacob, le Pré-aux-Clercs, un endroit où se retrouvaient les gens de la revue Tel Quel. Ainsi Sollers n’était pas seul du tout, comme il le dit, il y avait là Pleynet, moi et quelques autres. Dans mon souvenir, André Breton entrait pour acheter des cigarettes — à l’époque, c’était un bureau de tabac — et non parce qu’il poursuivait une femme. Je me rappelle avec émotion comment ils se sont de loin reconnus, comment Breton s’est approché, puisque Bataille était assis, comment ils se sont parlé avec l’émotion de personnes qui ne se sont pas vues depuis des années et se promettent de se revoir. Ils ne se sont pas revus puisque Bataille est mort deux ou trois mois plus tard. »

Deguy poursuit (ça se passe quelques mois plus tard, c’est une autre histoire, mais, manifestement, elle a laissé des traces) :

« Je peux évoquer aussi comment j’ai été exclu de Tel Quel à cause de Bataille : en charge de la revue pendant le mois de juillet, le mois de la mort de Georges Bataille, la question s’était posée de savoir si on maintenait pour la prochaine livraison des textes inaboutis et non corrigés par lui. Jean Piel et quelques autres [5] m’avaient demandé de surseoir à cette publication et j’avais cru bien de la différer en effet, ce que Jean-Edern Hallier m’avait reproché vivement. Unanimement, tout le comité a ensuite déclaré que j’étais indigne de rester à Tel Quel : ils soutinrent que je ne m’intéressais pas vraiment à Tel Quel, puisque j’étais prêt, au nom de critères d’urbanité, de politesse, etc., à démolir un numéro de revue. C’est un détail, mais la cause seconde et occasionnelle de mon propre renvoi a ainsi été la publication éventuelle de textes de Bataille. »

Les « textes inaboutis et non corrigés » de Bataille dont parle Michel Deguy ne sont autres que les Conférences sur le non-savoir. Elles paraîtront finalement dans le n° 10 de Tel Quel (été 1962) [6].

J’ignore qui sont les « quelques autres » qui étaient présents au Pré-aux-Clercs lors de l’ultime rencontre entre Breton et Bataille... Et, à ma connaissance, Marcelin Pleynet, autre témoin de la scène si l"on en croit Deguy, n’en a jamais parlé [7]. Cela ne manquerait pourtant pas d’intérêt. Poétiquement ET politiquement.

GIF
GIF


Michel Deguy à Paris en juin 1966.
MARC GARANGER. ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF



JPEG - 117.4 ko
Tel Quel n° 22, été 1965, p. 43-46.

Poèmes de Michel Deguy

GIF

[1Repris dans Martin Heidegger, Approche de Hölderlin, Gallimard, 1962.

[3En fait, Deguy publiera aussi quelques poésies dans Tel Quel 22. Cf. Biographie. A.G.

[4Jean Piel, beau-frère de Bataille et directeur de Critique.

[5Mme Bataille et Michel Leiris selon Philippe Forest.

[6Cf. Philippe Forest, Histoire de Tel Quel, Seuil, 1995, p. 112-113.

[7Pleynet entre au comité de rédaction de Tel Quel à la fin de l’année 1962, en même temps que Denis Roche.

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document


1 Messages

  • Albert Gauvin | 23 février 2022 - 00:29 1

    Michel Deguy (1930-2022)

    par Tiphaine Samoyault
    21 février 2022

    Michel Deguy est mort. Avec lui, nous perdons un monde, au sens où il l’entendait, un lieu habité par une parole qu’il fallait inlassablement bâtir, occuper, penser. L’énergie déployée jusqu’au bout par ce grand poète et philosophe – un livre publié en janvier et une substantielle livraison de la revue Po&sie dont il a été le rédacteur en chef pendant quarante-cinq ans – a été celle du témoin vigilant, de l’homme-peuple dont l’œuvre singulière est animée d’une énergie collective qui le rend tout simplement inoubliable.

    Un homme-peuple est celui qui parvient à rassembler autour de lui tout un peuple : celui, concret, de celles et ceux qui l’ont connu et aimé et avec lesquels il a travaillé et vécu mais aussi celui, abstrait, qui construit la communauté par-delà les dommages que lui font subir l’érosion du politique, les mésusages de la langue, l’équivalence du marché, des images, de la culture mondialisée. Contre ceux-ci, Michel Deguy n’a cessé de s’élever, en étant l’un des premiers à penser une écologie profonde, étendue, attentive à l’environnement dans toutes ses dimensions : la terre, dont nous devons nous souvenir qu’elle nous accueille selon la loi de l’hospitalité : « Faites comme chez vous, précisément parce que vous n’êtes pas chez vous » ; l’histoire et les événements qui invitent à réfléchir sur les fins, la fin de non-retour à laquelle nous sommes arrivés et qui rend le monde inhabitable (car comment habiter dans un monde où l’on ne peut plus faire retour ? comment voyager, découvrir, accueillir l’autre sans pouvoir retourner ?) ; la parole qui doit tout autant faire l’objet d’une attention écologique pour conserver sa capacité de co-création de monde et de liant. […] LIRE LA SUITE ICI.

    GIF

    Un poète dans "l’hydre avion", l’envol de Michel Deguy

    La Pièce jointe par Romain de Becdelièvre, 22 février.

    Le poète Michel Deguy est mort le mardi 16 février dernier. Les vitesses, celles de la pensée et des poèmes, comme celles de la marche et des machines du monde, ne lui étaient pas étrangères.
    En 1973, il publie Tombeau de Du Bellay, un recueil de poèmes déposés sous l’égide du poète français de la Renaissance. Parmi les pièces qui composent cet ensemble, un poème intitulé "De ciel et de Tungstène" s’attache à faire voir des avions et leurs envols. On l’écoute.

    GIF

    L’aérodrome évince le dieu terme au bout de la pelouse
    L’hôtesse a plus de mille fois plus fait plus de miles
    Que mille fois tous les conquistadors
    Qui s’en vanterait
    Le promenoir des anges pour y songer

    Un mariage sur les ailes
    On est monté penser aux chutes
    Volcan au cours inverse volcan
    Cônerie d’eau, ta pointe d’ultra-sons vers le bas
    Sucette pour Hadès, abreuvoir des touristes niagarés

    L’hydre avion au rugir égal
    Qui rompt d’un coup l’arctique avec cent hommes à dos...
    Adieu Hercule ! La terre embrassée formidable,
    Cessons de dire mal du métal
    Du voisin homme de la terre

    Oiseaux de bonheur au ciel porte-voie
    Oiseaux pris à partie (pour le tout)
    Vous incitez à vous suivre de bec
    Ailés qui vous hélez par les valvules d’air
    Au cœur de l’an qui fait battre les glaces
    Vous nous mâchez les mots

    Ainsi Michel Deguy confronte son poème à l’aviation contemporaine. Et ils semblent rares, les auteurs qui se sont lancés dans la capture poétique des avions de ligne, dont l’usage est pourtant si commun. Ainsi, le poète s’effare vertigineusement des distances parcourues par ces machines, plus grandes que celles des conquistadors. Le monde éloigné d’en bas est devenu "formidable", sans termes, sans fins, et sans dieux.

    "De Ciel et de Tungstène" est un poème de circonstance, un poème en situation, attaché à un lieu de l’espace, et à un moment du temps. "La circonstance est la muse" écrivait ailleurs Michel Deguy. Sauf qu’ici le lieu est périlleux, puisqu’il s’agit, on l’imagine, du cockpit d’un avion lancé à travers les cieux, une sorte de lieu sans lieu.

    France Culture.