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Politique : Mendès France - Mauriac

« Je prendrai la politique, je la baptiserai littérature et elle le deviendra aussitôt »

D 10 février 2022     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Dans sa chronique hebdomadaire de Charlie Hebdo, Philippe Lançon se dit contrarié par le spectacle affligeant offert par les politiques, à droite comme à gauche, surtout à gauche. Il cite Mauriac et Mendès France. Est-ce parce que je suis gaucher comme lui ? Je souscris des deux mains.

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La gauche en solde

Philippe Lançon

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Je ne suis pas gauchiste, mais je suis gaucher. Contrarié, ces temps-ci. La droite m’intéresse peu, car je n’en attends rien : elle suit sa pente ordinaire, gestionnaire, autoritaire, à long terme suicidaire, de la croissance pour tous et du chacun pour soi. L’état de la gauche, lui, me désole. Ceux qui affirment l’incarner sont si médiocres que j’en suis venu, comme vous peut-être, à vivre de souvenirs en attendant Godot. Charlie est un journal voué à la caricature, à la satire, mais les prétendants du jour sont si au-delà, ou si en deçà, de toute caricature qu’ils découragent le croquis. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la gauche, ni dans l’Histoire tout court.

La IVe République, de crise en crise, avait produit et cultivé pas mal de demi-sel. J’écoute ceux d’aujourd’hui : la vieille égocentrique à moulinets verbeux qui se la joue Ave Césaire, le Vert sans joie ni chlorophylle, le Rouge qui boit du rouge et mange de la viande rouge, la fière Hidalgo d’un parti dont je ne veux pas me rappeler le nom, le taureau de comptoir russophile et encornant les capes retournées par l’air du temps, les deux petits Zébulon du Grand Soir. Plus il y a de fous, moins on rit, et je pense alors à un « Bloc-notes » de François Mauriac, du 14 novembre 1953, sur les prétendants de l’époque (guerre d’Indochine en cours, guerre d’Algérie couvant) :

« "Je vote pour le plus bête", la boutade ­fameuse de Clemenceau n’est cruelle qu’en apparence. Elle signifiait : "Je vote pour le plus inoffensif". Le plus bête, aujourd’hui, de tous ces prétendants, qui aurait l’impertinence de le désigner  ? Mais le plus inoffensif  ? Voilà celui que la triste Pénélope aurait intérêt à connaître, elle qui n’espère plus que son Ulysse revienne jamais… »

Ulysse, pour Mauriac, c’est de Gaulle. On le lui a assez reproché.

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Plus il y a de fous, moins on rit

Il ajoute :

« Coûte que coûte, il lui faudra choisir [c’est de Pénélope qu’il s’agit] l’un de ces bourdons qui la harcèlent, alors qu’il ne s’en trouve pas un seul dont, par quelque endroit, les états de service ne soient à faire frémir. Ils aspirent à l’Élysée pour se reposer d’avoir cassé tant d’assiettes. Ils ne ressentent aucun trouble. Ce qui les rassure, j’imagine, c’est que les fautes politiques ne sont jamais le fait d’un seul homme : en politique, il n’existe guère que des crimes collec­tifs. »

La comparaison avec la gauche émiettée d’aujourd’hui, évidemment, s’arrête là. Les prétendants de 2022 n’ont semble-t-il aucune chance et ils n’ont eu le loisir de casser tant d’assiettes que dans leur propre camp. Que feraient-ils au pouvoir  ? Il y a des questions qu’on n’ose même pas formuler, par peur de devenir sourd.

Mauriac, qui commençait à publier son « Bloc-notes » dans L’Express, avait tout de même du respect pour l’homme que cet hebdomadaire soutenait : Pierre Mendès France. Le 29 juin 1954, celui qu’on appelle PMF est au pouvoir. Il oppose son courage aux lâchetés, aux convoitises, à la bêtise aussi. Mauriac se demande :

«  Les qualités de l’homme d’État capable d’analyser une situation politique donnée et de prendre les mesures qu’elle appelle, sans perdre jamais de vue la ligne générale qu’il doit tenir, et sans manquer à rien de ce qu’exigent l’honneur du pays et sa vocation universelle, mais aussi sa sécurité, ces vertus qui sont celles de PMF peuvent-elles coexister dans un même homme avec la rouerie, avec la ruse du parlementaire qui évente les pièges, creuse des contre-sapes, désarme un ennemi par des concessions appropriées  ? »

C’est peu dire que, au regard des naïvetés, du néostalinisme et des rodomontades actuelles, la question reste pertinente.

Apostrophes : Pierre Mendès France "Le bilan de Mai 68" [1]

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Cela m’a conduit tout droit à un vieil Apostrophes, l’émission de Pivot, datant de janvier 1976. Vous pouvez la regarder sur le site de l’INA. Mendès est l’invité principal. Il a 69 ans. Son avenir est derrière lui. Il a glissé le bout de sa cravate d’un violet sombre, comme faisaient les vieux, sous la ceinture du pantalon trop ­remonté. Il incarne le meilleur de la gauche, à un moment où elle ne gouverne pas : force des principes, puissance de la réflexion, générosité du dialogue, entêtement raffiné et civilisé. Ce qui me frappe, c’est la clarté et la précision du langage, la vivacité amusée du regard, cet oeil qui rétrécit par humour et distance pour mieux filtrer ce qu’on lui dit. Les prétendants actuels devraient s’inspirer de tout cela, et de ceci : son sens extrême de la nuance ne s’oppose pas à sa force de caractère  ; il la nourrit.

Mis en ligne le 9 février 2022
Paru dans l’édition 1542 du 9 février.

LIRE AUSSI : Philippe Lançon, Mauriac plateau télé (Libération du 4 décembre 2008)

Les chroniques de Philippe Lançon dans Charlie

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François Mauriac en 1959
Philippe Halsman/Magnum photos
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Portrait du Joueur
L’Infini n°100 (automne 2007)

Politique de Mauriac

Philippe Sollers

Je réentends souvent, en face de moi, la voix rauque et déchirée de Mauriac. C’est tout de suite un concert : drôlerie sérieuse, cruauté sèche, envolées lyriques interrompues par un fou rire, chuchotements indignés, méditations, anecdotes, portraits féroces en douceur. Cette voix est là dans ses romans (bien meilleurs qu’on ne le dit), dans son Bloc-Notes et ses Chroniques (plus brillants qu’on ne croit). Une étrange liberté, un feu, une foi, une malice : « Je prendrai la politique, je la baptiserai littérature et elle le deviendra aussitôt. »

Le secret de Mauriac ? Sa religion, bien sûr, mais aussi ses passions littéraires. Les noms qui reviennent le plus souvent chez lui, sur fond d’Évangiles : Pascal, Rimbaud, Proust. Et puis la musique, à commencer par Mozart. Mauriac est, de loin, la meilleure oreille de son temps. Un soir de 1948, il écoute Idoménée à la radio, l’opéra est joué à Cambridge : « Je sentais battre le coeur de l’Europe suspendue au chef-d’oeuvre comme l’essaim à la branche. » L’Europe : elle sort d’une catastrophe, elle est ruinée, le fou furieux de Berlin laisse place au bourreau méthodique de Moscou, mais la musique est plus forte que l’horreur systématiquement programmée et son cortège sinistre. A Aix, un peu plus tard :

« Parfois, les feuillages profonds des platanes s’émeuvent et le souffle frais qui caresse nos visages soulève dangereusement les partitions sur les pupitres. Et puis tout s’apaise et la lune elle-même écoute derrière les branches. »

Le Mauriac « gaullien » des années 60 nous cache celui qui, auparavant, a été un des adversaires les plus constants et les plus efficaces de la mécanique totalitaire. Sur De Gaulle, ce fragment de 1962 dit l’essentiel :

« Voilà un homme contre lequel sont ameutés tous les vieux partis, de la gauche révolutionnaire à la droite la plus extrême et la plus criminelle, en passant par le centre le plus modéré, et presque tous les grands journaux de la province et les hebdomadaires à la mode. Sans compter les généraux mutinés, les tueurs à gages et les tueurs mystiques... Pour les gens du monde, ils grincent des dents et de la fourchette au seul nom de De Gaulle. La haine leur monte au nez dès le premier whisky. »

Eh oui, c’était ainsi.

Mais revenons au début des années 50. Qu’écrit Mauriac, aussitôt ? Il célèbre le J’accuse de Zola, rend hommage à Gandhi en regrettant qu’un pape n’ait pas fait une grève de la faim en temps voulu, se préoccupe surtout de la machine à décerveler stalinienne. Ce qui le scandalise est moins le mal en soi ( « le mal est le mal ») que les contorsions hypocrites pour le faire apparaître comme naturel, nécessaire. De ce point de vue, Sade le choque moins que Gide. Sartre est un « athée providentiel » qui, comme disait Pascal, « blasphème ce qu’il ignore ». Alors que Gide, lui, « renie ce qu’il connaît ». Camus (« notre penseur n° 2 ») reproche à Mauriac de ne pas vouloir reconnaître la mort « heureuse » de Gide ? Réplique cinglante : « Il n’y a de mort heureuse pour personne, Monsieur Camus... » La mort n’est pas à comptabiliser :

« Soyons du petit nombre de ceux qui croient "en esprit et en vérité" qu’un seul homme, quelle que soit sa race, a une valeur infinie. »

Les staliniens, eux, sont à l’époque en plein délire religieux inversé. C’est le moment des « convulsionnaires de L’Humanité ». Mauriac, là, se déchaîne :

« Pour vous, la démocratie n’est qu’un faux nez, un faux nez qui ne trompe plus personne et que vous rajustez sans cesse, d’une main hésitante, sur votre figure de petit-bourgeois fanatisé. »

La colombe de la paix de Picasso ?

« Les peuples béats sont tombés à genoux devant cette merveille : Picasso a dessiné une vraie colombe qui ressemble à une photographie de colombe primée à un concours de colombes. »

Il faut s’entendre : soit vous reconnaissez vos crimes comme tels, en poussant la provocation, comme Aragon, jusqu’à justifier après coup le pacte germano-soviétique (et, par conséquent, le martyre de la Pologne), soit vous vous taisez. Exemple du grand Mauriac de 1949, s’adressant à une journaliste communiste qui prétendait qu’il n’y avait pas de victimes en Russie, sauf des traîtres :

« Croyez-vous donc que Staline s’émeuve d’être considéré par nous comme un homme couvert de sang ? C’est un bon laboureur appliqué à sa tâche, dont le soc déchire la glèbe humaine et la fouille jusqu’aux entrailles. Consentez à être comme lui ce que vous êtes : l’ouvrière d’une cité où seul compte dans l’homme son rendement, et qui a perdu le droit et l’envie de s’attendrir — fût-ce sur les victimes des autres. Remettez ce mouchoir dans votre petit sac, et osez regarder en face votre épouvantable vérité. »

Ce petit sac, n’est-ce pas, mérite la postérité.

Questions de goût : Drieu a été séduit par Doriot. Il le trouvait fort, beau, exemplaire. Mauriac, lui, ne l’a vu qu’une fois, et avec répulsion. « La nature m’a pourvu d’une antenne qui décèle d’abord la présence des personnages funestes. » Il peut dire, en revanche, qu’une bonne interprétation du Don Juan de Mozart est une date dans son histoire personnelle. Il s’amuse de la transaction ridicule entre Simenon et un curé local : Simenon acceptera d’envoyer son fils au catéchisme si on ne lui parle jamais du péché et de l’enfer. Le curé est d’accord, minuscule histoire qui conforte l’anticléricalisme instinctif de Mauriac. Pour lui, Pascal est « l’archer terrible aux dix-huit flèches impérissables » (les Provinciales).

Cela dit, l’anticléricalisme peut être aussi bête que son contraire, et Cocteau en saura quelque chose lors de la représentation de son Bacchus. La lettre ouverte que lui envoie Mauriac à cette occasion est une merveille classique. Julien Gracq obtient le prix Goncourt ? C’est comme si les jésuites couronnaient Pascal. Le cinéma ? « Ma faculté d’ennui dans les salles obscures est telle que je la communique, même sans parler, à la personne qui m’accompagne. » Une exception, cependant : le Limelight de Chaplin. Il y a aussi des cas curieux : celui d’Eluard, par exemple, dont tout le monde savait par coeur les poèmes résistants, mais qui s’est converti, pour finir, à la religion sanglante. « Ce qui lui avait été abomination devint tout à coup à ses yeux, sous le régime stalinien, vérité et justice. » Religion, religion... Et découragement, parfois, avec citation de Benjamin Constant : « On se sent l’impatience d’avoir traversé la vie au plus vite pour échapper aux hommes. »

Mauriac reçoit le prix Nobel en 1952. Il n’en fait pas un plat, s’enfonce dans la nature avec Rimbaud « dont chaque mot le brûle depuis la sortie du collège ». Cela ne l’empêche pas d’écrire une hilarante Histoire politique de l’Académie française (1955), dans laquelle il décrit ce qu’est la « droite à l’état pur ». Il connaît les choses de l’intérieur, les intrigues de Chaumeix, les vraies raisons des élections de Pétain et de Maurras (en 1938). Quand Mauriac nous dit que sa mystique est à la source de son comportement politique, il faut le croire, et comprendre sa perplexité admirative devant la sérénité et l’indifférence massive de Claudel. Lui, Mauriac, a des amis et des ennemis partout, c’est logique :

« Il faut que ceux qui ne portent pas un écrivain dans leur coeur s’y résignent : il est aimé par d’autres plus qu’il n’est détesté par eux - beaucoup plus aimé qu’il ne le mérite. »

Il y a une vanité sarcastique à goûter le vide des honneurs, et une humilité vraie à repartir dans les vignes, entre deux messes.

La liturgie et la musique sont là. La vieille corneille élégiaque peut faire à nouveau vibrer la chaleur et les incendies des Landes, le mûrissement du raisin, des vers de Hugo, le souvenir d’un dîner avec Proust, couché dans son lit, la nuit, sous des draps tachés d’encre. Le mot de Michelet sur le « supplice de la vieillesse » revient souvent, et il est étonnant sous la plume de ce jeune homme prolongé qui se tient là, au bord de l’abîme, en attente. En réalité, il nous manque. On se demande ce qu’il dirait des grandes misères d’aujourd’hui, des nouvelles impostures, des nouveaux mensonges. De ce pape polonais, par exemple, qui n’était vraiment pas prévu au programme meurtrier des « exploiteurs du matériel humain ». Le jeune Mauriac marche avec ses Pensées et sa Saison en enfer dans la poche. Il relit aussi Bossuet :

« Tout nous sert ou nous nuit infiniment : chaque moment de notre vie, chaque respiration, chaque battement de notre pouls, chaque éclair de notre pensée a des suites éternelles. »

Philippe Sollers, Le Monde du 12 mai 2000.

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Bloc notes de François Mauriac : préface

Première émission d’une série de 18 produite par Jacqueline Girard. En guise de préface à cette série, des extraits de l’émission "Portrait souvenir" de Roger Stéphane du 13 décembre 1962, au cours de laquelle l’écrivain explique pourquoi il aime tant sa maison de Malagar et d’autres, de l’émission "Caméra 3" du 6 juin 1967" introduisent la lecture par l’auteur de certains de ses articles.Les thèmes abordés dans les articles comme : l’Eglise, l’affaire Dreyfus, ses manuscrits, son élection à l’Académie, les manifestations parisiennes de 1936, la guerre civile en Espagne, l’occupation allemande à Paris, Philippe Pétain, Hitler, la Résistance, le Front national (communiste), la libération de Paris, l’épuration, son Prix Nobel de littérature en 1952 et l’affaire de Casablanca sont illustrés par de nombreuses archives. Par ailleurs, le texte final est lu par Henri Virlogeux.

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Quelques mois plus tôt, dans Le JDD...

Mendès France au Panthéon

Cette réunion étrange, un matin, au Sénat : il s’agit de demander au président de la République le transfert des cendres de Pierre Mendès France au Panthéon. Les témoignages de Jean-Denis Bredin (ému) et de Pierre Joxe (nostalgique) sont remarquables. Bredin rappelle que Mendès, en 1936, a été le seul député à réclamer le boycott des jeux Olympiques de Berlin. Si seul, déjà ? Eh oui. Et, un peu plus tard, un des premiers aviateurs français courageux de la Royal Air Force. Mendès France a été, sans aucun doute, l’homme politique le plus ignoblement insulté dans son pays. Mauriac, dans son Bloc-Notes, le défend inlassablement. Ainsi, en 1957, jugeant le personnel politique qui fait front contre Mendès :

« Si la coloration idéologique diffère, si certains intérêts en jeu s’opposent d’un parti à l’autre, ce qui les fait persévérer dans l’être est de même nature et les réconcilie dans la haine des grandes individualités. »

La haine des grandes individualités, une passion française. Alors, Mendès au Panthéon ? Oui, ce serait bien. Je note que, ce matin-là, le nom de Mitterrand n’a pas été une seule fois prononcé par les différents orateurs. On peut en conclure qu’ils étaient en position d’inventaire.

Le JDD du 30 janvier 2000.
Littérature et politique, Flammarion, 2014, p. 25.

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Mendès France et la Chine

Pierre Mendès France, président du Conseil, rencontre Chou En-laï, ministre chinois des Affaires étrangères, à la Conférence de Genève en juillet 1954. C’est la fin de la guerre d’Indochine (pour la France).

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Mendès-France et Chou En-laï le 23 juillet 1954 au moment des Accords de Genève.

Pierre Mendès France se rend en Chine en 1958. Il y retournera en 1971 et y séjournera du 23 décembre au 11 janvier 1972. Le 10 janvier, Pékin Informations écrit :

Le 25 décembre, le premier ministre Chou En-laï a eu une entrevue et s’est entretenu amicalement avec Monsieur et Madame Mendès-France et a offert un banquet en leur honneur. L’ambassadeur de France en Chine et Madame Etienne Manac’h étaient également présents.

A cette occasion, Mendès France déclare :

Nous voici de nouveau en Chine. Je suis venu pour voir, pour entendre, pour apprendre, pour connaître vos progrès par rapport à ce que vous m’avez déjà montré en 1958, et par rapport à tout ce que j’ai lu depuis, et aussi pour apprendre de vous comment vous voyez les choses de votre pays et comment vous voyez les choses du monde.

En juin 1972, il publiera Dialogue avec l’Asie d’aujourd’hui. J’ai acheté le livre peu après à sa sortie. Le chapitre sur la Chine est le plus long. Dans la préface, le contexte international est précisé :

En 1971, les événements s’y sont multipliés extension au Cambodge et même à la Thaïlande du conflit qui ensanglantait déjà le Vietnam et le Laos, crise du dollar et ses répercussions-politiques et économiques au Japon comme dans tous les pays du Pacifique, annonce de la visite de Nixon à Pékin, entrée triomphale de la Chine aux Nations Unies, guerre indo-pakistanaise et apparition d’un nouvel État, le Bangla Desh. Et 1972 s’annonce comme une année très remplie. Verra-t-elle la liquidation de la deuxième guerre d’Indochine, ses peuples connaîtront-ils enfin l’indépendance et la paix ? Il faut s’attendre, en tout cas, à des ajustements complexes dans les relations des États-Unis, de la Chine, du Japon, de l’U.R.S.S. ; et ils auront évidemment leur retentissement partout où ces Quatre Grands de l’océan Pacifique sont présents, de l’Amérique latine au golfe Persique, en passant par l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Indonésie, l’Indochine, Hong Kong, la Malaisie, l’Inde, etc.

A plusieurs reprises, lors de son séjour, Mendès note la hantise des dirigeants chinois d’une agression « impérialiste » de la part de l’URSS, agression à laquelle il leur explique ne pas croire. Les Chinois y croyaient-ils eux-mêmes ? Nous sommes en tout cas loin des « débats » d’aujourd’hui où l’« ennemi principal » semble à nouveau les États-Unis et la Russie de Poutine une nouvelle alliée (retour aux années 50 ?).

Mendès, Mauriac et De Gaulle

Citons une historienne :

Le 22 mai 1958 dans L’Express, Pierre Mendès France accuse de Gaulle d’avoir relancé un mouvement séditieux qui, selon lui, s’affaiblissait, en cautionnant ceux qui risquent de jeter le pays dans la guerre civile ; il se prive ainsi d’être l’arbitre, le symbole de l’union que son passé lui permettait. Le 1er juin 1958, à la tribune de l’Assemblée nationale, il refuse en ces termes de voter l’investiture :

« Quoi qu’il en coûte aux sentiments que j’éprouve pour la personne et pour le passé du général de Gaulle, je ne voterai pas en faveur de son investiture ; il n’en sera ni surpris, ni offensé. […] Je ne puis admettre de donner un vote contraint par l’insurrection et la menace d’un coup de force militaire. »

[...] À L’Express, la seule voix discordante est celle de François Mauriac qui s’exprime dans son fameux Bloc-Notes, une des pages les plus lues de l’hebdomadaire, à travers laquelle il dialogue particulièrement avec ses amis mendésistes (il s’est éloigné de de Gaulle au moment de la fondation du RPF, a été un ferme soutien de Mendès France dans l’Affaire marocaine et lorsque celui-ci reconnaît l’autonomie de la Tunisie en 1955. Depuis 1956, Mauriac est partisan d’un appel à de Gaulle pour rétablir la paix en Algérie. Lors du 13 mai, il prend sur le champ ses distances vis-à-vis de l’insurrection. Dans les heures qui suivent il constate que la « République continue. Paris n’a pas capitulé devant Alger ». Après l’appel lancé à de Gaulle le 14 mai par Massu, président du Comité de salut public d’Alger, il écrit :

« Nous espérons toujours en de Gaulle, mais non en un de Gaulle qui répondrait à l’appel d’un Massu. Puisse-t-il ne pas dire un mot, ne pas faire un geste qui le lierait à des généraux de coup d’État [2].

Sur les rapports entre Mendès France et De Gaulle, il faut lire les témoignages qui figurent sur le site de l’Assemblée nationale. C’est très éloquent. Notamment ce jugement de François Mauriac :

« ... Ce que j’ai cru et ce que je crois toujours, c’est que la conjonction de Pierre Mendès France et de de Gaulle eût été ce qui aurait pu arriver de plus heureux pour la nation. L’impossibilité en est inscrite dans la nature même de Pierre Mendès France, dans cette inflexibilité qui fait sa grandeur, mais qui aura fait aussi sa destinée et l’aura condamné à ne pas servir autrement que par une action toute spirituelle. Pourtant, Pierre Mendès France est plus proche de de Gaulle, je serais tenté de dire infiniment plus proche, que de Mitterrand, que de Guy Mollet ou que des chefs communistes. De Gaulle, et Mendès, chacun de son côté, se sont fait de la France une idée qui, au fond, et quoi qu’ils en pensent, est la même : une France indépendante dans le siècle et dans les cieux et maîtresse d’indépendance et de liberté pour tous les peuples et d’abord pour ceux que nous avons dominés ».

François Mauriac, Bloc Notes, 26 décembre 1966
(Seuil, t. IV, 1965-1967, réédition 1993)

A.G.

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2 Messages

  • Thelonious | 12 février 2022 - 17:06 1

    Les derniers jours des fauves, Jérôme Leroy (la manufacture de livres).

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  • Thelonious | 12 février 2022 - 15:56 2

    Dans son dernier livre, sorti il y a quelques jours, "Les derniers jours des fauves" (ed : la manufacture des livres), Jérôme Leroy accomplit à merveille l’aphorisme de Mauriac : Je prendrai la politique, je la baptiserai littérature et elle le deviendra aussitôt.