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La dernière De Kooning : Woman, Sag Harbor - 1964

Musée de l’Orangerie : "Chaïm Soutine / Willem de Kooning, la peinture incarnée"

D 12 octobre 2021     A par Viktor Kirtov - Jean-Hugues Larché - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Jean-Hugues Larché : "La dernière De Kooning : Woman, Sag Harbor - 1964"

Cette femme chair par excellence est un mini Pearl-Harbour. Une explosion fixe dans sa déflagration rose bonbon. Une attaque en lancer de jambon d’York. La charcutière en bouquet de chair est anthropophage d’elle-même. Saucisse tournée dans l’huile étalée sur deux mètres de hauteur ou couchée et prise en plongée par Willem le dissolveur.

En français, je l’appelle Rosemonde. Explosion rose à la face du monde. Sorte de Marilyn à tête de chien écorché se tenant la tête d’insupportables images saccadées. Flaque rosée fluorescente qui jouit du fond de son squelette. Star extasiée de bouffonnerie kitch. Truie humaine roulant dans son jus. Clouée, barrée, éventrée par le peintre. Finalement dissolue dans sa carnation répandue.

Imaginons les soubresauts fascinants de ses jets et gestes. Femme lambeau en orgasme cosmique. Flambeau carné qui tient la pige à Sainte Thérèse du Bernin n’ayant pas eut la chance de passer à la couleur. Rosemonde, femme nitroglycérine, se propulse à vif vers sa galaxie intérieure.

Qui mieux que De Kooning pouvait suivre ses ondulations convulsives, sa pose obscène, sa dissolution sur étal de la fête foraine ? En guimauve dégoulinante, ballon de foire crevé ou barbe-à-papa liquéfiée, cette naïade de Sag Harbour vous lance un dernier coup d’œil avant de sombrer ailleurs. Juste pour rire.

Jean-Hugues Larché - 25/09/2021

A propos de l’auteur

VOIR : Déambulation en compagnie de Jean-Hugues Larché, De Kooning, Soutine et les autres

Willem de Kooning avec un état de Woman I, c. 1952
Photo par Kay Bell Reynal. Archives of American Art, Smithsonian Institution, Washington, DC. Oeuvre © 2021 The Willem de Kooning Foundation / Artists Rights Society (ARS), New York.

Musée de l’Orangerie : "Chaïm Soutine / Willem de Kooning, la peinture incarnée"

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Exposition jusqu’au 10 janvier 2022
La fascination qu’exerçait le peintre russe sur de Kooning illumine l’exposition du musée de l’Orangerie, à Paris, où les œuvres des deux géants dialoguent somptueusement.


ZOOM : cliquer l’image
La colline à Céret, Chaïm Soutine (1893-1943)
Digital Image 2012 (c) Art Resource, New York Scala, Florence ©Los Angeles (CA), LACMA Digital Image Museum Associates/LACMA/Art Resource NY/Scala, Florence / Digital Image
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Un bijou !

Un bijou  ! Il y a une histoire, bien sûr, l’admiration d’un jeune peintre, un jeu d’influences discernable dans les tableaux, mais l’exposition en deçà des commentaires et des analyses se présente avant tout comme un bijou composé d’une quarantaine de tableaux de Chaïm Soutine (1893-1943) et de Willem de Kooning (1904-1997). Du premier, peintre russe émigré à Paris vers 1912, on peut admirer une partie importante de l’œuvre conservée au musée de l’Orangerie à Paris  ; mais de l’autre, peintre néerlandais émigré aux États-Unis en 1926, les tableaux et les expositions en France sont rares — la dernière, au Centre Pompidou, remonte à 1984.

Télérama

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Dialogue entre les figures et paysages de Soutine et De Kooning
Un dialogue inédit
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par Valérie Oddos
France Télévisions, 28/09/2021


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A gauche, Chaïm Soutine (1893-1943), "Paysage avec maison et arbre", 1920-1921 - A droite, Willem de Kooning (1904-1997) ... "Dont le nom était écrit dans l’eau (...Whose Name Was Writ in Water) 1975, Etats-Unis, New-York (NY), The Solomon R. Guggenheim Museum
Oeuvre : (A gauche, Philadelphia (PA), The Barnes Foundation - A droite © The Willem de Kooning Foundation, Adagp, Paris, 2021, Photo © The Solomon R. Guggenheim Foundation / Art Resource, NY, Dist. RMN-Grand Palais)
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Willem de Kooning est plus connu pour son oeuvre abstraite. Mais toute sa vie il a aussi produit des tableaux à la frontière de l’abstraction et de la figuration. Le musée de l’Orangerie les confronte à des oeuvres de Chaïm Soutine, un artiste dont la force expressive et la lumière ont durablement marqué le peintre américain. Constituée d’une sélection resserrée d’une cinquantaine d’œuvres, l’exposition est petite mais éblouissante.

Elle est organisée avec la fondation Barnes de Philadelphie qui, comme l’Orangerie, a une importante collection d’œuvres de Soutine. Car très tôt, dès 1922, le Dr. Albert Barnes a acheté des dizaines d’œuvres de Soutine, contribuant à le faire connaître outre-Atlantique


Chaïm Soutine (1893-1943), "Le groom (Le chasseur)",
Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle (© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat Foundation / Art Resource, NY, Dist. RMN-Grand Palais)
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De Kooning, "fou de Soutine"

"Vous avez la chance de voir ici réunis les plus beaux Soutine, des Soutine rares comme Le bœuf écorché ou La Femme entrant dans l’eau. Et puis ça fait plusieurs décennies qu’on n’a pas réuni autant d’œuvres de De Kooning à Paris", souligne Cécile Debray, la directrice du musée de l’Orangerie.
Si la peinture expressive aux couleurs puissantes et à la pâte épaisse de Chaïm Soutine (1893-1943) a marqué toute une génération d’artistes américains d’après-guerre, elle a particulièrement impressionné Willem De Kooning (1904-1997), figure de l’expressionnisme abstrait. Dans une interview de 1970, celui-ci, à qui on demandait quel artiste avait le plus compté pour lui, répondait : "J’ai toujours été fou de Soutine – de toutes ses peintures", évoquant la luxuriance de ses œuvres.
"Nous nous sommes attachés à analyser et à démontrer par les tableaux cette fameuse phrase de De Kooning. Ça a été l’occasion de revenir sur un moment très peu connu et étudié, celui de la réception de Soutine aux Etats-Unis, et plus particulièrement par De Kooning", explique Cécile Debray.


Willem De Kooning (1904 -1997),(Woman II, 1952,
Museum of Modern Art (MoMA), don de Blanchette Hooker Rockefeller, 1955 Artwork (© The Willem de Kooning Foundation, Adagp, Paris, 2021, Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence)
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La figure féminine au centre de la peinture de De Kooning

Dès les années 1930, des toiles de Soutine, peintre d’origine russe émigré à Paris en 1913, sont exposées à New York, comme les figures puissantes présentes dans la première salle de l’exposition. De Kooning les a certainement vues dans les galeries qu’il fréquente assidument quand il arrive en 1926 des Pays-Bas.

Elles sont accrochées en face de figures féminines de De Kooning un peu grotesques peintes au début des années 1940. "Il s’agit de montrer à quel point, dès cette époque, la figure humaine et féminine en particulier est au centre de la peinture de De Kooning", souligne Claire Bernardi, la commissaire de l’exposition. Et cela alors qu’il peint en même temps des œuvres complètement abstraites.
Il n’y a qu’une dizaine d’années qui séparent les naissances de Soutine et de De Kooning. Pourtant ils ne se sont jamais rencontrés. Il ne s’agit pas de parler "d’influence", souligne Claire Bernardi, la commissaire de l’exposition, mais de "dialogue" sur une longue période.


Chaïm Soutine, (1893-1943, "Femme entrant dans l’eau", 1931,
Londres, MAGMA (© Museum of Avant-Garde Mastery of Europe (MAGMA of Europe) )
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Soutine au MoMA en 1950

Un moment essentiel de la réception de l’œuvre de Soutine aux Etats-Unis est la rétrospective de plus de 70 œuvres organisée au Museum of Modern Art de New York en 1950 que De Kooning a certainement vue. Une exposition évoquée ici, avec les extraordinaires paysages torturés de Céret et de nouvelles figures allongées aux grandes mains expressives dont un Homme au manteau vert particulièrement frappant, avec une tête et une main sur laquelle elle s’appuie, complètement démesurées.

Dans le catalogue de l’exposition du MoMA, son commissaire Monroe Wheeler se demandait : "Soutine était-il à l’époque ce qu’on pourrait appeler un expressionniste abstrait ?". "Une des questions qui se posent à ce moment-là, c’est la façon dont les critiques de l’époque et les artistes ont pu regarder l’œuvre de Soutine en la confrontant à la peinture qu’ils essayaient de développer", remarque Claire Bernardi.
Deuxième moment important, en 1952, De Kooning bénéficie d’une visite privée de la fondation Barnes, qui n’est pas ouverte au public à l’époque. Il dira bien plus tard à quel point cette visite l’a marquée. "Il parle de la lumière qui se dégage des œuvres de Soutine, en la comparant à celle de Matisse", raconte Claire Bernardi. C’est l’époque où il peint ses Woman, des figures entre abstraction et figuration, où la femme au visage déformé et le fond se mêlent. A l’époque, il commence à se faire connaître comme artiste abstrait "et ça fait quelques remous dans le monde de l’art américain" quand il les montre, raconte la commissaire. Mais "cette figure de femme lui colle à la peau et reste dans la suite de sa peinture, jusque dans des œuvres des années 1970", ajoute-t-elle.


Willem de Kooning (1904-1997), "Femme dans un paysage III (Woman in Landscape III)", 1968,
Whitney Museum of American Art, New York ; purchase with funds from Mrs. Bernard F. Gimbel and the Bernard F. and Alva B. Gimbel Foundation Artwork (©The Willem de Kooning Foundation / Adagp, Paris 2021, Digital Image © Whitney Museum of American Art)
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Femmes dans l’eau

Dans les années 1960 De Kooning produit des Femme-Paysage (Woman as Landscape) où la figure féminine se dilue dans l’eau, comme un reflet. Ces œuvres évoquent son nouvel environnement, celui d’East Hampton, au bout de Long Island, près de New York, où il vient de déménager et où l’eau est omniprésente. Elles sont accrochées en regard de la sublime Femme entrant dans l’eau (1931) de Soutine, inspirée de Rembrandt.

Les toiles de Soutine, nombreuses au début de l’exposition, sont plus rares à mesure qu’on avance, mais d’une puissance rare, comme cette dernière. Et comme La Colline à Céret (1921), dont le motif exprimé à coups de pinceaux énergiques et quasi hallucinés est à peine identifiable. Autour d’elle, pour finir, est réuni un feu d’artifice de grandes toiles presque abstraites du peintre américain dont les traits et surfaces lumineuses de couleurs évoquent l’eau, son sujet de prédilection dans les années 1970.

"Chaïm Soutine / Willem de Kooning, la peinture incarnée"
Musée de l’Orangerie,
Du 15 septembre 2021 au 10 janvier 2022

L’exposition est organisée conjointement avec la Fondation Barnes de Philadelphie,

La Fondation Barnes possède un nombre important d’œuvres de Soutine. Elles ont été réunies par le docteur Barnes sur les conseils de Paul Guillaume, qui est à l’origine de la collection du musée de l’Orangerie.

L’exposition a été présentée à la Fondation Barnes de Philadelphie du 7 mars au 8 août 2021.


ZOOM : cliquer l’image

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A gauche : Chaïm Soutine. The Communicant (La Mariée) (détail), vers 1924. La collection Lewis. Œuvre © 2021 Artists Rights Society (ARS), NY. Image © 2015 Christie’s Images Limited. A droite : Willem de Kooning. Woman II (détail), 1952. Musée d’art moderne, New York. Don de Blanchette Hooker Rockefeller, 1955. Œuvre © 2021 The Willem de Kooning Foundation / Artists Rights Society (ARS), New York. Image © The Museum of Modern Art/Licensed by SCALA / Art Resource, New York.

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Chaïm Soutine à Le Blanc, France, 1927
Image courtesy Klüver / Martin Archive
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Willem de Kooning avec un état de Woman I, c. 1952
Photo par Kay Bell Reynal. Archives of American Art, Smithsonian Institution, Washington, DC. Œuvre © 2021 The Willem de Kooning Foundation / Artists Rights Society (ARS), New York.
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Chaïm Soutine. Paysage, vers 1922-24
Musée de l’Orangerie, Paris. Collection Jean Walter et Paul Guillaume. Œuvre © 2021 Artists Rights Society (ARS), New York. Image © Peter Willi / Bridgeman Images

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Willem de Kooning. La Reine de cœur, 1943-46
Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington, DC. Œuvre © 2021 The Willem de Kooning Foundation / Artists Rights Society (ARS), New York. Image de Lee Stalsworth, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden..
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Musée Orangerie

Fondation Barnes


Woman, Sag Harbor : l’analyse du musée Hirshorn

Musée Hirshorn, du nom de ce financier collectionneur qui fit don de sa collection à cette organisation, dont Woman Sag Harbor de Willem De Kooning.
Voici ce qui est dit sur le site du musée, en complément de l’analyse de Jean-Hugues Larché.
 :

Provenance de l’œuvre
L’artiste, East Hampton, New York, jusqu’à l’été 1964.
Joseph H. Hirshhorn, New York, été 1964-17 mai 1966
Don de Joseph H. Hirshhorn, 1966

Entre 1964 et 1966, de Kooning peint sur des portes à âme creuse une série d’images féminines plus grandes que nature, dont deux : Woman, Sag Harbor,1964 et Woman 1965. Ces œuvres, considérées comme une référence dans la carrière de l’artiste, confirment un changement dans ses méthodes techniques qui avait commencé vers 1960. Utilisant un support apprêté avec des terres opaques et lisses, des pigments mélangés à de grandes quantités de blanc et une peinture de plus en plus fluide, il exploite le potentiel de ses matériaux pour créer des tableaux évocateurs de l’environnement aquatique de l’East End de Long Island.

Woman, Sag Harbor est la première des peintures dites de porte, qui, selon John McMahon, l’assistant de Kooning à l’époque, sont nées lorsque de Kooning a commencé à peindre sur des portes mises au rebut lors de la construction du studio qu’il se construisait à Springs [1]. McMahon se souvient des spécifications élaborées de l’artiste pour les fonds de ces peintures, impliquant jusqu’à six couches de peinture à l’huile blanche, chaque application étant poncée jusqu’à obtenir une finition lisse avant que la suivante ne soit posée par-dessus [2]. Les fonds de Woman, Sag Harbor et Woman, cependant, sont en fait plutôt minces, ce qui indique que de Kooning poursuivait sa pratique de toujours consistant à gratter et à poncer à plusieurs reprises sa peinture et à abraser les couches de fond au cours du processus.

Comme il l’avait fait auparavant, de Kooning créait son imagerie par une série de manœuvres complexes comprenant le traçage, la superposition et la combinaison de dessins et de transferts d’une peinture, ou de fragments de celle-ci, sur la surface d’une autre, souvent en utilisant une image inversée réalisée en pressant du papier contre sa peinture encore humide. Une comparaison des éléments dessinés de Woman, Sag Harbor avec ceux de Woman (1964 ; fig 3, Hirshhorn Museum), par exemple, révèle que les pieds et les chaussures des femmes sont presque des images miroir les unes des autres, ce qui indique que Woman est probablement un transfert d’un état antérieur de Woman, Sag Harbor.

Des photographies et des références anecdotiques suggèrent qu’au moment où de Kooning a peint Woman, Sag Harbor, il avait cessé d’utiliser les peintures maison et l’huile de pavot qu’il avait employée comme additif à l’époque de Untitled (mai 1962, Hirshhorn Museum), et qu’il ajoutait de l’huile de carthame aux peintures à l’huile pour artistes [3].

À un visiteur de son atelier en 1964, il s’est vanté d’avoir trouvé une huile à salade qu’il pouvait utiliser à la place des huiles d’artiste coûteuses, et une photographie de lui dans son atelier par Dan Budnik, datant de 1971, montre une bouteille d’huile de carthame Saff-o-life sur sa table de travail [4]. En 1978, il a déclaré à un intervieweur qu’il utilisait l’huile de carthame parce qu’elle "reste humide longtemps, elle ne sèche pas comme l’huile de lin, je peux travailler plus longtemps " [5].

À l’époque de Woman, Sag Harbor, de Kooning préparait ses mélanges de peinture à partir de tubes de couleurs d’artistes Bellini selon des recettes qu’il avait mises au point [6]. Une fois qu’il avait soigneusement combiné un certain nombre de ses peintures en tube sur une palette en verre, il mettait les peintures mélangées dans un bol et ajoutait ensuite de l’huile de carthame, de l’eau et du kérosène ou un autre solvant, en fouettant les ingrédients avec un pinceau pour obtenir une consistance mousseuse. Il n’ajoutait pas l’huile de carthame et l’eau selon une formule définie, mais travaillait plutôt au toucher, mélangeant jusqu’à ce que la peinture atteigne la consistance souhaitée. L’analyse du support corrobore ce rapport : sept échantillons de peinture provenant de Woman, Sag Harbor, correspondent à des échantillons d’huile de carthame vieillie naturellement et mélangée à de la peinture en tube pour artistes. C’est également le cas de plusieurs échantillons prélevés sur des œuvres peintes plus tard dans les années 1960, notamment Woman (1965), The Visit (1966-67 ; Tate, Londres) et Two Figures in a Landscape (1967 ; Stedelijk Museum, Amsterdam) [7].
Ce médium peu orthodoxe permet à de Kooning d’appliquer d’abondantes quantités de peinture qu’il peut ensuite retravailler sur une longue période - une avancée par rapport à l’une de ses pratiques établies de longue date. L’utilisation d’une peinture à séchage plus lent signifiait qu’il pouvait désormais, plus facilement que jamais auparavant, gratter toute la surface du tableau, ou certaines parties, sans laisser d’autres traces que des lignes de fusain et de faibles résidus de peinture des images précédentes. Par conséquent, contrairement à bon nombre de ses œuvres antérieures, Woman, Sag Harbor , Woman, 1965, et les œuvres de ce type n’enregistrent que la dernière étape d’un processus qui comportait de nombreuses étapes de peinture, de grattage et de repeinture.

La liquidité et la glissance accrues du liant de Kooning, ainsi que l’utilisation d’un support lisse, lui ont permis de déplacer plus rapidement son pinceau sur la surface du tableau. Si les coups de pinceau rapides sont certainement aussi caractéristiques de ses œuvres antérieures, la plus grande rapidité avec laquelle il a appliqué la peinture plus fluide de la série des portes est sensible à l’œil qui suit le mouvement rapide du pinceau là où il a touché le panneau, dérapant, se tordant et se retournant souvent brusquement lorsqu’il a été soulevé. Joan Ward, amie de De Kooning, se souvient avoir expérimenté le médium de De Kooning et l’avoir trouvé si glissant qu’elle " ne pouvait pas garder le pinceau sur la toile " [8]. Les peintures de De Kooning, riches en médium et à séchage plus lent, facilitaient le travail du pinceau. [9].

La liquidité et la glissance accrues du médium de liaison de de Kooning, ainsi que l’utilisation d’un support lisse, lui ont permis de déplacer plus rapidement son pinceau sur la surface du tableau. Si les coups de pinceau rapides sont certainement aussi caractéristiques de ses œuvres antérieures, la plus grande rapidité avec laquelle il a appliqué la peinture plus fluide de la série des portes est sensible à l’œil qui suit le mouvement rapide du pinceau là où il a touché le panneau, dérapant, se tordant, et souvent se retournant brusquement lorsqu’il a été soulevé. Joan Ward, amie de De Kooning, se souvient avoir expérimenté le médium de De Kooning et l’avoir trouvé si glissant qu’elle " ne pouvait pas garder le pinceau sur la toile " [10].

Les peintures de De Kooning, qui sèchent plus lentement et sont riches en médium, ont facilité un travail au pinceau plus complexe et plus varié qu’au début de sa carrière ; les peintures de cette période sont des panoplies de textures et de couleurs travaillées mouillées sur mouillées, les coups de pinceau ultérieurs traînant et se mélangeant aux précédents. Dans Femme, Sag Harbor, le torse de la figure est souligné par une peinture jaune fluide que de Kooning a brossée à travers des zones encore humides de rose, rouge, vert et bleu. Au fur et à mesure qu’il travaillait, il faisait glisser les couleurs adjacentes, les mélangeant à la surface.

En plus des textures complexes que de Kooning a produites avec son pinceau, les surfaces de Woman, Sag Harbor, Woman et de nombreuses œuvres des années 1960 et 1970 ont développé des dépressions et des rides particulières en séchant. Des formations circulaires, semblables à des cratères, dans les surfaces peintes de nombreux tableaux de cette période se sont formées lorsque des bulles d’eau et d’air, résultant de l’émulsion temporaire d’eau et d’huile, ont éclaté ou se sont effondrées une fois la peinture appliquée. De même, le plissement ou le "ratatinage" évident dans de nombreuses zones de Woman, Sag Harbor résulte probablement de l’ajout d’eau et d’un excès d’huile à la peinture.

La couleur joue un rôle expressif important dans les peintures de portes. Lorsque de Kooning s’est installé à East Hampton, il a été ému par la lumière et les couleurs de son nouvel emplacement et a choisi une gamme de teintes qui reflétaient mieux l’extérieur, racontant à Harold Rosenberg qu’il a commencé à fabriquer ses propres couleurs afin d’incorporer littéralement la sensation de la lumière naturelle dans sa peinture : "Quand je suis arrivé ici, j’ai fait la couleur du sable et je l’ai mélangée. Et l’herbe gris-vert, l’herbe de la plage, et l’océan étaient tous d’un gris acier la plupart du temps... Des tons indescriptibles, presque. J’ai commencé à travailler avec eux et j’ai insisté pour qu’ils me donnent le type de lumière que je voulais. " [11].

L’identification des pigments dans Woman, Sag Harbor et Woman, 1965, révèle que les peintures de de Kooning ne sont pas des mélanges élaborés mais une palette plutôt restreinte de couleurs uniques et de leurs pastels, la plupart étant des pigments modernes disponibles seulement depuis le début du vingtième siècle.

Les remarques que de Kooning a faites en 1964, l’année de Woman, Sag Harbor, suggèrent qu’il continuait à chercher un moyen de transmettre la substance même de son nouvel environnement, et que les images de cette période se rapportent d’une certaine manière à l’environnement entouré d’eau de l’East End : "Maintenant, je vais sur mon vélo jusqu’à la plage et je cherche une nouvelle image du paysage. Et j’adore les flaques d’eau. Quand je vois une flaque d’eau, je la regarde fixement. Plus tard, je ne peins pas une flaque, mais l’image qu’elle évoque en moi. De toute façon, toutes les images que j’ai en moi viennent de la nature. "10

Et j’adore les flaques d’eau. Quand je vois une flaque, je la regarde fixement. Plus tard, je ne peins pas une flaque, mais l’image qu’elle appelle en moi. De toute façon, toutes les images que j’ai en moi viennent de la nature. " [12].

Traduit avec Deepl

Crédit : Musée Hirshorn


[1John McMahon, communication personnelle avec l’auteur, 18-21 octobre 1993. Voir également Judith Zilczer, Willem de Kooning from the Hirshhorn Museum Collection, Washington, D.C., 1993 : 161 n. 14.

[2McMahon, communication personnelle avec l’auteur. La composition pigmentaire de la terre est approximativement égale en parts de dioxyde de titane et d’oxyde de zinc, avec de petites quantités de kaolin.

[3Sur l’utilisation par de Kooning de l’huile de pavot, voir Susan Lake, Willem de Kooning : The Artist’s Materials, Los Angeles, 2010. Aucune peinture domestique n’a été identifiée dans les tableaux exécutés après 1963. Bien que McMahon, dans ibid, se souvienne que de nombreux pots de peinture pour la maison ont été déplacés de l’atelier de New York à Long Island lorsque de Kooning a déménagé à Springs, en 1963, il ne se rappelle pas avoir vu de Kooning les utiliser.

[4De Kooning a déclaré à propos de l’huile de carthame : " Elle ne coûte que 79 cents la bouteille. " Dans George Dickerson, Transcription d’un entretien avec Willem de Kooning, 3 septembre 1964 : 6. Dans le dossier du Thomas B Hess Papers, Archives of American Art, Smithsonian Institution, Washington, D.C., 1964 : 6. Thomas Hess a été le premier des contemporains de de Kooning à publier l’ajout par l’artiste d’huile de carthame à ses peintures ; voir Hess, De Kooning : Recent Paintings, New York, 1967, p. 32.

[5De Kooning, dans Gaby Rodgers, " Willem de Kooning : The Artist at 74 ", LI : Newsday’s Magazine for Long Island (21 mai 1978) : 21.

[6McMahon, communication personnelle avec l’auteur. De Kooning a noté les ingrédients des mélanges sur un tableau fait à la main que l’on peut voir accroché au mur à gauche du chevalet sur les photographies de l’atelier de l’artiste. À une date ultérieure, probablement au début des années 1980, il est passé de la peinture Bellini à la peinture Winsor and Newton.

[7Voir Lake et Michael Schilling dans Lake 2010:72-86.

[8Joan Ward, citée dans Richard Shiff, " Water and Lipstick : de Kooning in Transition ", dans David Sylvester, Richard Shiff et Marla Prather, Willem de Kooning : Paintings, Washington, D.C., 1994:65 n. 20.

[9De Kooning, in Harold Rosenberg, " Interview with Willem de Kooning ", ARTnews 71 (septembre 1972) : 58.

[10Joan Ward, citée dans Richard Shiff, " Water and Lipstick : de Kooning in Transition ", dans David Sylvester, Richard Shiff et Marla Prather, Willem de Kooning : Paintings, Washington, D.C., 1994:65 n. 20.

[11De Kooning, in Harold Rosenberg, "Interview with Willem de Kooning", ARTnews 71 (septembre 1972) : 58.

[12De Kooning, dans Dickerson 1964:16.

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2 Messages

  • FARGIER Marie-Noëlle | 5 août 2023 - 21:45 1

    « Le rire de Kooning » de Jean-Hugues Larché
    D’emblée les mots de Jean-Hugues Larché tracent les lignes. Evocation d’horizon par le nom à lui seul « Long Island », de droiture « excroissance perpendiculaire ». Ces premières visions sont vite démenties. Jean-Hugues Larché invite à creuser, à délisser cette terre, la rendre vivante, la fouiller dans le temps. Les racines de « Long Island » surgissent. Les Amérindiens la nommaient « Paumanok », l’Ile qui paie des tributs. Dans ce décor subitement chaotique De Kooning fait son apparition « …seul dans les fondations profondes aux larges parois déblayées au buldozer. » L’écrivain jette les dés. Je pressens par une description fine, minutieuse de cet homme bien planté ou en déséquilibre dans cet univers « Il est debout au bord d’une trace striée par les roues d’un engin » que « Le rire De Kooning » va résonner longtemps dans mes oreilles. L’auteur incite le lecteur à connaître, comprendre De Kooning en connivence totale avec son environnement. L’atelier et le peintre ne font qu’un comme en atteste cette phrase de De Kooning « J’ai travaillé sur cet atelier comme un peintre ». Je saisis que le rire de Kooning m’amènera plus loin qu’une rencontre avec cet artiste. Il est une véritable analyse embellie d’une écriture colorée, sculpturale qui charme et accroche.
    Cette terre excavée par la volonté de De Kooning réveille l’ancestrale tribu. « La force tellurique et la lumière atlantique traversent le paysage… », « Le chaman de Kooning rit entre ciel et terre… ». Fusion entre le peintre et les éléments. Puis la première création de l’artiste : une femme. A son tour elle pénètre ce magma créatif « Avec De Kooning, la femme devient paysage ». Elle interagit avec le peintre. « Woman n’en finit plus de couler sa couleur ». Je tourne les pages, je ne lis plus. Les couleurs, les formes, la matière écrasent les lettres. Je vois, je sens. Tel est le talent de l’écrivain. Alchimie volcanique. Aurait-il été happé par cette métamorphose ? « En 1996, De Kooning dessine les yeux fermés, décadre, démembre, désorganise. », « Comiques graphies de corps pré-anatomiques ». Ancrage indigo. « De Kooning s’enfonce progressivement dans une certaine aphasie…ses tableaux perdent de plus en plus leur titre, leur rapport aux mots. Et même sans titre, la couleur parle, le timbre est toujours clair, le tempo serpente et tombe juste. » Chaque page de ce manuscrit reflète une œuvre qui miroite celles De Kooning. Tout est interaction. Les tableaux, les sculptures, les bronzes s’animent sous la baguette du chef d’orchestre qui n’est autre que Jean-Hugues Larché. Une histoire. Un conte. Voyage initiatique ? Qu’importe ! « La Recliming Figure danse au sol et pulse le jazz, le be-bop ou le free jazz. L’Hostess agite ses quatre bras semble guider un mystérieux orchestre. La Seated woman assise en bord de mer écoute le roulis… » J’imagine une scène de vie, de théâtre. « Un tableau de tableaux » dans un univers sincère, profond, d’un autre temps. Création. Vivantes sont ces œuvres tant dans leur beauté que leur laideur ! Extrêmes, envahissantes, incurables. Au fil du manuscrit, l’abcès se perce. Un furoncle d’angoisse indescriptible, de celle dont l’inconscient se goinfre comme ces femmes « ventrues, fessues, à grosses mamelles, mais leur bassin est étroit et leurs jambes tubulaires sont comme enfoncées, rivées au sol ». L’auteur extirpe par ses mots le malaise du « spectateur ». « Elles sont emblématiques de son traitement de l’hystérie universelle qui est on ne plus concret dans sa monstration ». Angoisse légitime. Il rappelle les propres paroles de De Kooning à leur propos « Moi-même elle me fait peur (la woman 1), ce n’est pas tant le fait de la regarder que de penser comment elle est sortie de moi, comment ça s’est passé. » L’auteur rajoute « Il a redonné vie et corps à une femme en inversant le processus naturel de la procréation ». Femmes au pouvoir démesuré, surnaturel ? « La femme devient paysage ». Le chaman est toujours là. De quoi en rire ? Oui, aux éclats. Savait-il déjà où il nous conduisait ? J’aime le croire.
    Une photographie de De Kooning riant boucle le manuscrit. Je retrouve le début de « le rire de De Kooning ». Les mots, les images. Beau clin d’œil, Monsieur Larché ! La boucle est bouclée. RIRES. L’île n’en finit pas de payer ses tributs…

    Marie-Noëlle Fargier


  • Pierre Vermeersch | 16 octobre 2021 - 20:01 2

    Dans cette exposition du musée de l’Orangerie, la mise en série des œuvres de Soutine et de Kooning, présente un segment de l’évolution de la peinture dite expressionniste, dont la théorie remonte à l’expérience de griffonnage de Worringer (cf. notre message, L’enchantement du virtuel, sur l’article de V. Kirtov, Homo Europaeus… ). Asger Jorn, qui aurait pu figurer dans l’exposition, eut l’intuition du substrat topologique de l’acte pictural ainsi dénudé, dans son manifeste d’Internationale situationniste N° 5, « La création ouverte et ses ennemis ». C’est ainsi que les paysages de Soutine montrent une déformation continue qui rejoint celle de l’outre passement de la limite de l’espace perspectif, qui a produit l’anamorphose du tableau des Ambassadeurs de Holbein. L’opposition de ces deux abords reflète la suture de l’infini actuel, celui du chiasme phénoménologique du tact, et de l’infini potentiel de la fenêtre d’Alberti.

    Voir en ligne : P. Vermeersch, "Finalité de l’acte pictural- La traversée de l’histoire, avec Lacan", in Ligeia N° 181-184.