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Pour un « portrait complet » de Denis Roche

par FRANCIS PONGE

D 4 septembre 2021     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


voici déjà quelques hâtifs croquis
pour un « portrait complet » de denis roche
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Audax lapeti genus
(Horace)
Des enfants de Japet toujours une moitié
Fournira des armes à l’autre
(La Fontaine)

Quand Sollers, vers 1962, m’apportant des textes de Denis Roche (et de M. Pleynet), me demanda ce que j’en pensais, j’admirai une fois de plus le génie tactique de mon jeune ami d’alors. L’opportunité de ce sang frais, infusé à l’improviste dans son groupe, m’apparut à l’évidence et je l’en approuvai aussitôt. Ne l’aurais-je pas fait, il aurait, bien sûr, passé outre (mais je le fis).
On comprendra que je m’en tienne, aujourd’hui à Denis Roche...
Voici donc plus de dix ans que ce couple de noms, dans cet ordre (un prénom puis un nom), est advenu dans mon lexique et qu’a commencé de se nourrir en moi la notion correspondante.
Eh bien — voici qui est bien rare et, quant à mon désir d’en témoigner, déterminant — aucun élément déceptif n’est venu, depuis lors, s’y incorporer. Bien au contraire !
Cette notion se présente à mon esprit, chaque fois que je lui rouvre la trappe, de façon de plus en plus réjouissante ! Jouissantissime, disons !
Le qualificatif du prénom (dionysiaque) précédant le substantif du patronyme (roche) : un roc, une roche, un rocher peut-il donc éclater avant d’être ? — En voici la preuve (ou l’exemple).
Il y avait donc, dans le groupe en question, un filon dynamique, étincelant et limpide, rieur, actif sans pontification : c’était lui.

Préférant un parcours torrentiel, à tous risques, ce ruisseau clair a quitté le fleuve quand celui-ci a commencé décidément à s’envaser, dans la pénéplaine.

La congrégation des Pères de l’Oratoire est différente de tous les autres ordres : les vœux y sont inconnus et le repentir n’y habite point. Peut-être faut-il vivre avec les jésuites, mais c’est avec les premiers qu’il faut mourir. Beaucoup de leurs prêtres, prirent le parti des jansénistes, puis leur Oratoire fut attribué aux protestants. C’est là que nous fûmes baptisé, et peut-être est-ce là qu ’il nous faudra mourir. A moins que ...
A moins que, d’ici là, nous étant mieux connus... Oui , sans doute...

Connaissons mieux, lecteur, en ce gentil Denis, l’un des Dieux éternels de nous autres Gentils,
Oui, Oui, Dionysos lui-même,
Qui n’eut, jamais, bien sûr, et qui n’aura jamais — sinon pour le désarçonner enfin une bonne fois pour toutes, j’espère —
Rien à faire du tout avec le trop fameux Bon Apôtre, corrupteur deux fois millénaire des Nations,
Mais toujours beaucoup, en revanche, comme Mars ou Arès lui-même, avec Aphrodite ou Vénus.
Oui, Oui, c’est ce Dieu même — et non le converti qui leur revient en bouche comme un fielleux renvoi de leurs têtées monothéistes —­
Qu’il nous faut reconnaître en ce gentil Denis !

*

Amour, comme au gentil Arnaut, lui a enseigné les artifices de son école et il est devenu si fort qu’il peu t arrêter le torrent et que son bœuf court plus vite que le lièvre.
Ainsi, le renversement du monde, tel que, sur un ordre d’Amour,
il est en son dessein, n’a pas chez lui un sens négatif. Ses adynata, inventions passionnées, sont aussi là pour nous prouver sa maîtrise technique, qui va de pair avec son penchant pour l’Ornatus difficilis des poétiques contemporaines : celles de Mallarmé, de Joyce, de Cummings ou de Pound, ou (mine de rien) la mienne.

*

Il sait parfaitement (car il est savant, érudit) tout ce qui a été tenté, depuis la nuit des temps, pour — parlons vite — iconoclastiquer la poésie.
Il sait parfaitement — pas folle la guêpe — que sa propre tentative n’est, de loin, pas la première.
Il a donc la connaissance nécessaire pour tenter quelque chose de différent, de vraiment original, de plus radical.
Et il y réussit.

*

Plus radicalement qu’aucune autre, parce que sans thèse, sans discours théorique sinon par bribes (réflexions techniques) qu’honnêtement — bien forcé — il y laisse s’insérer, son écriture agit .
Comme chez Dante — et (disons-le modestement) quelques autres — la réflexion technique vient toujours se greffer sur l’acte créateur (mais il la récuse aussitôt).
Le poète le plus critique est aussi le plus loyal.

*

Mais enfin, que sait-il, avant tout ?
— Que l’idée de la liberté implique l’idée d’une prison ou de chaînes. Que le concret de la liberté implique un concret de chaînes.
Pas de véhémence qui ne véhicule les obstacles qui la provoquèrent et l’entretiennent.
Pas de torrent ravageur sans cailloux dans la bouche.
On ne monte pas au ciel sinon par les barreaux d’une échelle. Tout a lieu en lieu obscène.
Les plus « pures » abstractions (formules mathématiques) n’ont lieu que par la craie écrasée sur l’ardoise ou l’encre tachant le papier.
Enfin, pas de torrent sans rives (ouvertes parfois sur la gauche, abruptement bornées sur la droite), ni sans rochers à chaque pas dans son lit.

*

Bref, ressaisi par la notion en moi de Denis Roche, où s’aperçoit le jaillissement avant que se montre la roche, quand je m’endors, quel plaisir !

*

La nature seule fait des miracles. Rions de ceux qui peuvent croire qu’une quelconque transcendance nous les envoie de là-haut.

« ..............................Dein Gnatia lymphis
« lratis exstructa dedit risusque jocosque,
« Dum flamma sine tura liquescere limine sacro
« Persuadere cupit : credat Judaeus A pella ,
« Non ego ; namque deos didici securum agere aevum
« Nec, siquid miri faciat natura, deos id
« Tristes ex alto caeli demittere tecto ».

(Horace, Sat. , IV. 97- 103)

Ah ! Buvons, nous aussi, de cette éternelle eau de roche (qui nous vient d’Épicure et de plus loin encore)...

Francis Ponge
Le Mas des Vergers, Octobre 1974.
repris dans Nouveau nouveau Recueil.

Note : Ce texte de Ponge a été écrit après la rupture, en 1973, entre Ponge et Tel Quel, suite à un article de Marcelin Pleynet sur Braque (cf. Explications) et après que Denis Roche en eut quitté le comité de rédaction pour des raisons tout autres, d’où les allusions qui le parsèment (« la pénéplaine », c’est évidemment Pleynet). A.G.

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