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9 avril 2021 : Baudelaire fête ses 200 ans

Avec Antoine Compagnon et plus...

D 9 avril 2021     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Le génie des "Fleurs du mal" qui a bouleversé la littérature


« Portrait de Charles Baudelaire », de Gustave Courbet, 1848. Misée Fabre Montpelier. Crédit Wikipedia.
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A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire le 9 avril 1821, laissons-nous enivrer par le génie des "Fleurs du mal" qui a bouleversé la littérature.

Dans un des projets de préface à ce mince recueil, Baudelaire affiche clairement sa singularité, à rebours de la tradition poétique : “Des poètes illustres s’étaient partagés depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était difficile, d’extraire la beauté du Mal.
Un extrait du poème "Une charogne " semble illustrer, entre autres exemples, cette esthétique inédite :

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux (...)

Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Or, en 1857 la France bien-pensante de Napoléon III juge obscène cette littérature et le procureur impérial Ernest Pinard fait condamner l’auteur et son éditeur pour “offense à la morale publique, religieuse et aux bonnes mœurs”. Six poèmes considérés particulièrement comme infamants sont retirés de la vente et ce n’est qu’en 1949 que ces "pièces condamnées" seront réintégrées aux Fleurs du mal .

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Malgré les censeurs et la critique de l’époque qui s’acharnent, quelques illustres contemporains (parmi lesquels Victor Hugo, Théophile Gautier et les frères Goncourt) soutiennent Baudelaire. Blessé par le jugement mais habitué à être incompris, ne serait-ce que par sa vie de bohème, les dettes accumulées et son goût affiché de la provocation, il n’est pas sans savoir que le scandale assure la publicité de son recueil et la postérité de son nom.

Tout autour de lui, et en lui, est frappé par la double postulation, ce "Spleen et Idéal" (titre de la première section des Fleurs du mal ) dont il souffre, s’amende et s’enorgueillit à la fois. Les femmes (sa mère, ses maîtresses, les prostituées fréquentées), mais aussi les progrès de son époque (la presse, la photographie, la rénovation de Paris) le fascinent et le révulsent.

Cette ambivalence fondamentale est surtout à l’œuvre dans le recueil inachevé des Petits poèmes en prose qu’il composa à la fin de sa vie et sera publié à titre posthume en 1869 (Baudelaire meurt en 1867). Moins légendaire que Les Fleurs du mal , Le Spleen de Paris constitue selon le critique Antoine Compagnon “le sommet de la modernité antimoderne par excellence” de cet esprit irréconciliable et “irréductible” :

Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m’exaspère. L’insensibilité de la mer, l’immuabilité du spectacle, me révoltent… Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu.” ("Le Confiteor de l’artiste", in Petits poèmes en prose )

A partir de Baudelaire, et paradoxalement grâce à lui, la poésie s’ouvre à cette modernité saluée par tous ses héritiers. Si, sous sa plume le beau devient “bizarre”, “discordant”, “ardent et triste”, jamais aucun écrivain n’avait osé aller aussi loin dans l’expression de l’horreur et de l’extase mêlés.
Créer un poncif, c’est le génie. Je dois créer un poncif” notait-il dans ses Fusées . Deux cents ans après sa naissance, l’ambition du poète maudit est accomplie et s’adresse toujours en miroir à nous, son “hypocrite lecteur, [son] semblable, [son] frère” :

Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.”

Crédit : Célébrons Baudelaire : 200 ans de poésie ! - Librairie Mollat

Antoine Compagnon : "Deux siècles après sa naissance, Baudelaire reste énormément subversif"

L’INVITÉ DE 8H20 ( France INTER ) : LE GRAND ENTRETIEN

Vendredi 9 avril 2021

par Nicolas Demorand, Léa Salamé

Antoine Compagnon, écrivain, professeur émérite au Collège de France, auteur d’Un été avec Baudelaire (Les Equateurs/ France Inter) et Baudelaire, l’irréductible (Champs Flammarion), est l’invite du grand entretien de France Inter.


Antoine Compagnon © AFP / ULF ANDERSEN / Aurimages via AFP
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Deux cents ans exactement après la naissance de Baudelaire, Antoine Compagnon, écrivain et professeur émérite au Collège de France revient sur la place singulière occupée par le poète (à qui il a consacré une émission sur France Inter) et le lien qu’il entretient avec lui.

Dans la crise sanitaire que nous traversons depuis un an, Antoine Compagnon explique être "particulièrement sensible" à certains poèmes de Baudelaire, comme L’Invitation au voyage.

L’écrivain se souvient d’avoir été "particulièrement marqué par les poèmes lus en classe de première, à savoir sa poésie de la mémoire. J’ai été sensible plus tard aux poèmes plus subversifs". Un caractère sulfureux qui demeure encore aujourd’hui. "Je crois que Baudelaire reste énormément subversif, deux siècles après sa naissance. Il a été condamné très longtemps, introduit tardivement dans le corpus scolaire."

Je suis d’ailleurs étonné par le peu de célébrations qui sont au programme de ce second centenaire. Personne n’a proposé de le panthéoniser, plutôt que Rimbaud !

Selon Antoine Compagnon, c’est le côté "toujours inattendu, toujours provoquant" de Baudelaire qui reste subversif. "Il est l’inventeur de la modernité et celui qui insulte cette modernité à longueur de pages. C’est une démarche très violente."

"Baudelaire hait la perte de l’idéal. Il a assisté au développement de la presse, de la photographie, des transports. Tout progrès induit une perte", poursuit le spécialiste.

Aujourd’hui, s’élever contre le progrès est un lieu commun. Au temps de Baudelaire, c’était une provocation.

Antoine Compagnon dresse également une comparaison avec le monde contemporain. "
Baudelaire a assisté à la naissance de la photographie, de la grande presse, comme nous avons assisté à l’irruption du monde numérique. De la même façon que lui, nous avons une relation à la fois de dépendance à Internet, Twitter, Facebook, et d’irritation."

"Chez les grands écrivains, ceux que nous continuons de lire, il y a toujours des contradictions, des failles. Ils ne sont pas uniformes, ils ne sont pas ronds et bien fermés."

Baudelaire chantre de la modernité

Gérard de Coster
RTBF, 9 avril 2021

Baudelaire, écorché vif, mal compris, poète maudit… Barbey d’Aurevilly dira de lui qu’il est le "Dante d’une époque déchue… tourné vers le classicisme, nourri de romantisme".SelonRimbaud,il est "le vrai Dieu … et "le plus important des poètes" pour Paul Valéry tandis qu’André Breton le considérera comme "le premier surréaliste".

Charles Baudelaire est né à Paris ,rue Hautefeuille, le 9 avril 1821…Qui sait alorsqu’il sera l’un des plus grands poètes du XIXe siècle. L’enfant a un demi-frère, Claude Alphonse Baudelaire, né du premier mariage de son père, Joseph-François,un lettré passionné de l’idéal des Lumières. Cet amateur de peinture, répétiteur, fonctionnaire et… ci-devant prêtre décède alors que Charles n’a que 5 ans. L’année suivante, sa mère, Caroline Dufaÿs, se remarie avec le général Aupick. Charles n’acceptera jamais ce beau-père qui est tout ce qu’il déteste, l’autorité et la discipline, entrave à tout ce qu’il aime : la poésie, le rêve et sa mère, seul être qui comptera jamais dans sa vie.

À 14 ans, l’adolescent entre au collège Louis-le-Grand. En seconde, il se voit décerner le deuxième prix de vers latins. En1839, l’année du baccalauréat, Charles est renvoyé pour indiscipline ; c’est au lycée Saint-Louis qu’il décrochera le fameux sésame. Entre temps, fréquentant le Quartier Latin,Charles est devenu un dandy… En 1841, jugeant scandaleuse la vie du jeune homme, son beau-père l’embarque de force pour Calcutta. Le navire fait naufrage du côté de l’île Maurice,offrant ainsi à Charles, l’opportunité d’y vivre quelque temps. Il en gardera le goût de l’exotisme, des impressions et des couleurs, celui d’une envie d’ailleurs, aussi…


Jeanne Duval dessinée par Charles Baudelaire
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De retour à Paris en 1842, il s’amourache d’une "jeune mulâtresse"qu’il dessinera, Jeanne Duval, avec qui il aura une longue et tumultueuse relation, toutefois très chaste semble-t-il… Il commence aussi l’écriture de certains poèmes qui, un jour, feront scandale… C’est encore l’année de son 21e anniversaire, l’âge de la majorité.

Il ne faudra que 18 mois à Charles pour dilapider la moitié de l’héritage paternel,ce qui lui vaudra d’être mis sous tutelle. Dorénavant, c’est le notaire de famille qui lui versera une pension de 200 francs par mois ! Humilié, le 30 juin 1845, il tentera de se suicider avec un poignard… Baudelaire le débauché n’hésitera pas à répandre le bruit qu’il est homosexuel…

Pour subvenir à ses besoins, il devient critique d’art et journaliste, défendant le romantisme de Delacroix et de Balzac. Avec son ami, le chimiste et homme de lettres Louis Ménard, il découvre la "confiture verte", que le poète décrira comme" une décoction de chanvre indien, de beurre et dune petite quantité dopium " ;les comparses feront partie du "Club des Hashischins" qui, sous contrôle du docteur Jacques-Joseph Moreau, se vouera à l’étude des drogues, dont… le haschich. Eugène Delacroix, Alexandre Dumas, Victor Hugo,ou Gérard de Nerval en font également partie, de même que Théophile Gautier qui écrira ses souvenirs du club.

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Il est vrai que, pour soulager ses maux de tête et ses problèmes intestinaux dus à la syphilis qu’il avait contractée vers1840,en fréquentant la prostituée Sarah la Louchette, Charles Baudelaire se soignait au laudanum… De cette façon,il avait pris goût à l’opium dont il usera troplongtemps, en décrivant d’ailleursl es charmes mais aussi les supplices !

Le poète participera à la Révolution de1848 qui instituera la liberté de la presse ; dès lors,il fondera un éphémère journal, Le Salut Public, qui comptera… deux éditions !

Baudelaire découvre et traduit les œuvres d’Edgar Allan Poe, un auteur avec qui il a un point commun : la fascination du mal, ce que Poe nomme "le démon de la perversité"

C’est en 1857 qu’est édité le recueil des Fleursdu Mal. Baudelaire y scinde poésie et morale, le poète souhaite le Beau et non la Vérité. Le recueil sera mal reçu par la critique. Rapidement,on peut lire dans les colonnes du Figaro qu’"Il y a des moments où l’on doute de l’état mental de M. Baudelaire, il y en a où l’on n’en doute plus… L’odieux y côtoie l’ignoble ; le repoussant s’y allie à l’infect…".

Pour LesFleurs du Mal, Baudelaire et son éditeur seront poursuivis pour "offense à la morale religieuse" et "outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs". Tous deux recevront une amende mais Baudelaire écrira à l’impératrice Eugénie pour que son amende soit réduite… De fait, de 300, elle passera à 50 francs. De son côté, l’éditeur devra supprimer six poèmes de l’ouvrage accusé : À celle qui est trop gaie, Femmes damnées, Les Bijoux, Lesbos, Le Léthé, Les métamorphoses du Vampire.

Ce sera ensuite la parution des Paradis artificiels en 1860 … Quatre ans plus tard, Baudelaire entame une tournée en Belgique,pour des conférences, hélas, peu courues. Il se fixe dans la capitale belge,y rencontrant plusieurs fois Victor Hugo… Estimant que la Belgique n’est qu’une caricature de la France bourgeoise, il entame la rédaction d’un pamphlet, Pauvre Belgique, où il souhaite la disparition d’un royaume jugé artificiel et dont l’épitaphe serait "Enfin ! L’œuvre demeure inachevée.

En 1866, c’est à Bruxelles que l’auteur fait paraître Les É paves, contenant les six poèmes interdits en France des Fleurs du Mal. Il a rencontré Félicien Rops qui illustre le recueil. La même année, à l’église Saint-Loup, à Namur, Baudelaire perd connaissance. Hémiplégie et aphasie lui sont diagnostiquées. En juillet, il rentre à Paris. Il est accueilli dans une maison de santé dont il occupe un pavillon dans le fond du jardin. Y sont accrochées deux toiles d’Edouard Manet dont "La Maîtresse de Baudelaire", peint en1862.


Édouard Manet, La Dame à l’éventail ou La Maîtresse de Baudelaire, 1862
© Budapest, musée des Beaux-Arts
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Édouard Manet, « La Maîtresse de Baudelaire »
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Le célèbre portrait du musée de Budapest représente Jeanne Duval, la maîtresse de Charles Baudelaire.
Baudelaire et Manet étaient amis, et c’est à Paris, dans l’atelier de la rue Guyot, que l’artiste peint la « Vénus noire », beauté créole en vogue à l’époque. Au moment de l’exécution du tableau, Baudelaire ne vivait plus avec elle, mais continuait à l’entretenir. Il est possible que le peintre ait fait présent de cette toile à Baudelaire. Des témoignages indiquent que deux tableaux de Manet ornaient les murs de la chambre du poète à l’époque de sa longue maladie. Les deux artistes avaient été liés par une amitié de près de dix ans, et c’est grâce aux héritiers que le magnifique portrait a pu réintégrer l’atelier de Manet après le décès de Baudelaire, survenu le 31 août 1867. À la mort de Manet, sa veuve a identifié le modèle, et le tableau a été inventorié sous le titre La Maîtresse de Baudelaire.

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En 1916, lorsque le musée des Beaux-Arts de Budapest a acquis le tableau, le conservateur Simon Meller, administrateur, a rédigé un intéressant descriptif sur le registre des achats. Il y vante la qualité de l’oeuvre et met en avant la forte influence de la tradition picturale espagnole dans l’univers chromatique du tableau. Cette inspiration espagnole apparaît de manière encore plus évidente si l’on compare l’oeuvre avec l’étude conservée à la Kunsthalle de Brême. L’immense masse de la jupe y est peinte à l’aquarelle dans des tons de rose, tandis que ce volume est structuré sur la toile par l’agencement des différentes nuances de gris et de blanc. Baudelaire, qui partageait les idéaux du romantisme, était lui-même un excellent dessinateur, et a réalisé plusieurs dessins, vibrants de passion, de son amante. L’approche de Manet est plus objective, et c’est avec réalisme qu’il peint le portrait de cette beauté de jadis, alors déjà flétrie.

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Crédit : Grand Palais

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C’est là qu’à 46 ans, le 31 août 1867, rongé par la syphilis, l’abus d’alcool et de drogues, il décède .Baudelaire est inhumé au cimetière Montparnasse, ironie du sort, avec son beau-père ! en attendant que sa mère adorée le rejoigne quatre ans plus tard. Il ne réalisera jamais le rêve de sa vie : l’édition définitive des Fleurs du Mal, qui ne sera réhabilitée qu’en 1949.

Crédit : rtbf.be

Une poésie toujours sulfureuse

Le 9 avril 1821, naissait l’une des plus grandes figures de la poésie française. Poète maudit, inventeur de la modernité, artiste cynique, syphilitique dandy… Baudelaire est toujours auréolé d’une lumière sombre. Sa figure vénéneuse fascine et ses mots résonnent encore aujourd’hui dans la bouche de nombreux artistes. Nous vous proposons un bref retour sur cet héritage.

Gariépy Raphaël
09/04/2021
Actualitte.Com (‘les univers du livre)

Dans son roman L’insoutenable légèreté de l’être, Kundera affirme qu’à sa mort, un homme est irrémédiablement transformé en Kitsch. Sitôt qu’il est enterré, l’être devient dans l’esprit des vivants une figure lisse et consensuelle, faite de bon sentiment et de nostalgie sucrée.

150 ans après sa disparition, Baudelaire continue de faire mentir l’écrivain tchèque.

Dernière preuve en date, "Crénom Baudelaire" de Jean Teulé (ed. Mialet Barrault). Parue cet automne, l’œuvre présente le poète comme un drogué détestable, obsédé par la beauté au détriment du reste. Un hommage littéraire particulier, façon Jean Teulé.

Figure sombre de la littérature, l’écrivain fait partie des rares auteurs à fasciner les Académiciens autant que les lycéens. Au micro de France Inter ce matin, Antoine Compagnon analysait le côté subversif de l’artiste « toujours inattendu, toujours provocant  ». Pour le théoricien, Baudelaire serait à la fois « l’inventeur de la modernité et celui qui insulte cette modernité à longueur de pages ».

Mort à 49 ans, il n’aura pas eu le loisir d’observer son œuvre s’inscrire dans le temps. Aujourd’hui, sa poésie prend de nombreuses formes et ses fleurs maladives ont notamment été mises en musique par des artistes aussi différents que Léo Ferré, Gainsbourg ou encore Mylène Farmer.

Baudelaire en musique

En 2019, l’Université de Birmingham recensait toutes les mises en musique du poète. Elle dénombrait pas moins de 1600 productions inspirées plus au moins directement de ses écrits. Avec des styles musicaux variés, dont, c’est à noter, 16 chansons classées dans la catégorie Death Metal.

Sa poésie sera notamment magnifiée dès 1957 par Léo Ferré qui lui consacrera trois albums pour un total de près de 50 poèmes chantés.

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En 1962, c’est au tour d’un autre poète maudit de s’attaquer à l’œuvre de Baudelaire. Serge Gainsbourg prête sa voix et sa musique pour interpréter Le Serpent qui danse. On ne peut qu’apprécier la filiation entre ces deux figures sulfureuses en leur époque.

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Deux décennies plus tard, en 1998, Mylène Farmer, autre artiste qui fit couler beaucoup d’encre, reprend à son compte L’Horloge, dans son album Ainsi soit je… Un hommage qu’elle réitérera en 2018 avec son interprétation d’Au lecteur sur l’album Désobéissance.

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Mais delà de l’univers de la chanson, de nombreux artistes s’inspirent et revendiquent une filiation avec l’auteur, tant pour exalter son talent que pour revendiquer sa radicalité.

Et les artistes parlent aux artistes

D’Enki Bilal, comme ici lors du Salon du livre de Montréal en 2019, à Fabrice Luccini, les mots de Baudelaire ont creusé des sillons dans des âmes, marqué les consciences et fait advenir la beauté sous bien des formes.

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Et un tout jeune Fabrice Lucchini ici, pour compléter le tableau :

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Sur la chaîne YouTube de L’Oniriste on peut ainsi retrouver sa poésie sur les images de Shadow of the Colossus, jeu vidéo mythique développé par la Team Ico.

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Dandy aristocratique un tantinet réactionnaire, Baudelaire n’aurait peut être pas vu d’un bon œil cet héritage. La mort l’empêchant de critiquer ses multiples reprises, nous sommes aujourd’hui libres d’apprécier sa poésie sous ses diverses incarnations.

Tâchons néanmoins de conclure sur une touche plus classique, en revenant un instant au texte. Voici deux extraits de poème qui peuvent à loisir illuminer ou obscurcir votre journée en fonction de votre humeur du moment.

Spleen :

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

Et que de l’horizon embrassant tout le cercle

Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits »

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Invitation au voyage :

– Les soleils couchants

Revêtent les champs,

Les canaux, la ville entière,

D’hyacinthe et d’or ;

Le monde s’endort

Dans une chaude lumière.

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Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

N’oublions pas que le poète a compté ses détracteurs, comme ce terrible (et splendide d’intelligence) ouvrage de Marcel Aymé,Le Confort intellectuel.Un essai diabolique, expliquant, peu ou prou, que Baudelaire avait tout bonnement saccagé la langue, parvenant à lui faire dire n’importe quoi… et que les bourgeois de l’époque, par souci d’encanaillement, se délectaient de cette dérive.

Bicentenaire de Baudelaire :L’Albatros, L’Étranger... ses plus grands chefs-d’œuvre

La beauté, parfois horrifique, de son imagination n’a pas été flétrie par le temps. En ce jour anniversaire, Le Figaro présente quelques-uns de ses vers les plus célèbres.

Par Bertrand Guyard
Le Figaro


Baudelaire par Nadar
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Baudelaire, un écrivain qui avait le culte des images

Amateur de peinture, le poète débuta sa carrière littéraire par la critique d’art. Un ouvrage rassemble ses textes poétiques et ses analyses associés à des œuvres artistiques qui ont nourri son imaginaire.

Par Adrien Goetz
08/04/2021

Les « écrits sur l’art » de Baudelaire ont longtemps été un bonheur réservé à ceux qui avaient lu tout le reste. La première publication regroupant ces textes disparates, parus souvent dans des revues, en 1868, s’intitulaitCuriosités esthétiques : des raretés, des documents en annexe, le surplus d’une œuvre déjà si riche. Dans l’édition de la « Pléiade », due au très savant Claude Pichois en 1976, on les trouvait dans le second volume. Tout au plus accordait-on à ces descriptions de tableaux et à ces essais rédigés à chaud au moment d’expositions marquantes, l’honneur d’avoir été le creuset des Petits Poèmes en prose.

Il avait dédié pour l’éternité ses fleurs maladives à son maître et ami Théophile Gautier. Avec ce recueil de poèmes,Les Fleurs du mal, qui mariait l’amour et le mal, le putride et le sublime, publié en 1857 à 36 ans,Charles Baudelaire, devint pour l’éternité et pour la gloire de la langue française le poète impeccable qu’il avait toujours rêvé d’incarner, parfois en luttant contre ses propres démons qui lui faisaient croire que son œuvre était imparfaite.

Il ira plus loin encore que Chateaubriand qui avait écrit que sa mère lui avait « infligé la vie ». Dans Bénédiction, une métaphore blasphématoire, il mettra ces mots de reniement dans la bouche de l’auteur de ses jours : « - Ah ! que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères, Plutôt que de nourrir cette dérision !... ». En deux vers, qui en annonçaient d’autres, il devenait le poète maudit, et ouvrait la voie à ses géniaux disciples que furent Verlaine et Rimbaud.

En ce jour de commémoration Le Figaro a voulu rendre hommage à ce prince des poètes que ses ailes de géant empêchaient de marcher,

en tentant d’élire dans un court florilège ses plus célèbres vers. De L’Albatros, bien sûr, à Un serpent qui danse, en passant par une strophe des Femmes damnées et ce qui est peut-être sa plus sincère profession de foi, L’étranger : « ...J’aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages ! »

L’Albatros

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poëte est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

L’étranger, Petits poèmes en prose

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
- Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis ?
-Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J’ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L’or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J’aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !

Bénédiction

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poëte apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :

« — Ah ! que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision !
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation !

Puisque tu m’as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d’amour, ce monstre rabougri,

Je ferai rejaillir ta haine qui m’accable
Sur l’instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu’il ne pourra pousser ses boutons empestés ! »

Au Lecteur

La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d’une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C’est l’Ennui ! - L’œil chargé d’un pleur involontaire,
Il rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !

L’Homme et la Mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Le serpent qui danse

Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux où rien ne se révèle
De doux ni d’amer,
Sont deux bijoux froids où se mêlent
L’or avec le fer.

À te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s’allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l’eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l’eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon cœur !

Et pour conclure une strophe sublime des Femmes damnées ...

...Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S’éprenant d’un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l’amour mêler l’honnêteté !...

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