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René Char, alias capitaine Alexandre

D 24 mars 2021     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Quand je reçois art press (le numéro 486-487 (mars-avril 2021) vient de sortir [1]), j’ai l’habitude de parcourir d’abord le sommaire de la rubrique « Livres » ; de lire en premier l’édito (en général assez polémique et revigorant) et le « feuilleton » de Jacques Henric dont j’ai déjà dit que les chroniques mériteraient d’être reprises en volume. Sa dernière chronique, Henric la consacre à la Correspondance (1943-1988) entre René Char et Georges Mounin qui vient d’être publiée chez Gallimard. Mon attention est aussitôt en éveil. Je me souviens en effet d’un dîner avec Henric et Ludwig Trovato. C’était en 2008 à Reims. Je ne sais plus comment la discussion était venue sur René Char, mais Henric m’avait rappelé avoir écrit naguère pour Libération un article fort critique intitulé « Arrête ton Char ! ». Je me souviens avoir demandé à Henric s’il avait lu Fureur et mystère et les Feuillets d’Hypnos : il ne les avait alors pas lus. L’article devait dater de l’époque où Sollers, dans Portrait du Joueur (1984), parlait à propos du poète de « sa tête d’assassin » : « ils viennent de baptiser la route “Boulevard René-Char.” Qui c’est celui-là ? s’enquiert la nièce du narrateur. Il me semble avoir vu sa photo dans Libé. Une tête d’assassin. — Un poète, dis-je. — Bon ? — Ça dépend des goûts. Atroce, à mon avis [2]. » Sévère. Il y a toujours eu à Tel Quel ou autour de Tel Quel une méfiance par rapport à la poésie de Char jugée grandiloquente ou hermétique (on lui préférait Ponge et on avait sans doute raison).

Mais il y a des zigzags dans la guérilla du goût (il y en aura aussi à propos du surréalisme et de Breton [3]). Je me souviens quand même que Marcelin Pleynet a souvent rappelé que, alors qu’il venait d’écrire Provisoires amants des nègres (1962), titre que le directeur des éditions du Seuil trouvait scandaleux, c’est Char qui, s’exclamant « Mais comment ! C’est un merveilleux titre ! », avait permis au recueil d’être publié [4]. Jugement sûr.
Ce n’est pas la même chose, quant à la guerre (réelle ou symbolique), d’être né en 1907, en 1938 ou en 1946 et donc d’avoir 20 ans en 1927, en 1958 ou en 1966. La période, historique et existentielle, toujours singulière, où on découvre un poète et ce qu’on lit de lui en premier a toujours une valeur et un sens particuliers. En ce qui me concerne, j’ai découvert Char vers l’âge de 18-20 ans et ce que j’ai lu en premier, c’est Fureur et mystère, publié en 1962 chez Gallimard et réédité en 1967 avec une préface d’Yves Berger. Dans ce recueil, ce qui m’avait emporté, un peu avant 68 donc, ce sont les Feuillets d’Hypnos écrits par Char pendant la guerre alors qu’il était un résistant clandestin sous le nom de capitaine Alexandre. Qu’est-ce qui m’avait parlé d’emblée, sans trop savoir, dans Feuillets d’Hypnos ? Des phrases comme ça :

« Agir en primitif et penser en stratège. »
(phrase que j’ai eu l’occasion de répéter ou d’inscrire dans des lieux divers)
« Cette guerre se prolongera au-delà des armistices platoniques. L’implantation des concepts politiques se poursuivra contradictoirement, dans les convulsions et sous le couvert d’une hypocrisie sûre de ses droits. »

ou encore :

« Révolution et contre-révolution se masquent pour à nouveau s’affronter.
Franchise de courte durée ! Au combat des aigles succède le combat des pieuvres. Le génie de l’homme, qui pense avoir découvert les vérités formelles, accommode les vérités qui tuent en vérités qui autorisent à tuer. Parade des grands inspirés à rebours sur le front de l’univers cuirassé et pantelant ! Cependant que les névroses collectives s’accusent dans l’oeil des mythes et des symboles, l’homme psychique met la vie au supplice sans qu’il paraisse lui en coûter le moindre remords. La fleur tracée, la fleur hideuse, tourne ses pétales noirs dans la chair folle du soleil. Où êtes-vous source ? Où êtes-vous remède ? Économie vas-tu enfin changer ? » (Feuillets d’Hypnos (1943-1944), Gallimard, 1967)

J’ai parlé de tout ça à la fin de mon article sur Mai 1968 dans "Le Dictionnaire Martin Heidegger". Je découvre aujourd’hui avec bonheur qu’Henric, dans sa chronique sur la Correspondance Char-Mounier, s’il reste critique par rapport à ce qu’il appelle les « envolées oraculaires » de Char, se dit, citant Henri Thomas, que, peut-être, René Char « ne se prête pas aux approches hâtives » et peut écrire « que Feuillets d’Hypnos (1946), notamment, est un admirable livre, d’une grande clarté ». Je n’entrerai pas ici dans la discussion sur les qualités propres à l’oeuvre poétique de Char. Lus à voix basse, les poèmes ont leur rythme et ne me semblent pas tous aussi ésotériques qu’il y paraît. Je me contenterai de mettre l’accent sur ce moment particulier de l’Histoire où le poète qui méditera sur la parole de Rimbaud « La poésie ne rythmera plus l’action, elle sera en avant » [5] s’est vu dans l’obligation de passer à l’action clandestine — en prenant les armes — sans abandonner l’exigence de la poésie.
A un moment où certains auteurs (Sollers dans ses derniers livres) aime rappeler ce que fut leur enfance pendant la deuxième guerre mondiale ou glorifier le De Gaulle de la résistance (sans, bien sûr, s’affirmer « gaulliste » comme c’est la mode aujourd’hui), il est bon de rappeler qu’un poète, tout en continuant à écrire, décida, entre 1940 et 1945, de ne plus publier « aussi longtemps que ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés. »
Henric écrit : « René Char a lu les grands poètes de son temps, dont Joë Bousquet, il a lu Georges Bataille, aussi bien L’Expérience intérieure que Madame Edwarda. » Il les a lus et aimés. Par ailleurs, il a lu Rimbaud — qui n’est pas si simple. Il est bon aussi de le rappeler. Mais Bataille, de son côté, a également lu Char et, dès 1947, quand il publie sa merveilleuse Méthode de méditation aux Éditions de la revue Fontaine (j’ai mon exemplaire 733 sous les yeux), il choisit de mettre en exergue ce fragment 59 des Feuillets d’Hypnos : « Si l’homme ne fermait pas souverainement les yeux il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé. » Plus tard, Bataille répondra à une question de Char sur « les incompatibilités de l’écrivain » (« Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain », Bottegue oscure, Rome, n°VI, 1950 [6]) et écrira aussi dans sa revue Critique sur « L’oeuvre théâtrale de René Char » (n° 40, septembre 1949 [7]) et « René Char et la force la poésie » (n° 53, octobre 1951). Ces textes sont enfouis dans les Oeuvres complètes tomes XI et XII de Bataille (Gallimard, 1988).
On sait aussi que, près de deux décennies plus tard, c’est à l’invitation de René Char que Martin Heidegger tiendra une série de séminaires dans le Vaucluse, au Thor. Comment le poète résistant a-t-il pu rencontrer le « nazi » Heidegger ? Aveuglement ? Gâtisme précoce ? Même goût de la parole oraculaire ? On en parle encore.
Dans son dernier livre, une autobiographie philosophique, Le bonheur, sa dent douce à la mort (hommage à Rimbaud), la lumineuse Barbara Cassin nous raconte sa vision de ces séminaires auxquels elle participa dans sa jeunesse. Si, à mon avis, elle cède désormais un peu trop, elle aussi, à une lecture sommaire et convenue de Heidegger (sous l’influence du camarade Badiou ?), elle nous livre quelques souvenirs particulièrement savoureux et drôles de sa relation amoureuse avec René Char dont, apparemment, 50 ans après, elle ne se plaint pas.
Allez, un peu de lecture.

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Correspondance 1943-1988

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Georges Mounin, René Char

Gallimard Blanche 3 Décembre 2020

À propos

Avez-vous lu Char ? C’est la question qui surplombe la correspondance entretenue, de 1943 à 1989, entre le poète et son critique, Georges Mounin (de son vrai nom Louis Leboucher, 1910-1993). Question qui figure en couverture du célèbre essai que ce dernier lui consacre dès 1947 chez Gallimard, texte fondateur et représentatif de la reconnaissance exceptionnelle dont l’oeuvre de Char fait l’objet à la Libération. Avez-vous lu Char ? est, au vrai, la première tentative d’approche et d’explicitation de l’art souverain du « poète le plus actuel » à son temps. Les liens sont forts entre Mounin et Char. Le poète et le professeur se sont connus en 1938 à l’Isle-sur-Sorgue, où le jeune Leboucher, militant communiste, est nommé instituteur et loue une partie de la maison familiale des Char, les Névons. Leur antinazisme puis le dégoût de Vichy les unissent, dans les faits comme dans les principes. Mais ce n’est qu’en 1943 que s’ouvre leur conversation critique, Leboucher se décrivant lui-même comme le « correspondant inactuel » de son ami poète, situant leur échange à l’écart des événements auxquels ils sont pourtant tout deux personnellement mêlés. Ce qu’est la poésie pour Char, les lettres courant de 1943 à 1947 l’expriment avec force, dans une même quête de la vérité du langage poétique, de la mise au jour de ce qui s’y joue, en particulier autour du commentaire de Seuls demeurent et de la mise au point des Feuillets d’Hypnos. René Char ne se substitue pas au travail patient d’élucidation que mène le professeur, mais il lui ouvre grand son atelier et le renseigne sur son ambition d’écrivain. Il apprécie et consacre la lucidité de son interlocuteur, « lecteur toujours enchanté, toujours accordé » : « Vous dites bien, vous pensez bien, votre clé est teintée du sang de mes yeux et de mon coeur » ; ou encore : « Chacune de vos explications sonne une étoile et tout le ciel carillonne. Je me rends complètement à vos raisons. » Seule ombre au tableau, bientôt envahissante : le communisme stalinien de Mounin, désormais en poste à Aix-en-Provence, qui, dans le climat de l’après-guerre, devient insupportable à Char. À la belle complicité des débuts se substitue peu à peu un dialogue de sourds, où se mêlent défiance et malentendus... jusqu’à la rupture de leur relation, non sans retour, de 1957. Le critique se voit relégué par Char l’intransigeant aux rangs nombreux des doctrinaires et des systémiques : grave déviance, s’il en est, aux yeux du poète qui, comme d’autres de ses contemporains, proclame et préserve avant toute chose l’autonomie de la poésie créatrice à l’égard de toutes fins morales ou pratiques. La littérature, l’histoire et la vie des hommes sont au coeur de ce dialogue exigeant, dont les enjeux ne sont pas accessoires. Édition établie et présentée par Amaury Nauroy

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LA PRÉFACE ET LES PREMIÈRES LETTRES pdf

A Georges Mounin qui lui a écrit le 10 mars 1943, Char répond.

René char à Georges Mounin

L’Isle 15 mars 1943

Mon cher ami, votre lettre a fait se lever en moi une grande émotion, en même temps qu’elle me mettait en présence d’une voix telle que depuis bientôt 3 ans je désespère ici d’en entendre : une voix d’une bonne foi totale, une voix en humain mouvement, sans écharde ni chaos. Je ne mérite pas le bain de clarté dans lequel vous me plongez. Je ne le mérite pas encore. Je me suis simplement efforcé de mon mieux d’exprimer dans des poèmes qui me paraissent aujourd’hui bien limités ce que je crois être l’honneur de l’homme en marche vers la connaissance. Nous partageons en commun ce grand espoir inextinguible. Je répondrai longuement à votre lettre bientôt. Je m’excuse de ne pouvoir le faire sur le champ. Je suis de passage pour quelques heures seulement à L’Isle. Vous trouverez ci inclus quelques poèmes que j’ai eu plaisir à recopier pour vous. Ils vous diront mes préoccupations et mes pensées. Depuis 1940, je n’ai rien fait imprimer estimant que la nausée ne s’accordait pas de la poésie, d’autres instruments étant plus efficaces pour abattre le rocher sur lequel trop de poètes se sont hissés et chantent, non gênés par l’équivoque, mariniers de la mélasse ! Jojo [8] doit être bien grand et j’éprouverai de la joie à le revoir ainsi que madame Leboucher à qui je vous prie de présenter mes hommages amicaux.

à vous de tout cœur fortement.
René Char

[Trois feuillets à part [9].]

VIVRE AVEC DE TELS HOMMES

Tellement j’ai faim je dors sous la canicule des preuves. J’ai voyagé jusqu’à l’épuisement, le front sur le séchoir noueux. Afin que le mal demeure sans relève, j’ai étouffé ses engagements. J’ai effacé son chiffre de la gaucherie de mon étrave. J’ai répliqué aux coups. On tuait de si près que le monde s’est voulu meilleur. Brumaire de mon âme jamais escaladé, qui fait feu dans la bergerie déserte ? Ce n’est plus la volonté elliptique de la scrupuleuse solitude. Aile double des cris d’un million de crimes se levant soudain dans des yeux jadis négligents, montrez nous vos desseins et cette large abdication du remords. Montre toi. Nous n’en avions jamais fini avec le sublime bien être des très maigres hirondelles. Avides de s’approcher de l’ample allégement. Incertains dans le temps que l’amour grandissait. Incertains, eux seuls, au sommet du cœur. Tellement j’ai faim. (1942)

LE BOUGE DE L’HISTORIEN

La pyramide des martyrs obsède la terre. Neuf hivers tu auras renoncé au quantième de l’espérance, à la respiration de ton fer rouge, en d’atroces performances psychiques. Comète tuée net, tu auras barré sanglant la nuit de ton époque. Interdiction de croire tienne cette page d’où tu prenais élan pour te soustraire à la géante torpeur d’épine du Monstre, à son contentieux de massacreurs. Miroir de la murène ! Miroir du vomito ! Purin d’un feu plat tendu par l’ennemi ! Dure, afin de pouvoir encore mieux aimer un jour ce que tes mains d’autrefois n’avaient fait qu’effleurer sous l’olivier trop jeune. (1942)

CARTE DU 8 NOVEMBRE

Les clous dans notre poitrine, la cécité transissant nos os, qui s’offre à les subjuguer ? Pionniers de la vieille église, affluence du Christ, vous occupez moins de place dans la prison de notre douleur que le trait d’un oiseau sur la corniche de l’air. La foi ! Son baiser s’est détourné avec horreur de ce nouveau calvaire. Comment son bras tiendrait il démurée notre tête, lui qui vit, retranché des fruits de son prochain, de la charité d’une serrure inexacte ? Le suprême écœurement, celui à qui la mort même refuse son ultime fumée se retire, déguisé en seigneur. Notre maison vieillira à l’écart de nous, épargnant le souvenir de notre amour couché intact dans la tranchée de sa seule reconnaissance.Tribunal implicite, cyclone vulnéraire, que tu nous rends tard le but et la table où la faim entrait la première ! Je suis aujourd’hui pareil à un chien enragé, enchaîné à un arbre plein de rires et de feuilles. (1942)

LA LIBERTÉ

Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien signifier l’issue de l’aube que le bougeoir du crépuscule. Elle passa les grèves machinales. Elle passa les cimes éventrées. Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l’alcool du bourreau.

Son verbe ne fut pas un aveugle bêlier mais la toile où s’inscrivit mon souffle. D’un pas à ne se mal guider que derrière l’absence, elle est venue, cygne sur la blessure, par cette ligne blanche. (1942)

René Char

Ces poèmes sont extraits d’un livre en préparation intitulé : SEULS DEMEURENT.

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René Char, à L’Isle-sur-Sorgue lors du tournage
du film de Michel Soutter, en 1966.
© Edwin Engelberts.

Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

En 1943, un poète, René Char — grand poète pour certains, mais à cette époque peu lu et sans réputation en dépit d’un épisodique compagnonnage avec les surréalistes­ rencontre un jeune instituteur nommé à L’lsle-sur-la-Sorgue, Louis Leboucher, fervent lecteur de ses poèmes. Entre les deux hommes débute une correspondance qui va durer près d’un demi-siècle.

SUR SON SOCLE

Louis Leboucher, alias Georges Mounin, est né en 1910. D’origine sociale modeste, indéfectible militant communiste jusqu’en 1980 (engagement qui sera à l’origine de violentes querelles avec René Char), il deviendra le premier et l’un des plus profonds exégètes de l’œuvre du poète. Dans l’excellente préface d’Amaury Nauroy à la Correspondance, j’ai été soulagé d’apprendre que le puissant commentateur de Char a avoué avoir été conquis par des poèmes qu’il ne comprenait pas et qui exigeaient de lui de nombreuses relectures pour en extraire enfin la précieuse quintessence. Pour tout dire, c’est bien ce caractère abscons, cet hermétisme, qui ont souvent découragé ma lecture des poèmes de René Char. Quelle signification ont de tels vers. intitulés la Mère du vinaigre : « Primauté du cuir interné/Sur le fétide spectre chevillé » ? Ou ceux-ci : « Et que la brouette/ Expose à travers les marécages/Le cerveau de ce même amour /Corrigé par les tessons de bouteilles / Application du cercle rouge » ? ... Comment ne pas partager la remarque gentiment narquoise de son ami Henri Michaux : « René Char paraît toujours monté sur son socle » ? J’ai parlé, moi, non de socle, mais de char, dans un texte que m’avait commandé Libération, le journal proposant à ses lecteurs un « pour et contre » à l’occasion d’hommages excessifs rendus au poète dans sa ville natale. Mon intervention était intitulée « Arrête ton Char ! ». Je ne l’ai pas relue, sans doute voulais-je faire un peu le malin. Je me souviens, néanmoins, qu’une des objections à ce type de poésie, objection que je persiste à trouver recevable, était qu’outre son obscurité, elle faisait fi de l’origine orale de la poésie, du rôle que la voix y a toujours joué ; en deux mots, qu’on pouvait la lire, pas la dire, pas la proférer, qu’elle ne passait pas l’épreuve du gueuloir flaubertien. Sans doute me faudrait-il aujourd’hui tenir compte de la remarque de Henri Thomas : un livre de René Char « ne se prête pas aux approches hâtives » et surtout rappeler que l’œuvre du poète ne se réduit pas à ses divagations orphiques, à ses envolées oraculaires, que Feuillets d’Hypnos (1946), notamment, est un admirable livre, d’une grande clarté. René Char a lu les grands poètes de son temps, dont Joë Bousquet, il a lu Georges Bataille, aussi bien L’Expérience intérieure que Madame Edwarda.

UN SAINT-JUST DE PISSOTIÈRE

Il était, on le sait, un homme qui aimait les femmes ; la fréquentation, dans son jeune âge, des bordels de Marseille fut une première bonne école pour apprendre à faire la différence entre la «  Femme de perdition » et la « Femme de résurrection ». Il sait, quand il le faut, dire et écrire net, direct, voire cru, appeler « con » un con. Aragon un « Saint-Just de pissotière », lancer à son admirateur Georges Mounin « Vous êtes du parti de la plaie envenimée », et le mettre face à son « océan qui contient plus de noyés qu’apocalypse n’en connut jamais  ». Ne pas oublier que la colère de Char, quand elle se donnait libre cours, était celle d’un géant de 1m88, aux énormes paluches de bûcheron, à la voix portant loin, qu’elle était motivée, en l’occurrence, par le fait que Georges Mounin était un communiste dans la pure tradition stalinienne, celle que combattaient dans les années 1950 les jeunes communistes que nous étions, les élèves­ maîtres rebelles de l’école normale d’instituteurs de Châlons-sur-Marne. Georges Mounin, dont nous ignorions les savants travaux sur René Char, était une de nos cibles. Il est probable qu’il était, Mounin, ce quadragénaire que mes jeunes camarades et moi avons côtoyé lorsque nous étions réquisitionnés de nuit, en novembre 1956, lors de l’insurrection hongroise, pour défendre le bâtiment du comité central du PC carrefour Châteaudun et le siège de l’Humanité et des Lettres françaises.

DE NOUVELLES LARMES

«  Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans les stratosphères du Verbe. Il doit se lover dans de nouvelles larmes et se pousser plus avant dans son ordre. » Les nouvelles larmes où se lover, qu’annonce René Char dans Feuillets d’Hypnos sont celles qu’il a versées devant ses camarades résistants, morts dans le combat contre les nazis dont il a été, dans sa région, un des courageux organisateurs. C’est lui, à la tête des maquisards gaullistes, qui réceptionnait pour la Résistance et les troupes alliées d’un débarquement à venir les caisses d’armes parachutées par l’aviation anglaise. Il eut d’autres larmes à verser, notamment devant le cadavre d’un ami cher, frère de lutte contre les Allemands, Gabriel Besson, assassiné d’un coup de fusil dans le dos, non par eux mais, selon toute probabilité, par un communiste (c’est dire combien furent violents les conflits entre résistants et ceux qui opposèrent Char à Mounin). La campagne de diffamation que les militants communistes du village de Céreste lancèrent contre René Char, présenté comme le chef d’une « maffia », fut un des moments les plus sinistres de sa vie. Une des raisons de ses polémiques avec les écrivains communistes d’alors, dont Aragon, fut la difficulté qu’il eut à faire exclure du parti communiste le responsable de la sale campagne d’affichages le visant.
Comment dire mieux, plus densément, le lien entre le réel et l’engagement poétique : « Chez tant d’autres poètes, rien qu’une sueur de mots ; chez René Char, des mots comme des cristaux de sang.  » Ces mots sont de Gilbert Lély, auteur de l’inoubliable Vie du marquis de Sade, poète admiré d’André Suarès et de Breton. le plus fidèle ami de René Char qui l’hébergea et le protégea pendant l’Occupation, menacé qu’était Lély à cause de son origine juive.

Jacques Henric, art press 486-487, mars-avril 2021.

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Feuillets d’Hypnos

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Première édition (1946)

Son expérience de la guerre forme la matière des Feuillets d’Hypnos dont la première publication a lieu en 1946 avant d’être repris en 1948 dans Fureur et mystère avec d’autres textes comme Seuls demeurent. Il donnera pour titre à un de ses poèmes La bibliothèque est en feu, hommage à l’un des ordres codés que distillaient la Résistance par la voix de la radio de Londres.
Vous trouverez toutes les informations sur le site de Gallimard.

FEUILLETER LE LIVRE
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Extraits de Feuillets d’Hypnos (1943-1944)

Lecture par Jean Vilar. Date de diffusion : 24 novembre 1964.

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Je remercie la chance qui a permis que les braconniers de Provence se battent dans notre camp. La mémoire sylvestre de ces primitifs, leur aptitude pour le calcul, leur flair aigu par tous les temps, je serais surpris qu’une défaillance survint de ce côté. Je veillerai à ce qu’ils soient chaussés comme des dieux !

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Viendra le temps où les nations sur la marelle de l’univers seront aussi étroitement dépendantes les unes des autres que lès organes d’un même corps, solidaires en son économie.
Le cerveau, plein à craquer de machines, pourra­-t-il encore garantir l’existence du mince ruisselet de rêve et d’évasion ? L’homme, d’un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs...

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Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de SS et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve.
Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceau, sous l’effet d’une bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chu­choter l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne. Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. A quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les SS avaient surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps, tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous. », suivie de silence. Et coups de pieds et coups de crosses de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les SS, les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille, se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre.

J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au delà du sacrifice [10]

[...]

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A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis.

Feuillets d’Hypnos (1943-1944) in Fureur et mystère, édition Poésie/Gallimard, 1962, 1967, p. 118-120.

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Notes sur le Maquis

En 1964, France Culture proposait une série de documentaires pour commémorer les 20 ans de la Libération, parmi eux une thématique intitulée "La Résistance racontée par ceux qui l’ont faite".

René Char témoigne également, le poète était connu sous le nom du Capitaine Alexandre durant la Résistance, alors que son QG est installé à Céreste dans les Basses-Alpes. Il lit un extrait de ses Notes sur le Maquis, un texte de 1944 :

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Montrer le côté hasardeux de l’entreprise, mais avec un art comme à dessein rétrospectif, dans sa nouveauté tirée de nos poitrines, dans sa vérité ou la sincère approximation de celle-ci. Ce sont les « fautes » de l’ennemi, sa consigne d’humilier avant d’exterminer, qui surtout nous favorisèrent. Sans le travail forcé en Allemagne, les persécutions, la contamination et les crimes, un petit nombre de jeunes gens seulement aurait pris le maquis et les armes. La France de 1940 ne croyait pas, chez elle, ni à la cruauté ni à l’asservissement ; cette France livrée au râteau fantastique de Hitler par la pauvreté d’esprit des uns, la trahison très préparée des autres, la toute-puissante nocivité enfin d’intérêts adversaires. De plus, l’énigme des années 1939-1940 pesait sur son insouciance de la veille comme une chape de plomb.
Dans la rapide succession des espoirs et des déceptions, des soudains en-avant suivis de déprimantes tromperies qui ont jalonné ces quarante dernières années, on peut discerner à bon droit la marque d’une fatalité maligne, la même dont on entrevoit périodiquement l’intervention au cours des tranches excessives de l’Histoire, comme si elle avait pour mission d’interdire tout changement autre que superficiel de la condition profonde des hommes. Mais je dois chasser cette appréhension. L’année qui accourt a devant elle le champ libre…
Contrairement à l’opinion avancée, le courage du désespoir fait peu d’adeptes. Une poignée d’hommes solitaires, jusqu’en 1942, tenta d’engager de près le combat. Le merveilleux est que cette cohorte disparate composée d’enfants trop choyés et mal aguerris, d’individualistes à tous crins, d’ouvriers par tradition soulevés, de croyants généreux, de garçons ayant l’exil du sol natal en horreur, de paysans au patriotisme fort obscur, d’imaginatifs instables, d’aventuriers précoces voisinant avec les vieux chevaux de retour de la Légion étrangère, les leurrés de la guerre d’Espagne ; ce conglomérat fut sur le point de devenir entre les mains d’hommes intelligents et clairvoyants un extraordinaire verger comme la France n’en avait connu que quatre ou cinq fois au cours de son existence et sur son sol. Mais quelque chose, qui était hostile, ou simplement étranger à cette espérance, survint alors et la rejeta dans le néant. Par crainte d’un mal dont les pouvoirs devaient justement s’accroître du temps mort laissé par cet abandon !
Pour élargir, jusqu’à la lumière – qui sera toujours fugitive -, la lueur sous laquelle nous nous agitons, entreprenons, souffrons et subsistons, il faut l’aborder sans préjugés, allégée d’archétypes qui subitement sans qu’on soit averti, cessent d’avoir cours. Pour obtenir un résultat valable de quelque action que ce soit, il est nécessaire de la dépouiller de ses inquiètes apparences, des sortilèges et des légendes que l’imagination lui accorde déjà avant de l’avoir menée, de concert avec l’esprit et les circonstances, à bonne fin ; de distinguer la vraie de la fausse ouverture par laquelle on va filer vers le futur. L’observer nue et la proue face au temps. L’évidence, qui n’est pas sensation mais regard que nous croisons au passage, s’offre souvent à nous, à demi dissimulée. Nous désignerons la beauté partout où elle aura une chance de survivre à l’espèce d’intérim qu’elle paraît assurer au milieu de nos soucis. Faire longuement rêver ceux qui ordinairement n’ont pas de songes et plonger dans l’actualité ceux dans l’esprit desquels prévalent les jeux perdus du sommeil.

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René Char, nom de guerre Alexandre

Réalisation : Jérôme Prieur

2006, documentaire, 61 min.

Rythmé par les textes et la voix de René Char (1907-1988), ce film se concentre sur la vie du poète pendant la montée du nazisme, puis sous l’Occupation — période cruciale où il entre en Résistance. S’il "faut écrire des poèmes (…) tout ne doit pas se borner là, ce serait dérisoirement insuffisant". Avant même de prendre les armes, de s’engager activement, Char choisit le silence, il ne publiera rien.

Mobilisé en 1939, René Char rentre en Provence après la Débâcle. Ses liens, noués dès 1933, avec certains réfugiés font de lui un suspect aux yeux de la police. Mais en 1941, tandis qu’André Breton et d’autres quittent le pays, Char reste en France. "Exilé de l’intérieur", il s’installe dans les Basses-Alpes, à Céreste où, sous le nom d’Alexandre, il entre l’année suivante dans la clandestinité. Char prend une décision irrévocable : ce qu’il écrit restera secret "aussi longtemps que ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés." En septembre 1943, il dirige le secteur atterrissage parachutage de l’Armée secrète pour la zone Durance. Ce temps de "fureur et mystère", y compris les années passées dans la Résistance, aura pourtant été extraordinairement fécond pour le poète : "Je me fais violence pour conserver, malgré mon humeur, ma voix d’encre", écrit-il (Les Feuillets d’Hypnos). Composé de nombreuses archives, ce documentaire se clôt sur une séquence remarquable : un court reportage sur le maquis de Céreste, réalisé à chaud, en août 1944, par les Actualités françaises, où Char est entouré de ses compagnons d’armes.

(Myriam Bloedé)

Extraits

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Master Class Jérôme Prieur, autour de "René Char, nom de guerre Alexandre"

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René Char : un poète prend les armes

France Inter, Autant en emporte l’histoire, dimanche 28 octobre 2018
par Stéphanie Duncan


Le poète et écrivain René Char en 1984.
© Getty / Serge Assier. ZOOM : cliquer sur l’image.
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1942. L’homme qui marche sur ce sentier de Provence, a quelque chose d’un colosse ou d’un fauve : grand, large, la mâchoire forte, le regard perçant. Chaussé de godillots, un bâton à la main, il ressemble à s’y méprendre aux paysans qu’il rencontre.

Comme il semble loin le temps où, à Paris, il faisait les quatre cents coups avec ses amis surréalistes. Depuis des mois, le poète René Char, qui est revenu au pays, sillonne la campagne pour repérer les amitiés sûres, mais aussi les futurs terrains d’atterrissage pour les Alliés, et patiemment, constituer un solide réseau de résistance.

Alors que, comme la plupart des Français, beaucoup d’intellectuels ont choisi l’attentisme, René Char fait partie des rares qui ont compris, dès le début de la guerre, la vraie nature de l’hitlérisme et, dès l’été 1940, que rien n’était à attendre de Pétain, « petit maréchal Pétoche » comme il l’appelle. En 1942, le poète prend la tête de la résistance du secteur Durance-Sud, sous le nom de guerre d’Alexandre.

René Char écrit :

Agir en primitif et prévoir en stratège.

Fascinant René Char, poète réputé pour son hermétisme, qui est aussi, on va le découvrir dans cette émission, un homme étonnamment concret, de courage et d’action.

L’invité : Notre invité est Laurent Greilsamer. Journaliste et écrivain, il connaît bien René Char auquel il a consacré une biographie : L’Éclair au Front. La Vie de René Char (Fayard- réédité en poche chez Perrin). Laurent Greilsamer est aussi l’auteur du livre La Vraie Vie du Capitaine Dreyfus (chez Tallandier).

Les œuvres complètes de René Char sont publiées chez Gallimard dans la collection de la Pléiade, et en poche dans la collection Poésie/Gallimard.

La fiction

René Char, un poète prend les armes, une fiction de Laurent Greilsamer réalisée par Juliette Heymann.

Avec les voix de :
René Char : Laurent D’Olce
Marcelle Pons : Garance Clavel
Henri Roux : Aurélien Osinski
Georges-Louis Roux : Samuel Charle
Pierre Zyngerman, alias Saingermain : Bastien Bouillon
Le mouchard : Benjamin Meneghini

Et l’équipe de réalisation :
Bruitages : Bertrand Amiel
Enregistrement, montage et mixage : Éric Boisset, Emmanuel Armaing
Assistante à la réalisation : Sophie Pierre
Réalisation : Juliette Heymann

La musique :
Lana DEL REY : Mariners apartment complex

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René Char et la force de la poésie

Georges Bataille

RENÉ CHAR, À une sérénité crispée, Gallimard, 1951. In-4°, 55 p.

Si je veux m’élever, prendre de la hauteur, je me dis que le contraire — m’avilir, être bas — n’est pas sans attrait non plus. Cela tient à vrai dire à la peur que j’ai de me borner à une possibilité définie — qui ne me détourne pas seulement d’une autre, aussi étroite — qui me sépare de cette totalité de l’être ou de l’univers à laquelle je ne puis renoncer. Mais deux sortes de champs s’ouvrent à ma pensée : le premier, celui de l’être limité, distinct du reste du monde, et dont l’intérêt bien compris est sordide ; et le second, celui de l’être souverain, que je demeure, qui n’est au service d’aucune entreprise et pas même de son propre intérêt égoïste. Nul ne peut asservir, par aucun biais, cet être qui est véritablement et pleinement souverain : la seule chose qui l’occupe est d’être, à l’instant, sans rien attendre dont dépende sa plénitude et sans rien entreprendre dont le résultat compte plus que le moment présent, sans plus de volonté ni d’intention que l’espace vide. Mais cette souveraineté intangible suppose que je m’élève au­ dessus du terre à terre auquel est vouée l’action, qui calcule et appelle l’effort pour répondre à la nécessité. Je ne puis en effet sans m’élever donner à mon regard l’horizon immense où il se dégage de ces entreprises ardues qui en exigent l’attention exacte et la soumission. Ainsi puis-je, un instant, me rassurer et me dire de cette hauteur, que je prends, de cette élévation, qui m’enivre, qu’elles ne me limitent d’aucune manière : elles ne contrarient que l’inclination servile, qui me limiterait et me lierait à l’exécution pénible d’un travail.

*

Je donnerais d’ailleurs à rire au lecteur qui m’apercevrait me débattant, écrivant et rayant et ne sachant comment sortir d’une contradiction si flagrante : comment, si j’écris, prendre la hauteur dont je parle ? ce que j’écris m’engage à ne plus écrire ! Si je parle de hauteur, ou je la prendrai et cesserai aussitôt de parler, ou je trahirai la hauteur dont je parle. La difficulté semble formelle, mais si, lâchant le fil de ma pensée, je copie ces mots, je pense que, les écrivant, René Char ne ressentit pas un moindre malaise que le mien) :

Pleurer solitaire mène à quelque chose,

j’aperçois que l’écriture, au-delà d’une entreprise qui est concertée, et comme telle est terre à terre, privée d’ailes, peut soudain, discrètement, se briser et n’être plus que le cri de l’émotion. Il faut, pour bien m’entendre, se tenir ferme à ceci que, d’une part, la réflexion est froide et doit même exclure la chaleur ou la hauteur de l’esprit ; qu’une véritable élévation, d’autre part, me porte au-delà du souci de donner un objet étroit à un cours de pensée conforme au principe de l’utilité. Mais dès lors, je dois mesurer tristement la distance qui sépare l’activité de l’intelligence — à laquelle je me livre encore, et dont l’objet est limité de toute façon, l’eussé-je défini comme étant justement l’illimité — du moment où l’esprit gagne des hauteurs depuis lesquelles tout se dérobe à perte de vue.

*

Mais peut-être, sentir cela, loin, bien loin de l’interminable obligation de l’écrire, est-il, en même temps que de douleur, un état de grâce. Dans ce dernier livre où se libèrent les mouvements d’une pensée trop rapide, et qui refuse de se laisser lire immobile, René Char écrit : « Toute association de mots encourage son démenti, court le soupçon d’imposture. La tâche de la poésie, à travers son œil et sur la langue de son palais, est de faire disparaître cette aliénation en la prouvant dérisoire » (p. 15). Rien de plus dérisoire en effet que la difficulté de la pensée qui exige d’embrasser ce qui excéderait, tant la totalité en serait sensible, toute position d’un objet limité. Mais une énergie — ou une grâce — fulgurante est nécessaire... La même énergie — la même grâce — me sont demandées si je veux rendre sensible l’imposture d’une vie à laquelle la mort n’ajouterait pas la chausse-trape de l’angoisse : ce ne serait pas une totalité mais un fragment ; le sommeil aussi manque à la veille ou la monstrueuse insignifiance de la mouche à la lucidité du philosophe. Enfin, à la connaissance de la totalité manquerait l’oubli où les esprits les plus avides de tout connaître ont laissé tomber la totalité [11].

*

Tout d’abord, à la lecture de Char, un enseignement provoquant qu’il apporte apparaît mal. La poésie est sensible à la lecture d’À une sérénité crispée, mais il peut échapper au lecteur que le livre qui l’éblouit l’interroge. Ce n’est pas une prédication mais une insomnie, suggérée au sein d’un sommeil qui gagne. Je ne pourrais citer une leçon de morale plus parfaite. Non qu’elle donne des règles de vie, mais elle attire à la hauteur dont j’ai parlé, d’où nous cessons de voir isolément ces objets d’intérêt étroit qui orientent des « commandements ». Ce livre appelle la négation de nos limites, il rappelle à ceux qu’il dérange la totalité qu’ils reniaient. « Mais, dit-il, qui rétablira autour de nous cette immensité, cette densité réellement faite pour nous et qui, de toutes parts, non divinement, nous baignaient ? » (p. 40). La flamme ici, et le brasillement des étincelles paraissent dans l’air, tout annonce l’éveil et l’imperceptible colère du bonheur. Les phrases se tordent aisément, se hérissent comme le feu : « Comment agressé de toutes parts, croqué, haï, roué, arrivons-nous cependant à jouir debout, debout, debout, avec notre exécration, avec nos reins ? » (p. 31). Pas une brindille dont la flambée ne crépite : « Cet instant où la Beauté, après s’être longtemps fait attendre, surgit des choses communes, traverse notre champ radieux, lie tout ce qui peut être lié, allume tout ce qui doit être allumé de notre gerbe de ténèbres. » Comment la tension pourrait-elle emplir davantage ou plus chaleureusement l’étendue ? Mais rien ne tempère cette plénitude : «  Oiseaux que nous lapidons au pur moment de votre véhémence, où tombez-vous ?  » (p. 35). Il n’est pas jusqu’au désordre du langage qui n’invite à l’excès la conscience de la sagesse ! l’insipidité du possible ne cesse pas de rappeler que nous sommes, que l’être est en nous le gage de l’impossible : « L’expérience que la vie dément, celle que le poète préfère » (p. 33). Si nous nous limitions au possible, jamais nous ne sortirions de nos limites, nous serions enfermés, déjà morts, ou plutôt, nous ne serions pas. Si nous aspirions à l’insondable totalité, comment pourrions-nous la borner ? que serait l’être en nous s’il supportait d’être banni de la totalité de l’être ? qu’est la totalité, sinon l’être excédant des limites du possible et jusque dans la mort ? Nos caprices et ce goût de l’impossible qui nous tient, signifient seuls que jamais nous n’accordons la séparation de l’individu se tenant dans les pauvres limites du possible.

*

L’impossible apparaît toujours en face d’une position définie comme la position contraire. Le saut hors du possible ruine ce qui s’affirmait : l’impossible est ainsi le contraire angoissant de ce que nous sommes, qui toujours se lie au possible. Mais c’est aussi ce qui nous manque, cela seul par quoi nous nous restituons à la totalité et cela seul par quoi la totalité se restitue : ainsi la mort nous rend à une totalité qui n’exige pas moins notre absence que notre présence, qui ne compose pas seulement le monde de cette présence si naïvement exigée, mais de ce qui en supprime la nécessité, puis le souvenir et les traces. (De la même façon, l’obscénité est l’impossible qui manque à cette femme qui vomit à sa seule pensée.) La totalité est toujours ce qui fait trembler [12], ce qui, dans ce petit morceau détaché du monde, où nous nous rassurons, est tout autre, horrifiant et nous donne un frisson sacré, mais faute de quoi nous ne pourrions prétendre au « pur bonheur », dont parle le poète, ce bonheur «  soustrait aux regards et à sa propre nature  ».
Je désigne aussi, de cette façon, l’essence de la poésie et je cite entièrement, dans ce sens, l’aphorisme de Char : « La crainte, l’ironie, l’angoisse que vous ressentez en présence du poète qui porte le poème sur toute sa personne, ne vous méprenez pas, c’est du pur bonheur, du bonheur soustrait aux regards et à sa propre nature » (p. 35).

*

Mais l’humanité se voit dénier aujourd’hui le droit d’excéder souverainement le possible : partout, elle est sommée de se borner, de renier son immensité souveraine. Le temps vient où il nous sera demandé de nous immobiliser étroitement et, en un mot, de n’être plus. « Le monde jusqu’ici toujours racheté va-t-il être mis à mort devant nous, contre nous ? Criminels sont ceux qui arrêtent le temps dans l’homme pour l’hypnotiser et perforer son âme » (p. 45). Mais cet Anti­-cyclope, à qui Char, en manière d’énigme, en appelle pour la lutte décisive, ne peut encore être soumis à une clarté précisante qui le trahirait. Le sens entier d’À une sérénité crispée est donné dans cette épigraphe : « Nous sommes, ce jour, plus près du sinistre que le tocsin lui-même, c’est pourquoi il est grand temps de nous composer une santé du malheur. Dût­-elle avoir l’apparence de l’arrogance du miracle. » Il y a dans ces lignes une vertu saisissante, qui incite à un combat. « Nous sommes forts, ajoute-t-il. Toutes les forces sont liguées contre nous. Nous sommes vulnérables. Beaucoup moins que nos agresseurs qui, eux, s’ils ont le crime, n’ont pas le second souffle » (p. 21). En tous sens, la vertu règne dans ces aphorismes passionnés, où jamais un mot ne dérobe le cœur. La morale de Char n’en est pas une d’abdication : elle est de calme exubérance : « Batailler contre l’absolu de s’enfouir et de se taire » (p. 28). Elle rappelle à l’homme souverain que rien ne saurait prévaloir contre lui.

*

Je ne sais si la lumière émanant de ces pages chargées atteindra vite les yeux qu’elle aura le don d’éblouir. Mais entre les furtives lueurs qui nous animent, il n’en est pas de plus étrange, de plus belle, de plus digne d’être aimée. J’imagine quelqu’un ne pouvant longtemps se passer de lire et de relire ce livre, et de s’imprégner de sa vertu.

Critique n° 53, octobre 1951.

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Barbara Cassin, Heidegger et René Char


Septembre 1969. Petit déjeuner : Heidegger, Jean Beaufret,
Patrick Lévy, François Vezin, Barbara Cassin.

François Fédier, Soixante-deux photographies de Martin Heidegger
Gallimard/L’infini, 1999. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Voici un extrait de Le bonheur, sa dent douce à la mort de Barbara Cassin alors qu’elle assiste à un séminaire de Heidegger au Thor et fait la connaissance de René Char.

Nous étions logés au Thor, à l’hôtel du Chasselas. M’écrivait poste restante un tendre ami que d’autres autour de moi pouvaient connaître. J’allais chercher sa lettre régulièrement. Un jour où je faisais la queue pour avoir mon courrier, il y avait derrière moi un monsieur qui logeait comme nous au Chasselas et qui prenait son petit déjeuner dans la même salle de restaurant. Je dis mon nom au guichetier « Barbara Cassin ». Il me donne mon courrier. L’homme derrière moi entend. Quand je me tourne pour partir, il me reconnaît : « Vous vous appelez Cassin ? Et vous prenez votre petit déjeuner à la table de ce nazi ! » Il me crache dessus. J’ai vu qu’il avait un numéro tatoué sur le poignet.
Il a fallu qu’on dise à Arendt « sale juive » pour qu’elle prenne conscience qu’elle était juive. À rebours mais de même, ce crachat m’a fait prendre conscience que j’étais juive. Je l’avais toujours su sans savoir ce que ça voulait dire (je ne suis toujours pas sûre de le savoir). Ce jour-là, à l’instant et désormais, j’ai compris que ça engageait des choses que je ferais mieux de ne pas ignorer. J’ai compris qu’il n’était pas si simple que je sois là, au Thor, chez Char, ce grand résistant, avec Heidegger, ce grand nazi dont on ne savait pas s’il était d’abord grand philosophe ou d’abord et donc seulement grand nazi. J’ai touché du doigt la complexité, la violence des positions ; j’étais un fétu, un pion peut-être ; mon nom, Cassin, comme celui de Lévy Patrick, signifiait quelque chose, pris entre Char et Heidegger. Je ne l’oublierai plus.

« Avec un instinct sûr,
vous choisirez votre siège »
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René Char était un homme dont la stature s’encadrait dans les portes qui devenaient petites. Il avait l’âge de ma mère, une quarantaine d’années de plus que moi. Le jour de l’arrivée, on devait se retrouver chez lui pour les présentations. J’étais un peu en retard, tous les philosophes étaient là assis, rien que des hommes. Char se lève pour m’accueillir et dit : « Avec un instinct sûr. » Il me dit cela avec sa voix et son accent de torrent et de montagne : « Avec un instinct sûr... » La césure d’un long silence, j’étais debout en plein milieu, sans plus savoir marcher ni voler. Vint, un temps après, la suite de la phrase : « Vous choisirez votre siège. » En dégonflement adorable, comme le poème de Hölderlin est en bleuité adorable : « Avec un instinct sûr, vous choisirez votre siège », parce que quand on vit, quand on écrit, le trivial et le sublime, le normal et l’insoupçonné, doivent aller ensemble. Je suis donc allée m’asseoir sur le canapé, peut-être à côté de Char, peut-être à côté de Heidegger, peut-être à côté de Patrick Lévy, je ne sais plus. Mais avec un instinct sûr, j’avais choisi mon siège. Entre, entre deux chaises, poésie et philosophie.
Je me souviens d’une conversation entre Heidegger et Char, comme un pas de deux, une figure imposée. C’était chez Char, dans son jardin. Heidegger lui disait quelque chose comme : vous poète, moi philosophe (moi Tarzan toi Jane), nous nous faisons face, éloignés l’un de l’autre, chacun au sommet d’une montagne, et nous nous faisons de grands signes dans la lumière du soleil. Heidegger et Hölderlin, Heidegger et Trakl, Char et Héraclite, Heidegger et Char. Avec ou sans truchements. En l’occurrence sans, sans Beaufret ni Fédier, mais une communication par gestes, des signaux de fumée, une langue des signes. Magritte l’aurait peint.
Char est rentré en lui-même avant de répondre, plutôt doucement. Non, ce n’est pas tout à fait comme ça. Je nous vois comme deux prisonniers dans des culs-de-basse-fosse, une suite de cachots noirs dans les oubliettes d’un vieux château. On a creusé à grand-peine un minuscule trou dans l’épaisseur du mur, il était peut-être commencé par les prisonniers d’avant, on a peiné longtemps en creusant avec l’ongle, avec un débris, pour qu’un souffle puisse traverser la pierre, et l’on parvient parfois à communiquer en posant les lèvres et en collant l’oreille. On souffle et de temps en temps il y a quelque chose qui passe. Ou peut-être perçoit-on le rythme d’un alphabet à déchiffrer, un autre prisonnier que nous qui tapote à petits coups.

« Un bref et lisible chemin de terre »
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Char était, dit-on, un grand séducteur, amant des femmes et de chacune en particulier. J’étais suffisamment étrange au milieu de tous ces hommes. Un jour, tout le séminaire est allé avec lui déjeuner chez son amie toujours chère, Tina Jolas, dans une maison sur une colline où des draps blancs séchaient sur la corde à linge pour qu’on la reconnaisse de très loin. C’était un déjeuner préparé avec amour et révérence, résolument campagnard sur une grande nappe provençale, omelette aux truffes, jambon cru, salade, sublimement simple. J’aidais à débarrasser, j’avais fait une pile des assiettes sales pour la porter jusqu’à la pierre à évier de la cuisine ; il fallait passer par un court boyau un peu sombre avec cette pile trop haute, trop lourde, que je coinçais avec mon menton dans la sauce. Devant moi le bref couloir s’est bouché : c’était René Char, qui posait ses lèvres sur mes lèvres. J’ai mis les assiettes dans l’évier et j’ai gagné le jardin en flageolant comme un veau qui sort du ventre de sa mère.
Char ne suivait pas les séminaires, ou très peu. Mais nous faisions avec lui des visites : Marcelle Mathieu à Lagnes (sa fille Jeanne est le grand nu bleu de Nicolas de Staël, sa passion fermée), Junon disait Heidegger. Elle prêta pour l’une des séances la bergerie du Rebanqué : Heidegger parlant en allemand sur le muret au bord du vide — j’ai vécu là-bas un bon moment l’année suivante une toute première solitude, entre Aristote, un champ d’amandiers brûlés que je ne cessais de peindre, et les collines à l’infini comme la mer.
Un après-midi, nous sommes partis nous promener tous ensemble : c’était un autre rituel de séminaire. Heidegger devait aimer cela, de même qu’aller voir un marchand d’olives, les goûter, en rapporter jusqu’en Allemagne. Nous voilà donc touristico-philosophiquement dans la forêt. Je marchais toujours pieds nus l’été et j’ai posé mes sandales dans un creux du sentier où je pouvais les retrouver. Char est venu à côté de moi quand j’ôtai mes sandales. Nous sommes restés en arrière côte à côte, il a pris mon sein droit dans sa main. Comme si nous étions projetés au fond des bois, et qu’avec ses mots j’étais nue, attachée à un arbre avec sa ceinture autour de moi. Un bref et lisible chemin de terre où son pied nu se posa, écrit-il.
Par rapport à la vie, y compris philosophiquement, il devenait clair que le poète était mille fois plus efficace que le philosophe. Non que Heidegger fût insensible, je ne suis même pas sûre de déchiffrer son regard dont on trouve trace sur une photo. Il savait tomber amoureux. Les lettres qu’il a écrites à Hannah Arendt, où il parle d’elle quand elle entre dans son bureau avec son chapeau un peu penché, témoignent de son immédiat coup d’œil. Mais c’est Char qui vivait dans les pores de ma peau. Pourquoi poète, vivant le plus vivant de tous, n’es-tu que ténèbres de fleur parmi les vivants ? Avant que je ne quitte le Thor, il a fait porter et apporté sur mon lit une brassée de présents, des livres minuscules et uniques, avec des mots ajoutés couvrant et découvrant, des foulards, des morceaux de bois flotté porteurs de phrases, des cartes, des cailloux, dont un qu’il avait fabriqué pour Heidegger : « À MH, ta dure escorte ô mer », un tissu bleu vif où il avait écrit « J’aime », avec une espèce de souligné, on dirait une arête de poisson très difficile, très difficile à passer dans la gorge.
Quand le séminaire du Thor s’est achevé, je suis partie pour rentrer chez les amis avec qui j’habitais cet été-là. Mais je suis non-partie, tôt revenue aux Busclats.

« Poète, un rossignol »
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Nous parlions beaucoup, nous riions beaucoup. Je lui avais apporté mon diplôme sur Leibniz et Arnauld, la seule chose que j’avais faite, et j’avais écrit comme dédicace quelque chose comme « le plaisir de donner et celui de recevoir ». Une phrase que j’avais entendue de lui. En échange, il m’a dit comme il était content que j’aie du mal avec l’agrégation. « Tu vas comprendre, moi, j’ai reçu une femme... » Cette femme, c’était Jacqueline de Romilly qui lui avait demandé rendez-vous. Elle était venue le voir aux Busclats, elle s’était promenée dans le jardin, allongée sous le grand tilleul (« S’il te faut repartir, prends appui contre une maison sèche. N’aie point souci de l’arbre grâce auquel de très loin tu la reconnaîtras. Ses propres fruits le désaltéreront »). Elle lui a demandé de s’asseoir à côté d’elle. Un oiseau chantait : « Poète, un rossignol ! » Et Char m’a dit : « C’était un merle. » De lui à moi, la réussite sera toujours quelque chose comme : Poète un rossignol. C’était un merle.
Je ris merveilleusement avec toi, c’est là notre chance unique. Impossible de savoir qui dit je. Aujourd’hui, je me retrouve à l’Académie française, helléniste comme Jacqueline de Romilly pour qui j’éprouve du respect. « Un rossignol ! Tu te rends compte ? C’était un merle... »
Quant à l’arbre que ses propres fruits désaltéreront, le grand tilleul des Busclats ou un autre, c’est sûrement vrai qu’il n’a pas besoin de nous. Pas de reconnaissance pour l’arbre, on passe... Mais je continue à ressentir cela comme un scandale. Quand je suis partie, une première ou une seconde fois, que quelque chose a été fini, j’étais si triste que j’ai été obligée d’écrire : « Une femme ne peut être poète. Elle coudrait plutôt l’arbre à la maison. » J’aurais voulu coudre l’arbre à la maison, je ne cesse de coudre l’arbre à la maison.

Le bonheur, sa dent douce à la mort, Fayard, 2020, p. 112-119.

Char et Heidegger au bureau des Busclats, 1966. Crédit : Christian Vancau. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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René CHAR Un siècle d’écrivains : 1907-1988

Un film de Marie-Claude Char, Jacques Malaterre

Nourri des témoignages de ses proches et des lectures de ses poèmes, un parcours en cinq thèmes dans l’univers de René Char : la jeunesse, le surréalisme, l’engagement, les écrits, les amitiés.

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VOIR AUSSI : René Char par Michel Soutter (1967)

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[1Voici le sommaire.

[2Folio, p. 305-306.

[6Réédition en 2019 chez fata morgana.

[7Je cite le début de l’article : « Il n’est rien de contraire à la poésie dans ces mots : œuvre, théâtral, mais de l’auteur de Fureur et mystère le Larousse mensuel dit qu’il « est sans doute le seul poète français de qui l’on puisse dire, comme de Hölderlin, que ses poèmes sont l’essence du poème ». C’est à peu près la phrase de Maurice Blanchot disant que c’était là « l’une des grandeurs de René Char, celle par laquelle il n’a pas d’égal en ce temps... ». Cette proposition est vraie en ce que la poésie de Char mène les mots à leur éclatement et n’en laisse subsister qu’une poussière éblouissante. Ainsi est-elle loin de l’idée d’œuvre et surtout de celle de théâtre, impliquant l’opération la plus expressément concertée.

[8Jojo est le surnom du fils aîné des Leboucher, Georges. Né à Béziers le 22 septembre 1934, il a huit ans et demi.

[9Fonds Mounin (Québec).

[10N’était-ce pas le hasard qui m’avait choisi pour prince plutôt que le coeur mûri pour moi de ce village (1945).

[11Si nous parlons de totalité, nous ne pouvons en séparer l’homme devenant connaissance de la totalité, ou plutôt la totalité implique la connaissance que l’homme en a.

[12C’est le mysterium tremendum de Rudolf Otto (Le Sacré).

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