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Raconter l’indicible : le procès de janvier 2015 avec Yannick Haenel et François Boucq

D 21 janvier 2021     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Rencontre Yannick Haenel et François Boucq
Autour du procès de Charlie Hebdo
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Jeudi 16 septembre 2021 au Palais des Beaux-Arts de Lille

Comment un dessinateur et un écrivain assistent-ils à un procès ? Comment dessinent-ils, comment écrivent-ils ? Comment accordent-ils leur art ? Le dessinateur Boucq et l’écrivain Yannick Haenel, qui ont suivi ensemble le procès des attentats de janvier 2015 et ont en publié la chronique quotidienne pour Charlie Hebdo, vous parleront de leur collaboration.

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Raconter l’indicible :
le procès de janvier 2015
avec Yannick Haenel et François Boucq

France Culture, L’invité du matin, 21 janvier 2021.


Un croquis de salle d’audience réalisé le 14 décembre 2020.
Crédits : BENOIT PEYRUCQ - AFP. ZOOM : cliquer sur l’image.
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L’écrivain Yannick Haenel et le dessinateur François Boucq présentent dans "Janvier 2015, le Procès", (Editions Charlie Hebdo les Echappés) 54 jours d’audience exceptionnels. Invités des Matins, ils racontent ce procès historique et dressent le constat de la liberté d’expression cinq ans après.

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Pendant plus de deux mois et demi, l’écrivain Yannick Haenel et le dessinateur François Boucq ont suivi pour Charlie Hebdo chaque minute du procès des attentats de Janvier 2015. 54 jours d’audience parfois chaotiques mais nécessaires pour tenter de comprendre et de raconter un traumatisme qui dure toujours cinq ans après. Grâce aux mots et aux dessins, les auteurs de Janvier 2015, le Procès (Editions Charlie Hebdo et Les Echappés) nous parlent de justice, d’art et de liberté d’expression.

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Procès des attentats

Écrire pour les innocents

par Yannick Haenel

À l’occasion de la publication de Janvier 2015. Le procès, le livre qui rassemble les chroniques des audiences avec les dessins de Boucq, Yannick Haenel revient sur cette expérience.


ZOOM : cliquer sur l’image.
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Dans toute salle d’audience, il y a un espace vide, juste au-dessous de la cour, qu’on appelle « la barre ». C’est là que viennent les témoins et les avocats : c’est là que se tient la parole. Je n’ai cessé, durant les deux mois et demi qu’a duré ce procès, de contempler cet espace blanc, de fixer cette barre.

Celle de la salle 2.02 du tribunal judiciaire de Paris est en verre, comme si la justice qui s’y prononce manifestait ainsi sa transparence  ; comme si la cour d’assises spécialement composée pour juger des crimes terroristes commis les 7, 8 et 9 janvier 2015 affirmait que rien ne devait faire écran entre son jugement et la vérité.

C’est pourquoi certains jours j’ai eu la sensation, poussant une porte puis une autre, et passant d’un sas à un autre, ­d’entrer dans la caverne de Platon : nous venions pour que sous nos yeux, à force d’attention, l’ombre se transformât en lumière.

À LIRE AUSSI : Le procès des attentats de janvier 2015

Je n’étais jamais entré dans un tribunal, je ne connaissais pas le monde de la justice, j’ignorais qu’il était le monde lui-même, et qu’on peut (qu’on doit) tout attendre de lui, comme on attend tout du langage et de l’amour.

Faire connaissance avec le monde de la justice a impliqué pour moi de trouver le lieu de la parole. Je devais écrire pour Charlie, c’est-à-dire représenter Charlie, je m’y étais engagé auprès de Riss, et cette responsabilité pesait sur mes épaules au point que ma nuque me fait encore mal aujourd’hui.

Ce lieu pour la parole, cette place que je devais trouver pour vous transmettre ce qui se disait au procès, j’ai compris qu’ils seraient la projection sur ma page de ce rectangle blanc – vide et occupé par chaque témoin –, qu’ouvre la barre autour d’elle.

Je fais ça pour chaque livre que j’écris : je cherche un lieu qui n’est sur aucune carte, je me mets dans l’état particulier ­d’entrer en contact avec lui, et j’y note les phrases qui me viennent.

Je ne suis pas un chroniqueur judiciaire, ainsi ai-je considéré la salle de justice comme le monde – un monde à décrire. Avec Boucq, on s’est tout de suite dit qu’on ne s’économiserait pas, on donnerait tout car on faisait un livre, et à notre manière on rendait justice à Charlie.

Écrire, dessiner, ce n’est pas aller à la barre. Mais ce rectangle blanc – cet espace transparent –, je l’ai projeté dans mon écriture. C’est l’espace de la littérature. C’est en elle que j’ai converti chaque nuit ce que j’entendais, ce qui faisait battre mon cœur : la littérature n’est pas nécessairement de la fiction (même si j’aime passionnément cette faculté en elle) : elle est ce qui dans le langage désire la vérité. La vérité, on le sait tous, ne relève ni des faits ni de ce qui donne raison : elle est une qualité de l’être.

J’ai longtemps cherché ma place dans ce procès, je ne voulais pas en occuper une qui ne soit pas la mienne, je ne voulais pas prendre de la place. Ma parole devait rester modeste, secondaire, je n’étais pas un témoin, mais le témoin des témoins. Et puis, à Charlie, je n’étais arrivé qu’après les attentats. La ­décence consiste à savoir se taire ou parler bas : écrire en parlant bas, c’est mon éthique.

Je ne désirais pas être à l’aise, je hais les pros de l’écriture, ceux qui vous montrent leur savoir-faire, les petits malins qui pourraient écrire sur n’importe quoi avec toujours les mêmes mots. Le poids qui était sur mes épaules, le souci de bien faire, tout cela m’a fait me sentir mal, et ça a été ma chance : le fait de me sentir mal me donnait une place. J’étais celui qui doute, qui recueille toutes les paroles et les fait parler ensemble, qui vous les transmet avec inquiétude. Je me disais : c’est la place juste.

À LIRE AUSSI : Ce procès nous aura initiés

Le trouble est mon éthique, d’où la littérature. Toujours être perturbé me permet de garder le cap. Ceux qui ne sont pas perturbés et qui rendent compte facilement de ce qui leur arrive sont-ils vraiment honnêtes  ? La certitude est souvent un égarement. Au contraire, le doute vous force à chercher.

Parler pour Charlie, était-ce parler au nom de Charlie ? Jusqu’où pouvais-je aller  ? Agathe André, travaillant à Dessinez Créez Liberté (DCL), qui était assise à côté de moi sur le banc de la salle d’audience, a formulé magnifiquement cette question : « À quel chagrin ai-je droit  ? » C’est une phrase si profonde qu’elle m’a suivi durant tout le procès et que j’en ai fait ma morale. À chaque moment difficile à supporter, je me disais : ai-je le droit d’exprimer ma douleur  ? Et d’où vient-elle  ? De mon appartenance à Charlie, de ma fraternité avec les victimes, de ma faiblesse  ? Alors que des personnes qui ont tout perdu sont dans la salle, à quelques mètres derrière vous, il est parfois indigne de manifester sa douleur : celle-ci pourrait se révéler illégitime, mal placée, quand bien même elle serait sincère, car les larmes ne se contrôlent pas, sa manifestation relèverait malgré tout d’une forme d’indécence.

Ainsi notre initiation à ce procès – initiation qui n’a cessé d’avoir lieu, car l’initiation à la justice est l’objet même de tout procès –, notre initiation a-t-elle relevé d’un face-à-face avec ce « terrible » dont parle Rainer Maria Rilke, c’est-à-dire ce que nous sommes capables de supporter, et cela aussi bien en termes d’infamie – car certains jours, il a fallu s’accrocher pour ne pas bondir face à la connerie criminelle – qu’en termes de beauté tragique, celle de la parole abyssale des survivants. Rilke, précisément, le dit : «  La beauté est le commen­cement de la terreur que nous sommes capables de supporter », ainsi, lorsque notre amie Coco a évoqué avec amour les miettes de pain tombées de la poche de Cabu, l’intensité elle-même est devenue la vérité.

J’aime que Riss, dans son livre Une minute quarante-neuf secondes, rature le mot « victime » et choisisse d’utiliser «  innocent ». À la barre, tout comme Simon Fieschi, il a plaidé pour qu’on parle de « survivant  », mais c’est le mot « innocent » qui avait sa préférence. L’innocence n’est pas une valeur, elle n’est pas une attitude qu’on pourrait simuler ou une vertu dont on pourrait se prévaloir. On est innocent, ou pas. C’est d’ailleurs ce qui nous a sauté aux yeux face aux accusés compromis dans des trafics malfaisants, trafics dont ils ne comprenaient pas qu’ils les définissaient, ne serait-ce qu’en termes de souillure : ils ne pouvaient pas être innocents vu ce qu’ils faisaient de leur vie.

À LIRE AUSSI : Livre : Une minute quarante-neuf secondes

L’innocence ne peut se simuler parce que l’innocence est l’autre nom de la vérité : elle est ce qui relie les vivants et les morts. C’est ce que j’ai compris durant ces deux mois de procès : l’innocence, c’est la parole. C’est Lassana Bathily, l’homme qui, à l’Hyper Cacher, a sauvé des otages en leur ouvrant les portes du bas, qui vient expliquer à la barre ­comment lui, musulman, travaillait avec ses amis juifs. C’est ­Hélène Honoré disant de son père, le grand dessinateur ­Honoré : « Je sais qu’il n’a pas vécu pour rien. »

Ma boussole, mon éthique, ça a été de penser aux morts : se maintenir dans cette pensée-là, qui n’est pas morbide, et ne relève pas nécessairement du deuil, c’est le sens de l’écriture. Penser aux morts, c’est laisser notre vie ouverte à leur vie. J’ose dire que là est le sacré, pas dans les églises. Et c’est ce que je me suis efforcé de faire, jusqu’au chagrin, un chagrin parfois éprouvé pour des personnes que je ne connaissais pas, un chagrin que j’ai finalement affirmé personnellement, car endurer ce procès m’y donnait droit.

Une question me hantait chaque nuit, ma page blanche me la posait : où sont les morts  ? C’est aussi la question que pose le rectangle blanc où l’on vient, au tribunal, parler pour eux. Je crois que c’est la question de la justice elle-même : la transparence de la barre ouvre le passage entre les vivants et les morts. Écrire, c’est placer ses mots à cet endroit.

Mis en ligne le 21 janvier 2021. Paru dans l’édition 1487 du 20 janvier.

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A l’issue du procès, un recueil spécial de 216 pages rassemble les chroniques en textes et en dessins de Yannick Haenel et François Boucq. Un hors-série exceptionnel de Charlie Hebdo paru le 21 janvier 2021. Commandez le ici.

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2 Messages

  • Albert Gauvin | 12 janvier 2023 - 17:11 1

    Huit ans après le 7 janvier 2015, l’héritage des attentats n’a pas permis de faire fleurir une réflexion sur le fanatisme et ce qui nous relie, estime l’écrivain Yannick Haenel, chroniqueur pour le journal satirique.


    (Coco/Libération).
    ZOOM : cliquer sur l’image.
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    Chaque jour pendant trois mois, fin 2020, l’écrivain Yannick Haenel, lauréat du prix Médicis pour Tiens ferme ta couronne, a assisté au procès des attentats qui ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, tuant douze personnes suivi de cinq autres peu après, à Montrouge et à l’Hyper Cacher de Montreuil. Chaque nuit, il a couché par écrit ces témoignages pour les restituer le lendemain sur le site et dans les pages du journal satirique. Huit ans et deux livres plus tard – Janvier 2015. Le procès avec le dessinateur François Boucq et Notre solitude (éditions Les Echappés), le procès terminé, quelle mémoire collective en reste-t-il ? De la confrontation aux paroles et à l’innommable, l’auteur, devenu chroniqueur pour Charlie peu après l’attentat, a tenté de tirer une ligne entre les rescapés et les morts – Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Elsa Cayat, Bernard Maris, Honoré et les autres – et de faire émerger, en parallèle de la vérité judiciaire, soldée par la condamnation de tous les accusés, une certaine vérité de la mémoire. Plus qu’à commémorer, il appelle à se remémorer ces noms, en continuant à penser, par le dessin et l’écriture, les fractures de la société française.

    Quel sens revêt pour vous la commémoration, chaque année, de ces attentats ?

    Même si je n’en attends rien et que je ne participe pas aux commémorations, ce rendez-vous avec un crime politique majeur est nécessaire pour ne pas oublier. Ma manière d’y être fidèle est de continuer à lire Charlie, et d’y écrire. Je ne lisais pas Charlie avant, mais ces jours de janvier – puis novembre – 2015 sont historiques. Il est bon de continuer à y penser et de se confronter intellectuellement à ce trou abyssal, car au fond, ces crimes font plus que tuer les gens. Ils touchent un point irréconciliable de la société française. Tout ce qui n’est pas traité politiquement se transforme en crime ou en tyrannie à un moment donné, c’est la leçon de l’histoire. Commémorer sert à remettre ces questions sur le tapis, sans cesse. Et c’est de cela que témoigne Charlie.

    Que représente cet attentat dans la mémoire collective, huit ans après ?

    Ce nom, devenu un symbole après les attentats, est le lieu de beaucoup d’ambiguïtés. Peu de gens lisent et savent ce qui s’écrit à Charlie qui pâtit d’une image, même dans une partie du milieu intellectuel, presque réactionnaire. Mais la lutte contre le fanatisme et le racisme par le rire, historique à gauche, n’a rien à voir avec l’islamophobie. L’héritage de ces journées, qui avaient fédéré la France, s’est étiolé. J’en veux pour preuve l’absence relative de réaction collective forte suite à la tentative d’assassinat de Salman Rushdie. C’est dû sans doute, en France, à une peur croissante de diviser encore plus politiquement la société sur la question de l’islam radical. L’héritage des attentats, qui aurait dû faire fleurir la réflexion sur le fanatisme et ce qui nous relie, a failli. Les procès de Charlie, du 13 Novembre ou de Nice – très peu suivi – semblent s’accompagner d’une volonté d’oubli, organisée par la société elle-même.

    Le procès, que vous avez chroniqué jour après jour pour Charlie, a-t-il permis de mieux comprendre ce qui s’était passé ?

    En un sens, oui. Cette expérience a été pour moi vertigineuse. Avant lui, j’écrivais dans Charlie par acquiescement ému, reconnaissance de ce qui était arrivé à ces journalistes. Le procès a déplié ce que ces crimes avaient de politique – car c’est ce qu’ils étaient. En éprouvant cette justice et en écoutant les nombreux témoignages, j’ai pu mesurer ce qui s’était passé, tant sur la scène des crimes qu’en matière de malentendus irréconciliables, qui continuent de déchirer la société française, de la petite délinquance de banlieue au grand banditisme instrumentalisé au plan international. Le procès a été une longue tentative de compréhension du mal.

    Comment, en tant qu’écrivain, avez-vous contribué à cette vérité de la mémoire, en parallèle de la vérité judiciaire ?

    Je suis devenu le témoin de tous les témoins, et ça a changé ma vie. Publiant chaque matin sur le site du journal, je passais mes nuits à écrire, à chaud, et j’étais lu par ceux-là mêmes, mes camarades, qui témoignaient. Ce que j’écrivais n’allait pas toujours dans le sens de ce que les journalistes avaient envie de penser. Leur quête de la vérité était percutée par le dégoût devant le festival des dissimulations – attendues – des accusés. Je les décrivais avec sévérité, et parfois avec empathie. Par exemple j’ai été choqué dès les premières minutes par ces cages en Plexiglas dans lesquelles ces présumés innocents étaient enfermés, exhibés. Elles me semblaient inhumaines et injustes.

    Quasi-partie civile comme membre du journal, je me suis jeté à corps perdu dans la retranscription la plus exhaustive possible des paroles, tentant en parallèle de méditer à leur sens. J’étais obsédé par ces paroles fondamentales et contradictoires qui font la beauté de la justice, et j’avais terriblement peur qu’elles soient oubliées donc je notais tout. Il y avait une forme de beauté à se retrouver tous là, au cœur d’un déchiffrement multiple, d’une glose permanente, sans excuser mais pour renouer les fils. J’ai tenté de réunir les vivants et les morts. La justice est le seul lieu, avec le langage, où les deux s’enchevêtrent et sont coprésents. On invoque les disparus, or parler des morts les rend immortels. Ils sont comme rendus à la vie vivante de la mémoire. Comme dans l’amour, ou la poésie.

    L’essence de l’écriture, n’est-ce pas aussi cette défense de la parole et de la pensée, contre le nihilisme ?

    Les enjeux que ce procès a suscités relèvent de l’herméneutique, d’un déchiffrement passionné de l’existence, d’une plongée dans ce qui peut se dire de plus complexe et innommable. Je me rappelle du témoignage de Zarie Sibony, la caissière de l’Hyper Cacher, qui a duré le même temps qu’a duré la prise d’otages. Cette correspondance m’a frappé, comme si son témoignage remplissait le néant qui était à l’œuvre ce jour-là. Il ramenait à nous la proximité avec la mort et ces revendications injustifiables, tel Job dans la Bible, qui est « celui qui est venu pour nous dire ». Il y avait là une épaisseur métaphysique. Ceux qui ont osé venir parler l’ont fait pour nous tous.

    Comment comprendre justement ce « nous » mémoriel, contenu dans le titre de votre livre Notre solitude ?

    La communauté de celles et ceux qui ont participé au procès est aussi celle, plus secrètement, de la société française qui a été attaquée dans son être profond. Je suis mélancolique de voir que cette communauté n’a rien d’autre à partager que cette solitude, comme si le lien ne se faisait pas vraiment. La simple addition des solitudes me semble tragique.

    Cette mémoire a-t-elle permis de préserver davantage la liberté d’expression aujourd’hui ?

    Je n’aime pas cette expression qui me semble trop facile et faible conceptuellement, car elle peut s’appliquer tant à Elon Musk, Donald Trump qu’aux intellectuels iraniens bâillonnés. En étant instrumentalisée par toutes sortes de personnes qui en font un alibi, la liberté d’expression ne fait que faiblir. Charlie l’utilise de façon circonscrite pour désigner l’ironisation des valeurs, notamment religieuses, qui relève davantage de la laïcité. La confusion sur ce point s’est aggravée à mon sens. Dans les écoles, les professeurs craignent l’enseignement civique, surtout depuis l’assassinat de Samuel Paty, que nous avons vécu durant le procès.

    Pourquoi avoir rejoint Charlie Hebdo comme chroniqueur après la tuerie ?

    Dans cette rédaction, joyeuse et mélancolique, une défense tenace des valeurs de gauche se perpétue, envers et contre tout : l’écologie, la critique du libéralisme, une manière de rire du fanatisme. J’aime Charlie de cette manière, nietzschéenne, comme quelque chose qu’on ne peut pas prendre au sérieux si l’on n’en a pas d’abord ri. Ces journalistes ne sont pas une bande d’anticléricaux n’attendant que de bouffer du curé. Ma position y est d’ailleurs paradoxale, car je suis traversé par le sacré. Charlie est un miroir crispé de ce qui fâche au sein de la société française.

    Clémence Mary, Libération, le 5 janvier 2023.


  • Albert Gauvin | 30 septembre 2021 - 00:03 2

    Jeudi 16 septembre 2021 au Palais des Beaux-Arts de Lille. Voir au début de cet article.