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To be or not to be (pour ou contre) Woody Allen

Godard, Kristeva & cie

D 9 octobre 2020     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Meetin ’WA. Quand Jean-Luc Godard rencontrait Woody Allen


Woody Allen et Jean-Luc Godard.
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« Être ou ne pas être. Ce n’est pas vraiment une question. » Jean-Luc Godard

Le génie du cinéaste français de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard, est toujours vénéré par les fans du monde entier à ce jour. Woody Allen a dit un jour au célèbre critique Roger Ebert qu’il considérait Ingmar Bergman et Orson Welles comme des génies alors que « Godard est censé être un génie » et, c’est notoire, les deux ont collaboré à l’interprétation de Godard en 1987 du roi Lear de Shakespeare .

Parlant de son expérience, Allen a déclaré : « Il était très insaisissable sur le sujet du film. Premièrement, il a dit qu’il s’agirait d’un avion Lear qui s’écraserait sur une île. Puis il a dit qu’il voulait interviewer tous ceux qui avaient fait King Lear, de Kurosawa au royal Shakespeare.

« Puis il a dit que je pouvais dire tout ce que je voulais dire. Il joue très bien l’intellectuel français, avec un certain flou. Quand je suis arrivé pour le tournage, il portait un pyjama — haut et bas — un peignoir et des pantoufles et fumait un gros cigare. J’avais le sentiment étrange que j’étais dirigé par Rufus T. Firefly.

Un an avant la sortie de King Lear, Godard a réalisé un court métrage intitulé Meetin ’WA dans lequel il a interviewé Allen sur la nature du cinéma contemporain et l’influence de la culture populaire et de la télévision sur le cinéma moderne. Le court métrage a été fait comme un substitut à la traditionnelle conférence de presse avec le réalisateur après la première de Hannah et ses soeurs au Festival de Cannes.

Tourné en fragments et monté avec intertitres, Meetin ’WA est un aperçu intéressant des processus de pensée des deux cinéastes. Dans le court métrage, Allen déclare : « Adolescent, j’adorais fuir le soleil, que je déteste, m’enfermer dans une salle obscure, éviter la chaleur et éviter la lumière et de simplement m’asseoir et soudainement être transporté n’importe où : un bateau pirate ou dans le désert ou un loft de Manhattan… C’était toujours très décevant pour moi, quand je sortais du cinéma et que la lumière me frappait, de retourner dans la rue et d’affronter la réalité. (source : Far Out, 8 octobre 2020)

Regardez le court métrage en entier ci-dessous.

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Le film consiste principalement en une interview de Woody Allen par Godard, avec l’aide de la spécialiste du cinéma Annette Insdorf agissant comme interprète hors écran. Dans un prologue, Godard peut être vu de l’arrière en silhouette debout à une fenêtre donnant sur Central Park à New York, tandis que sur la bande sonore, une mélodie de Gershwin précédemment utilisée par Allen dans Manhattan peut être entendue. L’interview proprement dite est présentée comme une série de fragments qui obscurcissent fréquemment le sujet de la conversation, bien qu’il soit évident qu’une grande partie de la conversation concerne le film d’Allen Hannah et ses sœurs, qui venait d’être publié. Les fragments de conversation sont séparés par diverses images fixes et par des intertitres ; le texte commente la conversation, souvent d’une manière caractéristique de Godard. Le cinéaste, pour qui les intertitres sont un procédé fréquent, interroge Allen sur sa propre utilisation des intertitres dans Hannah et ses sœurs. Allen observe que, tandis que pour Godard, le dispositif est filmique, pour Allen, il est littéraire, et Allen continue à en dire plus sur les origines littéraires de Hannah et ses sœurs.

Godard interroge ensuite Allen sur l’influence de la télévision sur son travail, affirmant que les plans d’Allen des bâtiments de New York à Hannah and Her Sisters semblent devoir quelque chose à la façon dont la télévision dépeint les choses. Trouvant la question obtuse, Allen rhapsodise à la place sa jeune expérience du cinéma. Dans un épilogue, Godard est vu en train de fouiller dans des éphémères et une pile de livres sur une table. Soudain, déclarant que "la réunion est terminée", il claque la pile de livres sur la table, ralentissant le geste en post-production, de sorte que le claquement des livres frappant la table a un ton bas et inquiétant. L’inter-titre final, affiché plus longtemps que les autres, déclare : "Meeting’s Over".

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En mars 2020, aux Etats-Unis, des dizaines d’employés de la maison d’édition Hachette s’étaient opposés à la publication des Mémoires de Woody Allen, accusé d’agression sexuelle par sa fille adoptive.

Mémoires de Woody Allen : « Quel que soit l’esprit du temps, il faut lui résister »

Manuel Carcassonne, l’éditeur français (Stock) du livre du cinéaste, réagit à la marche arrière de Hachette et fera tout pour maintenir la publication. Propos recueillis par Christophe Ono-dit-Biot pour Le Point.

Manuel Carcassonne, directeur de la maison d’édition Stock, filiale de Hachette, nous annonçait vendredi avoir acquis pour la France les droits du livre A propos of Nothing, le récit exhaustif de la vie personnelle et professionnelle du réalisateur. « Un texte formidable », nous déclarait-il, ajoutant que les Mémoires de Woody Allen seraient publiés sur notre territoire le 29 avril sous le titre Soit dit en passant. Mais, entre-temps, aux États-Unis, la maison Grand Central Publishing, elle aussi filiale de Hachette, qui devait publier le texte sur le territoire américain, s’est ravisée devant la fronde des employés et la colère de Ronan Farrow, le fils de Woody Allen et de Mia Farrow. Figure de proue du mouvement #MeToo, ce dernier a révélé l’affaire Weinstein dans les colonnes du New Yorker et publié chez Grand Central Publishing le livre Catch and Kill, dans lequel il relate l’enquête qui a mené aux accusations de harcèlement et d’agression sexuelle dont a fait l’objet le producteur. Reprochant notamment à son éditeur de n’avoir pas contacté sa sœur Dylan (qui continue d’accuser son père adoptif d’abus sexuels, bien que la justice ait innocenté le réalisateur, dans deux États différents), il avait annoncé qu’il refusait de partager la même maison d’édition que Woody Allen et qu’il allait donc la quitter. Ce revirement éditorial outre-Atlantique change-t-il quelque chose en France ? Manuel Carcassonne nous répond.

Le Point : Comment avez-vous réagi à la décision de la maison d’édition américaine d’annuler cette publication ?

Manuel Carcassonne : Je n’ai pas à commenter la décision d’un confrère et ami qui dirige un groupe d’édition américain et a prouvé plus d’une fois son talent et son courage. La situation américaine n’est pas la nôtre. Woody Allen est un grand artiste, un cinéaste, un écrivain, et son humour juif new-yorkais se lit encore à chaque ligne de cette autobiographie, dans l’autodérision, la modestie, et l’art de travestir le tragique en comédie. Y compris à ses dépens. Il est triste que cette décision ait été prise, triste pour la liberté d’expression, mais parfaitement compréhensible dans le contexte américain.

Dans ces conditions, allez-vous pouvoir maintenir cette publication française ?

Je ne sais pas si je pourrai maintenir la publication, mais je ferai tout pour. Nous devons récupérer les droits qui viennent d’être rendus à l’auteur. Et surtout, soyons francs, c’est l’auteur qui décidera seul. Tout ce que je puis dire, c’est mon plaisir de lecture, la réussite de ces Mémoires d’un œil sur notre siècle.

Pensez-vous qu’il faille la maintenir ? D’aucuns parlent d’un mouvement de fond qui serait dangereux pour la liberté d’expression.

On ne doit pas tout mélanger, ni même amalgamer, au risque de perdre notre bon sens : la boussole qui doit guider nos choix. La France n’a pas été le lieu des querelles familiales entre Woody Allen et son ex-femme Mia Farrow, ni avec Ronan Farrow. Le public français décidera, comme il a décidé en allant voir le dernier film de Woody Allen, qui n’a pas pu sortir aux États-Unis. Publier, c’est s’attacher avec respect à ce que chacun puisse s’exprimer, dans les limites de la loi, que le talent puisse être défendu, que la notion d’auteur soit soutenue. Mon ami et ancien patron Jean-Claude Fasquelle disait : «  Il faut savoir mourir sur un texte. » J’espère ne pas avoir à en arriver là, mais je lui donne entièrement raison. Quel que soit l’esprit du temps, il faut lui résister.

LIRE AUSSI : « Je retravaillerai avec lui » : Scarlett Johansson prend la défense de Woody Allen-woody-allen-04-09-2019-2333718_3.php]

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Woody Allen par Julia Kristeva

Leur ticket : Julia Kristeva
Woody Allen, Match Point


Le Nouvel Observateur, le 12/01/2006.
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Les libertaires des sixties se doutaient un peu que le plaisir a partie liée avec la loi, et que tout excès de liberté est liberticide. C’est bien fini. Aujourd’hui, à Londres, capitale emblématique du puritanisme, le sexe libéré compose avec le banal refoulement. Mais loin d’assurer la paix des âmes, cette Traviata affole le désir et fait exploser son onde porteuse : la pulsion de mort. Le face-à-face entre l’homme en proie à son désir (Chris Wilton) et ses femmes en mal d’enfant (Nola Rice, Chloe Hewett) transforme le bain-marie de la bourgeoisie victorienne en polar.

L’humour de Woody Allen a beau la jouer grave dans « Match Point » pour suggérer la fatalité du crime dopée par la frénésie d’ascension sociale, le spectateur piégé se délecte sottement des accouplements clandestins. Jusqu’à ce que le meurtre de Nola par Chris lui révèle que le heurt des sexes est plus implacable que le choc des religions. Car, face à la folie du désir masculin, la maîtresse et l’épouse persévèrent à tourner le jeu en généalogie.

Ici, nulle tragédie grecque purificatrice, nul jugement pour scander l’opéra londonien de la fin de l’histoire : une culpabilité muette imbibe mollement les passions. Tandis que la famille mondialisée s’empresse autour du fils que l’homme a conçu sans désir, l’expert en match points comprend qu’il ne lui reste qu’un succès sans issue sur l’écran des marchés financiers. Cette drôle d’angoisse serait-elle la forme moderne du tragique ?

Julia Kristeva, Le Nouvel Observateur du 12/01/2006.


Les échos Week-end, 22 mai 2020.
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Woody Allen, Mémoires d’un paria d’Hollywood

À 84 ans, Woody Allen se retourne sur son oeuvre dans ses mémoires controversées, qui sortiront en France le 3 juin. Essai de « psychanalyse sauvage » de ce génie de l’autodérision qui nous a confié « trembler » à l’idée de l’impact de la pandémie sur l’avenir du cinéma en salle.


Scarlett Johansson et Woody Allen.
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Cinéma & Séries
Woody Allen, Mémoires d’un paria d’Hollywood
(7e Art/BBC Films/Thema Production/Jada Production/Photo12)
Par Pierre de Gasquet
Publié le 22 mai 2020 à 12:43Mis à jour le 26 mai 2020 à 20:05

«  Ne me regarde pas avec ces grands yeux ! » C’est une des scènes les plus troublantes de Manhattan , où il annonce qu’il va la quitter à Tracy (Mariel Hemingway), une blonde de 17 ans à tomber, en séchant ses larmes avec son pouce sur son visage d’adolescente. « Quand j’aurai soixante-trois ans, tu en auras trente-huit et tu seras au sommet de ta puissance sexuelle », plaide Isaac (alias Woody Allen), scénariste deux fois divorcé, avant de voler dans les bras de Diane Keaton.

Dans la vraie vie, le cinéaste aux 53 films a été marié deux fois et a vécu dix ans avec Mia Farrow, chacun de son côté de Central Park, avant d’épouser la fille adoptive de celle-ci, Soon-Yi, en 1994. Dans ses mémoires, Soit dit en passant, qui paraissent le 3 juin chez Stock, il a voulu se livrer à une sorte de confession galvanisante, parfois ironique, jamais défaitiste. Il écrit comme il parle dans ses films. Comme un geyser jaillissant. Mais un geyser joyeux, incontrôlé et incontrôlable. Sans retenue, sans surmoi…

«  Je n’ai jamais fait partie du système hollywoodien : j’ai toujours traité avec mes producteurs à New York. Aujourd’hui, je préfère trouver des sources de financement en Europe, où on vous donne de l’argent et on vous fiche la paix, sans chercher à s’immiscer dans les choix artistiques », nous confie-t-il dans un entretien téléphonique depuis son appartement de Manhattan, en plein confinement. Cela tombe plutôt bien. Car Woody Allen est devenu «  un artiste interdit à Hollywood. Il a été littéralement effacé et ses mémoires sont un sujet tabou ici. Même son empreinte est durablement compromise », estime le scénariste Steven Gaydos, directeur exécutif de Variety, la bible du cinéma à Los Angeles.

Amazon a ainsi renoncé à exploiter son dernier film, Jour de pluie à New York, qui n’est jamais sorti aux Etats-Unis. « Tout a changé en trois ans. Si l’on pouvait séparer l’artiste de sa vie privée, ce qui est inconcevable aux yeux de nombre de gens dans ce pays, son oeuvre reste bien sûr l’une des plus importantes de l’histoire du cinéma américain : regardez ’Manhattan’, ’Annie Hall’, ’Broadway Danny Rose’ ! », soupire Steven Gaydos, en rappelant que Charlie Chaplin avait été lui aussi puni par Hollywood.

Farce tragicomique

Plongeons donc dans ces mémoires « interdits ». Toute la vie de Woody Allen ressemble à une farce tragicomique. Tout commence par un certain Jeudi noir où Wall Street fit un grand plongeon. Initialement, son grand-père, Isaac, était plein aux as. Il avait racheté une flotte de taxis et plusieurs cinémas à Brooklyn, y compris l’élégant Midwood Theater. Mais la Grande Dépression de 1929 oblige la famille à se réinventer… Son père, « arnaqueur au billard », n’avait jamais mis les pieds au lycée. Engagé dans la Marine à 16 ans, il se retrouva membre d’un peloton d’exécution qui fusilla un matelot américain coupable d’avoir violé une petite Française.

Premier signe — tragiquement prémonitoire — du destin... De son propre aveu, ses parents étaient aussi « mal assortis que Hannah Arendt et Frank Sinatra  » (tiens donc, Frank Sinatra…) Ils n’étaient d’accord sur rien et sont restés mariés pendant soixante-dix ans. Woody préférait son père. Tout le monde le préférait, car c’était un type tendre et chaleureux, alors que sa mère « ne faisait pas de quartier ». Mais c’était elle qui empêchait la famille de « couler »…

Très vite, Woody Allen se sent tiraillé entre deux univers, celui bouillonnant et angoissant de Brooklyn et celui de Manhattan, plus clinquant et sophistiqué. À l’âge de six ans, le petit Woody — de son vrai nom Allan Stewart Konigsberg — fut envoyé dans une classe pour surdoués de Hunter College. Mais le trajet entre Brooklyn et Manhattan était trop long. Il fut remis à l’école publique PS99 où régnait «  l’imbécillité crasse ». Son père ne possédait qu’un seul et unique livre : Gangs of New York, le roman d’Herbert Asbury sur la mafia new-yorkaise qui inspirera Martin Scorsese. Deuxième signe du destin.

Lui ne lisait que des comics : Batman, Superman, Flash, Plastic Man… « Vous allez lire l’autobiographie d’un misanthrope illettré et fan de gangsters ». Dans ses mémoires, Woody interpelle le lecteur comme dans ses films… Autodidacte, il a fait son éducation artistique grâce à ses escapades au MoMa, où il découvre les oeuvres de Cézanne, Matisse ou Pollock. C’est là aussi qu’il fait son apprentissage de voyeur.

Entre Groucho Marx et Hamlet

Paresseux oui ! mais aussi boulimique et avide de films de gangsters… Il ne s’est mis à lire que quand ses « hormones commencèrent à tourner à plein régime ». Sa vraie motivation ? Il comprend vite qu’un imbécile inculte peut difficilement draguer des « délicieux petits kumquats bohèmes » à la Léa Seydoux dont il raffole déjà. Du coup, il se met à dévorer Balzac, Tolstoï et George Eliot… Plus tard, il se plongera dans les oeuvres d’Hemingway et de Camus, dont il aime l’«  écriture simple ». Il adore aussi Melville, Stendhal, Thomas Mann, Tourgueniev et la poésie d’Emily Dickinson, mais il a plus de mal avec T. S. Eliot et James Joyce. Un vrai romantique, le «  marathon man » de l’autodérision ? Aujourd’hui encore, ses auteurs préférés sont surtout les poètes populaires de la Tin Pan Alley, l’« allée des casseroles en métal », où George Gershwin et les maisons de disques ont pris racine à Manhattan.

Comment Woody Allen, ami et admirateur de Groucho Marx, est-il donc devenu le névrosé qu’il exhibe dans tous ses films ? On touche là au coeur du drame shakespearien — ou bergmanien. Seul garçon dans une tribu de femmes, il se souvient avoir été la «  prunelle des yeux » de ses cinq tantes. Mais pas seulement : il a été élevé par deux parents aimants. Le petit chéri de ces « gentilles yentas  » (commères, en yiddish) ne manque de rien. « J’étais en bonne santé, populaire parmi mes camarades, très sportif… et pourtant je me suis débrouillé pour finir nerveux, peureux, trop émotif, toujours au bord de perdre mon calme et franchement misanthrope, claustrophobe, solitaire, amer et incurablement pessimiste.  » En une phrase, Woody résume le « drame allenien », l’axe du moi autour duquel gravite toute son oeuvre.

Feint-il de ne pas s’aimer ou s’aime-t-il trop ? « Des mille tortures qui sont le legs de la chair, comme dit Hamlet, j’ai réussi à éviter la plupart, sauf la six cent quatre-vingt-deuxième : l’absence de mécanisme de déni », confesse-t-il. Rejeter ce qui est ressenti comme intolérable, ce mécanisme inconscient de défense théorisé par Freud, il s’en révélerait donc incapable. Parfois, Woody Allen se compare à Hamlet, le prince tourmenté par son destin et la cruauté de son entourage. Mais il y aussi chez lui du Yorick, le bouffon du roi dont seul le crâne apparaît dans le chef-d’oeuvre de Shakespeare, ou même du Groucho Marx chez ce prince de Manhattan qui joue de son hypocondrie.

L’humour comme signature

« Groucho Marx et Bob Hope sont les deux grands humoristes qui m’ont le plus marqué, plus encore que Chaplin ou Buster Keaton  », nous confie Woody Allen. Sans renier sa touche personnelle : son flair consommé pour le «  seppuku » (le suicide rituel à la japonaise). « Woody Allen s’inscrit dans la grande tradition de ce qu’on a appelé l’humour juif new-yorkais grâce à lui et à Mel Brooks. Il est l’héritier de Groucho Marx, mais aussi de Lubitsch et Billy Wilder… », estime Marc Cerisuelo, professeur d’études cinématographies et esthétiques à l’université Gustave-Eiffel et spécialiste de la comédie américaine. « Il est aussi dans la lignée des grands auteurs comiques comme Charlie Chaplin et Jerry Lewis. » « À travers son humour, il assume sa judéité et il montre aussi le côté frondeur que beaucoup de juifs ont », opine la psychanalyste Julia Kristeva. «  Il est plus complet que Groucho Marx. Mais Charlie Chaplin a une humanité supérieure à Woody Allen, nuance Gilles Jacob, l’ancien président du Festival de Cannes. Charlot fait pleurer, Woody réussit à faire pleurer de rire, ce qui n’est déjà pas si mal. »

Dans la plupart de ses films, l’humour d’Allen se veut aussi le reflet de ses handicaps. Dans l’un des passages les plus hilarants de ses mémoires, il raconte ainsi ses démêlés avec sa première voiture, une Plymouth décapotable 1951, rachetée pour 600 dollars, qui lui servait de « chambre d’hôtel sur roues ». Mettre un volant entre ses mains, c’était comme « confier un missile balistique intercontinental à un enfant de trois ans ». Parfois, l’autodérision frise l’autosabotage, une sorte d’abdication systématique face à la dictature du surmoi. Ne jamais oublier que l’auteur de Prends l’oseille et tire-toi a commencé sa carrière comme vendeur de gags et de bons mots (« one-liners ») pour Broadway. Il y a aussi une dimension «  nonsense  » dans la verve allenienne : « Chaque fois que j’écoute du Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne » (Meurtre mystérieux à Manhattan, 1993).

Le filon de la psychanalyse

Rarement Woody Allen semble plus sincère que lorsqu’il parle de ses démêlés avec la psychanalyse. Une véritable drogue pour lui, mais aussi un filon. « Pour moi, cela a été une expérience positive, mais aussi un matériau dramatique et burlesque pour mes scénarios », nous avoue-t-il aujourd’hui. Son premier «  shrink » (« psy », en argot américain) a été le Germano-Américain Peter Blos, un pionnier de la psychologie évolutive, spécialiste de l’adolescence. Au total, Woody Allen confesse avoir consulté quatre analystes en trente-six ans. Chaque fois, il a le sentiment d’en sortir « vainqueur » ou «  indemne », mais jamais satisfait. « Sur les questions les plus profondes, je n’ai absolument pas avancé ; les peurs, les conflits et les faiblesses auxquels j’étais confronté à dix-sept ans sont intacts », constate-t-il amèrement. « L’illusion de faire quelque chose pour se soigner est déjà quelque chose. On se sent un peu mieux, un peu moins accablé. »

Ici, nos plus éminentes analystes, consultées sur son « cas », divergent. Pour Elisabeth Roudinesco, Woody Allen reste un « éternel adolescent immature et conformiste ». Pour Julia Kristeva, c’est plutôt un personnage tragique dostoïevskien qui joue avec son destin. «  La psychanalyse n’est pas faite pour faire des progrès ; elle est faite pour sonder des traumas et essayer de leur donner des langages. Il y est parvenu. C’est un enfant de ce temps moderne du ’tout est permis’ qui vit sa sexualité tourmentée avec une mélancolie rusée et une légèreté désabusée. Il tient debout », estime Julia Kristeva, qui se souvient avoir débattu avec lui sur son film Harry dans tous ses états (1997).

Pour elle, il a capté des «  lieux communs de la modernité » et des symptômes sociaux de son époque. Comme Dostoïevski en son temps, Woody Allen a «  mis le doigt, avec amertume et ironie, sur la difficulté, sinon l’impossibilité, du couple hétérosexuel dans la période actuelle. C’est pour cela qu’il attire. » «  Il y a des choses universelles dans ses films. Son personnage est un Américain moyen qui ressemble aux intellectuels de chez nous, c’est ce qui plaît tant en France, renchérit Gilles Jacob. Mais dans la vraie vie, il n’est pas très drôle. Il est poli et se cantonne à des explications techniques avec une voix fatiguée et douce. »

Une de ses grandes forces reste d’avoir conquis le public européen, là où l’Amérique l’a parfois boudé. Totalement indifférent à la critique et aux honneurs — «  les oscars n’ont pas changé ma vie et ne m’empêchent pas d’avoir la migraine quand j’ai la migraine », bougonne-t-il au téléphone —, il cite volontiers La Rose pourpre du Caire, Comédie érotique d’une nuit d’été et Match Point parmi ses films préférés, même si c’est Annie Hall qui lui vaudra quatre oscars et restera comme l’un de ses plus gros succès commerciaux (avec Manhattan et Minuit à Paris).

« Le fait que Greta Gerwig, l’égérie du nouveau cinéma indépendant américain (NDLR : qui a joué dans To Rome with Love en 2012), lui ait tourné le dos et se soit rangée totalement sur la ligne de Ronan Farrow est un grand revers. Cela a créé une sorte de conspiration du silence autour de lui. Personne n’ose le défendre, estime Marc Cerisuelo. Mais il y a toujours une double lecture : le Woody Allen des Américains et celui des Français. Comme Jerry Lewis, il a été vénéré par le public français. Certes, en termes d’entrées, ce n’est ni Spielberg ni Marvel. Mais ses succès lui ont toujours permis de continuer à travailler et à faire un film par an. » Du moins, jusqu’ici… « Je ne parierais pas contre lui. Il trouvera toujours l’argent en Europe pour tourner son prochain film  », estime Steven Gaydos.

Les femmes et le « maccarthysme »

Voire… Car la dispute bat encore son plein aux Etats-Unis. Outre Mia Farrow, qui a découvert en 1990 la relation intime entre son compagnon et sa fille adoptive, Soon-Yi, c’est Ronan Farrow, le fils de l’actrice et du réalisateur, qui a « mis le feu au château ». Il a relancé la bataille en prenant fait et cause pour sa soeur, Dylan, qui accuse depuis plusieurs années Woody Allen, son père adoptif, de l’avoir agressée sexuellement lorsqu’elle avait sept ans. Des charges abandonnées par la justice en 1993.

À 32 ans, celui qui n’a pas souhaité se soumettre à un test ADN (pour trancher sur l’identité de son père biologique qui, affirme Mia Farrow, pourrait être Frank Sinatra) est devenu une icône du journalisme américain grâce à son scoop mondial sur l’affaire Weinstein. Publiée dans le New Yorker, son enquête lui a valu le prix Pulitzer en 2018. «  Du coup, aujourd’hui, tous les jeunes de 20 à 30 ans votent massivement pour Ronan Farrow, estime Marc Cerisuelo. Ce serait vraiment paradoxal que Woody Allen ne soit plus défendu que par une droite intellectuelle. » Alors que lui se targue d’avoir toujours voté démocrate. « Il est même devenu impossible d’organiser un colloque à l’université sur son oeuvre », déplore ce membre du comité éditorial de la revue Positif, qui a toujours soutenu le cinéaste new-yorkais.

Prédateur présumé ? Woody Allen insiste souvent sur le fait qu’il n’a jamais été spécialement attiré par les jeunes filles. Sans surprise, ce n’est pas là qu’il est toujours le plus convaincant. « Les jeunes filles ne constituent qu’une infime partie des femmes avec qui je suis sorti au cours de ma vie », explique le tombeur de Manhattan. « J’ai eu deux ou trois fois recours au stratagème consistant à opposer mai à décembre comme ressort comique ou thème romantique dans mes films, de même que je me suis servi de la psychanalyse, du meurtre ou des blagues juives, mais seulement parce que c’est du bon matériel pour nouer l’intrigue et déclencher le rire. Je continue de penser malgré tout que c’est une accroche plus juteuse que ’un homme sort avec une femme d’âge approprié’ », minimise-t-il. «  Juteux », c’est le mot…

Il y a beaucoup d’amertume dans la dernière partie de ses mémoires. On le sent parfois découragé, bien que toujours combatif. Le plus douloureux peut-être : se sentir « trahi » par « The Grey Lady » (le New York Times), le journal qu’il a vénéré toute sa vie. Mais il crâne encore : «  À la différence de bien des pauvres âmes détruites par les listes noires du maccarthysme, j’étais moins fragile. » Et puis, « être un paria offre quelques avantages : on ne vous demande pas sans arrêt de monter sur un podium ». Son principal souci : «  que les salles de cinéma ferment les unes après les autres à New York. Il y aura toujours des films. Mais, avec le virus, les gens vont hésiter encore longtemps à retourner dans les salles et les services de streaming vont sortir les films directement. Regardez ’Hamilton’ ! (NDLR : la comédie musicale dont Disney + va anticiper la diffusion) », s’alarme-t-il.

« C’eût été indigne de ne pas publier les mémoires de Woody Allen », confie aujourd’hui Jack Lang, son ami de longue date qui continue à le voir régulièrement. « De Prends l’oseille et tire-toi à Match Point, son oeuvre est considérable. En France, il est encore adoré par les gens, les amoureux du cinéma et les acteurs, assure l’ancien ministre de la Culture. Aux Etats-Unis, il est victime d’une forme de maccarthysme culturel. C’est un climat épouvantable. De toute façon, l’artiste demeurera. Il est révoltant de le museler dans son propre pays sur la base d’accusations non fondées. » Gilles Jacob l’assure lui aussi : « Il est évident qu’il restera dans l’histoire du cinéma : il sera forcément redécouvert. » Il y a vingt ans, sa biographe, Marion Meade, le décrivait comme « un coureur de fond qui se joue du monde en adolescent attardé et désabusé ». Dans son cas, séparer l’homme de l’artiste relèverait tout simplement d’une mission impossible…

Une carrière entre deux continents

Le cinéaste aux quatre oscars et aux 24 nominations n’a pas toujours été boycotté à Hollywood. Outre sa soeur cadette, Letty Aronson, qui l’a accompagné comme productrice exécutive sur la moitié de ses films, il a été produit par Orion Pictures dans les années 1980, puis par Sony Pictures et les frères Weinstein, et même Amazon Studios avant leur rupture de 2018. À partir de 2004, alors qu’il prépare Match Point, ne trouvant plus de financement aux Etats-Unis, il se tourne vers Londres et l’Europe où il réalisera ses huit films suivants, jusqu’à son retour aux Etats-Unis pour L’Homme irrationnel (avec Joaquin Phoenix et Emma Stone, sorti en 2015). Ses deux plus gros succès commerciaux au box-office sont Minuit à Paris (2011) et Café Society (2016), son plus gros budget à ce jour (30 millions de dollars). D’année en année, ses films ont enregistré une tendance à la baisse outre-Atlantique, mais pas en France, où il fait plus d’entrées qu’aux Etats-Unis en moyenne, si l’on rapporte ses scores à la population. Le secret de Woody ? Un calibrage soigneux des budgets et un public fidèle en Europe.

Pierre de Gasquet, Les Echos.

LIRE AUSSI : Elisabeth Roudinesco : « Woody Allen, ce n’est ni les Atrides, ni les Damnés »

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Woody en passant

par Steven Sampson

L’autobiographie de Woody Allen vaut le détour. Au-delà de l’anecdote, Soit dit en passant se demande : qu’est-ce qu’être new-yorkais ? qu’est-ce qu’être drôle ? qu’est-ce qu’être un intellectuel ? Autrement dit : le sketch peut-il acquérir un statut littéraire ?

Woody Allen, Soit dit en passant. Autobiographie. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville et Antoine Cazé. Stock, 540 p., 24,50 €

Aimer Maria de Lourdes Villiers Farrow (dite Mia Farrow) a-t-il une valeur métaphysique ? Mère du diable dans Rosemary’s Baby de Roman Polanski, ensuite mère du pourfendeur des diables (dont le même Polanski) – Ronan Farrow –, l’ancienne épouse de Woody Allen est à l’épicentre d’une guerre eschatologique entre le Bien et le Mal. D’un côté, la magnifique blonde chrétienne, héroïquement maternelle, à l’écran comme dans la vie, accouchant de prophètes destinés à bouleverser la Jérusalem moderne, capitale de la judéité américaine, New York. De l’autre, des Juifs puissants et libidineux. Soit dit en passant arrive en plein conflit, que l’auteur – l’une des cibles principales du fils Farrow – ne peut passer sous silence. Il prend donc les armes pour lancer une contre-attaque, qui occupe une bonne partie du livre, objet hétéroclite – moitié récit brooklynesque irrévérencieux, moitié argumentaire juridique. Y a-t-il un fil conducteur ? Le petit futé de l’Avenue J était-il condamné d’avance à finir sur le banc des accusés, entre Epstein et Weinstein, pour attendre le verdict d’un procès médiatique sans fin ?

Avant l’indiscrétion des photos de Soon-Yi laissées sur la cheminée et découvertes par sa mère adoptive, Woody Allen a eu une première vie, celle d’un humoriste, d’un scénariste et d’un cinéaste. S’en souviendra-t-on ? Si seulement il avait pu mourir d’hypocondrie à soixante ans ! On aurait continué à se pencher sur sa filmographie, aspect de sa vie de plus en plus secondaire.

Lire ce Bildungsroman permet de retrouver son style impie et sarcastique. Cela commence à Brooklyn – where else ? – avec une généalogie, procédé caractéristique. On est dehors et dedans, le narrateur se moque de son personnage, comme dans ses films, où le héros brise le quatrième mur pour solliciter l’avis du spectateur, en se comparant à Holden Caulfield, le héros de L’attrape-cœurs (orthographié « Caulfied » dans la traduction).

La traduction de cet incipit pose d’ailleurs problème. «  Like Holden, I don’t feel like going into all that David Copperfield kind of crap, although in my case, a little about my parents you may find more interesting than reading about me » : « Woody » n’a fourni ni le patronyme du héros ni le titre du roman de Salinger. Pourquoi ? Pour créer une complicité, évoquer une culture commune. Hélas, les traducteurs optent pour l’explication à l’adresse du public français. Ainsi donc la comparaison avec les parents est supprimée et, avec elle, l’autodérision. Enfin, «  David Copperfield kind of crap » brille par sa concision et son allitération ; contraints par la syntaxe française, les traducteurs n’ont pas pu les retenir. La voix de Woody Allen se dissipe.

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Woody Allen (vers 1970) © CC/Jerry Kupcinet

Dans le portrait des parents se manifeste déjà la perpétuelle tension entre le criminel joyeux et le bosseur coincé – le père étant arnaqueur au billard et bookmaker, « aux cheveux noirs gominés et plaqués sur le crâne à la George Raft dans Scarface » –, ligne de crête traversant tout le livre. Ainsi que la confusion entre vie réelle et cinéma – papa ressemble à un acteur. Enfin, troisième élément annonciateur de la suite : l’amalgame du sketch et de l’autobiographie, apparent lorsque Woody Allen insiste sur la ressemblance de sa mère avec Groucho Marx – et ce n’est pas une blague !

On songe à la maison de miroirs à Coney Island, quartier de Brooklyn lui servant parfois de décor (Annie Hall, Wonder Wheel) : Woody Allen aime jouer à l’autofiction, il casse le récit linéaire, portant un regard ironique, voire dévastateur, sur son propre discours. J.-B. Pontalis explique que le trait d’esprit, le witz, selon Freud, « met en rapport des choses qui ne sont pas faites pour aller ensemble, il les condense, il les combine, ou mieux il les marie, le plus souvent dans une “mésalliance”  ».

Cette mésalliance, Woody Allen l’incarne : serait-il un witz ambulant ? À la fois éthique et escroc, macho et pleurnichard, Juif et athée, sportif et pantouflard, cynique et romantique, mal habillé et séducteur, érudit et se moquant de l’intellect, il semble accueillir dans son minuscule corps roux – la couleur du diable – des essences incompatibles et hautement inflammables. D’où de récurrentes références cinématographiques à l’«  hostilité », qualité que le héros reconnaît en lui, analyse confirmée par ses maîtresses et son psy.

Pourtant, il n’y a pas d’ambivalence dans son amour pour Manhattan, plus précisément le quartier de l’East Side, celui de la bourgeoisie WASP. À travers ses yeux d’enfant, on partage ici son émerveillement lorsqu’il regarde l’île de l’autre côté de l’East River : l’affiche du film Manhattan résume la trajectoire de sa vie. On apprend combien il en rêvait, fixé sur des films des années 1940, où des citadins élégants, habillés en smoking et en robe de soirée, boivent du champagne dans des penthouses spacieux. Telle Mia Farrow dans La rose pourpre du Caire, il souhaite se mêler à eux. Les moyens de sa réussite sociale : le sketch. Il a débuté au lycée, envoyant des blagues à des chroniqueurs par la Poste ; on connaît la suite.

Mais justement, quel fut l’ingrédient secret de ses phrases percutantes ? De quelle mésalliance alchimique s’agit-il ? L’autobiographie en donne la clé, parce que Woody Allen fut d’abord écrivain. Il insiste sur la primauté du scénario, lui qui a collaboré avec des génies de l’image comme Gordon Willis ou Sven Nykvist. Les choses drôles ici semblent sorties des films, avec cette alliance singulière du sérieux et du frivole, du conceptuel et du charnel. C’est typiquement new-yorkais : principal port d’entrée aux États-Unis, la ville réunissait des immigrants européens pour les américaniser. À mi-chemin entre l’Europe et l’Amérique profonde, sa culture – une mésalliance ? – mélangeait la tradition européenne et le vide spartiate du Midwest. Les termes yiddish disséminés dans le texte – « oy vey », « schlemiel », « vontz », rendus en vernaculaire dans la version française – trahissent une judéité perdue, de même que les citations érudites dans ses films – Strindberg, Ibsen, Kierkegaard, Tolstoï, Pascal, Kant, Bergman, Fellini – renvoient à une autre branche de la culture européenne. Woody Allen est collé à New York – même Minuit à Paris était conçu pour Manhattan : son empirisme érudit éclot sur cette île.

La Shoah vient compliquer l’équation, cette preuve supplémentaire du « sérieux » européen. Comment traduire l’horreur en dialecte local ? Elle fournit de nombreuses chutes : avec sa comique reductio ad Hitlerum, Woody allège l’Histoire, tout en l’utilisant pour terrasser les ploucs de l’arrière-pays. Annie Hall (Diane Keaton) veut assister à une soirée avec un producteur de musique (Paul Simon) ? Woody l’emmène voir Le chagrin et la pitié. En même temps, comme tant d’autres juifs américains (voir Les producteurs de Mel Brooks), il ressent une fascination pour les nazis, voire une identification avec eux, d’où sa célèbre blague (toujours à double tranchant) sur la musique de Wagner. Et si, finalement, il était victime de sa haine de lui-même…

Mais Woody se veut sauveur, d’où son engluement dans le « complexe de Rosemary ». Dans le film de Polanski, John Cassavetes, le mari cocu, présente les traits attribués aux immigrants récents : il est basané et nerveux, ambitieux et vénal. Il n’a aucun scrupule à vendre sa jeune épouse au voisin. Il ne tient pas à sa paternité, la santé de sa compagne lui importe peu par rapport à sa carrière au théâtre. Le récit du couple Farrow-Allen – leur faible intensité érotique, l’obsession maternelle de Maria de Lourdes, le peu de temps passé ensemble – fait penser au film. Est-on encore dans une maison de miroirs ? Uniquement des acteurs ! Woody ne prend-il pas plaisir à filmer sa compagne en des bras étrangers ? Mia ne vit-elle pas sur Central Park West, l’avenue du Dakota, l’immeuble de Rosemary ? Manhattan est-il le siège du Diable ?

Dans les films de Woody, cela se passe autrement : on y trouve des crimes et des délits, mais sans dimension métaphysique. Il y a un côté léger, l’action est constamment diluée par un jazz en fond sonore, personne ne fait de mal à personne. C’est comme dans un sketch : on rit de tout, même de Goebbels.

En attendant Nadeau, 2 juillet 2020.

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Woody Allen s’exprime

C à Vous - 06/09/2019

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Woody Allen répond au questionnaire de Bernard Pivot

Bouillon de Culture, 13/01/1995.

— Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous l’entendre vous dire après votre mort ?
— Je te pardonne. Si Dieu existe, je risque d’avoir de gros problèmes.

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