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Délivrance, le face à face Clavel-Sollers de 1976.

D 4 février 2008     A par D. Brouttelande - Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Date de création : 17/09/2006

Dernière mise à jour : 17 novembre 2013.

Du 19 au 23 juillet 1976, France Culture diffuse cinq entretiens entre Maurice Clavel et Philippe Sollers, réunis six mois plus tard dans un livre intitulé « Délivrance » publié aux Editions du Seuil. Ce livre d’entretiens contient également, en épilogue, une conversation supplémentaire du 31 octobre 1976, que la mort de Mao a suscitée...

Le Face à Face Sollers-Clavel
Les enregistrements radiophoniques
Quelques extraits du livre
La critique de Michel Bosquet, alias André Gorz : Dieu et ses ombres
Spéciale Mao — Pékin, place Tian an men, 15 septembre 1976
Sollers parle de Clavel, 4 juillet 1977


« — ... Je commencerai par une apparente anecdote : j’ai eu un rêve — peut-être n’ai-je pas eu véritablement ce rêve, mais supposons que je l’ai eu. J’ai donc rêvé de Marx, de Lénine et de Mao, après sa mort, me disant tous les trois : « Ce marxisme quand même, quelle merde ! ». Les événements actuels en Chine me paraissent être une véritable tragédie. Et je suis très étonné de la relative passivité avec laquelle ils sont appréhendés par l’opinion et par l’information. C’est la raison de ma manifestation. Revenons un peu sur ma propre histoire.

C’est en 1966, précisément à cause de la Révolution culturelle, que je me suis intéressé au marxisme. Je ne m’y serais peut-être pas intéressé autrement. Mao, en effet, à l’époque, semblait réinventer l’horizon, clos par Staline, de la révolution. Et la conjonction, pour moi, entre la culture chinoise que j’ai toujours sensuellement et intellectuellement aimée et la promesse d’un dépassement du cancer stalinien par un autre conception, ouverte et inventive, retrouvant l’intelligence pratique de l’action révolutionnaire, cette conjonction, donc, suscitait en moi les plus grands espoirs : peut-être allait-on avoir enfin une révolution qui dépasserait la révolution devenue contre-révolution en URSS... A mon avis, Mao a prolongé, pour nous, la vie de ce qu’il faut bien appeler, aujourd’hui, l’illusion marxiste, et cela pendant les dix dernières années. »
p 132-133.

«  — ... Mai 68 n’aurait pas eu lieu, je pense, sans le tremblement de terre qui venait alors de Chine : les villes soulevées, la jeunesse dans les rues, la migration sensationnelle de populations brusquement en état d’interpellation, les dazibaos, les affiches contradictoires, bref, tout un art politique de masse couvrant les vieux murs de la résignation humaine. Tout cela était comme la préfiguration d’un soulèvement planétaire, une crise sens dessus dessous de la pyramide du pouvoir. Pour la première fois, un pouvoir semblait se contester lui-même ! Ce moment, en tous cas, restera comme une des grandes dates récentes de l’Histoire ; comme la Commune de Paris, comme Mai 68...

J’ai pensé, en 1968 et depuis, que la pensée de Marx était réinventée de fond en comble, vivifiée, ressuscitée, prenait une dimension nouvelle. Secrètement, pourtant, je m’étais fixé une limite : celle de l’attitude de la révolution chinoise à l’égard de la mort de Mao. S’il y avait mausolée, je considérais que la tragédie de l’impasse marxiste recommençait.

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Mausolée de Mao Zedong, 9 septembre 2006
Des milliers de personnes ont fait la queue, place Tien an Men pour entrevoir le corps embaumé du " Grand Timonier " à l’occasion du 30e anniversaire de sa mort - 2006/REUTERS/Claro Cortes IV

A la mort de Lénine, la Révolution soviétique était déjà profondément compromise, et Lénine lui-même en était conscient. Or, il a suffi de momifier et d’exhiber Lénine pour que commence une inversion généralisée des signes : Staline est apparu comme un modéré, un homme d’ordre. Nous avons découvert plus tard sur quoi se fondait cet ordre : la terreur et le fait concentrationnaire. Alors, je pose la question : qu’y a-t-il d’aussi mortifère dans le marxisme, pour qu’il se transforme en répression au nom du culte des morts ? Pourquoi cette sinistre parodie des mausolées de Lénine et de Mao, au nom desquels Brejnev et Hua Kuo-feng, les petits hommes pressés de l’administration policière, vont désormais s’entendre ?

Vous voyez, Clavel, on en revient toujours au problème du grand homme. Le grand homme dit qu’il ne faut pas s’occuper de lui, mais de sa pensée, comme catégorie de l’universel. Sur quoi on le transforme en momie, ce qui veut dire : « Cause toujours... » Et le voilà réduit à l’état de citation justifiant n’importe quoi. Il suffit de s’assurer de l’armée et de la police. »
p 136-137.

«  — ... Tout, en Chine, s’est joué autour de l’interprétation du cadavre. Pendant quinze jours, à la surprise de tous les observateurs mondiaux, on n’a pas su ce qui était arrivé au cadavre de Mao. Et puis il y a eu le coup d’Etat. Les Russes l’attendaient avec passion. Ils l’ont eu. La normalisation plus ou moins secrète des deux sociétés, soviétique et chinoise - c’est-à-dire leur accord sur la toute-puissance de la bureaucratie et du parti -, n’est plus qu’une question de temps et d’apparences...

Mao a échoué, comme Marx, comme Lénine, comme la Commune de Paris, comme Mai 68. Le paysage, de ce point de vue, est accablant. Une fois de plus, on part pour l’abolition de l’Etat et on arrive à son renforcement maximal. On part de l’autodétermination des masses et on arrive à leur anesthésie, à leur manipulation. Il y a là un problème terrible. Des exceptions viennent rétablir la règle : est-ce qu’on peut dire, alors, que la règle avance ? Peut-être, mais à quel prix ! Je crois que l’humanité reste en proie à la passion religieuse. Celle-ci n’est jamais si patente qu’autour du problème de la mort. Quoi de plus simple, en effet, que de refermer l’horizon sur la terreur et le respect sacré du cadavre ? C’est, si vous voulez, une vieille histoire égyptienne... Jamais l’analyse de Freud sur la fonction du père mort n’a été autant d’actualité. Il y a, pourrait-on dire, comme une passion nécrophile de l’humanité. C’est la fascination pour la lettre qui tue, la lettre morte. Après tout, le Christ aussi, dans sa simplicité grandiose, serait bien étonné s’il pouvait juger du christianisme ! »
p138-139

Philippe Sollers, 1976, in Délivrance, Face à face M. Clavel/Ph Sollers, Seuil/Points, 1977.

L’entretien relatif à Mao a été tenu hors antenne, alors que le cycle des cinq entretiens prévus était terminé. Mais grâce à la Radio Suisse Romande et à Christian Ciocca, animateur de l’émission « L’horloge de sable », nous pouvons écouter le deuxième entretien consacré à « La crise du marxisme (Extrait du portrait de deux heures intitulé « Sollers écrivain baroque »).

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Reprenons depuis le début.

Face à face Sollers-Clavel
Les enregistrements radiophoniques

Vous pouvez écouter ci-dessous quatre des cinq entretiens enregistrés :

1. L’entretien du lundi 19 juillet 1976 : Mai 68

[L’entretien commence après la chanson de Joan Baez]

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2. L’entretien du mardi 20 juillet 1976 : la crise du marxisme et de toutes les philosophies

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3. L’entretien du mercredi 21 juillet 1976 : le renouveau de la spiritualité

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Le quatrième entretien, indisponible, portait sur l’angélisme (à propos de l’essai de Guy Lardreau et Christian Jambet, L’Ange).

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5. L’entretien du vendredi 23 juillet 1976 : la religion chrétienne est-elle la vraie religion ?

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Quelques extraits du livre

Pour Julie

lundi 19 juillet 1976 : Mai 68.

Ph. Sollers : « Il me semble que l’expression « crise de civilisation » qui a été employée pour conjurer aussi le spectre de Mai 68... n’est pas un mauvais terme, quand même, car cette expression de « crise de civilisation » renvoie à fond à ce que Freud, déjà avant la guerre, appelait un « malaise dans la civilisation ». Cette explosion de 1968 l’a mis en pleine lumière. Ce qui s’est passé là, c’est la possibilité, à mon avis, de commencer à revenir sur toute une histoire muette, à revenir et à faire surgir, du fond des charniers, l’impossibilité, pour notre culture et pour notre civilisation, d’entrer de façon contemporaine dans son propre siècle, d’être contemporaine d’elle-même, l’impossibilité où se trouve ce bizarre XXe siècle, avec encore une fois, la complicité de tous les appareils, qu’ils soient religieux, qu’ils soient politiques, qu’ils soient ce que vous voudrez - car ils en ont lourd sur les mains par rapport à cette histoire du Xxe siècle —, l’impossibilité, donc, de poser justement la question du négatif de ce XXe siècle, qui est pour moi, qui est sans doute, pour nous... qui est pour moi deux choses. L’aventure fasciste en Europe et la question stalinienne.
[...] je crois qu’on est en train d’essayer aujourd’hui d’assassiner en refoulant 1968, c’est tout simplement la mémoire de ce XXe siècle purulent, terrible, car quelque chose est apparu en plein jour, comme étant la face négative, le refoulement originaire, peut-être, pour parler comme Freud, de l’histoire elle-même. Ce qu’on essaie d’assassiner, c’est tout simplement la vie. »

« Qu’est-ce qui m’a bouleversé en Mai 68 ? Voyons, je suis écrivain, un écrivain qui a des positions politico-philosophiques, lesquelles essayaient de se situer, à l’époque, autour du parti communiste. Je n’étais pas membre du parti communiste, mais je pensais que la continuation de l’Histoire passait forcément par là. Qu’est-ce qui m’est arrivé en 1968, de mon côté, et pour vous répondre ? Comment s’est manifestée concrètement cette irruption du sujet ou, si vous préférez, de l’Esprit au sens hégelien ? C’est que j’ai vu le parti communiste, j’ai vu la gauche, je me suis vu moi-même en train de ne rien comprendre à ce qui arrivait. Comme idéologue, je ne comprenais pas : mais, comme écrivain, oui. J’ai vécu l’irruption d’une langue vivante dans une langue morte. Et je vais tout de suite à quelque chose qui me paraît clarifier les prises de position. Je crois que c’est le langage de Mai 68 qui fait son relief, sa grandeur et qui est annonciateur de quelque chose.

[...] Le langage, je ne veux pas dire simplement les inscriptions, je veux dire la façon d’être, de vivre, la façon d’avoir un corps, la façon de mettre ce corps en relation avec d’autres corps, le langage au sens large... »

mardi 20 juillet 1976 :

Ph. Sollers : « La lumière noire et rieuse de Mai venait de l’anarchisme, du dadaïsme, du surréalisme... Et je voudrais citer, parce qu’ils sont un peu absents du débat, des gens qui sont extrêmement importants, et peut-être c’est eux qui avaient inscrit sur les murs la formule que vous avez repérée tout à l’heure : « Le marxisme est l’opium du peuple ».

Maurice Clavel : Retournant contre Marx, je le rappelle, ce qu’il disait de la religion.

Ph. S. : Cette phrase est typique de l’esprit situationniste.

M. C. : Les vrais précurseurs.

Ph. S. : Les vrais, oui, mettons les choses au point pour ne pas tenter de constituer une hégémonie sur les forces révolutionnaires. Les situationnistes sont des gens qui ont fait un certain travail souterrain jusqu’en 1968. Les idées motrices de l’époque ont presque toutes été situationnistes, bien plus que « marxistes » au sens du marxisme dogmatique caricatural. Le livre important paraît, là, en 1967, c’est La société du spectacle de Debord.

M. C. : A quoi j’ajouterai le Traité du savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Vaneigem.

Ph. S. : Et la revue l’Internationale situationniste. Ce sont des gens qui ont senti, pressenti, écrit la nouveauté qualitative de la révolte. Or, précisément, ce qui reparaît chez eux et avec eux, c’est un sens aigu, dans la formulation même, de la dialectique hégelienne. Sa souplesse, son intelligence, son « ironie ». Ils ont montré concrètement qu’un intellectuel révolutionnaire devait être comme un poisson dans l’eau du débordement contestataire et, surtout, un spécialiste de la compréhension du spectacle, le spectacle étant la nouvelle dimension de l’adversaire idéologique suprême, absolu. Cela encore à venir... »

mercredi 21 juillet :

« Un spectre hante l’Europe, le spectre d’un nouvel Hamlet, et c’est pour cela que je me permet de poser la question aujourd’hui : est-ce que nous allons aller, maintenant, de plus en plus dans le sens de cette créativité concrète qui a été celle de 1968 ? Est-ce que nous allons aller dans le sens d’une renaissance ?

[...] De deux choses l’une : ou bien nous sommes dans une époque qui ne sait pas, sauf par explosion, comment parler et vivre une renaissance, qui sera peut-être aussi fabuleuse (ça, c’est mon espérance) que la Renaissance avec un grand R ; ou bien nous allons vivre à nouveau une régression. Je pense à Shakespeare : Renaissance, pour moi, veut dire Shakespeare. Est-ce que nous allons assister à une créativité qui ne sera pas seulement celle du génie, mais une créativité tout autre, dans une communauté et dans un espace interne tout autre ? Sommes-nous à la veille de cet accouchement, par convulsions ? Ou bien allons-nous, au contraire, revenir ou rester dans une sorte de Moyen Age qui sera le retour des vieux fantômes religieux ? »

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La religion nous cache Dieu ; le marxisme nous cache Marx ; le langage nous rend inaptes à prendre la parole ; l’humanisme nous rend inaptes à devenir hommes. Que faire ? Pour commencer, écouter en silence.
Et c’est bien, finalement, le silence originaire où prend sa source toute parole que parviennent à produire, par un flot de mots prononcés en six fois vingt-cinq minutes de dialogue, deux intellectuels célèbres à la fois proches et aussi dissemblables que possible : Maurice Clavel et Philippe Sollers.
Pour tous les deux, Mai 68 fut une révélation qui changea l’orientation de leur vie. Chez le plus jeune, Philippe Sollers, qui, nourri de Lacan et d’Althusser, de Marx et de Freud, avait été proche du parti communiste, Mai déclencha un retour sur soi de la conscience : il se découvrit sujet, en révolte contre le cours du monde et en désaccord avec l’univers objectif du discours. Ce fut le début d’une radicale remise en question personnelle. La philosophie cessa d’être la matrice de la pensée « juste » pour devenir la lumière qui se donne une action qui refuse l’impossibilité de l’impossible. Après un passage par le maoïsme, Sollers entreprit de liquider ce qu’il restait de dogmatique et de religieux dans sa pensée. On verra, dans le dernier dialogue, le plus prenant des six, qu’il réussit cette libération.

Sauter dans l’inconnu

Chez Maurice Clavel, au contraire, Mai marqua l’irruption de Dieu dans une conscience qui, transpercée par la foi, fut soudain arrachée à elle-même et confrontée à une exigence absolue qui à la fois la porte et la dépasse absolument, faisant éclater les catégories de la pensée et tomber la philosophie en ruine. Que pouvaient bien se dire ces deux hommes ? L’un, Sollers, cherchait à retrouver l’intention originairement subversive de la philosophie, tandis que l’autre, Clavel, était désormais convaincu que la philosophie ne permettait plus de rien comprendre. Ecoutez plutôt :

CLAVEL — Je n’ai pas vu en Mai le retour de la religion — oh non ! — mais peut-être de la foi et à coup sûr d’une transcendance, d’un infini, d’un inépuisable en fécondité existentielle et historique dans une société dont les philosophies s’exténuaient et ne servaient plus guère qu’à faire entrer des gens dans le circuit de la hiérarchie des pouvoirs. Alors, pourquoi, Sollers, vouloir les ressusciter ces philosophies qui sont toutes de pouvoir, ou inspiratrices, ou instruments, ou complices de pouvoir ?

SOLLERS. — Il y a une pensée de Marx sur l’histoire, il y a une pensée de Freud sur l’inconscient et ces pensées ne sont pas réductibles aux entreprises plus ou moins atroces, douteuses, rentables qui, sous le nom de « marxisme » et de « freudisme », se sont construites dessus. Ce qui m’intéresse, moi, c’est en quoi ce sont des pensées, en retrouvant leur inspiration profonde, critique.

CLAVEL. — Mais, moi, je vous demande de sauter dans un inconnu qui vient tout fracturer et au regard duquel l’héritage de vos génies philosophiques apparaît et apparaîtra comme un fatras. Je vous demande de vous renouveler vous-même, au nom même de cette créativité qui sourd de toute part, qu’on rejette en vain dans les marges et qui, selon moi, va resurgir probablement par vous plus que par moi, puisque vous êtes plus jeune que moi. Alors, soyez ce que vous êtes plutôt que d’être de votre temps.

Que faire contre les exhortations d’un mystique dont le rapport à Dieu ne passe pas par la religion et dans l’intuition transcendantale déborde et conteste la pensée ? On peut attaquer la religiosité, non une foi qui s’assume comme telle. Il ne reste à Sollers qu’à montrer que la pensée sans la foi peut être au moins aussi révélante que la foi sans la pensée.

SOLLERS. — Comment se fait-il que ce soit le langage de la modernité, combattu par tous les pouvoirs totalitaires, qui ait porté, parlé la révolte de 1968 ? Les individus qui ont fait la culture du XXe siècle ont été traités pendant cinquante ans soit de dégénérés, soit d’esthètes élitistes, hermétiques, et, brusquement, ce sont leurs mots, leurs espoirs que manifestent la rue ! [...] Quand je dis « être de son temps », cela veut dire : essayer de prendre à bras-le-corps tout ce qui a émergé depuis une dizaine d’années, dans cette crise, comme nouvelles formes de vie et de pensée, comme nouveaux corps, essayer de faire crier, parler, agir tout cela contre tous les appareils qui sont aujourd’hui en complicité parfaite - que ce soit le pouvoir ou l’Union de la gauche - pour chercher à le faire taire, tout en le tolérant et le marginalisant. Et j’ajoute que pour cela nous n’avons pas besoin de Dieu.

CLAVEL. — Si vous n’admettez pas que c’est Dieu qui revient — Dieu, bien sûr, intime à l’homme pour le faire ou le refaire Homme — alors vous allez au Néant : pas de milieu. C’est du côté de Dieu, de l’Esprit, de l’Ame, de l’Ange, de la transcendance qu’est le seul fondement non seulement historique mais ontologique de la révolte, sans quoi vos révoltes seront toujours baisées d’avance !

Le scandale majeur

Le dialogue devient impossible : la foi ne se discute pas, Sollers ne parviendra à prendre et à garder la parole que lorsque, à propos de la mort de Mao. il évoquera sa propre foi : celle qu’il a perdue et n’entend point échanger contre une autre :

SOLLERS. — J’ai rêvé de Marx, de Lénine et de Mao, après sa mort, me disaient tous les trois : « Ce marxisme quand même, quelle merde ! ». Les événements actuels en Chine me paraisse une véritable tragédie. Tous ceux qui représentaient la « révolution culturelle » sont arrêtés, liquidés, empêchés de s’exprimer. C’est très grave ; car même Trotski, expulsé par Staline, a pu parler au nom de l’histoire mondiale et dire ce qui se passait en U.R.S.S. [...].
Mao a échoué, comme Marx ; comme Lénine, comme la Commune de Paris, comme Mai 68. Le voilà transformé en momie, réduit à l’état de citations justifiant n’importe quoi. Il suffit de s’assurer l’armée et la police. Une fois de plus, on part pour abolir l’État et on arrive à son renforcement maximal [...].
La politique est toujours, quelque part, fondée sur la pourriture. Mais que le marxisme soit devenu, aujourd’hui, la religion la plus contraignante, voilà, à mes yeux, le scandale majeur [...]. Nous étions dans l’ère psychiatrique et chimique. Partout, aujourd’hui, la pensée est en résidence surveillée... A mon avis, Mao a prolongé, pour nous, la vie de ce qu’il faut bien appeler [...] l’illusion marxiste, et cela pendant les dix dernières années.

CLAVEL. — Je ne savais pas que vous aviez adhéré au marxisme, en dernière instance, grâce à la « révolution culturelle ». Autrement dit, grâce à ce qui le dépassait, peut-être même le niait !... Mais au fait : vous venez de dire « l’illusion marxiste ». Serait-ce au sens définitif où Freud parlait de « l’illusion religieuse » ?

SOLLERS. —Oui. On croit dépasser la religion et on la rétablit sous sa forme la plus répressive... Ah ! qui nous débarrassera de la religion ?

CLAVEL. — La Foi ! Rien que la Foi !

Cette fois, étant arrivé au terme de ce compte rendu, je proteste : le « rien que » est de trop selon les principes de Clavel lui-même. Que la foi — celle pour laquelle « Dieu est Dieu » c’est-à-dire le pôle absolument transcendant d’une tension qui prend sa source au coeur le plus intime de la conscience et la fonde — défende contre l’idolâtrie fanatique, dogmatique et bornée de causes et de choses successives, je l’accepte : elle est il l’origine de l’« ouverture » des meilleurs des chrétiens. Mais, quand il rencontre enfin cette ouverture chez un athée comme Sollers, pourquoi, au lieu de communiquer avec lui, Clavel barre-t-il le dialogue en exhibant cette foi ostentatoire ? En vertu de sa foi même, il devrait se convaincre que « Dieu reconnaîtra les siens », qu’ils croient croire ou non, et qu’Il n’aime point qu’on invoque son nom en vain. C’est en athée serein que je le dis.

Michel Bosquet, Le Nouvel Observateur, lundi 28 février 1977 [1].

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Spéciale Mao

TF1, 15 septembre 1976

Place Tian an men à Pékin. Foule attendant pour voir la dépouille de Mao. Bâtiment du congrès nationale populaire (intérieur) gens en pleurs s’inclinant devant Mao. La dépouille dans un cercueil de verre. Les dignitaires du régime. Militaires en pleurs. Deux femmes se précipitent sur le cercueil de verre. Chinois en pleurs devant la dépouille. Foule sur la grande place de pékin.

Quand un agent de la société du "spectaculaire diffus" commente un événement religieux majeur du "spectaculaire concentré"... [2]

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Sollers parle de Clavel

A Vézelay, seul ou entouré d’amis philosophes, André Glucksmann, Philippe Sollers, Guy Lardreau, Christian Jambet et Michel Foucault, Maurice Clavel s’entretient avec Antoine de Gaudemar.
Dans ces deux extraits, Philippe Sollers dit ce qui le rapproche de Clavel avec qui il a écrit Délivrance.

4 juillet 1977, TF1, La part de vérité.

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L’émission complète à commander sur le site de l’INA.


[1Michel Bosquet est le pseudonyme qu’utilisait le philosophe André Gorz, penseur de l’écologie politique, dans ses critiques du Nouvel Observateur au cours des années 1970.

[2J’emprunte ces concepts à Guy Debord.

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