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Bachelot ou Mitchum ? Mitchum !

Spectacle et cinéma

D 23 juillet 2020     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Spectacle

Dans le dernier numéro de Charlie Hebdo, Yannick Haenel pousse un coup de gueule. Motif : la nomination au ministère de la culture de la star de la télé, Roselyne Bachelot. On l’a beaucoup vu et entendu, la joviale Roselyne, à l’occasion de l’épidémie du coronavirus. Elle donnait son avis sur tout : la maladie, les médecins, Raoult, la chloroquine, et, bien entendu, les masques. Quelle experte ! En fait, Bachelot tenait sa revanche. Qui ne se souvient de l’épisode de la grippe H1N1 ? Sollers écrivait à l’époque dans son journal du mois (JDD, août 2009) :

La montée en puissance de Roselyne Bachelot me paraît fatale. Voilà une femme qui n’a rien à voir avec un nietzschéisme quelconque, et surtout pas mortifère. Elle vous soigne déjà, pauvres grippés du futur, c’est votre infirmière tenace et maternelle, elle n’a pas d’homme visible auprès d’elle, sa carrière tout en douceur ne fait que commencer, c’est elle la star sociétale de base. Ecoutez ses conseils : lavez-vous les mains, portez votre masque, évitez d’éternuer sur vos voisins, n’embrassez plus personne, surtout pas dans les bureaux, dans les rues, et même chez vous. Le mois de septembre s’annonce terrible. Soyez soupçonneux, disciplinés, craintifs, allez aux toilettes toutes les dix minutes, sachez discerner les infectés potentiels, le virus tourbillonne déjà dans l’air, vorace, invisible, sans aucune pitié. Mais rassurez-vous : Bachelot veille, elle vit la vie du bon coté, en rose, vous lui devrez peut-être la vie ou celle de vos enfants. A partir de là, pourquoi pas Bachelot Présidente ? Ce serait la surprise des prochaines années sociétales, écologiques, centristes, centrales, portées par un vaste mouvement de prophylaxie morale. Le préservatif, c’était bien, le masque, c’est mieux.

Sollers avait tout prévu : onze ans plus tard, le programme est appliqué à la lettre. Mais, à l’inverse de ce que pensait Marx, la deuxième fois, la farce est devenue, en partie, tragédie. Sollers s’est quand même trompé sur un point : Bachelot n’est pas Présidente, mais, après avoir renoncé « définitivement » (comme d’autres) à la vie politique, la voilà Ministre de la culture. Espérons que ce changement de programme ne lui donnera pas la grosse tête. Sincèrement passionnée d’opéra (Verdi plus que Mozart), l’une de ses premières déclarations a été : « Nous allons nous employer à sauver cette vitrine extraordinaire pour la France. Je suis une fille de l’Opéra de Paris et je vais en devenir une mère !  » Maman ! (Soupirs).

Cinéma

On le sait (surtout depuis la publication de Jan Karsky et de Tiens ferme ta couronne), Haenel, contrairement à beaucoup d’écrivains (dont Sollers), est un grand cinéphile. Je reprend le mot désué, anachronique, de « cinéphile » à dessein. Est-il aussi boulimique que le personnage de ses romans, Jean Deichel ? Je n’en sais rien. Mais si Sollers a écrit « contre le cinéma », Haenel écrit « avec » (« tout contre »). Je crois que c’est Jean-Paul Fargier qui a dit que la lecture des films que proposait Haenel renouvelait la critique de cinéma (qui d’ailleurs, comme la critique littéraire, est bien mal en point). C’est vrai, Haenel permet la « seconde vue. » Il réconcilie en chacun les amoureux du cinéma et les passionnés de littérature (je l’avoue : c’est mon cas).

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Haenel revient dans Charlie sur la figure de Robert Mitchum à la fossette aussi légendaire que celle de Kirk Douglas. Il cite trois de ses quelques cent-trente films : Les Nerfs à vif (version Thompson ou version Scorsese ?), La Fille de Ryan et, bien sûr, La Nuit du chasseur, le film culte de Charles Laughton. J’aurais ajouté, parmi tant d’autres, côté drame, Celui par qui le scandale arrive de Minnelli (revu récemment) et, côté western, Eldorado de Hawks, où l’acteur atteint les sommets du comique (ah ! la scène du bain !). Comme Mitchum est aussi l’un de mes acteurs américains préférés — avec James Stewart (chez Mann ou Hitchcock), Kirk Douglas (Minnelli, Kubrick), Cary Grant (chez Hawks et encore Hitchcock), et aussi, deuxième aveu, John Wayne (chez Ford et encore chez Hawks [1]), vous aurez droit — c’est les vacances — à un petit dossier. Mitchum acteur, Mitchum mauvais garçon, Mitchum chanteur.

Culture : la passion du mauvais goût

par Yannick Haenel

Les citoyens de ce pays ne préféreraient-ils pas qu’on leur choisisse des maîtres plus intelligents  ? Je dis «  maître  » non pas au sens de la compétence (ne rêvons pas), mais de la domination, puisqu’il faut bien admettre, après trois années de grèves réprimées dans le sang et d’une surdité érigée en dogme, qu’un pays gouverné par Macron n’est qu’un pays dominé.

Des maîtres intelligents, ce n’est pas exactement ce qu’a choisi le gouvernement au lendemain de la pandémie. La domination profite toujours des crises pour se renforcer  ; ainsi le krach de l’industrie culturelle, secteur le plus durablement empêché par le virus et les précautions sanitaires, ne semble pas affoler un gouvernement qui injecte par ailleurs des millions d’euros dans l’industrie automobile ou touristique.

C’est que l’industrie culturelle a trouvé sa propre parade, son pansement, sa réparation, je n’ose dire son vaccin : nommer ministre la pharmacienne et animatrice de télé Roselyne Bachelot. C’est un coup de génie : soigner et divertir ne sont-ils ­l’essence de la salvation  ?

Les intermittents du spectacle, qui sont passés au-delà de la ruine, et ne font plus que survivre au suicide de leurs activités, apprécient, j’imagine, de se voir représentés par une si pittoresque et joviale vedette. La solitude des poètes, des dramaturges, des plasticiens, des chorégraphes n’en finit plus de pourrir, comme la jambe morte de Rimbaud. Jusqu’à l’amputation  ?

En tout cas, il est remarquable, et logique, qu’un secteur ­aussi maltraité auquel le marché impose de promouvoir avec zèle la came­lote la plus veule se soit choisi une représentante aussi tocarde : il suffit d’un épicier pour écouler des marchandises.

Sa légendaire bonhomie l’autorisera-t-elle par exemple à exiger une taxation des Gafa au titre de la contribution à la création, à préciser les modalités d’une année blanche pour les intermittents, à penser enfin les contours d’un statut réel pour les auteurs  ?

La domination veut qu’on ne pense plus. Ainsi dispose-t-elle, pour colmater la plaie de la culture, un pharmakon, dont chacun sait qu’en Grèce ancienne il désigne aussi bien le remède que le poison.

Ce médiocre tombeau qu’est le ministère de la Culture

La culture est l’alibi des bonnes intentions : instrumentaliser la « lecture », le « livre », le « spectacle vivant » ne mange pas de pain. L’art est seul, et la culture n’était déjà plus qu’une vitrine. Quand on ­s’approche, c’est le reflet d’un sourire triste qu’on voit, celui d’une ministre qui fait son show de troisième zone.

Ne pourrait-on pas imaginer un jour que ce médiocre tombeau qu’est le ministère de la Culture relève de la compétence directe des artistes, comme c’est le cas à la tête des centres dramatiques nationaux (et pourquoi pas un collectif d’artistes plutôt qu’une unique et impuissante personne)  ?

La question n’est pas seulement celle du budget ou des subventions, mais celle de l’intelligence. La stratégie de la vulgarité adoptée dans son recrutement par Macron pour contrer une éventuelle percée populiste ne relève pas seulement du cynisme : « Le mauvais goût, a dit Stendhal, conduit au crime.  »

Yannick Haenel, Charlie Hebdo 1461 du 22 juillet.

À LIRE AUSSI : Culture : Jeff Koons ou Line Renaud  ?

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Robert Mitchum dans Thunder Road (1958)

Vie de Robert Mitchum

par Yannick Haenel

Dans son merveilleux petit livre drôle et passionnant, Robert Mitchum. L’homme qui n’était pas là (éd. Capricci), Lelo Jimmy Batista utilise le mot « exempté ». Il dit qu’à peine venu au monde, le 6 août 1917, Robert Charles ­Durman Mitchum éprouvait déjà un désintérêt total pour l’existence : « Il avait presque réussi à s’en exempter », écrit-il.

Alors que son père, employé du terminal ferroviaire de Charleston, Caroline du Sud, meurt écrasé entre deux wagons de marchandises, Mitchum, orphelin à 2 ans, manque de se noyer dans un lac gelé, se met à écrire des poèmes, sera publié contre son gré à 8 ans, vole de la nourriture pour nourrir sa mère et son frère, ne cesse de fuguer et rêvera toute sa vie de disparaître.

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Il travaille dans une mine de charbon en Pennsylvanie, fait la plonge dans l’Ohio et les vendanges en Géorgie, est condamné aux travaux forcés à 15 ans, s’évade en traversant des marécages, vit dans une « communauté de vieux tarés aux dents en bois », écrit Lelo Jimmy Batista, et quand il tombe amoureux d’une fille de Philadelphie, il surgit dans l’agence où elle travaille avec une dégaine d’irrésistible voyou (il avait l’air, écrit Batista, d’un « chacal dégingandé »).

C’est pour ces détails qu’il est jouissif de lire les 120 pages de cette biographie du plus grand des acteurs (mon préféré, avec Jean-Pierre Léaud, Buster Keaton et Jacques Dutronc, tous des génies de l’impassibilité).

Il y a dans ce livre, qui s’avale d’une traite et le sourire aux lèvres, des bagarres et des glissements dans l’inertie, des soirs de cuites qui dégénèrent avec des filles de rencontre, et la police pas loin. Il y a Ava Gardner, « discrètement saoule dès midi  », qu’il partageait avec Howard Hughes  ; il y a des comptoirs de bar à n’en plus finir, des chambres de motel où Mitchum s’écroule entre deux tournages, et quelques dérapages épicés : un soir de tempête où, sur un pont, le voici qui perd le contrôle d’une Cadillac qui tombe 12 m plus bas dans la rivière  ; une autre fois où, sur le tournage de Thunder Road, il se réveille complètement bourré dans le lit d’une femme : paniqué, il ramasse ses vêtements et file par la fenêtre sans se rendre compte que c’était sa propre femme.

Il y a ses rôles inoubliables, Les Nerfs à vif, La Fille de Ryan ou La Nuit du chasseur (avec LOVE et HATE écrits sur ses poings)  ; et il y a le reste, plus désinvolte.

Comment peut-on avoir le feu et être indolent  ? La solitude de Robert Mitchum est infinie : il boit comme Dionysos et rêve qu’on l’oublie. C’est un dieu mélancolique enfermé dans une montagne de muscles.

Il y a des êtres qui ont en eux un vide aussi grand que le ciel  ; ils rêvent de le rejoindre, et en même temps, à cause de ce vide, ils se foutent de tout. La nonchalance est un art : celle de Mitchum est absolue, peut-être même ineffable.

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Portrait d’une star qui n’en avait rien à foutre.

Il a publié son premier poème à 8 ans, été condamné aux travaux forcés à 15, a dormi avec des cochons, volé des sèche-cheveux, été arrêté pour possession de stupéfiants. Il a giflé Otto Preminger, chanté avec Elvis Presley, joué dans plus de 130 films et enregistré une poignée de disques dont au moins un sublime.

Éternel vagabond qui se considérait toujours entre deux trains, Robert Mitchum a posé ses valises à Hollywood au beau milieu des années 1930, acceptant sans trop y croire ce métier d’acteur auquel il attachait si peu d’importance, au point d’aller parfois pêcher entre les prises. Comme si, malgré le bruit, la gloire et l’agitation, il n’avait jamais été vraiment là.

SOMMAIRE

I – L’HOMME INVISIBLE
II – ROULÉ EN BOULE SOUS UN LIT CRASSEUX
III – C’EST TOUT DE MÊME FOU QU’ON NE L’AIT JAMAIS REMARQUÉ
IV – LE CHAPEAU D’UN MORT
V – ROBERT MARSHALL
VI – FAUX-SEMBLANTS
VII – DÉTENU #91234
VIII – LE FANTÔME
IX – DANS UN MUR DE FLAMMES
X – LE MAL ABSOLU
XI – COMME UN VAGABOND ENTRE DEUX TRAINS
XII – 155 CHEVAUX
XIII – L’HOMME QUI ÉTAIT LÀ

L’AUTEUR
Lelo Jimmy Batista est auteur, scénariste, traducteur et journaliste (Libération, Sofilm, Binge Audio). Il a écrit entre autres Hellfest, Le Rapbook (avec Shea Serrano) et Tués par la mort, sorti en octobre dernier chez Hachette. (capricci)

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Robert Mitchum, le mauvais garçon d’Hollywood

Un film de Stéphane Benhamou

France, 2017.

Par son naturel, le "bad boy" Robert Mitchum a conquis le public et les plus grands cinéastes, d’Otto Preminger à Vincente Minnelli en passant par Howard Hawks. Sans occulter ses frasques, ce séduisant portrait dévoile la sensibilité que l’acteur dissimulait sous sa désinvolture. Né en 1917 dans le Connecticut, Robert Mitchum subit de plein fouet la Grande Dépression. À 11 ans, il quitte un foyer qui n’a plus de quoi le nourrir. Après quelque temps passé chez ses grands-parents et une arrestation pour vagabondage, il rejoint la cohorte des hobos, ces errants en quête de jobs ou de combines. Cette jeunesse à la dure lui forgera le caractère et les muscles. Elle lui donnera aussi le désir d’un ancrage familial. En 1940, il épouse Dorothy, et leur union résistera à toutes ses infidélités. Dès ses débuts, Robert Mitchum joue avec un naturel, à contre-courant de la vogue Actors Studio. Sa carrure, son flegme, son ironie en font un sex-symbol.

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La Légende Robert Mitchum

France Musique, Ciné Tempo, par Thierry Jousse, 2 mars 2019.

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Robert Mitchum dans le film La Nuit du Chasseur (1955)

Monstre sacré d’Hollywood, Robert Mitchum est aussi l’incarnation du cool. A l’occasion de la sortie du documentaire de Bruce Weber, Nice Girls Don’t Stay for Breakfast, Ciné Tempo consacre une émission à l’acteur (La Nuit du Chasseur, Cape Fear, Yakuza) et au chanteur que fut Robert Mitchum.

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Blow Up, l’actualité du cinéma (ou presque) par ARTE.

La sortie du documentaire Nice girls don’t stay for breakfast, que Bruce Weber a consacré à Robert Mitchum, a donné envie à Thierry Jousse de se pencher sur les rapports fructueux qu’a toujours entretenu l’acteur américain avec la musique.

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1 Messages

  • luc nemeth | 14 août 2020 - 18:11 1

    Bonjour.
    La suggestion, ici faite, que le ministère de la Culture relève un jour de la compétence directe des artistes pourrait sembler séduisante mais, outre que les mêmes causes (le pouvoir est maudit…) ont tôt fait de produire les mêmes effets, rien n’exclut que le copinage ou encore des rivalités et des haines pouvant aller jusqu’au fanatisme ne fassent alors d’encore bien pires ravages. Aussi le mieux serait peut-être que cette coûteuse sanisette retourne à l’inexistence qui avait toujours été la sienne jusqu’à Malraux et où la simple existence en lieu et place, d’un Secrétariat d’Etat, n’empêchait pas les talents de s’exprimer...
    Cordialement