Matinale de France Inter : le grand entretien avec Bernard-Henri Lévy
lundi 1 juin 2020
par Léa Salamé , Nicolas Demorand-
Le philosophe Bernard-Henri Lévy publie "Ce qui virus qui rend fou" chez Grasset. Il est l’invité du Grand Entretien de la matinale de France Inter avec Nicolas Demorand et Léa Salamé.
22 minutes
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L’essai « Ce virus qui rend fou » chez Grasset
Une épidémie est, toujours, un phénomène social en même temps qu’un désastre sanitaire. Que nous dit, donc, cette épidémie-ci de la société qui est la nôtre ? Que nous révèle-t-elle de son rapport au mal, au tragique et à la mort ? Un virus est-il un message ? Un agent de la providence et de l’histoire ? Est-il l’envoyé d’une Nature épuisée, et qui demanderait grâce ? D’une humanité exsangue, et qui voulait un carême planétaire ? A-t-on bien fait de mettre la planète à l’arrêt ? A-t-on raison d’espérer que, de ce coma où on l’a plongé, notre monde sorte régénéré ? Qu’est-ce que l’hygiénisme ? Que veut dire le Talmud quand il affirme que le meilleur médecin ira en enfer ? Que penser de ce « pouvoir médical » qui semble, partout, se mettre en place et prendre le relais du Politique tel qu’il s’est défini de Platon à Jacques Lacan ? Et qu’est-ce qui a changé, en nous, depuis l’époque où Paul Claudel, dans L’Annonce faite à Marie, magnifiait le baiser au lépreux ? Ce sont quelques-unes des questions posées dans ce livre de colère et de savoir. L’hommage aux soignants n’y interdit pas la lucidité.
Les droits d’auteur seront reversés à l’ADELC (Association pour le Développement de la Librairie de Création).
A propos de l’auteur
Normalien et agrégé de philosophie, Bernard-Henri Lévy est épistémologue de formation et est entré en philosophie par la porte de l’histoire des sciences. Proche de Michel Foucault, élève de Georges Canguilhem et auteur d’une thèse de doctorat consacrée, il y a un demi-siècle, à l’histoire de la médecine, il était mieux placé que beaucoup d’autres pour réfléchir à la crise ouverte par l’apparition du Coronavirus.
BHL : « Ce qui m’a frappé, c’est notre incroyable docilité »
ENTRETIEN. Covid, confinement, Hulot, Onfray, Macron… Le philosophe, qui publie « Ce virus qui rend fou », dresse un état des lieux
Propos recuellis par Sébastien Le Fol
Le Point.fr

Bernard-Henri Lévy, écrivain, philosophe et cinéaste . Son « Bloc-notes » est publié semaine dans « Le Point ». Illustration : Dusault pour « Le Point »
Les lecteurs de son Bloc-notes dans Le Point ont eu la primeur de ses réflexions sur le Covid-19. Dès le mois de mars, Bernard-Henri Lévy les mettait en garde contre l’union incestueuse des pouvoirs politique et médical, fustigeait les discours « jevouslavaisbiendit » qui voyaient dans le virus soit « une chance », soit un « message de la nature », et s’inquiétait des nombreuses restrictions de libertés. Ces « chroniques du coronavirus » ont nourri un pamphlet, Ce virus qui rend fou, à paraître le 10juin aux éditions Grasset*. Un « bilan d’étape », comme le qualifie le philosophe, de la « première peur mondiale ». Comment allons-nous sortir de cette épreuve, individuellement et collectivement ? À quoi avons-nous renoncé ? Pour « BHL », ce « tsunami civilisationnel et mondial » va laisser d’énormes séquelles.
Le Point : Votre livre n’est-il pas avant tout une réaction épidermique à une pandémie qui vous a privé de votre style de vie habituel ?
Bernard-Henri Lévy : Évidemment pas. Elle nous a tous privés, absolument tous, de notre liberté d’aller et de venir. Elle a fait de nos logements des prisons volontaires. Et elle nous a ramenés – avec, encore une fois, notre assentiment ! – à l’âge de la garderie et du jardin d’enfants. Cela n’a rien à voir avec le style de vie de tel ou tel.
C’est soi. C’est la clôture de soi sur soi.
Pour un esprit cosmopolite comme vous, la fermeture des frontières et des aéroports, c’est l’enfer, non ?
Pas seulement pour moi ! Pour tous ceux dont l’horizon ne se limite pas au pré carré familial, local ou hexagonal. L’enfer, contrairement au lieu commun, ce n’est pas les autres. C’est soi. C’est la clôture de soi sur soi. Tous les confits du confinement qui allaient répétant que le malheur des hommes vient du divertissement et de leur incapacité à demeurer seuls, dans une chambre, avec eux-mêmes oubliaient juste la suite de la sentence pascalienne : « Le moi est haïssable ». Les aéroports, face à ça, ce sont, en effet, des antichambres, des portes de liberté, des sas vers autrui.
Vous n’êtes donc pas de ceux qui ont vu dans ce confinement l’occasion d’un retour sur soi fait de lectures, de méditation et de cuisine ?
C’est quoi, un retour sur soi ? Et c’est quoi, cette vie au rabais sinon une justification commode pour faire enfin un bras d’honneur à ses semblables et au reste du monde ? J’étais à Paris pendant cette période. Et cette ville déserte dont j’entendais partout qu’elle était enfin belle car vidée de ses habitants, m’a paru, au contraire, tragiquement défigurée. Sans âme. Sans âme qui vive. Avec ces rares passants apeurés qui, lorsqu’ils se croyaient, s’évitaient comme la peste et se voyaient comme une menace. Alors, je sais qu’il y a des « diaristes du confinement » qui prétendent avoir déconfiné une vieille édition de Joyce ou de Proust qui dormait du sommeil du juste dans leurs rayonnages. J’ai des doutes…
Le gouvernement avait-il vraiment le choix ? Le confinement aurait-il pu être évité ?
Sans doute pas. Encore qu’il faudra, le moment venu, regarder de près ce qui s’est fait en Suède ou aux Pays-Bas. Mais ce dont je suis sûr, c’est que nous avions, nous, les individus, le choix de râler, d’obéir à contrecœur et, au lieu de nous extasier de ne jamais avoir été aussi libres que sans occupation, de prendre la mesure de cette régression citoyenne, sociale et morale.
Dans cette affaire, n’êtes-vous pas plus proche de Trump et de Bolsonaro que de Conte, par exemple ?
Vous plaisantez ? Ces deux-là étaient dans la dénégation, ce qui, pour le coup, était à la fois con et criminel. De surcroît, il ne vous a pas échappé qu’ils ont profité de l’occasion pour imposer leur camelote. Bolsonaro, pour instaurer un climat de quasi-guerre civile et nettoyer les favelas. Trump, pour réaliser son rêve de mettre un mur entre les États-Unis et le reste du monde en général – à commencer par les Latinos.
un virus c’est, depuis la nuit des temps,
un pur dérèglement, de la pure mort.
Le virus ne suscite pas seulement un débat entre scientifiques. Intellectuels, politiques et vedettes l’interprètent. Le Covid aurait un message à nous délivrer. C’est grave, docteur ?
Ah oui, c’est grave ! Et c’est vrai à la fois de Trump qui nous disait : « Le virus vote America first » et de cette frange de la gauche qui répondait : « Le virus, c’est l’aube du Grand Soir » ; il nous dit que nous avons trop joui, trop profité, trop consommé, et il nous offre une dernière chance de rédemption. Face à ça, face à ce messianisme virologique, face à ces rentiers de l’effroi et de la mort, il ne faut pas se lasser de rappeler le principe de base cher à mon maître Georges Canguilhem : « Les virus ne parlent pas, les virus n’ont pas de message – un virus c’est, depuis la nuit des temps, un pur dérèglement, de la pure mort. »
Qui sont les plus atteints ?
Je vous dis, d’un côté Trump et ses émules français, genre Philippe de Villiers : « Le Covid c’est, après l’incendie de Notre-Dame, la continuation par d’autres moyens de la colère du Ciel », et, de l’autre, ceux des collapsologues qui ont eu l’indécence de dire, eux aussi : « Béni soit le virus qui parvient à opérer, en cinq minutes, cette décarbonation de l’air et des esprits que nous prônions en vain depuis des décennies. »
Certains écologistes se sont particulièrement illustrés dans cette affaire, à commencer par Nicolas Hulot. À les écouter, la nature se vengerait et le virus serait une « occasion formidable ». N’est-ce pas une sorte d’anthropophobie radicale qui s’exprime là ?
C’est Nicolas Hulot qui a lancé, le premier, cette idée d’un « ultimatum » adressé aux pécheurs que nous sommes par la mère Nature maltraitée. Alors, après, vous aviez là le point de convergence de plusieurs courants idéologiques. Le malthusianisme et sa théorie des « hommes en trop ». L’antihumanisme lévi-straussien et son idée que le vrai virus c’est l’homme. Le tout enrobé dans une guimauve pénitentielle tout droit sortie des sermons du père Paneloux dans La Peste et d’Égisthe dans Les Mouches.
Lire aussi BHL – Claude Lévi-Strauss, le coronavirus et le dernier homme
Edwy Plenel, lui, a parlé d’un « virus révolutionnaire »…
Ce qui m’a frappé, moi, hélas, c’est notre incroyable docilité. Y compris chez les plus démunis et les plus exposés. Allez voir place de la République les queues, un peu plus longues chaque samedi, de gens tombés dans la précarité qui viennent aux distributions des Restos du cœur : pas de masques, pas de gel et une résignation à fendre l’âme.
Le Covid, pour vous, n’est donc pas une maladie du libéralisme ?
Avouez que l’hypothèse est cocasse pour une épidémie née au cœur de la Chine postcommuniste…
Vous percevez dans les actuelles « invitations au ressaisissement » un écho des « sermons de 1940 ». Ceux de Montherlant et de Morand, par exemple. Encore votre obsession de l’« idéologie française » !
Ce n’est pas mon plus mauvais livre, vous savez ! Et mon concept, à l’époque, de pétainisme transcendantal fonctionne assez bien pour dire ce qui unit ces gens à droite et à gauche. En gros, l’évêque de Bayonne et François Ruffin…
Lire aussi Pascal Bruckner – La société du mètre et demi
Quelles seront selon vous les séquelles politiques de cette pandémie ?
Par exemple, la distanciation sociale. Si c’est juste une mesure sanitaire et que cette mesure est provisoire, OK. Mais imaginez que ça s’installe. Imaginez que, comme vient de le dire le petit père des peuples américains, le Dr Anthony Fauci, l’habitude de se serrer la main « ne revienne plus jamais ». Eh bien ce serait un beau signe de solidarité entre les hommes qui disparaîtrait. Ce serait un grand bond en arrière dans l’histoire de la fraternité humaine.
du soupçon et, un jour, de la haine.
Portez-vous un masque ?
Parfois. Le moins souvent possible. Et contraint et forcé. Vous connaissez la théorie d’Emmanuel Levinas. Le rapport à l’autre, l’éthique, ça commence par le face-à-face entre deux visages nus, à découvert et qui se découvrent l’un l’autre dans leur bouleversante fraternité. Une humanité masquée, je suis désolé, mais, d’abord c’est un oxymore, et ensuite c’est une humanité de la défiance, du soupçon et, un jour, de la haine.
Quelle sera, selon vous, l’autre séquelle politique de cette pandémie ?
Nos libertés. Je suis effaré de voir, là encore, avec quelle facilité nous avons accepté de voir ces libertés rognées. Le traçage des populations, visiblement accepté. Les labradors renifleurs, dressés à détecter l’« odeur » des porteurs de Covid, qui n’ont l’air de gêner personne. Et puis l’incroyable culot de ces contempteurs de la « gauche kérosène » qui, comme Thomas Piketty, semblent s’arroger le droit de décider quels commerces, ou quels voyages, sont ou non indispensables – et, là encore, pas grand monde pour les contredire.
La sécurité est devenue la préoccupation première…
Ma thèse est que nous assistons à un glissement de civilisation qui a tout d’un glissement de terrain. Depuis Rousseau, la République était fondée sur un contrat social. Aujourd’hui, sur fond d’hygiénisme devenu fou, nous sommes en train de passer au contrat vital (donne-moi tout ou partie de tes libertés, je te les échange contre une garantie de santé).
Vous semblez reprocher aux Français d’avoir respecté les consignes gouvernementales…
Je ne leur reproche rien. Et ils n’avaient, du reste, pas le choix. Ce qui m’inquiéterait, en revanche, ce serait la « douce accoutumance » à des mesures d’exception devenues la règle.Pour un philosophe, il y a dans tout ça un parfum de « servitude volontaire » façon La Boétie (le royaume de mes libertés contre l’élixir de la sécurité) et de « fin de l’Histoire » kojévienne (un monde lisse, purifié de sa négativité, naturalisé – un orwellien dirait « une ferme aux animaux…).
En vous lisant, certains diront : « BHL fait encore son donneur de leçons. Il voulait quoi ? 150000 morts du Covid en France ? Les vieux décimés ? »
Parlons-en, des « vieux » ! On les a laissés mourir, dans les Ehpad, de solitude et de chagrin.Et il n’y a pas eu, que je sache, de tollé quand le Dr Karine Lacombe a déclaré sur BFM qu’il y avait des personnes âgées qu’on choisissait de ne pas mettre sous respirateur…
Macron a-t-il bien géré cette crise ?
Oui, plutôt. Mais je vous le répète : ce n’est pas ça le problème. C’est le tsunami civilisationnel et mondial auquel on a eu à faire face.
Durant quelques semaines, on a tout de même eu l’impression que la France était dirigée par le Conseil scientifique…
Ce rêve d’un « pouvoir médical », d’une « junte médicale », Michel Foucault l’a bien dit : il est vieux comme l’Occident moderne. Mais là, les « sachants » jouaient sur le velours. Le discrédit de la parole politique… La montée des populismes… Le désarroi des opinions… Le culte de l’expertise et de l’évaluation… Et, encore une fois, la « volonté de guérir » devenue le dernier mot de la « volonté de puissance ». Heureusement, les plus raisonnables des médecins ont mis le holà. Et la République a repris ses droits.
ne sont pas des martyrs de l’Histoire.
Ce Conseil scientifique a lancé l’idée d’un mémorial pour les victimes du Covid. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Grotesque. Et, surtout, indécent. Il y a un mémorial de la Résistance. Un mémorial de la Shoah et un autre pour le génocide arménien.Les morts du Covid, comme du cancer ou du diabète, ne sont pas des martyrs de l’Histoire.
Vous regrettez que le confinement n’ait pas donné lieu à un débat démocratique. Vous vouliez quoi ? Une session extraordinaire du Parlement ? Un référendum ?
Je ne dis pas cela. En revanche, je pense à tout ce temps d’antenne consacré à des pythies tristes qui venaient égrener la litanie des morts ou orchestrer jusqu’à la nausée le ballet des hypothèses et souvent des ignorances. J’aurais aimé qu’on en consacre une portion à la dette de l’Afrique, aux émeutes de la faim que la mise à l’arrêt de la planète était en train de multiplier ou aux islamistes qui, au Kurdistan et ailleurs, reprenaient espoir.
Que pensez-vous de Didier Raoult ?
Voilà le type de débat idiot auquel cette période de folie a donné lieu.
Les intellectuels ont-ils été à la hauteur de cette crise ?
Ça dépend lesquels. Certainement pas ceux qui, comme Emmanuel Todd, ont appelé à mettre les responsables politiques en prison. Ou ceux qui, comme Bruno Latour, se sont juchés sur les épaules des morts pour nous vendre leur monde d’après.
Que vous inspire le projet de Michel Onfray, « Front populaire » ?
Ce détournement sémantique est odieux. Le Front populaire, c’est Blum. Onfray, désormais, c’est Doriot.
Vous regrettez que le virus ait été l’unique sujet de ces trois derniers mois. Quel autre événement aurait dû retenir notre attention ?
Tous. On a vécu – et on continue parfois de vivre -dans un monde parallèle où rien d’autre n’existait que des chiffres de contamination, des courbes qu’il fallait aplatir, des pics, des cloches, des modélisations mathématiques. Un novmonde en quelque sorte. Et adieu les damnés de la Terre ! Bye bye la misère du monde ! Je ne suis pas près d’oublier le jour où je suis rentré du Bangladesh et de ses camps de Rohingyas. C’était le moment où la France fermait ses frontières. Sur les réseaux sociaux (et, en fait, de plus en plus asociaux) j’étais devenu un mauvais citoyen, un pollueur de la planète, un criminel au CO2. C’est triste.
« Ce virus qui rend fou », de Bernard-Henri Lévy (Grasset,112p., 8€). À paraître le 10 juin.
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Sur l’anxiété et la peur
« Et c’est, en vérité, toute la planète qui, pays riches et pauvres confondus, ceux qui pouvaient tenir et ceux qui allaient craquer, se rue sur cette idée d’une pandémie inédite, en passe d’exterminer le genre humain. Alors ? Qu’a-t-il bien pu se passer ? Viralité, non seulement du virus, mais du discours sur le virus ? »
Bernard-Henri Lévy
Ce virus qui rend fouEt aussi cet extrait d’entretien sur la peur :
Une fable pour notre temps : quand la peste décimait Bagdad… par Roland Jaccard
Aussi clivant et aimant la polémique comme le pr Raoult, Roland Jaccard intitule sa chronique dans Causeur : le « billet du vaurien » qui nous y sert une fable pour notre temps. Si vous lisez ce billet c’est que vous avez échappé à la mort. Alors, vous n’aurez plus raison d’avoir peur. Mais laissons la parole à Rolland Jaccard qui n’est pas du tout vaurien dans ce billet que nous reprenons volontiers :
Faut-il rappeler l’histoire de cet homme qui se rend à Bagdad et qui, sur son chemin, rencontre la Peste ? Il lui demande où elle va. Elle répond : « Comme toi, à Bagdad. » Il veut savoir combien de morts elle compte laisser après son passage. Elle lui répond : « Dix mille. »
Arrivé à Bagdad, notre homme trouve une ville décimée par la Peste. Troublé, il lui dit : « Mais tu m’as menti. Tu m’avais parlé de dix mille morts… et j’en compte au moins cent mille. »
« Oui, lui répond la Peste, tu as raison. Mais je ne t’ai pas menti. J’en ai tué dix mille… et les autres sont morts de peur, qu’y puis-je ? »
Quiconque établirait un lien avec le Covid 19 sera immédiatement poursuivi et banni de la Cité.
PS. S’il y a bien un film à revoir aujourd’hui, c’est « Knock » avec l’incomparable Louis Jouvet dans le rôle d’un médecin qui inculque à tous ses patients bien portants qu’ils sont des malades qui s’ignorent…
https://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/B088HC7W36/pileface-21
15 Messages
Patrick Pelloux a lu « Ce virus qui rend fou » de Bernard-Henri Lévy. Le médecin réagit à la réflexion du philosophe sur le « pouvoir médical ». LIRE ICI.
Un échange de plus de deux heures, passionnant, éclairant, qui pourrait se prolonger, selon le voeu d’un internaute, par un livre commun, qui sait... LA VIDEO ICI.
Demain, 8 juillet de 18h30 à 20h30, le Barreau de Paris organise un webinaire où il fera débattre Bernard-Henri Lévy et Didier Raoult sur la crise sanitaire. VOIR ICI.
Bonjour. Même BHL en finirait, par contraste, par passer pour un dangereux gauchiste quand on voit la servilité abjecte dont ont fait preuve et dont continuent de faire preuve ceux-et-celles qui en France exercent le beau métier de journaliste...
Christophe SIMON / Ludovic MARIN / AFP
L’Express, sous le titre « Didier Raoult - BHL : l’improbable idylle » écrit :
Le point écrit de son coté :
Les journalistes du Point lisent mal leur éditorialiste !
Pourquoi Didier Raoult a-t-il sur son bureau le livre de BHL ? On peut supposer qu’il n’a pas été indifférent à ce que qu’écrit BHL dans son livre :
Et dans son interview au Midi libre du 14 juin, à la question : Didier Raoult a-t-il fait l’objet d’un débat excessif ?, BHL répondait sèchement :
Qui sait lire aujourd’hui ? On se le demande. CQFD.
BHL présentait son livre Ce virus qui rend fou en présence des journalistes-chroniqueurs Laetitia Krupa et Claude Askolovitch, de Manuel Carcassone, pour l’autobiographie du cinéaste Woody Allen Soit dit en passant » (Stock) et Jean-Pascal Zadi pour le film Tout simplement noir.
Ne lui parlez plus de ce virus, de ce vent de peur mondial ! Ça rend fou de colère BHL. La preuve. Grand entretien avec l’écrivain et philosophe Bernard-Henri Lévy.
Extraits.
Vous n’avez pas perdu votre temps pendant le confinement, vous avez écrit un livre, et un livre énervé ! Pourquoi autant d’agacement ?
Énervé ? Je ne suis pas sûr ? J’ai essayé d’écrire un livre sage. Un livre de philosophie. Je connais ces questions. J’ai été, dans ma lointaine jeunesse, un peu spécialiste de ces questions d’épistémologie et d’histoire des sciences. L’enjeu, pour moi, était de mettre tout ça, tout ce modeste savoir, à la disposition des lecteurs qui sont sortis sidérés, quand ce n’est pas assommés, de cette crise.
à vous lire, nous sommes tous devenus réellement fous pendant cette période. Vous y allez un peu fort…
Ah non ! Là, je ne crois pas ! Les télés sont devenues folles ! Les journaux sont devenus fous ! Et le principal symptôme de cette folie, il est là. Pendant tous ces mois, vous ne parliez plus que du Covid. C’est comme si le reste du monde n’existait plus. Un vent de panique a, vraiment, soufflé sur le monde. Et je ne parle même pas des pays peu touchés par le virus. Le Portugal par exemple. Ou la Grèce. Ils se sont mis, eux aussi, en état de coma auto infligé. C’était absurde.
Vous n’avez personnellement jamais eu peur ?
Non. Et, en tout cas, mille fois moins peur que d’avoir un cancer. Ou de choper une malaria dans le camp de Rohingyas où je me trouvais à la veille de ce fameux confinement.
Reprochez-vous aux Français d’avoir respecté les mesures gouvernementales et d’avoir tourné le dos à nos libertés fondamentales ?
Non. Je leur reproche de l’avoir fait avec trop de docilité. Et d’avoir, finalement, peu protesté contre cette mise en suspens des libertés. Vous avez, dans ce pays, des gens qui pétitionnent pour tout et n’importe quoi. Vous avez, ne serait-ce que sur Change.org, des pétitions pour "sauver les derniers gorilles", fermer la "ferme des mille vaches", voter pour que "Claude" soit "le réel vainqueur de Koh Lanta 2020", protéger les chiens de Mayotte ou "baisser le prix du carburant à la pompe". À ma connaissance, il n’y a pas eu de pétition pour exiger que le parlement recommence de se réunir en vrai, que la justice sorte de ses vacances prolongées, que les éboueurs soient augmentés sans délai ou que soit inscrite dans notre attestation Covid, à côté du droit de sortir notre animal de compagnie, celui d’aller se promener sur un chemin de randonnée.
Vous nous reprochez en tout cas d’avoir oublié le monde qui nous entoure, les conflits, les drames…
Oui. Et c’est la même question. Et le même mystère. Et la même indifférence, non pas de vous, les journalistes, mais de nous tous. Est-ce que vous avez eu des lecteurs qui se sont insurgés contre le fait qu’on ne leur parle plus des révoltés de Hong Kong ? Est-ce que vous en avez tellement eu qui se sont inquiétés de savoir le nombre de torturés en Syrie, de morts de la faim en Inde ou de civils assassinés au Yémen pendant que nous nous demandions quel périmètre de sécurité il fallait autour des enfants dans les cours d’école transformées en garderies ?
Beaucoup de Français assurent avoir appris sur eux-mêmes, sur leur vie, sur l’essentiel… Tout n’est pas à jeter dans cette histoire !
Oui. Sans doute. Mais moi je crois que les Français sont grands quand ils cherchent à apprendre, certes sur eux-mêmes et sur leur vie, mais aussi sur les autres et sur le reste du monde. Il y a eu une épidémie de nombrilisme. Les gens se sont émerveillés de découvrir Sa Majesté leur Moi. Pourquoi pas ? Mais, de mon point de vue, Sa Majesté, c’est l’autre, le prochain, le lointain, le démuni, parfois le damné ou, tout simplement, le voisin.
Vos premières cibles dans votre livre, ce sont les médecins, des apprentis sorciers, vous confirmez ?
Des cibles, je ne sais pas. Mais il y a eu abus d’autorité, ça c’est sûr. Et il y a eu un moment d’ivresse où certains ont réellement cru qu’ils allaient dicter leur loi à la société.
Le pouvoir politique n’aurait pas dû leur laisser autant les commandes écrivez-vous, mais pouvait-il faire autrement ?
Oui, bien sûr. Il pouvait consulter aussi des économistes. Des syndicalistes. Des patrons. Des chômeurs. Des enseignants. Des psychologues. Il y avait des tas de gens qui avaient leur mot à dire sur la façon dont il convenait de naviguer dans cette crise. Pas seulement les médecins.
Vous faites tout de même le distinguo avec l’ensemble des équipes soignantes mobilisées dans les services et applaudies tous les soirs, ce que vous avez fait j’imagine ?
Oui, je l’ai fait. Et oui, bien sûr, je fais le distinguo. Ceux-là se sont conduits comme des héros. Ils ont fait honneur à la France. Ils ont été les Arnaud Beltrame du front sanitaire. Et ils ont pris le risque de mourir pour que vous et moi ne mourions pas. Mais les autres ? Ceux qui venaient, sur les plateaux de télé, baver sur Raoult ? Ou nous donner des nouvelles terrifiantes, contradictoires et, finalement, fausses ?
Didier Raoult a-t-il fait l’objet d’un débat excessif ?
Évidemment. Il n’aurait même pas dû y avoir de débat du tout. Raoult est un grand savant. Doublé d’un grand toubib. Et il a, comme toubib, dans son CHU, sauvé des vies. Point barre. [...]
La suite de l’entretien dans le Midi Libre.
ZOOM : cliquer l’image
BERNARD-HENRI LÉVY CHANTRE DU MONDE D’HIER
Dans un essai fiévreux, le philosophe s’inquiète de certains discours qui ont accompagné la crise du Covid. Il y défend le souci de l’autre qui fonde la civilisation judéo-chrétienne.
LES RENDEZ-VOUS DE J-R VAN DER PLAETSEN
Lorsqu’il reçoit chez lui, au cœur de Paris, dans un décor d’Extrême-Orient dominant un jardin à la française avec quelques fantaisies anglaises, Bernard-Henri Lévy serre la main de son invité. Coronavirus ou pas, on ne l’empêchera pas de respecter les codes du savoir-vivre et recevoir. C’est une question de cohérence, une façon d’accorder ses actes à ses convictions. Car BHL, qui aime être là où on ne l’attend pas, se demande si l’on n’en a pas trop fait ces trois derniers mois. Il n’est pas le seul, mais il le dit avec plus de force et d’éloquence que les autres, avec cette espèce de crânerie désinvolte qui lui a valu tant d’ennemis.
Avec Ce virus qui rend fou, petit livre écrit dare-dare, dans la fièvre et la colère, auquel ne manque pas une virgule car BHL est un styliste, le philosophe globe-trotteur dénonce ce que l’on a fait dire au Covid. En aucun cas il ne conteste l’urgence sanitaire : c’est au délire hygiéniste qui l’a accompagné qu’il s’en prend.
Les pages contre le discours des collapsologues, des écologistes fous et autres adeptes de la décroissance sont formidables. Même ceux qui aiment, par principe, critiquer BHL se rangeront, s’ils sont honnêtes intellectuellement, à ses arguments. Point de défense des élites ici, mais la crainte de voir les libertés reculer et s’amenuiser la joie de vivre. Pas tant les libertés publiques, d’ailleurs, que les libertés intimes, les fantaisies personnelles, les licences de gaieté que l’on s’accorde et qui rendent la vie plus douce lorsqu’elles sont tournées vers les autres. « Je suis un écrivain mal-pensant mais je suis aussi, dit-il, un homme de bonne volonté. » Et de courage-ce qu’on ne peut lui dénier. Ce Virus qui rend fou est un appel à ne pas renoncer aux élans vers autrui, à l’urbanité des rapports, aux charmes et délices des rencontres. À ce que nous sommes, en quelque sorte, et qui nou distingue d’autres civilisations. A serrer la main des autres, par exemple.
CE VIRUS QUI REND FOU,
de Bernard-Henri Lévy, Grasset, 110 p., 8 €.
Crédit : Figaro Magazine 12-13/06/2020
Dans son nouvel essai, Bernard-Henri Lévy s’interroge sur l’étonnante formule talmudique qui affirme que le meilleur des médecins ira en enfer. Analyse.
Je l’ai écrit dans le voisinage et le deuil de ceux dont j’apprenais, comme nous tous, la mort.
Mais je l’ai aussi écrit dans l’inquiétude face à l’autre épidémie, non de Covid, mais de peur, qui s’est abattue sur le monde.
On hait quand on a peur.
On se défie de son voisin, on devient délateur ou corbeau.
Et, là, parce qu’on avait peur, on était prêt à dénoncer le même soignant qu’on applaudissait au balcon mais qu’on ne voulait pas voir habiter l’étage en dessous.
Et là, parce qu’on avait peur, on était prêt à céder sur ses libertés, ses droits et les droits de son prochain.
Et là, parce qu’on a eu peur, on a commencé d’échanger le bon vieux contrat social contre un nouveau contrat vital qui promettait de transformer nos sociétés, au pire, en fermes aux animaux parqués en toute sécurité – au mieux, en espaces confinés (ah l’abomination de ce mot !) où il sera recommandé de se claquemurer, de respecter les gestes barrières et de maintenir, sous contrôle médical, une prudente distanciation sociale.
J’ai écrit ce petit livre parce que j’ai vu le monde devenir l’otage de cette peur.
Je l’ai écrit parce que je sais que le virus de la peur est une autre cause des calamités qui, depuis des millénaires, accablent les humains.
Je l’ai écrit parce que je sais, à l’oreille, qu’il y a là une musique qui est celle de toutes les lâchetés et persécutions.
Je l’ai voulu comme un barrage modeste et fragile face à une terreur qui rôde et dont je crois qu’elle peut, armée de ses bréviaires et évangéliaires hygiénistes, dévaster le monde davantage que le Covid.
Je l’ai écrit pour essayer, non de répondre, mais de comprendre.
Je l’ai écrit pour poser cette vertigineuse question : pourquoi le monde, comme un seul homme, a-t-il cédé à la panique ? d’où vient que la mondialisation soit advenue, non par la prospérité heureuse annoncée par les meilleurs des libéraux, non par le cosmopolitisme fraternel auquel le beau sansfrontiérisme œuvrait depuis des décennies, mais par cette chape de plomb qui s’est écrasée sur la ville-monde ?
Mystère d’un Occident qui, la seconde d’avant, était encore ivre de lui-même et de l’hypersanté jaillissant, comme les grandes eaux versaillaises, de ses bassins d’intelligence artificielle : le voilà qui se recroquevillait dans ses terreurs, ses hontes et ses chaussons.
Mais mystère, plus grand encore, de mes amis darfouris, de mes compagnons kurdes bunkerisés dans leurs tranchées, mystère de ces damnés que j’avais quittés à Lagos, Mogadiscio ou Lesbos : ils souffraient de toutes les calamités possibles ; ils mouraient de maladies très anciennes, à commencer par la plus atroce des malnutritions et des famines ; mais voilà qu’ils se drapaient dans la même prophylaxie ! voilà qu’ils se rangeaient dans la batterie du confinement ! Pourquoi ?
D’où vient que le Bangladesh qui déplore 672morts du Covid pour 160millions d’habitants, a signé l’arrêt de mort économique et donc, souvent, l’arrêt de mort tout court de centaines de milliers de travailleurs précaires, privés de leur maigre subsistance par « l’interruption » de l’économie mondialisée ?
En vertu de quelle aberration mimétique les 900000Rohingyas de Cox’s Bazar, que j’ai quittés le jour de l’entrée en apnée de la planète et qui, deux mois plus tard, ne comptent toujours que quelques cas, ont moins peur des polices, des mafias, du retour forcé en Birmanie, de l’exil à perpétuité ou encore des dengues, douves, diarrhées diverses et variées, encéphalites, qui sévissent dans la région que de la Grande Peur Mondiale ? C’est à pleurer de tristesse.
On s’en taperait la tête contre les murs d’absurdité.
Mais affronter l’absurdité du monde n’est-ce pas, aussi, pour cela que l’on écrit ?
Et puis j’ai écrit ce livre parce que j’en avais assez des rentiers du virus.
Il y avait Trump, et ceux qui lui ressemblent, profitant de la crise pour faire passer leurs règles scélérates et ériger les murs dont ils avaient, jusque-là, rêvé en vain.
Mais il y avait ces avocats de Mère Nature qui, quand ils nous enjoignaient à produire français, consommer français, manger français, quand ils faisaient l’éloge des « circuits courts » et du « souverainisme », quand ils envisageaient de limiter les grands voyages mangeurs de kérosène, ne raisonnaient pas de manière très différente de celle des braillards de l’America First.
Je l’ai écrit parce que j’ai senti monter, à droite et à gauche, le même goût de la pénitence.
Je l’ai écrit parce que j’ai cru entendre, chez les partisans du retour à la nature comme chez les développeurs des nouvelles « applis » capables de nous tracer en douceur, le même obscur désir de soumission.
Et je l’ai écrit parce que j’ai trouvé navrant le nombre de bons esprits, ivres d’une deuxième vague attendue comme dans LeDésert des Tartares,qui voyaient dans le virus une « opportunité historique » à ne « rater » sous aucun prétexte.
J’ai écrit ce livre parce que j’en avais assez d’entendre dire que le virus nous adressait un message et un ultimatum.
Je l’ai écrit parce que je n’en pouvais plus des discussions interminables sur un monde d’après dont je vois surtout, pour l’heure, le front de bœuf ou la niaiserie.
J’ai écrit ce livre parce que le seul monde qui m’importe c’est, à condition de le réparer, le monde de maintenant.
ILLUSTRATION : DUSAULT POUR « LE POINT »
Crédit : Le Point N°2494, 11 juin 2020
Par Bernard-Henri Lévy
JDD, le 6 juin 2020
LE JOURNAL DU DIMANCHE ; 7 juin 2020
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"J’ai été sidéré, moi aussi. Mais ce qui m’a le plus sidéré, ce n’est pas la pandémie. Car cette sorte de désastre a toujours existé. La grippe espagnole, avec ses cinquante millions de morts, a fait, il y a un siècle, plus de victimes que n’en fera sans doute le Covid. Pour m’en tenir à notre temps, celui dont je suis en âge de me souvenir, il a connu, après Mai 1968, la fameuse grippe de Hongkong où un million de terriens moururent les lèvres cyanosées, d’hémorragie pulmonaire ou d’étouffement. Il y avait eu, dix ans plus tôt, non moins effacée de la mémoire collective, la grippe asiatique qui, à nouveau partie de Chine, passa par l’Iran, l’Italie, l’est de la France, l’Amérique et fit deux millions de morts. Non, le plus saisissant c’est la façon très étrange dont on a, cette fois-ci, réagi. Et c’est l’épidémie, non seulement de Covid, mais de peur qui s’est abattue sur le monde.
On a vu des tempéraments hardis, soudain paralysés. On a entendu des intellectuels, qui avaient vu d’autres guerres, reprendre la rhétorique de l’ennemi invisible, des combattants de première et de deuxième ligne, de la guerre sanitaire totale. On a vu Paris se vider, comme dans le Journal de l’Occupation d’Ernst Jünger. On a vu les villes du monde devenir des villes fantômes avec leurs avenues, muettes comme des chemins de campagne, où les jours, disait Hugo, étaient comme les nuits. J’ai vu, sur des vidéos que l’on m’envoyait de Kiev et de Milan, de New York et de Madrid, mais aussi de Lagos, d’Erbil ou de Qamishli, des rares passants hâtifs qui ne semblaient là que pour rappeler l’existence d’une espèce humaine mais qui changeaient de trottoir, les yeux baissés, quand surgissait un autre humain. Nous avons tous vu, d’un bout à l’autre de la planète, dans les pays les plus démunis non moins que dans les grandes métropoles, des peuples entiers trembler et se laisser rabattre dans leurs habitats, parfois à coups de matraque, comme du gibier dans ses tanières.
Les manifestants de Hongkong, comme par enchantement, ont disparu. Les Peshmerga, ces guerriers dont le nom dit qu’ils savent braver la mort, se sont bunkérisés dans leurs tranchées. Les Saoudiens et les Houthis qui se livraient, au Yémen, une guerre interminable, ont, à l’annonce des premiers cas, conclu un cessez-le-feu. Le Hezbollah s’est confiné. Le Hamas, qui déplorait alors huit cas, a déclaré n’avoir plus qu’un but de guerre, obtenir des masques d’Israël : "Des masques ! des masques ! notre royaume pour des masques ! nous viendrons, si besoin, couper le souffle à six millions d’Israéliens."
Daech a déclaré l’Europe zone à risque pour ses combattants qui ont filé se moucher, dans des Kleenex à l’eucalyptus, au fond de quelque caverne syrienne ou irakienne. Le Panama, parce qu’on avait détecté un cas suspect, a confiné dans la jungle 1.700 désespérés en train de marcher vers la frontière des États-Unis. Le Nigeria d’où j’avais rapporté, quelques semaines plus tôt, un reportage sur des massacres de villages chrétiens par des djihadistes peuls, dénombrait, à la mi-avril 2020, selon l’AFP, douze morts du virus mais dix-huit tués par les forces de sécurité pour non-respect du confinement.
Le Bangladesh où je me trouvais aussi en reportage, quelques heures avant que la France ne boucle ses frontières, cumulait toutes les calamités ; on y mourait de la dengue, du choléra, de la peste, de la rage, de la fièvre jaune et de virus inconnus ; mais voilà que l’on y détecte quelques cas de Covid et lui aussi, comme un seul homme, se sangle dans le confinement. Et c’est, en vérité, toute la planète qui, pays riches et pauvres confondus, ceux qui pouvaient tenir et ceux qui allaient craquer, se rue sur cette idée d’une pandémie inédite, en passe d’exterminer le genre humain.
UN SUPPLICE CHINOIS
Alors ? Qu’a-t-il bien pu se passer ? Viralité, non seulement du virus, mais du discours sur le virus ? Aveuglement collectif comme dans ce roman de José Saramago où une épidémie mystérieuse frappe une ville entière de cécité ? Victoire des collapsologues qui, depuis le temps qu’ils nous prédisaient la fin du monde, la sentent pointer le nez et nous laissent une dernière chance de carême et de reset ? Celle des maîtres du monde voyant ce grand confinement – traduction anglaise du "grand renfermement" théorisé par Michel Foucault dans les textes où il dépeignait les systèmes de pouvoir du futur – comme la répétition générale d’un type nouveau d’arraisonnement et d’assignation des corps ?
Une grand-peur, comme celle de 1789, avec son lot d’infox, de complots, de fuites éperdues et, un jour, d’émeutes sans espérance ? L’inverse ? Le signe, rassurant, que le monde a changé, qu’il sacralise enfin la vie et qu’entre elle, la vie, et l’économie, il a choisi de choisir la vie ? Ou, l’inverse encore : un emballement collectif, aggravé par les chaînes d’information et les réseaux sociaux qui, en matraquant, jour après jour, le chiffre des réanimés, des mourants et des morts, nous plaçaient dans un univers parallèle où n’existait plus, nulle part, aucune autre information et, à la lettre, nous rendaient fous : n’est-ce pas ainsi, après tout, que fonctionne un supplice chinois ? N’est-il pas établi que le son de la goutte d’eau, indéfiniment répété, devient un dragon menaçant ? Et comment réagirions-nous si les responsables de la sécurité routière s’avisaient de placer, tous les kilomètres, des haut-parleurs géants diffusant, en continu, les accidents mortels de la journée ?
J’avais avec moi, toujours précieux, mon Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie. J’avais, pour essayer de penser cette extraordinaire soumission mondiale à un événement dont je répète qu’il était tragique mais nullement sans précédent, mes souvenirs de René Girard et de son désir mimétique qui, lui aussi, est un virus et qui, comme tout virus, déclenche des pandémies.
Il y avait encore Jacques Lacan avançant que, face au surgissement d’un "point de réel", un vrai, celui qui heurte et auquel on se heurte, celui qui fait trou dans le savoir et dont il n’y a pas d’image (et n’est-ce pas, en effet, le cas pour n’importe quel nouveau virus ?), l’humanité a le choix entre le déni et le délire, la névrose et la psychose : Trump trépignant qu’il faut "libérer le Michigan" – ou les gouvernants inquiets de la menace, brandie par des collectifs d’avocats, d’un "Nuremberg du corona" et jugeant plus prudent de mettre le monde à l’arrêt.
Il était trop tôt pour trancher. Aujourd’hui encore, à l’heure où j’écris ces lignes et où l’on commence de "déconfiner", il est trop tôt pour casser, non seulement le code du virus, mais celui de l’effroi qu’il a suscité.
Et ayant, aussi, mes morts que je n’ai pas fini de pleurer, je n’ai pas le cœur à rire du bon rire brechtien que nous inspirera peut-être, un jour, l’énorme mise en scène distanciée que l’appel à la distanciation sociale aura produite sous nos yeux ébahis.
Il est temps, en revanche, de dire les effets de tout cela dans nos sociétés et nos esprits. Il est temps de dire ce qui, dans ce qui nous relie comme au plus obscur et profond de nous-mêmes, a commencé de s’opérer.
Et s’il est vrai que, comme aimait à le dire, non sans ironie, le grand médecin allemand de la fin du XIXe siècle, père de l’anatomie pathologique, Rudolf Virchow, "une épidémie est un phénomène social qui comporte quelques aspects médicaux", c’est le moment ou jamais de reprendre ses esprits et de tenter de décrire quelques-uns des aspects non médicaux de cette histoire.
Certains sont heureux. Nous vécûmes de vrais moments de civisme et d’entraide. Et l’on ne se réjouira jamais assez que l’on se soit enfin avisé, non seulement de l’existence, mais de l’éminente dignité d’un peuple d’humiliés (personnels soignants, caissières et caissiers, agriculteurs, transporteurs, éboueurs, livreurs…) qui sont apparus dans la lumière.
Mais d’autres sont fâcheux. Des mots ont été dits, des plis ont été pris, des réflexes sont revenus qui m’ont épouvanté. Des principes auxquels je tenais, et qui étaient ce que les sociétés occidentales ont de meilleur, ont été attaqués par le virus, et par le virus du virus, en même temps que les hommes mouraient. Et parce que les idées meurent aussi, parce qu’elles vivent de la même matière que les humains et qu’il se pourrait bien que, l’épidémie refluant, elles restent, elles, sur la rive, telles des méduses crevées, disparues sans laisser de trace car elles étaient, comme nous, presque entièrement faites d’eau, c’est d’elles que j’ai voulu, ici, prendre la défense. Première Peur mondiale (au sens où on le dit de la guerre) : bilan d’étape. […]
AHURISSANTE DOCILITE
M’est revenue, l’autre nuit, tandis que je me trouvais, comme tout le monde, hypnotisé par les images en boucle de ces femmes et hommes admirables, bataillant contre la maladie et sauvant des vies, une étrange formule du Talmud, entendue il y a longtemps, lors d’une des dernières visites que je lui rendis, dans la bouche d’Emmanuel Levinas : "Le meilleur des médecins ira en enfer." […]
Je suis allé voir chez Rachi : tout médecin, dit-il, commet des erreurs et abuse de son pouvoir ; le fait qu’il soit "meilleur" le rend d’autant plus inexcusable – d’où l’enfer. Chez le Méiri, rabbin catalan du XIIIe siècle, ami des sciences et des lumières : il arrive au meilleur médecin d’opérer sans être sûr que l’intervention soit nécessaire et il abuse alors de son savoir – l’enfer encore. […]
Mais c’est chez le Maharal de Prague que j’ai trouvé l’éclaircissement le plus fouillé et, finalement, le plus édifiant : 1. le meilleur médecin est celui qui se voue, avec une passion sans bornes, à l’examen, l’hygiène, la guérison du corps ; 2. ce corps-là, le corps seul, le corps, malade ou sain, dont on oublie que c’est l’esprit qui l’a éclairé de son trait de foudre et qui l’a mis en forme, le corps organique, n’est qu’un paquet de matière opaque et ténébreuse ; 3. cette matière opaque, ce corps sans lumière et sans âme, cette chair que l’on traite comme si elle était déliée de l’intelligence humaine et de ses projets, ce corps réduit à sa seule masse d’organes, d’humeurs et de nerfs, voilà précisément l’enfer… L’enfer, pour le Maharal de Prague, n’est ni, comme chez Pascal, le moi. Ni, comme chez Sartre, les autres. Ni même la chambre noire de Genet, Crevel et les autres. L’enfer c’est le corps. Seulement le corps et le corps seul. L’enfer, c’est vous, c’est moi, c’est nous – mais en tant que nous sommes enfermés dans notre corps, réduits à notre vie de corps et que, sous l’empire du pouvoir médical, ou du pouvoir tout court s’emparant du pouvoir médical, ou de notre propre assujettissement aux deux, nous y consentons.
Tout, alors, devenait clair. Le malaise que m’avait inspiré, dès le premier instant, notre ahurissante docilité à l’ordre sanitaire en marche et à sa mise en demeure des corps. […]
Le spectacle d’un souverain pontife, héritier du "N’ayez pas peur" de Jean Paul II et personnellement rompu à l’exercice, si éminemment catholique, du baiser aux fiévreux, eczémateux et autres lépreux des bidonvilles de Buenos Aires, qui se distancie du peuple chrétien, ne communique plus que par Internet, ordonne que l’on vide les bassins d’eau bénite et fait son chemin de croix, sur le parvis de la basilique, devant une place Saint-Pierre déserte.
Effacée, l’image juive du Messie qui attend, aux portes de Rome, au milieu des scrofuleux. Oublié, le baiser de Jésus au lépreux qui, de Flaubert à Mauriac, a inspiré tant de belles pages. Aux oubliettes Violaine, la "jeune fille pure" de Claudel qui, s’il écrivait aujourd’hui cette Annonce faite à Marie, s’il osait sanctifier cette héroïne lumineuse, embrassant exprès un lépreux et réenfantée par ce baiser, passerait pour irresponsable, criminel contre la société, mauvais citoyen.
Impensable, cette image troublante et belle, gardée de mon enfance, d’un général de Gaulle en visite à Tahiti, deux ans avant son retour au pouvoir : sa voiture est bloquée par un cortège de lépreux ; il descend ; serre la main de chacun ; prend dans ses bras une enfant ; étreint l’organisateur de cette étrange manifestation ; ne dit rien ; redémarre. […]
EPIDEMIE DE LA DELATION
Et puis toutes ces applications numériques dont, la veille encore, nous semblions nous défier et tenir pour les ennemies du genre humain – les voilà devenues les plates-formes d’un commerce salubre, hygiénique, diététique, sans contact, clean ! Les fameux Gafa, qui, de pestiférés qu’ils étaient avant la peste, devenaient pourvoyeurs bénis de télétravail, téléenseignement, téléconsultation, télétransport, télésurveillance ! Jusqu’à l’Organisation mondiale de la santé qui, au pic de la panique, rejoignait la campagne "Play Apart Together" et recommandait à tous les parents du monde de veiller à ce que leurs enfants ne jouent plus qu’à des jeux vidéo (Konbini, 30 mars 2020)…
[…] Recul des libertés ? Mise entre les mains des compagnies, mais aussi des États, d’un stock de données dont nul n’ignore le mauvais usage que l’on peut faire ? Risque, plus effrayant encore, de vivre en état d’alerte et de suspicion perpétuelles, surveillant notre bluetooth, traquant nos contacts douteux, exigeant frénétiquement les noms, oui, les noms, on ne plaisante pas avec la santé ! De l’inconnu croisé ce matin, l’œil torve, la mine pas catholique et qui, dit l’App, nous a peut-être contaminé ?
Il y a eu quelques fortes têtes, heureusement, pour s’inquiéter de cela. […]
On a même lu de bonnes enquêtes sur le retour des corbeaux à l’ancienne, l’épidémie de délation dans les commissariats de police, les centres d’appels submergés par des correspondants, anonymes ou non, dénonçant un papy entré deux fois à la supérette, une ménagère venue n’acheter qu’un rouleau de papier toilette, un Parisien débarqué nuitamment ou un rassemblement suspect de plus de deux personnes – que sera-ce avec "StopCovid" ! avec les "brigades de cas contact" annoncées par le gouverneur de l’État de New York et les ministres de la Santé européens ! avec les "caméras intelligentes" d’ores et déjà chargées, dans telle ville du sud de la France, de contrôler le port du masque ! ou avec les labradors "au nez puissant" dressés à détecter l’odeur du Covid chez les humains (Washington Post, 29 avril 2020) !
[…] La vie, donc. La vie que l’on nous enjoignait, sur tous les tons, de sauver en restant chez nous et en résistant au démon du relâchement. Mais une vie nue.
[…] Une vie terrifiée d’elle-même et terrée en son terrier kafkaïen transformé en colonie pénitentiaire. […]
Un monde où règnent les techniciens de la ventilation, les surveillants généraux de l’état d’urgence, les délégués à l’agonie. Un monde où, à la place du monde qui fait trop mal, on a des gels hydroalcooliques, des balcons où l’on s’autocomplimente, des chiens à promener deux fois par jour muni de son attestation Covid et des villes expurgées de la foule humaine comme une salle d’op de ses infections nosocomiales. Un monde de maîtres-chiens, c’est à-dire de maîtres qui sont des chiens et qui dressent comme des chiens une humanité qui n’a le droit que d’aboyer quand on lui rappelle qu’elle est faite d’hommes, de gémir quand elle attrape un virus et de japper quand Monsieur Corona, notre roi, vient lui donner sa leçon comme on donne une pâtée, au double sens de pitance et de raclée. Le monde est fait pour s’y blottir, dit le roi Corona. Il est fait pour que l’on s’y couche. Et si le sommeil tarde à venir, il faut y compter les moutons, les gros sous quand on en a et, donc, les virus.
Elle est pas belle, la vie ?
On n’y a pas tout ce qu’il faut (les produits de première nécessité mais aussi, en fin de compte, le sexe, l’imagination, la mort) à portée de clics et de Netflix ? Tiens ! Encore ce "net", qui est l’autre sens du mundus…
Telle est la leçon du virus. Telle est la raison de ma colère. […]
La Grande Librairie, 3 juin. Penser le monde pour mieux le panser : c’est ce que propose François Busnel cette semaine, en compagnie de trois philosophes et un neuropsychiatre. L’animateur accueille Bernard-Henri Lévy, pour "Ce virus qui rend fou", paru chez Grasset. A ses côtés, Marylin Maeso présente deux livres "Les lents demains qui chantent", paru tous deux aux éditions de L’Observatoire. Corine Pelluchon, quant à elle, publie "Réparons le monde : Humains, animaux, nature", chez Rivages poche. C’est via Skype que Boris Cyrulnik évoque son ouvrage "France-Algérie : Résilience et réconciliation en Méditerranée", publié chez Odile Jacob.
Pouvoir médical et pouvoir politique, c’est le thème du message de AG. Retour aux sources : l’entretien de Bernard-Henri Lévy, et le chapitre 1 de son livre qui s’intitule : « Reviens, Michel Foucault » :
"Il y a eu une sorte de mondialisation de la peur" et une "incroyable docilité", analyse BHL
Le philosophe dénonce "les exagérations du pouvoir médical" et décrit sa "peur bleue" d’un monde où nos maîtres seraient "ces chiens labradors dressés à renifler les porteurs de Covid".
Ces médecins qui passaient leur temps à nous faire la leçon à la télévision, moi à l’oreille, j’entendais l’abus d’autorité. La République, ce n’est pas le pouvoir des experts, c’est le pouvoir des politiques.
CHAPITRE 1 Reviens, Michel Foucault
Vidéo : Bernard-Henri Lévy lit un extrait de son livre sur le Coronavirus pour Purple Diary. VOIR ICI.
Une analyse très critique, très pertinente, de BHL, comme souvent, mais alors pourquoi à la question — "Macron a-t-il bien géré cette crise ?" — cette réponse étrange, étonnante : — "Oui, plutôt. Mais je vous le répète : ce n’est pas ça le problème." Ah bon ? Je ne suis pas de ceux qui font une fixation sur la personne de Macron, mais enfin le "pouvoir médical", montré du doigt, qui l’a renforcé, au point de lui laisser les commandes, sinon le pouvoir politique ? Que la France n’ait pas été une exception dans cette période particulière et, oui, complètement folle, ne doit pas empêcher de poser le problème. A moins que, persuadé qu’à l’avenir l’ennemi principal sera encore et toujours le populisme (de droite, de gauche ou d’ailleurs), on ne s’interdise, une fois de plus, de s’interroger sur ses causes politiques. Mais comme cet aveuglement dure depuis plus de quarante ans, pourquoi ne pas jouer les prolongations ?