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Pourquoi j’ai été chinois (I)

D 10 septembre 2006     A par Viktor Kirtov - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


1976-2006. Trente ans après la disparition de Mao, Guy Sorman pourfend, dans un article du Figaro du 8 septembre 2006, les intellectuels apôtres du maoïsme dans les années 1970. Parmi eux, Philippe Sollers. Pourquoi de brillants esprits se sont-ils ainsi fourvoyés ? La fascination de la Chine, chez Sollers, n’a rien de la génération de spontanée. Déjà Drame (1965) est un « roman chinois » qu’éclaire le taoïsme. Loin des formules rapides qui font mouche, et tiennent lieu de réquisitoire sans appel, ceux qui sont intéressés à connaître le parcours intellectuel et politique - et les deux projets sont liés chez le Sollers des années 70 du groupe « Tel Quel » - peuvent entrer dans les textes.
Le lent processus de maturation des esprits s’y révèle : espoirs, fascination, utopie, dégrisement. Indéfendable engagement de ceux là... Pas si simple.

01/12/2012. Restauration annexe « L’Adieu au maoïsme » par Philippe Forest.

CÔTE PILE
Mao ou l’étrange fascination française pour le sado-marxisme
Par Guy Sorman

Le Figaro, 8 septembre 2006

« Mao Tsé-Toung, combien de morts ? Entre guerre civile, famine organisée, purges et révolution culturelle : quarante millions de victimes, soixante millions ? Impossible de prétendre que l’on ne savait pas. Dès 1971, l’écrivain Simon Leys (dans Les Habits neufs du président Mao), publié par René Viénet (par ailleurs auteur du film culte Chinois, encore un effort pour devenir révolutionnaires), révèle à l’Occident les massacres de la Révolution culturelle. Il n’empêche - c’est inexplicable - que la même année, Maria-Antonietta Macchiocchi, philosophe italienne qui fait autorité à Paris autant qu’à Rome, publie un ouvrage à la gloire de Mao. Dans De la Chine, on lit « la révolution culturelle inaugurera mille ans de bonheur », tout un programme. Mao ? Macchiocchi le trouve « génial ». Forcément génial. Comme Staline, qualifié lui aussi, par Louis Aragon, en 1953, de génial. D’une génération l’autre, une certaine intelligentsia ne se refait pas, comme s’il était essentiel de ne voir rien ou de feindre de ne voir rien, de manière à se tromper d’avenir, toujours.

En 1974, Roland Barthes, grand maître des lettres françaises, se rend en Chine. Et en revient enthousiaste, c’est inévitable ; dans ses bagages, deux grands écrivains, Philippe Sollers et Julia Kristeva. Eux aussi enthousiastes, évidemment. Sollers, retour de Pékin, déclare avoir vu la « vraie révolution antibourgeoise ». De ses propres yeux. Dans sa narration de voyage intitulée Des Chinoises, Kristeva écrit : « Mao a libéré les femmes » et « résolu la question éternelle des sexes ». La violence ? Elle-même n’a « constaté aucune violence ». À sa décharge, en 1974, les corps qui pendaient aux arbres de Canton avaient été décrochés ; mais le laogai, ce goulag chinois, affichait complet. Soixante millions de morts donc, « pas constatés » : de si discrètes victimes. On s’en voudrait d’oublier les nouveaux philosophes médiatiques de l’époque, Christian Jambet et Guy Lardreau : Mao, déclarent-ils en 1972, est la « résurrection du Christ », et Le petit livre rouge, « la réédition des Évangiles ».

1976, Mao disparaît : les troupes de Jean-Paul Sartre placardent sur les monuments de Paris son portrait voilé de noir. Sartre, directeur du journal La Cause du peuple, maoïste sans même qu’il lui fût nécessaire de se rendre en Chine.

Comment des intellectuels remarquables, Sartre, Barthes Kristeva et d’autres - ce n’est pas insignifiant -, purent-ils ne rien constater, ou le prétendre, ne pas être solidaires des victimes, ne pas voir le peuple chinois ? Comment et pourquoi crurent-ils possible ou nécessaire de pactiser avec Mao le bourreau ? Il y a là un grand mystère. Ou un amoralisme sans faille. Ce qui a lié une certaine intelligentsia aux tyrans, Staline, Mao, Castro, on doutera que ce fut la quête de la liberté, de la justice, de la démocratie ; ces valeurs-là n’étaient proclamées qu’à l’usage des gogos. Au-dessus de la liberté, de la justice, notre certaine intelligentsia a adoré la violence révolutionnaire, l’esthétique de la violence. N’est-ce pas le spectacle de la révolution qui plut aux Sartre, Barthes et compagnie ?

Sollers, Kristeva, Barthes, Sartre n’ont pu croire un instant, croire réellement que Mao « libérait l’humanité des valeurs bourgeoises » (Sollers, encore). [...] Révolutionnaires, ils l’étaient pour jouir au spectacle sang et or de la révolution. Oui, en jouir. Barthes ? Retour de Pékin, il ne s’interroge que « sur la sexualité des Chinoises ». Nos pèlerins de Pékin, pas aveugles, ni romantiques, doivent peu à Karl Marx mais beaucoup au marquis de Sade. Imagine-t-on réellement Barthes ou Sollers en marxistes et soucieux de la libération du paysan chinois ? Ou Aragon, en son temps, préoccupé par le destin du prolétaire russe ? Rendons grâce à leur intelligence : ils s’en moquaient. Par-delà l’amoralité, sadienne, de cette certaine intelligentsia, éprise de toute révolution pourvu qu’elle fût antibourgeoise, c’est-à-dire violente et haute en couleur, il y a la Chine.

[...]

Les protagonistes de cette aventure sont loin d’avoir tous disparus, beaucoup écrivent encore ; n’est-on pas en droit d’en attendre une explication, quelques regrets peut-être ? Sollers a-t-il vu ou pas vu, vraiment rien ou feint de ne pas savoir ? Fut-il sadien ou marxiste, toqué d’éthique ou d’esthétique ? Sollers aussi pourrait-il expliquer Barthes et Serge July, le lieutenant mao, nous commenter Sartre, qu’il seconda ? Trente ans après la mort de Mao, n’est-ce pas le moment sinon du repentir, au moins de la confession ? Pour l’histoire, pour ne pas récidiver, pour les victimes ? Ou, devrait-on se satisfaire de l’autojustification du psychanalyste Gérard Miller, emblématique de sa génération ? En 2005, sur TV5 : « Si la France d’aujourd’hui, déclare Miller, est un peu plus vivable que dans les années 1960, elle le doit pour une part non négligeable à nous, les maoïstes français. »

Contre cette passion esthétique, aragonienne, sartrienne, de la révolution, sommes-nous désormais vaccinés ? On voit que le gauchisme, l’écologisme profond, l’altermondialisme extrême ne se portent pas mal en France ; mais on veut croire que ses acteurs miment la révolution totale plus qu’ils n’y croient. Envers l’esthétique de la violence et le sado-marxisme, une certaine intelligentsia française peut être nostalgique mais guérie. Reste la sinolâtrie, intacte.

À Pékin, hommes d’État et hommes d’affaires occidentaux devinent toujours dans le Parti communiste chinois un despotisme éclairé (on ne va tout de même pas leur imposer la démocratie !). [...]
La « démaoïsation » ? Le Parti a décidé que Mao avait eu raison aux deux tiers, tort pour un tiers : dans quel tiers affecter les soixante millions de morts ? La question en Chine ne peut pas être posée, celle du massacre de Tiananmen, oeuvre de Mao II, en 1989, non plus. Mais, à Paris, s’interroge-t-on assez sur cette tyrannie que certains ont tant aimée. »

Guy Sorman

« Mao ou l’étrange fascination française pour le sado-marxisme »
Le Figaro, 8 septembre 2006
L’extrait dans son contexte (pdf)


CÔTE FACE
Guy Sorman a raison de s’interroger sur cette période de l’histoire intellectuelle française dont Sollers fut un des acteurs. Le présent contient sa part de passé qui s’y continue. Il en va ainsi de l’histoire et de la nature humaine.
Et toute bipolarisation simple : bien/mal, blanc/noir, amour/haine, gauche/droite, vie/mort rend mal compte de la complexité humaine qui telle nos particules élémentaires se plait à changer d’état en emettant des signaux contradictoires. Paradoxale et ambigue, telle est la loi de la physique des particules et de notre nature profonde.

Guy Sorman a tort quand il feint de croire que Sollers ne s’est pas expliqué sur cette période. Et bien qu’il ne soit pas un adepte de la repentance - loin de là - ce serait lui faire un mauvais procès que de ne pas se souvenir des nombreux textes où il revient sur sa fascination chinoise et maoïste.

1976 : Dans Le Monde du 22 octobre 1976, Sollers déclare : « Ce n’est pas de "doutes" ou d’ "inquiétudes" qu’il faut, à mon avis, parler, au sujet de la situation actuelle en Chine, mais de véritable drame. »

L’ extrait dans son contexte « L’Adieu au maoïsme », Histoire de Tel Quel par Philippe Forest.

1981 : Tel Quel N°81, « Pourquoi j’ai été chinois ? » :
J’étais dans cette utopie, que je n’ai plus du tout maintenant, que la révolution du langage et la révolution dans l’action sont des choses qui doivent absolument marcher du même pas. C’est une idée qui vient des formalistes ou des surréalistes d’une certaine façon. C’est l’illusion des avant-gardes européennes au XXe siècle, qu’il faut complètement abandonner
Le long texte de son interview de 1981, par Shuhsi Kao sera repris dans son recueil d’essais Improvisations, Gallimard, Folio/essais, 1991 p. 75-113. Dans une autre note nous en publierons des extraits plus substantiels.



Voir article Tel Quel Mouvement de juin 71
Voir aussi La Chine toujours
Voir aussi Pourquoi j’ai été chinois II
Voir aussi Tac au tac. Sur Aragon
Voir aussi Ebranler le système

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5 Messages

  • Viktor Kirtov | 21 janvier 2020 - 15:11 1

    Qui l’eût cru, une Chinoise, Qingya Meng, titulaire d’un doctorat de littérature française, s’intéresse encore au voyage en Chine de Philippe Sollers et ses comparses d’alors, Barthes, Pleynet, Kristeva ? C’était à une époque antédiluvienne, en 1974 sous l’ère de Mao, alors que l’auteure n’était pas encore née. Elle naîtra en 1984.


    GIF

    Essai / Nouvelle parution

    Qingya Meng


    L’échec du voyage en Chine (1974), de Sollers, Kristeva, Pleynet et Barthes
    ,

    EDITIONS COMPLICITES, 2020.

    La Révolution culturelle en Chine dure une décennie, de 1966 à 1976.

    En avril-mai 1974, Philippe Sollers, Julia Kristeva, Marcelin Pleynet et Roland Barthes sont invités par le gouvernement chinois à séjourner en Chine durant trois semaines.

    Au retour de ce déplacement, encadré par les autorités chinoises et qui a fait polémique en France, les écrivains font preuve d’une troublante discrétion quant à leurs impressions de voyage.

    Quarante-cinq ans plus tard, Qingya Meng, jeune universitaire chinoise, tente d’interroger l’étrange silence qui entoure ce périple en Chine. L’auteure s’appuie à la fois sur l’étude des œuvres des voyageurs, et sur le contexte politique de la Chine de Mao. Elle inscrit sa recherche dans une réflexion originale en lien avec la littérature de voyage du XXe siècle.

    A propos de l’auteure

    Qingya Meng, née en 1984, est titulaire d’un doctorat de littérature française obtenu en 2018 à l’Université de Montpellier III.Spécialisée dans la littérature de voyage entre la France et la Chine, elle travaille actuellement sur deux écrivains-voyageurs français ayant séjourné en Chine, le jésuite Claude Larre (1919-2001) et Mme de Bourboulon (1827-1865).

    Crédit : fabula.org/


  • Viktor Kirtov | 30 janvier 2015 - 21:59 2

    Réponse à miqueupujol, un temps trotskiste, "sidéré par nos aveuglements" :

    « Ecoutez ceci, peuple insensé, et qui n’as point de cœur !
    Ils ont des yeux et ne voient point, Ils ont des oreilles et n’entendent point. »

    Jérémie 5:21, il y a très longtemps

    « C’est pas moi, c’est mon frère »
    Lionel Jospin, en son temps

    Philippe Sollers qui a toujours été attiré par la culture et la philosophie multimillénaire chinoise a aussi cédé à l’ensorcellement du Verbe de Mao. Avec le Voyage en Chine de 1974 a commencé son dégrisement. Et les Chinois sont-ils dégrisés de Mao (près de 50 millions de morts suite à la grande famine résultat de sa politique) ? Pas complètement. En 2008, une statue du Grand Timonier, haute de 20 mètres, a été dressée sur le campus de l’université de médecine de Chongqing, ville de 7 millions d’habitants… 774

    Les aveuglements et envoûtements changent mais se perpé-tuent et la morale nous est donnée par Charlie Hebdo :

    « Tout est pardonné »
    Charlie Hebdo, N°1178 du 14 janvier 2015


  • miqueupujol | 29 janvier 2015 - 11:08 3

    trotskiste un moment ’(1969/1976)j’ai été effleuré mais non pénétré par l’utopie mao, un vrai "drame" en effet et je reste toujours sidéré par nos aveuglements car moi aussi, des années 1950 aux années 60 je fus aveugle sur l’URSS et il me fallut lire "le Goulag" pour avoir les yeux dessillés
    le silence et plus sur des hommes comme Simon Leys est un scandale mais aussi l’imposture des retours de chine élogieux qu’on prétendit nous faire avaler
    il y aurait trop à dire !


  • Viktor | 10 septembre 2006 - 23:19 4

    Merci pour vos références chinoises dans « Une vie divine » que je vais publier sans tarder. Ces pages sont un régal pour l’esprit : un portrait de Mao tout en subtilité chinoise bien assimilée, semble t-il, par Sollers. Maoïste, oui ! Maoïsme sollersien... taillé sur mesure. Et il a été plus que maoïste, il a été chinois. Avant la politique, c’est la pensée et la culture ancienne chinoises qui l’ont "fasciné". Comme pour la bicyclette, ça ne se désapprend pas.

    D’autres références sur la Chine et Sollers dans le journal de Marcelin Pleynet et Les Samouraïs de Julia Kristeva, tous deux faisant partie du « Voyage en Chine » de 1974 qui sera prochainement abordé dans la nouvelle rubrique thématique du site « Sollers et la Chine ». Improvisations contient aussi un article de mars 1980 « On n’a encore rien vu », intéressant pour le sujet qui nous occupe ici , mais également pour la vision des relations Occident / Proche Orient qui y est présentée. Et lire cet article en cette veille de 11 septembre est tout à fait étonnant !

    Quant à son article dans le Nouvel Observateur : « Mao était-il fou ? » (15/09/05), suite à la sortie de la biographie de Mao par Philip Short c’est un autre portrait de Mao, à lire. L’ai retrouvé aussi. A bientôt sur ce site pour y retrouver vos suggestions, et pour en poster de nouvelles, soit dans la zone forum, soit dans l’espace rédacteur. Vous y êtes le bienvenu.


  • Albert Gauvin | 10 septembre 2006 - 20:22 5

    C’est très bien de "commencer" à réfléchir sur le rapport de Sollers avec la Chine, son histoire, sa culture, sa révolution. L’article de Sorman, malheureusement, pas plus que celui de René Viénet dans le même Figaro, n’apporte aucun éclairage nouveau (il aurait pu être écrit il y a dix ans, vingt ans ou trente ans !)
    En dehors de "Pourquoi j’ai été chinois" publié dans Improvisations (il y a très longtemps !), il faudrait rappeler tous les textes de Sollers sur la Chine (partout - romans, essais - et depuis toujours), TOUS les numéros de Tel Quel, de l’Infini...Des centaines de pages !
    Ce "dialogue" avec la Chine ne se réduit pas, loin s’en faut, à la "fascination" pour la période de la révolution culturelle...
    Relire l’article publié à la sortie du très beau livre de Philip Short "Mao était-il fou ?" ou les pages 368, 369 et 373, 374 de "Une vie divine" (entre autres et en en attendant d’autres).