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Mort du philosophe et écrivain Bernard Sichère

D 10 avril 2019     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Bernard Sichère est mort à Reims le 26 mars. Il venait d’avoir 75 ans. J’avais fait sa connaissance grâce à Marcelin Pleynet et Stéphane Zagdanski qui m’avaient appris qu’il habitait Reims depuis 2012. Nous prîmes contact, déjeunâmes et bûmes ensemble (excellent souvenir de son whisky) — et nous conversâmes. Quand nous nous sommes rencontrés, il m’avait parlé de son cancer à la langue — chose étrange pour un écrivain qui la maniait si bien et qui, par ailleurs, ne fumait pas. Il en semblait guéri. On s’amusait. Il signait parfois ses mails « Frère Bernard de la Douce Retraite », puis, « Frère Bernard de la Longue en Endurance », un jour où il me demandait des nouvelles de mes « travaux » et des « émanations proches de [mon] existence spirituelle ». Après une opération réussie de la rétine, je signais mes mails « Frère Albert de la seconde vue ». Il avait trouvé ça « absolument magnifique et plein d’humour (mais seulement, il y a là quelque chose en plus...) »... Puis, pris par nos activités respectives, nous nous sommes un peu perdus de vue... Ses obsèques ont eu lieu en l’église Saint-Jacques à Reims le jeudi 4 avril. Il a été inhumé au cimetière paysager de La Neuvillette. J’ai appris sa mort ce mardi alors que je m’apprêtais à lui téléphoner (était-ce un pressentiment ?) pour faire le point sur l’actualité, dont il était un observateur aigu, et, à l’occasion de la réédition de Méditerranée, lui reparler de Jean-Daniel Pollet qu’il connaissait mal et dont je lui avais prêté tous les films...
Ah !
Ce grand soleil qui ne meurt pas...
De Sichère essayiste, il faut lire prioritairement : Le Nom de Shakespeare (Gallimard, collection L’Infini, 1987), Seul un Dieu peut encore nous sauver (Desclée de Brouwer, 2002) et L’Être et le Divin (Gallimard, coll. L’Infini, 2008).
Après la publication de
L’Être et le Divin et la crise de 2008, voici ce qu’il déclarait, avec une grande lucidité, le vendredi 20 mars 2009 au micro de France Culture.

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Mort du philosophe et écrivain Bernard Sichère

par Florent Georgesco

Ancien professeur de philosophie à l’université de Caen et de Paris-Diderot, ancien militant maoïste, l’auteur de romans et d’essais Bernard Sichère est décédé le 2 avril, à 75 ans.

Quand Maurice Poulet, l’éditeur du dernier livre de Bernard Sichère, Aristote au soleil de l’être (CNRS Editions, 2018), rencontrant le philosophe et écrivain, lui a dit qu’il gardait un vif souvenir de certains de ses livres, celui-ci lui a tout de suite demandé : « Des livres de quelle période ? » Mort d’un cancer mardi 2 avril, à Reims (Marne), Bernard Sichère était un penseur-gigogne, que cette interrogation résume.

Né au sein d’une famille où l’on vénérait Maurras et l’OAS, il entre dans la vie intellectuelle, jeune professeur de philosophie au lycée Janson-de-Sailly, à Paris (il enseignera ensuite à l’université de Caen, puis à Paris-VII-Denis-Diderot, où il finira sa carrière en 2009), par une rupture radicale, qui l’amène sur les barricades de Mai 68, puis à l’Union des communistes de France marxiste-léniniste (UCF-ML), le mouvement maoïste d’Alain Badiou, qu’il finira par qualifier d’«  organisation sectaire », marquée par « la rhétorique autiste » de son maître à penser dans un texte paru sur le site de la revue « La Règle du jeu », en avril 2010.

S’inventer des ailleurs

De son expérience à l’UCF, conclue en 1976 par son exclusion, qu’il vit comme un soulagement, il tire l’année suivante son premier roman, le bouillonnant Approche de la tempête (Gallimard). Mais c’est des années plus tard, dans Ce grand soleil qui ne meurt pas (Grasset, 2011), qu’il dira avec le plus de force quel «  amour de la vérité », dans tous les ordres, politique, artistique, sexuel, l’avait porté à s’engager puis à se dégager. Il citera Heidegger : « Les révolutions ne sont jamais assez révolutionnaires » pour expliquer que cet élan devait s’inventer des ailleurs, loin de la prison morale et intellectuelle où ses camarades s’étaient enfermés.

La littérature est l’un d’eux. Plusieurs romans paraissent dans les années 1980 et 1990, de Je, William Beckford (Denoël, 1984) au Rire des dieux (Grasset, 1993), où il joue avec l’histoire et le mythe, multipliant les figures de marginaux, d’exilés, de maudits. L’homosexualité, dans ces livres, occupe une place centrale, celle de l’« énigme » que représente, explique-t-il au « Monde des livres » en 1984, le désir lui-même, que l’« on croit définir parce qu’on a donné un nom à l’objet ». Mais alors on le « masque », on le dépossède de sa puissance de déflagration. La littérature n’a de sens que si elle la lui restitue, en l’arrachant aux discours sociaux.

La foi comme arrachement au nihilisme

Les romans de Bernard Sichère, dès lors, ne sont pas plus homosexuels que ses essais, Merleau-Ponty, ou le corps de la philosophie (Grasset, 1982) ou Le Moment lacanien (Grasset, 1983), ne sont phénoménologiques ou psychanalytiques. S’il y a une unité à cette œuvre en éclats, elle se trouve dans l’art de bondir toujours au-delà des objets dont elle s’empare. Les fidélités qu’elle manifeste – Lacan, justement, Bataille, Heidegger… – vont à des pensées de l’instabilité des choses, de la métamorphose, capables d’accompagner Sichère sur ses chemins de traverse.

Y compris quand il trouve une synthèse de ses élans disparates dans la foi catholique, que ses livres suivants ne cesseront d’affirmer et d’explorer, tel Catholique (Desclée de Brouwer, 2005) ou L’Etre et le Divin (Gallimard, 2008). Une foi qui représente pour lui, notamment à travers les thèmes de l’incarnation et de la résurrection de la chair, une célébration de la splendeur du réel, un arrachement, par la beauté, au nihilisme.

Se déprendre de la volonté de puissance, contempler la gloire du monde pour apprendre qu’il est autre que nous, et signe d’un Tout Autre : la pensée de Bernard Sichère se concentre alors dans une métaphysique de l’« éclosion » divine de tout ce qui est, dernière période, marquée par un retour à Aristote, dont il traduira la Métaphysique (Pocket, 2007-2010), et auquel il consacrera cet Aristote au soleil de l’être que la mort a transformé en point final.

Et si d’autres textes paraîtront sans doute, tel le manuscrit sur le martyre des moines de Tibhirine qu’il venait de terminer, il n’est peut-être pas indifférent que l’aventure intellectuelle de Bernard Sichère se soit achevée sur un appel à «  nous tenir (…) debout face à l’être et au sein de l’être », dans « son éclatante, son aveuglante lumière ».

Bernard Sichère en quelques dates

13 mars 1944 Naissance à Lille
1977 « Approche de la tempête » (Gallimard)
1983 « Le Moment lacanien » (Grasset)
2005 « Catholique » (Desclée de Brouwer)
2018 « Aristote au soleil de l’être » (CNRS Editions)
2 avril 2019 Mort à Reims (Marne)

Florent Georgesco, Le Monde du 9 avril

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Bernard Sichère dans Tel Quel

Discussion : enseignement, répression et révolution, 50 Eté 1972
Sur la lutte idéologique, 52 Hiver 1972
La lutte idéologique (fin), 53 Printemps 1973
A partir de Michel Foucault, 86 Hiver 1980
Encore la Chine…, 89 Automne 1981
L’Écriture souveraine de Georges Bataille, 93 Automne 1982

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Bernard Sichère dans L’Infini

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Bernard Sichère dans la collection L’Infini

Je, William Beckford
La gloire du traître
Le Nom de Shakespeare
Le Dieu des écrivains
Pour Bataille
L’Être et le Divin

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BERNARD SICHÈRE SUR PILEFACE

LIRE NOTAMMENT :

Marie-Madeleine en Italie : Tintoret
A quoi bon des poètes en temps de détresse ?
L’athéologie de Jean Genet
Le Nom de Shakespeare
Débat entre Pascal David et Bernard Sichère (En lisant François Jullien, la foi biblique au miroir de la Chine)

VOIR AUSSI : Cours de philosophie : conférences version vidéo

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