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Encore cent ans pour Melville

D 1er août 2019     A par Albert Gauvin - C 6 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



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Herman Melville est né le 1 août 1819 à New York (États-Unis).

« Herman Melville aurait aujourd’hui deux cents ans. Il a survécu et continuera de vivre, mais quelle histoire, que de risques encourus ! On pense parfois que l’on peut dessiner une ligne de vie, en suivre la courbe. En fait, on doit y revenir sans cesse, par de multiples touches, sous des angles variés, des "éclairages". Même sentiment pour ce qui concerne l’avenir de Melville, l’à-venir de son oeuvre. Dès avant le décès d’Herman (en 1891), il était oublié, sorti de la scène littéraire. On en reparlera dans cent ans. » Claude Minière.

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L’existence du noir

par Olivier Rachet

« Les physiciens nomment singularité la région de l’espace où s’effondre une étoile. Melville s’est-il ainsi effondré, brûlé, épuisé dans sa singularité ? Il aura opéré dans la littérature américaine un ‘trou noir’ », écrit en conclusion d’un court exercice d’admiration Claude Minière. Rendant hommage à un homme solitaire, un écrivain peu compris en son temps, l’auteur tente d’approcher la singularité d’une langue qui peut s’enorgueillir de rivaliser à la fois avec les Écritures et toute la littérature de son époque. En dehors des trois derniers livres de l’auteur de Moby Dick, chacun de ses romans obéit, selon Minière, à une logique implacable, celle du livre de bord. Non d’un simple traité de navigation, encore moins d’un récit d’aventures, mais de la relation d’une expérience intérieure qui est aussi bien celle de l’abandon que de l’épreuve ; c’est-à-dire du néant. « Soyez honnête, écrit Melville, et ne niez pas l’existence du noir ».

C’est alors qu’affleurent ces personnages hors du commun, façonnés comme l’homme à l’image de la création : « Nous nous sentons contemporains de la Création », reconnaît d’ailleurs Melville. Qui n’a jamais pensé que les refus lancinants de Bartleby pouvaient aussi être l’œuvre du Diable, de celui qui toujours nie ? Qui ne voit pas que dans son ivresse vengeresse, l’hubris du capitaine Achab rejoint la révolte de Job ? Quant à mon préféré, le matelot humilié par son officier refoulant son désir homosexuel, Billy Budd, qui ne succombe pas d’émotion devant cette figure profane d’un Christ désespérément abandonné ? « Billy Budd, écrit justement Minière, conte l’histoire d’un homme qui bégaie face à ceux qui parlent en règlements disciplinaires. » Melville sera resté fidèle, en dépit de ses nombreux voyages, à son poste d’écriture et n’aura eu de cesse de lutter, corps et âme, contre « l’universel reportage » décrié par Mallarmé. « J’aime tous ceux qui ont plongé au plus profond et sont remontés les yeux injectés de sang. » Combien d’entre nous se résignent à rester à la surface des choses, n’affrontant aucune menace intérieure, collaborant lâchement avec les donneurs d’ordre autoritaires et les équipages de fortune ? Joyeux anniversaire monsieur Melville, vous auriez eu deux cents ans, cette année !

Olivier Rachet

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(Note de lecture), Claude Minière, "Encore cent ans pour Melville"

par Guillaume Basquin

On le sait, c’est le bicentenaire de la naissance de Melville ; les opérations d’hommage se multiplient, plus ou moins officielles, académiques, romancées. Il y a la méthode « éléphant blanc », hollywoodienne, tape-à-l’œil, faite pour impressionner son lecteur, à la Yannick Haenel (on romance Moby Dick, refusant la forme de l’essai, moins vendeuse — plus légère pourtant, parfois : ici même !) ; et il y a la méthode « termite » (voir Manny Farber à ce sujet, L’art termite et l’art éléphant blanc, 1962*), celle qui fore longuement et profondément son sujet, à coup de sondes rapides (Claude Minière multiplie les chapitres courts, comme Melville dans Mardi et Moby Dick ; il fait son court essai à Son image) : « On doit y revenir sans cesse, par de multiples touches, sous des angles variés, des “éclairages”. » Pendant que les autres commémorent Melville, Minière, lui, prépare son avenir : son à-venir, écrit-il — soit son tricentenaire, quand on aura commencé à lire les autres livres de Melville (ses débuts, avec Typee (livre « qu’on […] donnera peut-être » à lire aux enfants « avec leur pain d’épices »), et sa fin, soit ses poèmes publiés dans l’indifférence générale et à titre privé, et tous les grands romans au milieu : Mardi, Pierre ou les ambiguïtés) ; et qu’on aura appris à se rendre compte que sa langue si sonore perd beaucoup en traduction : dans cent ans, on aura tous appris les langues étrangères ; et on saura gré à Minière d’avoir commencé à défricher ce long chemin qui mène vers l’intelligence de la langue de Melville ; à savoir qu’en montrant toutes les citations qu’il a choisies avec soin en bilingue, on peut goûter ceci : “We threaded our way straight along the very Line itself. Westward sailing ; peering right, and peering left, but seeing naught”, plutôt que cela : « Nous filions droit vers l’ouest, le long précisément de la Ligne, scrutant de gauche et de droite, mais ne voyant que le rien » (in Mardi). Mais quel est « l’idiot » qui a changé la ponctuation de cette phrase, et sa forme répétitive ? Nombre des plus belles combinaisons de sons, de voix, ont été complètement perdues pour l’oreille du lecteur en raison**… de la traduction. Longtemps j’ai cru que la fameuse et très souvent citée phrase de Melville était « j’aime tous les hommes qui plongent », quand en vérité elle est « j’aime tous les hommes qui plongent profond. N’importe quel poisson peut nager proche de la surface, mais il faut un poids lourd pour descendre dans les grandes profondeurs ». Louons Minière qui a souligné ce profond. La preuve que l’art de Melville est termite plutôt qu’éléphant blanc ? La voici : « Écrivant, Herman Melville passe la Ligne, il multiplie les analogies, sautant d’un événement historique à un autre éloigné, rapportant un acte à la Bible, plongeant dans les profondeurs de l’âme humaine […]. Son récit progresse lentement, il passe et repasse la Ligne. Il semble que la narration soit une épreuve, non commandée par un “scénario” mais vécue comme une expérience de la langue avec la pensée. » Et voilà.

Guillaume Basquin

LIRE AUSSI :
Fabien Ribery, Melville, un auteur pour demain, par Claude Minière, essayiste
Augustin Voegele, Pour saluer Melville à nouveau
Philippe Chauché, La Cause littéraire

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HERMAN MELVILLE (1819-1891). (©MARY EVANS/SIPA)
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De son vivant, Herman Melville, qu’on traita de "fou", fut mal ou peu lu. Depuis, son génie court le monde. On réédite deux de ses chefs-d’oeuvre dans lesquels, à New York comme en haute mer, le Bien et le Mal se font la guerre.

Melville le diabolique

Par Philippe Sollers

Dieu étant devenu inaudible, la présence dérobée du Diable en littérature mériterait une étude à part. De ce point de vue, Herman Melville (1819-1891) a droit à une mention spéciale. « Moby Dick » est un énorme roman « diabolique », et le capitaine Achab aux prises avec sa baleine blanche n’a pas fini de hanter les imaginations. Pourtant, en profondeur, deux brefs récits se détachent : « Bartleby le scribe » et « Billy Budd, marin ». Ce sont des chefs-d’oeuvre.

Melville a beaucoup souffert de l’Amérique, qui, après lui avoir concédé quelques succès pour ses romans « maritimes », l’a vite trouvé fou. Echecs sur échecs, refus de ses poèmes, fin de vie comme employé aux douanes du port de New York, mais création obstinée et souvent fulgurante. Tout semble opposer Bartleby et Billy : pourtant, dans les deux cas, vous éprouvez bien l’action d’un mal incompréhensible. Si vous n’êtes pas inquiet et profondément ému, vous avez tort. Folie calme et négative d’un côté, crime contre la beauté de l’autre.

Bartleby est un simple copiste dans un cabinet d’avoués de New York. Soudain, il ne veut plus copier ni rien faire. A toute demande de son employeur, d’ailleurs fasciné par cette « silhouette livide et soignée, pitoyablement respectable, incurablement abandonnée », il répond, avec une « blafarde hauteur » et une « austère réserve », par une phrase appelée à devenir célèbre : « I would prefer not to. » Vous pouvez traduire, comme dans la Pléiade, par « je ne préférerais pas », ou, si vous voulez insister, par « je préférerais ne pas ».

Imaginez cette scène aujourd’hui dans n’importe quel bureau d’une mégapole. Un type de ce genre, irréprochable, croise les bras devant son ordinateur et répète mécaniquement, d’une « voix singulièrement douce et ferme », la même phrase. L’employeur le renvoie-t-il sur-le-champ ? Mais non, il est pris d’une étrange fascination pour ce héros de la négation, lequel finit par squatter son bureau et en faire son habitation.

Cet esprit qui toujours nie n’a rien de faustien : c’est un pauvre diable qui déserte le camp du diable social. Il ne préfère pas, c’est tout. Il interrompt la comédie, ne mange plus, finit à la prison des Tombes, tourné contre un mur, et meurt tranquillement dans l’herbe de la cour où on le laisse à son destin immobile. D’où venait ce spectre réfractaire ? D’un emploi aux lettres de rebut à la poste de Washington (ce sont les dead letters brûlées périodiquement). Bartleby est devenu lui-même une lettre morte. Le très religieux Melville vous fait signe à travers saint Paul : « La lettre tue, l’esprit vivifie. » Le Diable tue dans l’attachement servile à la lettre, et Bartleby est un martyr, qui, sans rien dire, a tout compris.

Nous passons maintenant sur un navire de guerre anglais en 1797. Trois personnages principaux : un commandant lettré et réservé, un capitaine d’armes extrêmement bizarre (c’est un policier possédé), et enfin la vedette inoubliable : Billy le « Beau Marin », un « joyau », un « pur-sang », un innocent incapable de discerner le mal, « essentiellement ignorant de la vie factice ». Billy a 21 ans, c’est « la force alliée à la beauté », il a des yeux « célestes » et surtout une « bonté essentielle ».

Il n’a qu’un seul défaut : quand il est très ému, il se met à bégayer, il ne peut plus parler. Sans quoi, bien qu’illettré, il chante en inventant sa chanson « comme un rossignol ». Billy gabier de misaine, vit dans les hauteurs du bateau comme un « joyeux Hypérion », et d’ailleurs ces marins du ciel sont des « dieux nonchalants » enviés des rampants des ponts du navire. Billy Budd a vite un surnom : c’est « Bébé Budd », membre lumineux d’un « club aérien ».

Il a été enrôlé de force, c’est un adolescent plein de grâce et de vérité, aux allures parfois féminines en contraste avec sa nature athlétique. Bref, la séduction même, d’autant plus irritante qu’elle semble inconsciente d’elle-même. Voilà : le Diable n’a plus qu’à se manifester.

Le Diable, c’est le capitaine d’armes, Claggart, surnommé « Jim Lamouche ». Il est bizarrement discret, celui-là, il fait régner l’ordre, il est très raisonnable, mais dissimulé. D’emblée, sans rien laisser paraître, il a repéré l’ange Billy ce pur et virginal Adam d’avant la Chute. Sous ses airs policés, il est atteint, dit Melville, d’une « dépravation naturelle », d’une « perversion congénitale et innée ».

Ne dites pas tout de suite « homosexualité », ce serait trop simple. Il n’y a, chez Claggart, « rien de sordide ni de sensuel ». Le mal est beaucoup plus profond, et la « sexualité » n’est qu’une conséquence latérale d’un principe spirituel cachant une folie froide et un « orgueil phénoménal » sous une raison apparente. Ce serpent, hypnotisé par une rose (bud, bouton de fleur), est du « diabolisme incarné ».

Melville écrit : « Incapable d’annuler en lui un mal élémentaire, percevant le bien, mais impuissant à y participer », il est comme un scorpion « surchargé d’énergie ». Cette énergie démesurée est l’Envie (comme catégorie du mal absolu). L’envie, passion diabolique par excellence, veut tuer, c’est une négativité pure. L’envie veut la mort.

Satan, selon Milton, n’est que « pâle colère, envie, désespoir ». Melville, par petites touches bibliques et évangéliques (le « mystère d’iniquité » évoqué par saint Paul), fait du navire en pleine mer un lieu cosmique et métaphysique. Inutile de dire que Billy Budd, malgré quelques avertissements donnés sur un ton oraculaire par un vieux marin, ne s’aperçoit de rien et ne comprend rien.

A partir de là, tout va très vite : le Diable accuse l’ange de préparer une mutinerie à bord. Billy bouleversé d’émotion par ce mensonge et devenu aphasique, le frappe à mort, et le commandant, tout en le sachant innocent, est obligé de le condamner à être pendu. L’aumônier du navire renonce vite à préparer le condamné à son exécution : c’est un enfant qui écoute poliment son sermon sans réagir. Au petit matin, l’agneau Billy Budd est pendu à la grande vergue devant l’équipage rassemblé. Il bénit, avant de mourir sans la moindre convulsion, le commandant. Le jour se lève, et c’est une apothéose en rose envahie de mouettes. Un innocent meurt dans un monde coupable : un de plus, mais un pour toujours.

J’ai toujours lu et relu « Billy Budd » la gorge serrée. Ce petit livre inachevé (Melville y a travaillé jusqu’à sa mort) n’a été publié qu’en 1924. C’est du très grand art de marin connaissant tous les noeuds de la tragédie humaine, un requiem chantant une extraordinaire noblesse disparue. Sans illusions sur ses bouteilles jetées à la mer, Melville a quand même écrit ce qui suit :

« Dans certaines dispositions, aucun homme ne peut peser ce monde sans jeter quelque chose comme le Péché originel dans la balance pour rétablir l’équilibre. »

Philippe Sollers, L’Infini 111, Eté 2010.
Le Nouvel Observateur du 11 mars 2010.

Bartleby le scribe, Billy Budd, marin,
et autres romans. Oeuvres, IV,
par Herman Melville,
édition de Philippe Jaworski,
avec David Lapoujade et Hershel Parker,
Gallimard, la Pléiade, 1424 p.

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Yannick Haenel : "L’effervescence de "Moby Dick" me fait penser, écrire, aimer"

France Culture, Affaire en cours par Marie Sorbier, 6 janvier 2021.

Grand admirateur de "Moby Dick", le chef d’oeuvre d’Hermann Melville, depuis l’enfance, l’écrivain et essayiste Yannick Haenel explique au micro de Marie Sorbier comment et pourquoi cette oeuvre continue de fasciner des artistes de toutes disciplines et générations.

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Certaines œuvres que nous qualifions volontiers de "classiques" représentent des réservoirs d’idées et d’images dans lesquelles plongent allègrement les artistes contemporains. A l’instar du roman Moby Dick, chef d’oeuvre de l’auteur Hermann Melville publié en 1851. Pour décrypter cet objet littéraire qui obsède et fascine les lecteurs de génération en génération, l’écrivain, essayiste et grand admirateur de la fameuse baleine blanche Yannick Haenel est au micro de Marie Sorbier.

Yannick Haenel, dont les ouvrages s’imprègnent de nombreuses références, explicites ou implicites, à Moby Dick, explique à quoi tient selon lui la fascination autour du roman de Melville.

C’est la question de l’absolu qui est en jeu. Parmi les livres qui affrontent ou font face à cette quête de vérité qui ne cesse de se déborder elle-même, Moby Dick est le modèle, le paradigme, la souche première de cette aventure-là.
Yannick Haenel

Quand j’étais enfant, je sentais qu’il y avait d’autres livres et que Moby Dick les contenait. J’ai lu Moby Dick avant de lire la Bible, avant de lire Shakespeare et Freud. Même Freud est à l’intérieur de Moby Dick. C’est une matrice de tous les désirs masculins et féminins. Yannick Haenel

Si Moby Dick est un "livre d’hommes" qui ne contient que des personnages masculins, il relate néanmoins comment ces hommes sont tous à la poursuite de la même baleine. Aux yeux de Yannick Haenel, l’animal marin est une créature étrange et féminine. Au-delà de cet aspect, elle est pour l’écrivain un être infini et blanc, et une des ses plus fidèles sources d’inspiration. Il recommande à ce titre les traductions françaises de Jean Giono ou de Jean-Philippe Jaworski.

J’ai toujours puisé dans Moby Dick. A chaque fois que j’essaye d’écrire un livre, je suis écrasé par Melville mais il suffit que je le rouvre pour bénéficier d’une effervescence qui me fait penser, écrire, aimer.
Yannick Haenel

Ismaël et la part d’indemne du monde

Moby Dick est un combat avec le mal, et c’est aussi un combat contre notre propre fascination pour le mal. Yannick Haenel

Si tous les hommes embarqués sur le bateau du fascinant capitaine Achab, seul Ismaël ne souhaite pas tuer la baleine. Selon Yannick Haenel, ce personnage incarne une sensibilité et un amour qui sont au coeur du récit de Melville.

Non seulement il ne veut pas la tuer, mais il veut l’aimer. Comme s’il avait perçu qu’au coeur de la catastrophe, de ce qui peut nous tuer, il y avait quelque chose d’indemne. L’indemne, c’est cette part irréductible qu’il y a en chacun de nous, qui échappe à l’enfer et à la damnation. Ismaël est le seul qui distingue dans la baleine autre chose qu’une proie, que le mal. Tous les hommes se sont accordés à dire qu’elle était le mal, qu’il fallait la tuer, mais lui, il a distingué l’indemne.
Yannick Haenel

Si Moby Dick est avant tout le récit d’une chasse à la baleine, un personnage s’en distingue particulièrement. A la différence du reste de l’équipage, Ismaël ne sera en effet pas mené à mourir par cette folle chasse à la baleine. Il incarne, en opposition aux autres hommes sur la bateau, la capacité à percevoir la part mystique et indemne inhérente à toute chose. C’est cela, et seulement cela, qui le sauve là où les autres périssent, selon Yannick Haenel.

Moby Dick est un livre de sagesse, mais est aussi complètement fou. Un évangile très bizarre réécrit dans l’anglais hirsute de Melville. C’est une leçon de ténèbres qui nous invitent à aller chercher le mystique au coeur même de l’objet que tous veulent sacrifier. En l’occurence, c’est la baleine. Mais cet objet, c’est la vie elle-même.
Yannick Haenel

La littérature, c’est aussi du non-savoir, une forme d’idiotie volontaire. J’espère être un peu Ismaël à chaque fois que j’ose écrire un livre, j’espère qu’il y a cette quête, ce rapport avec l’indemne. Yannick Haenel

La littérature, dans sa solitude, est en train de redevenir une chose grandiose parce que c’est l’amour du langage. Je cherche un nouvel amour du langage.
Yannick Haenel

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Melville pour la vie

par Yannick Haenel

Revoici Moby Dick et notre baleine blanche bien-aimée, notre divine amie redoutée, celle dont « le cerveau illumine le monde », comme l’écrit Melville au début d’un autre roman fou : Mardi.

Herman Melville, Moby Dick. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Philippe Jaworski. Gallimard, coll. « Quarto », 1 024 p., 25 €

À l’occasion d’une nouvelle et très belle publication de Moby Dick en un volume « Quarto » (Gallimard), traduit et édité par l’excellent Philippe Jaworski, et accompagné par une féerie de notes, d’illustrations et de riches commentaires, voici que nous reviennent tous les éclats de nos lectures de Melville, voici que la baleine s’avance avec sa mémoire infaillible, avec sa bibliothèque intérieure dans laquelle nos vies sont archivées, avec son « grand Art de Dire la Vérité », comme l’écrit Melville à Hawthorne en jouant de solennelles majuscules d’ironie.

Oui, voici qu’on se met à relire Moby Dick comme à chaque fois, emporté, à l’image d’Ismaël, par le dilemme entre le suicide et la mer, et qu’on choisit la mer, c’est-à-dire l’embarquement dans la lecture. Et puisqu’on a déjà lu trois, quatre fois, et dans d’autres traductions, ce livre-destin, voici qu’affluent, en même temps que ses chapitres, d’autres livres, d’autres phrases, d’autres joies débordantes, d’autres détails, d’autres trésors.

On se souvient alors d’un passage de Pierre ou les ambiguïtés, le livre que Melville écrit juste après Moby Dick (étrange roman qui, en un sens, raconte mystiquement ce qui s’est passé pendant l’écriture du livre-cachalot) : « La parole qu’il écrivait n’avait de sens que dans la mesure où il était en quelque sorte déjà mort, dans la mesure où cette parole flottait au-delà de sa vie et au-delà de son existence. »

Et alors, par association d’idées – par amour –, voici qu’on pense à une scène du livre, une minuscule vignette du chapitre LXXXV intitulé « La fontaine » : on l’attend, on la guette et on la retrouve inaltérée, toujours aussi belle, toujours nouvelle : alors qu’il médite sur le jet qui surmonte la tête de la baleine et «  asperge les jardins de l’abîme de pluies du plus fin mystère », alors qu’il se demande si cette pluie est de l’eau ou seulement de la vapeur, et si même elle est vénéneuse ou bénéfique, Ismaël, à travers le flux de sa rêverie scientifique, se met à disserter loin, très loin, sur la nature même de la pensée : « Et je suis persuadé que toujours, du front des êtres profonds et pondéreux – Platon, Pyrrhon, le diable, Jupiter, Dante, etc. – monte un ruban de vapeur à demi visible lorsqu’ils sont occupés à produire d’insondables pensées. »

Arrive enfin la scène que j’aime : « Un jour que je composais un court traité sur l’Éternité, j’eus la curiosité de placer un miroir devant moi, et je vis bientôt s’y réfléchir une étrange ondulation serpentine au-dessus de ma tête. » C’est d’une grande clarté : en écrivant, on devient la baleine (mais n’est-ce pas aussi une auréole, cette «  étrange ondulation » ?). Puis Ismaël se décrit en train d’écrire le livre qu’on lit, buvant des tasses de thé brûlant qui lui mouillent le front, « plongé dans mes méditations », écrit-il, «  sous les minces bardeaux de mon grenier ».

C’est ce que je préfère durant ma traversée de Moby Dick, et de tous les livres : ces moments où l’on aperçoit la tête du narrateur par le hublot. Voir l’écrivain écrire le livre qu’on est en train de lire, c’est le grand mystère. Et cette fois-ci, on s’attarde aussi sur un détail splendide du chapitre CX où Quiqueg se met à sculpter le couvercle de son cercueil (lequel, on le sait, deviendra la nacelle résurrectionnelle d’Ismaël). Les figures et dessins qu’il y sculpte copient les « tatouages sinueux » qui ornent son corps. «  Or, écrit Melville, ces tatouages étaient l’œuvre d’un défunt prophète et voyant de son île, qui avait ainsi composé, au moyen de ces caractères hiéroglyphiques, une théorie complète des cieux et de la terre, et un traité mystique sur l’art d’atteindre la vérité ».

Ce « traité mystique sur l’art d’atteindre la vérité », n’est-ce pas, en un sens, Moby Dick, c’est-à-dire le livre même que nous lisons ? Oui, cette fois-ci, notre lecture réveille une dimension qui appartient moins à la métaphysique qu’au secret de la littérature, à savoir que celle-ci ne s’entretient que d’elle-même, et qu’elle dispose, dans chacune des phrases qui se tracent à travers elle, l’image même de ce qui l’anime. Les tatouages du roi Quiqueg, ce sont les phrases du livre.

Et avec cette scène, avec la traduction de Philippe Jaworski, nous entendons bien (nous entendons mieux qu’avec Giono, par exemple, une traduction pourtant géniale et inspirée) à quel point le phrasé de Melville, à quel point la scansion folle et bégayante d’Ismaël est travaillée, comme l’énigmatique charpentier du Pequod, par un « humour antédiluvien, claudicant, au souffle asthmatique ». Oui, cet humour rapiécé, bigarré, énorme et grinçant (Melville va jusqu’à dire que ce charpentier veillait jadis sur l’arche de Noé) soulève toutes les phrases de Moby Dick, et les porte jusqu’à nous, aujourd’hui, à travers les nervures d’une métaphysique bricolée de toutes pièces par Melville depuis sa lecture enragée de Shakespeare et son déchiffrement, tout aussi énervé, de saint Paul.

Il y a les scènes hallucinées avec le « spermaceti » que les marins passent leurs matinées à étreindre, à pétrir jusqu’à l’extase (car Moby Dick est aussi le récit tout à la fois endiablé et comateux d’un rapport sexuel avec l’immensité de ce qui nous échappe). Lire est une dépossession érotique, un sortilège empli de félicités et de dangers : « Car alors, emporté par le monstre agile toujours plus loin dans les profondeurs frénétiques de la troupe, vous dites adieu à toute vie circonspecte et pénétrez dans un monde qui n’est que vertige et délire. » (Autrement dit : vous qui entrez dans la lecture de Moby Dick, abandonnez toute attache, quittez la raison, laissez-vous entraîner par un amour sans limites.)

Et puis il y a ces phrases insensées, venues du plus lointain des narrations, nées d’un temps qui n’a pas de commencement, des phrases qui se mesurent dans ma tête avec celles, par exemple, de Lautréamont : «  Vite, qu’on me donne une plume de condor ! Qu’on me donne aussi le cratère du Vésuve pour encrier ! » – ou bien : « Là, je sens le gris chaos de Saturne rouler sur ma tête ; j’entr’aperçois de vagues et tremblantes images des éternités polaires ».

Et nous retrouvons, comme à chaque lecture, notre scène préférée, une scène stupéfiante, nichée, loin du combat titanesque entre Achab et la Baleine, à l’intérieur d’un souvenir d’Ismaël (et Moby Dick ne raconte-il pas l’histoire de quelqu’un qui descend à l’intérieur de lui-même, comme Jonas ?). Bref, cette scène, par ses couleurs, semble venir tout droit des premiers romans de Melville, Typee ou Omoo. Elle demeure souvent inaperçue, on la croit peut-être secondaire. J’ai envie de la raconter en détail, comme si je réécrivais à mon tour le livre.

Ismaël aborde une île des Arsacides où le roi cannibale Tranquo a transporté sur une petite colline le squelette d’un grand cachalot dont les os ont séché au soleil : abrité sous un temple de palmes, enveloppé de vigne et de lierre, le squelette a été aménagé en chapelle royale par les prêtres de Tranquo ; son crâne est devenu un autel, d’où s’échappe un jet de fumée sacrificielle. D’étranges hiéroglyphes sont gravés sur les vertèbres, formant une écriture sacrée ; et à l’intérieur de cette « tête mystique », comme l’appelle Melville, la flamme sur laquelle veillent les prêtres illumine la jungle jusqu’à la cime des cocotiers, comme la torche vacillante des chamans éclaire les parois de la grotte de Lascaux, faisant apparaître les esprits-animaux.

Ismaël pénètre à l’intérieur du squelette en s’ouvrant le chemin avec une baguette verte : il se fraye un passage à travers les côtes et, comme Thésée dans le labyrinthe de Minos, déroule une pelote de ficelle afin de retrouver la sortie. Le voici qui parcourt cette cathédrale d’os avec l’idée de la mesurer, au grand scandale des prêtres de l’île, pour qui le dieu ne doit pas être ramené à une quelconque dimension ; puis il reporte ces mesures sur son bras droit : elles y sont tatouées.

Scène d’une importance capitale, qui met en jeu la rencontre avec le sacré et sa profanation. Scène sacrificielle où Ismaël devient prêtre. Scène qui prophétise, en termes ésotériques – sur ce plan réservé où ont lieu les initiations –, l’objet secret, presque impensable, de Moby Dick. Entrer dans la baleine (dans la divinité), n’est-ce pas en effet le sujet du livre ? Et celui-ci serait donc toujours déjà écrit sur le bras d’Ismaël ?

Rendez-vous compte : l’histoire de Moby Dick est celle d’un déchiffrement, la main s’écrit elle-même, il faut trouver une langue pour dire la vérité de ce qui est tatoué sur nos corps (sur le bras d’Ismaël, sur le torse de Quiqueg, sur nos fronts épuisés, rieurs, émerveillés) – il faut traduire l’inlassable plongée en nous-mêmes.

Il y a toujours une île ou une fontaine au milieu de notre vie, de nos amours, de notre prière. Nous avançons vers cette vision, et même si elle se dérobe, son parfum est si frais sur notre poitrine qu’il nous semble alors incontestable que la vie existe, qu’elle nous comble malgré les souffrances, et que toutes les vérités scintillent autour de notre tête comme une auréole de farce : il existe un point où le sacré est drôle ; et ce n’est pas parce qu’il est drôle qu’il n’est pas sacré : le sacré existe en même temps que la drôlerie. Dieu, s’il existe, s’enivre le soir en compagnie du diable, et ils commentent ensemble leur lecture de Moby Dick.

Voilà, on le sait tous : lire Moby Dick mobilise l’entièreté de la bibliothèque (et la déplace), l’entièreté de l’existence (et la renouvelle). Cette fois-ci, grâce à Philippe Jaworski, je suis sensible à la dimension littérale du récit : je ne me dis pas que Melville raconte quelque chose de plus profond qu’une chasse à la baleine, je me contente de cette chasse, elle me donne tout.

On dit toujours que Moby Dick est plus qu’un récit maritime ; mais c’est bel et bien une aventure de marins, et le soin nautique apporté par Philippe Jaworski à la traduction ne l’encombre pas : au contraire, elle agrandit encore sa qualité poétique, elle élargit sa tonalité biblique. Les marins sont là, dès l’origine : que le combat qui les traverse soit plus grand qu’eux, c’est l’évidence, mais nous en sommes tous là, marins ou pas (et d’ailleurs, les marins sont aussi en nous).

Comme le rappelle Claude Minière dans son merveilleux Encore cent ans pour Melville (Gallimard, coll. « L’Infini »), brève et fulgurante méditation sur l’avenir de Melville (sur la génialité encore impensée de ce qui se joue à travers son nom) : « Les marins eux aussi “sont dans le blanc” en quelque sorte, all ghosts rising in a milk-white fog – “tous les fantômes montant dans le brouillard couleur de lait” ».

Autrement dit, la lumière qu’ils cherchent leur vient de la Baleine, dont ils sont les enfants égarés : à la fin, Ismaël, en s’auto-consacrant orphelin (c’est le dernier mot du livre), ressuscite en tant que narrateur. C’est en ayant perdu le lien avec sa parenté qu’on trouve la voie, comme dans le Livre de Job : « Et je me suis échappé, moi seul, pour t’en apporter la nouvelle. »

À un moment, sur le pont du Pequod, en pleine tourmente, Achab s’adresse au feu, à l’esprit du feu qui dans son âme concentre le maléfique, c’est-à-dire les flammes de la destruction, et coïncide dans son cauchemar avec la baleine – «  le diable blanc », dit-il – dont le feu clair brûle et consume l’ensemble de ce qui est engendré. Achab invoque un souffle qui le délivrerait de toute domination ; il défie l’immensité elle-même, et avec elle la Création : « Au milieu de l’impersonnalité générale, ici se tient quelqu’un », dit Achab dans la traduction de Giono. Il ajoute : «  Quelqu’un de royal est en moi » (ce que Jaworski traduit ainsi : « Au milieu de l’impersonnel par toi personnifié se tient une personne […] cette personne royale vivra en moi »).

C’est ce quelqu’un de royal que j’entends dans toutes les voix qui me plaisent. C’est cette personne au milieu de l’impersonnel que j’écoute à mon tour, en lisant Moby Dick, en lisant tous les livres.

En attendant Nadeau, 19 juin 2018.

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Sur Herman Melville (Entretien de Yannick Haenel avec Michel Crépu). Le texte intégral.
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Dieu, Melville, Cimino et moi… l’Apocalypse selon Yannick Haenel

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Herman Melville : 1819-1891

Le mardi des auteurs (1ère diffusion : 30/03/2010)

Par Simone Douek - Avec Agnès Derail-Imbert (Maître de conférences à Paris III), Cécile Roudeau (Maître de conférences à Paris III), Philippe Jaworski (Professeur à l’université de Paris 7, Responsable des quatre tomes de l’édition des oeuvres d’Herman Melville dans la collection de la Pléiade, Gallimard), Antoine Graziani (Écrivain et poète) et Jean-Michel Rey (Philosophe et Maître de conférences en littérature à Paris VIII) - Réalisation Céline Ters

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Bartleby le Scribe de Herman Melville

Ça peut pas faire de mal, mercredi 17 juin 2020, par Guillaume Gallienne

Fable grinçante où le cocasse le dispute au tragique, "Bartleby" est l’une des œuvres les plus corrosives de l’écrivain américain, Herman Melville. Les thèmes existentiels de ses romans d’aventures sont transposés ici dans une banale histoire d’employé. Guillaume Gallienne nous fait lecture de cette étrange histoire.

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Herman Melville sur France Culture

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6 Messages

  • Albert Gauvin | 2 février 2020 - 18:09 1

    PostFace, émission littéraire présentée par Caroline Gutmann qui reçoit Julien BATTESTI pour son livre « L’imitation de Bartelby » paru chez Gallimard et les coups de cœur de Barbara Lambert ;

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    Le 29 juillet 2010, à Zurich, Michèle Causse, théoricienne féministe et traductrice, a choisi de dénaître en mourant par suicide assisté le jour de son anniversaire.
    Se pourrait-il qu’existe un lien entre sa mort et celle du personnage du livre Bartleby le scribe qu’elle avait traduit en français ?
    Telle est la question qui travaille le narrateur, un étudiant en théologie qui commence à bien connaître les Evangiles, où il a lu cette phrase : Cherchez et vous trouverez.


  • Albert Gauvin | 30 octobre 2019 - 14:32 2

    Vous connaissez l’histoire de Bartleby ? Comment il a vécu, comment il est mort ? Ça vous a plu ? Vous en demandez encore ? Eh bien voici un merveilleux petit livre de 116 pages, L’imitation de Bartleby, de Julien Battesti, publié aux éditions Gallimard, dans la collection« L’infini », qui en relance le mystère.
    On ne sait rien de son auteur, sinon qu’il aurait d’abord publié un extrait de ce livre dans l’étrange revue Ligne de risque.
    C’est son premier roman, et c’est le genre de livre qu’on commence par inadvertance, charmé par les premières phrases où l’on fait connaissance avec un étudiant en théologie de l’Institut catholique qui ne cesse de tomber et vit allongé sur le plancher de sa chambre ; et voici qu’on le lit d’une seule traite, tant les aventures de ce jeune homme sont gorgées d’énigme — « doublées d’ombres sacrées », comme il l’écrit.
    Bartleby est ce personnage d’une nouvelle d’Herman Mel­ville : employé aux écritures dans un bureau de Wall Street, il répond invariablement aux ordres de son patron par cette bizarre formule :« I would prefer not to » (« J’aimerais mieux pas »), qui désactive toute prise. Est-ce un refus ? Pas exactement. C’est peut-être pire. Bartleby ne veut rien. Chassé du bureau, il dort dans la cage d’escalier ; puis se laisse mourir contre un mur, en prison.
    Ce récit fascinant, qui a suscité une glose infinie (Deleuze, Blanchot, Agamben), est ici l’objet d’un midrash, c’est-à-dire d’une interprétation biblique.
    Qui est ce Bartleby auquel le narrateur s’identifie obscuré­ment ? Faire de sa vie un déchiffrement est une promesse d’ini­tiation : l’existence est un buisson de signes qui ne demande qu’à s’enflammer. Pour ceux qui savent voir, il y a partout des signes : le monde ne cesse de s’écrire.
    Ainsi le jeune théologien malade déchiffre-t-il sur un mur de Paris un extrait d’lnferno de Strindberg qui le conduit- en un parcours kabbalistique qui est aussi une trame de guérison — jusqu’à la tombe de James Joyce à Zurich, en passant par le site Internet de Dignitas, une association d’« assistance au suicide », sur lequel il visionne la vidéo ahurissante où Michèle Causse, la traductrice de Bartleby, met fin à ses jours.
    Un tel périple le destine à une vérité qui sauve : ainsi entre-t-il dans ce pays de révélation perpétuelle qu’est la littérature. Car celle-ci n’est-elle pas, depuis sa dimension profane, une torsion extatique des Écritures ?
    Voilà : Battesti déchiffre Bartleby, il montre combien son apparition cryptée renvoie au voyage de Moïse, et les murs de Wall Street à l’esclavage d’Égypte.
    J’ai tellement aimé ce roman que je l’ai lu deux fois de suite, debout, dans la rue, dans le métro, dans le bus. Une fois arrivé chez moi, je me suis assis par terre dans le jardin pour le finir. Et puis j’ai ouvert ma porte.

    Yannick Haenel, Charlie Hebdo, 30 octobre 2019.


  • Albert Gauvin | 24 octobre 2019 - 21:23 3

    « Comment ne pas voir que chaque ouvrage théologique était un exemplaire de ce grand “livre sur rien” que les écrivains les plus ambitieux convoitaient ? Je n’ai jamais jugé utile de dire à mes professeurs que j’envisageais la théologie comme un genre littéraire car de la littérature, encore aujourd’hui, je n’attends pas moins que la résurrection et la vie éternelle ».

    L’Imitation de Bartleby possède le pouvoir romanesque de faire se lever les morts du néant où on les a abandonnés. De faire entendre des voix, celle de Bartleby, le scribe de Melville, I would prefer not to, qui irrigue toujours les admirateurs de l’éblouissant aventurier de Manhattan et des îles du Pacifique. I would prefer not to, qui peut vouloir dire Je préférerais ne pas, Jean-Yves Lacroix, ou encore Je préférerais n’en rien faire, mais aussi J’aimerais mieux pas, sous le regard cette fois de Michèle Causse, l’autre voix que fait entendre Julien Battesti, l’écrivain inspiré. Une voix et un visage accompagnent ce roman, gracieusement composé. L’imitation de Bartleby est un roman visité, habité par Melville et Michèle Causse. LIRE LA SUITE.


  • Albert Gauvin | 3 août 2019 - 11:45 4

    JULIEN BATTESTI
    L’imitation de Bartleby
    Collection L’Infini, Gallimard
    Parution prévisionnelle : 10-10-2019
    Le 29 juillet 2010, à Zurich, Michèle Causse, théoricienne féministe et traductrice, a choisi de dénaître en mourant par suicide assisté le jour de son anniversaire. Se pourrait-il qu’existe un lien entre sa mort et celle du personnage du livre Bartleby le scribe qu’elle avait traduit en français ? Telle est la question qui travaille le narrateur, un étudiant en théologie qui commence à bien connaître les Évangiles, où il a lu cette phrase : Cherchez et vous trouverez.


  • Albert Gauvin | 11 mai 2018 - 18:52 5

    Le chef-d’œuvre d’Herman Melville, abyssal roman d’aventures, paraît en « Quarto » assorti d’illustrations inédites et de compléments érudits. A lire en apnée. LIRE ICI pdf


  • D.B. | 1er novembre 2017 - 13:41 6

    Y aurait-il depuis ces dernières années une "actualité" Moby Dick ? Si en effet le dernier roman de Yannick Haenel évoque explicitement Melville, on avait déjà noté cette référence en 2009 avec Prélude à la délivrance (avec François Meyronnis) et plus avant dans son roman Cercle en 2007.
    Notons qu’en cette même année 2007, le réalisateur Philippe Ramos (aussi lecteur de G Bataille) intitulait son film Capitaine Achab, après un court métrage du même titre datant de 2003.
    Pierre Senges intitulait quant à lui en 2015 son roman Achab (séquelles).
    Le constat de cette référence récurrente nous amène à une autre observation : Haenel, Meyronnis, Senges, Ramos, sont rigoureusement de la même génération. Hasard ?