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Emmanuel Macron : "Le gourou feelgood"

par Marc Lambron

D 20 avril 2017     A par Albert Gauvin - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Où l’auteur des "Menteurs" raconte avoir assisté au concert, pardon, au meeting du candidat d’En Marche ! à Lyon. En musique.

A la veille de l’élection présidentielle, « l’Obs » a proposé à cinq écrivains de croquer les principaux candidats : Benoît Hamon par Alain Mabanckou, François Fillon par Marc Dugain, Jean-Luc Mélenchon par Frédéric Beigbeder, Marine Le Pen par Régis Jauffret. Et, ici, Emmanuel Macron par Marc Lambron.

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Emmanuel Macron / Marc Lambron
(Jérôme Sessini/Magnum Photos-Jean-François Paga/Grasset)

Mon maître en analyse politique n’est pas René Rémond, mais plutôt Tom Wolfe. Pour emprunter un mot à Sartre, je vais donc tenter de montrer un candidat en situation, au cours de son actuelle campagne. Le 4 février dernier, j’ai procédé à un test de ma chaîne stéréo intérieure en me rendant au meeting lyonnais d’Emmanuel Macron.

Le rassemblement avait lieu au Palais des Sports. Ce fut en 1972 le lieu de mon premier grand concert de rock, en majesté, puisque les Pink Floyd y rodait, avant même la sortie de l’album, la suite « Dark Side of the Moon ». J’avais 15 ans. J’y suis revenu en 1973 pour Led Zeppelin, en 1974 pour les Who, en 1976 pour les Rolling Stones. Et rien depuis. Face au souvenir de tels mastodontes, la question pouvait se poser : que vaudrait un homme assez âgé au regard des critères rock’n’roll, 39 ans, mais qui suscitait des adhésions qui le rendaient déjà « culte » ? Accessoirement, ce 4 février 2017 était le jour de mon soixantième anniversaire. J’avais demandé au premier macronien de France, mon ami Gérard Collomb, de me fournir un passe pour la circonstance. Il a joué de la guitare marxiste dans sa jeunesse.

Huit mille places déjà occupées

A l’arrivée au Palais des Sports, la première personne sur laquelle je tombai, en train de se faire badger, était la chapeautée Geneviève de Fontenay. Elle avait dû se tromper de concours de Miss. Je me retrouvai alors sous l’immense voûte au plafond étoilé. Les huit mille places étaient déjà occupées, et l’on annonçait que plusieurs milliers de personnes attendaient à l’extérieur. Cela me rappela quelque chose. Lors du concert lyonnais de Led Zeppelin en mars 1973, des militants du rock gratuit avaient tenté de forcer les barrages, et cela avait castagné. Depuis lors, l’art du service d’ordre avait manifestement évolué : des malabars à oreillette et des bénévoles à tee-shirt « Macron président » quadrillaient le parterre.

Une sorte de podium pour atterrissage de soucoupes volantes avait été disposé en milieu de salle, à la façon de la scène circulaire sur laquelle les Rolling Stones jouent aujourd’hui quand ils quittent la scène principale. La tribune arrière, celle qui serait dans le champ des caméras, avait été garnie de jeunes gens agitant drapeaux tricolores et bannières européennes. L’odeur de cannabis de 1973 avait disparu. L’attente dans le carré VIP permettait une étude histologique du syncrétisme macronien.

Les profils les plus disparates

Des forces de synthèse y concouraient à compresser les profils les plus disparates. J’aperçus Jean-Paul Delevoye, Anne-Marie Idrac, Corinne Lepage, du legs Chirac, et Noëlle Lenoir, apparentée. Je remarquai la présence du juge Eric Halphen, de la journaliste Laurence Haïm, et un trio d’économistes, Elie Cohen, Jean-Hervé Lorenzi, Philippe Aghion. Il y avait là une délégation des Gracques, cette synarchie de gens de gauche aux métiers de droite, Bernard Spitz, Lionel Zinsou, et leur ami – le mien aussi –, l’oncle Erik Orsenna. Je retrouvai Christine et Renaud Dutreil, Lyonnais pur jus, qui, de Chirac en LVMH et de New York en clan Seillière, revenaient macroniser à Lyon. Christine tenait à la main un livre de poche : « Un mariage à Lyon » de Stefan Zweig. C’était assez chic.

"On ira tous au paradis"

On remarquait aussi Wendie Renard, la footballeuse lyonnaise, géante black à la Alek Wek. Cédric Villani, le matheux à lavallière. Et l’architecte Roland Castro, expert en rénovations de toutes sortes. Pendant ce temps-là, la plèbe des tribunes agitait ses drapeaux européens, tandis que des journalistes en quête d’idoles à calciner pointaient leur nez, Nicolas Domenach, Maurice Szafran. Le show, pardon, la réunion publique commence alors. Les chauffeurs de salle entrent en action, tandis que des visages de jeunes gens aux allures de myosotis défilent sur des murs d’images.

Non sans rosserie, le staff de Macron fait intervenir sa déléguée de la Sarthe – le département de vous-savez-qui. Bruno Bonnell, le président lyonnais de Robopolis, pratique la technique de Michel Polnareff quand il fait entonner à son public « On ira tous au paradis » : les femmes, puis les hommes, puis tout le monde ensemble. Les gradins tremblent. La fièvre monte à El Pao. C’est tout l’art des premières parties. En 1976, les Stones faisaient donner ici même les Meters, un groupe de la Nouvelle-Orléans dont le succès du moment s’intitulait « Fire on the Bayou ».

Qui va mettre le feu au bayou en 2017 ? C’est le maire de Lyon, costume noir et chemise blanche, qui se dévoue pour haranguer la foule tel un chamane louisianais. L’avenir se peint en rose et bleu, même si je ne sens toujours pas l’odeur du cannabis. Et soudain, dans la liste des hommages suivis d’acclamations, qu’entends-je au milieu de ce chaudron vaudou ? Gérard Collomb salue la présence de son ami Marc Lambron, venu fêter son anniversaire au meeting d’Emmanuel Macron. Bonté divine ! Il y a un départ de « Happy Birthday to You » dans une tribune, et voilà que huit mille personnes me fêtent mon anniversaire en applaudissant ! Un méga-gâteau sonore aux milliers de bougies. C’est une bonne technique pour obtenir le suffrage de quiconque, je la recommande aux candidats.

Macron, à la manière de Johnny Hallyday

Soudain, un hologramme mental du guitariste Pete Townshend se dresse devant moi. Je revois ici les Who en 1974, qui après des boucles sonores à la Terry Riley entraient dans le vif de « Won’t Get Fooled Again », un hymne anti-politiciens pour leur signifier qu’ils ne nous duperaient plus. Où est 1974 ? Où est ma jeunesse ? J’ai 60 ans. Une houle, façon ouverture de la mer Rouge, agite cependant le fond de salle. Macron, à la manière de Johnny Hallyday lorsqu’il fêta ses 50 ans au Parc des Princes, a choisi de partir du plus loin de la scène pour serrer un maximum de mains.

Une tortue romaine de flashs et de micros pendulaires le dissimule aux regards, mais voici qu’il gravit seul les marches qui mènent au terrain d’atterrissage pour UFO, où un pupitre l’attend. Délire dans la salle quand il lève les bras. C’est John Kennedy en 1960, Giscard en 1974, Obama en 2008, les jeunes aèdes de la politique qui marchent sur les os. Comme l’on disait dans ma jeunesse, ce type est chié. Pendant cent minutes, il va mesmériser le chaudron vaudou en déclinant le triptyque français Liberté Egalité Fraternité. C’est le plan en trois parties, celui de Normale et de l’agrégation, plutôt que les deux parties canoniques à l’ENA.

Devant ce « mur de présences », comme il le dit, l’inspecteur des finances devenu gourou feelgood cite deux René, Char et Belletto – auteur lyonnais de polars –, avant de s’engager dans un retour parlé vers son passé. En 1976, les Rolling Stones ouvraient leur set avec « Honky Tonk Women ». Là, c’est Nevers, la Picardie et Amiens. « Je suis un enfant de cette province française », dit-il, en ajoutant : « Ma présence, je vous la dois. » Deux fois déjà le mot « présence ». C’est le titre d’un album que Led Zeppelin n’avait pas encore enregistré en 1973, lorsque le groupe joua dans cette arène. Jimmy Page, le guitariste du groupe, avait lui aussi une forme de gracilité puissante. Je le revois passer l’archet sur les cordes de sa guitare pendant « Dazed and Confused ».

Macron, lui, promène en virtuose multilatéralisé son archet sur la grande onomastique nationale. Zola, Péguy, Chirac et Mitterrand, Giscard et Simone Veil, le pilulier 1967 de Lucien Neuwirth et les bougonneries de Philippe Séguin. On notera que les noms de Sarkozy et de Hollande sont mystérieusement passés sous silence. Forte acclamation quand l’ancien élève de Paul Ricœur annonce que les chercheurs étrangers, notamment les spécialistes du climat que Trump commence à persécuter, pourront trouver asile en France. Et lorsqu’il promet que les bibliothèques publiques resteront ouvertes le soir et le dimanche : c’est le programme de Victor Hugo, ouvrez les écoles, fermez les prisons.

La politique est pourtant coupante

De manière générale, son discours est assertif mais dégraissé de toute hystérie, ce qui est méritoire dans un champ d’étoupe inflammable. Et lorsque des lazzis s’élèvent à l’énoncé d’un nom adverse, il demande à la foule de s’abstenir de tout sifflet, au nom de la « bienveillance ». Ce charmant est enclin à s’exprimer sur le mode curatif. La politique est pourtant coupante. « Careful with that Axe, Eugene » – « prends garde à cette hache, Eugène » – est une chanson que Pink Floyd interpréta en ce lieu, il y a des décennies. Mais, en biais, comme pour effiler certains jambons, Macron sait jouer allusivement de la lame.

Qui vise-t-il en évoquant ces hommes politiques « mêlant l’indignité aux difficultés qu’ils vivent », ajoutant sous les vivats que « la politique ne peut être un métier, elle est une mission » ? On le dit christiquement sexy, un peu comme le Jude Law de la série de Sorrentino « The Young Pope », mais si Emmanuel Macron peut être inspiré, il n’est certes pas illuminé. « The lunatic is in the hall », chantait ici même les Pink Floyd en 1972 : « L’aliéné est dans le hall. » Jouer sur le fil n’est pas pour autant faire figure de fou. D’ailleurs il veut devenir roi. Cet homme jeune et avisé doit savoir que, dans cette course, la curée des verrats peut succéder à l’encens des vivats.

Béni soit celui qui installe les femmes au cœur du royaume

A la fin, il fait tout de même donner les huées contre le Front national, sans le nommer, et cela vous a un petit côté comité Pleyel et fronts antifascistes des années 1930, tout à fait apte à réchauffer le sang de gauche, comme disait Malraux. Il y a chez lui un côté Gaston Bergery à l’époque du frontisme, mais qui se souvient de Bettina et Gaston Bergery ? Son féminisme d’appel – il veut la parité pour les candidats de son mouvement aux législatives de juin – s’autorise même une petite entourloupe citationnelle.

On connaît le mot du prince de Ligne auquel son épouse demandait, vers la fin de leur vie, s’il lui avait été fidèle. Le prince répondit : « Madame, souvent. » Eh bien, Macron ressort l’historiette pendant son discours, mais en inversant les termes du dialogue. Du coup, c’est la princesse qui tient la dragée haute à son mari avec ce « souvent ». Un révisionnisme transgenre ? Une uchronie féministe ? Béni soit celui qui installe les femmes au cœur du royaume.

Le bon élève social-libéral

Lors du cocktail qui suit, Brigitte et Emmanuel Macron viennent saluer quelques invités comme des rockeurs qui reçoivent backstage. Je ne croise toutefois ni Truman Capote ni Lee Radziwill, qui suivirent en 1972 la tournée américaine des Rolling Stones. Sourire de Macron quand il me voit, mais aussitôt question presque inquiète sur la qualité de sa prestation. C’est le bon élève social-libéral qui veut être rassuré, c’est-à-dire aimé. Je n’ai aucun titre à le blâmer sur ce dernier point. Je lui signale tout de même que l’inversion sur le prince de Ligne ne m’a pas échappé, mais que je ne le dénoncerai pas. On verra si les journalistes ont des lettres. De près, je le trouve étonnamment frêle et intense. Il est en train de jouer une somptueuse partie d’échecs, un jeu où l’on peut gagner malgré ce que le mot « échecs » évoque en français.

Caroline Collomb, l’épouse du maire, me dit en aparté que les Macron sont descendus à Lyon dans un hôtel trois étoiles. Qu’ils voyagent en seconde classe, et pas comme Ségolène Royal qui faisait ses trajets en première mais passait dans un wagon de seconde juste avant d’arriver à destination. J’ai moi-même testé à Paris le tailleur de Macron, rue d’Aboukir. Le costume sur mesure y est à cinq cent quarante euros, ce qui est loin des tarifs de Dior ou de Cifonelli. Macron a compris cela aussi.

BibliOBS


Marc Lambron, dernier livre paru

Quarante ans
Journal 1997

Vingt ans après, quel miroir tend à notre époque le Journal d’un quadragénaire de la fin des années 1990, devenu un académicien des années 2010 ? Quels étaient alors les personnages publics, les événements privés, les bonheurs et les déboires d’un écrivain français ? Avec la patine du temps, on y trouve les portraits savoureux de figures alors rencontrées au fil d’une intense activité journalistique, tels Woody Allen, Isabelle Huppert, Philippe Sollers, Frédéric Mitterrand, Claudia Cardinale, Jean Paul Gaultier ou Alain Juppé. Ils tournent toujours dans notre actualité, mais étaient-ils les mêmes il y a vingt ans ? Cette année-là, Marc Lambron publiait chez Grasset 1941, roman sur les débuts du régime de Vichy. Engagé dans la bataille des prix d’automne, l’ouvrage cristallisa polémiques et passions en plein procès Papon. Au jour le jour, on suit dans Quarante ans les spasmes déclenchés par cette brûlure de la mémoire française, en même temps que l’on découvre le témoignage sans précédent d’un auteur jeté dans les jeux du cirque d’une rentrée littéraire. Au cœur intime de ce Journal, loin des tumultes parisiens, il y a le dialogue poignant que l’auteur engage avec son père dans les derniers mois de son existence. C’est un livre de deuil, c’est un livre de vie. Grasset.

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Marc Lambron : "Je pense que nous avons tous un âge intérieur, moi c’est 19 ans"

L’académicien Marc Lambron publie, à soixante ans, le journal de ses "Quarante ans" tenu en 1997 où il y raconte son Paris de la fin du XXème siècle. Il est l’invité de Léa Salamé.

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LIRE : Yann Moix, Quarante ans n’est pas un âge

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4 Messages

  • philippe | 17 mai 2017 - 21:38 1

    Je mets BFMTV (qu’est-ce qui me prend ?) et j’entends dire Gérard Collomb dire : "Je suis toujours là où la réalité vraie existe."
    C’est ça l’ami de Monsieur LAMBRON ? L’écrivain ? Un homonyme ?
    Un écrivain a pour ami quelqu’un qui dit de telles horreurs ?
    Bon c’est vrai on a tous des amis qui disent des bétises mais là c’est franchement flippant
    Blaise Pascal disait que dans la vie il n’y avait d’important que le hasard et les fréquentations.
    Il y a des fréquentations indefendables.
    Je suis plutot d’accord avec le commentaire du lecteur précédent et pourtant j’aime bien le style de M.Lambron. Il se discredite et parait aveuglé. Pour un écrivain ce n’est jamais bon.


  • A.G. | 15 mai 2017 - 19:47 2


    Mon Macron.
    Le 1. Zoom : cliquez l’image.
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  • A.G. | 11 mai 2017 - 11:42 3

    Un lecteur n’a pas apprécié que nous reprenions l’article léger et plutôt bien écrit de Marc Lambron. C’est son droit. A la fin de son commentaire, il craint, de notre part, le retour de la vilaine Anastasie. Fichtre ! De quoi l’Anastasie est-elle le nom ? me demande un jeune lecteur. Bonne question. Vous en saurez plus ici.


    Madame Anastasie.
    Zoom : cliquez l’image.
    GIF

    Toute ressemblance avec un rédacteur de Pileface serait purement fantasmatique.


  • hilarion de la Belle Manière | 9 mai 2017 - 11:40 4

    C’est très énamouré. Un billet de clan. À quelques remarques près c’est à dire à peu près sans intérêt, ça n’apporte rien au lecteur, - on dirait un compte rendu de point de vue image du monde avec son defilé de personnalités phalliques locales qui pavanent, une parade aurait peut etre dit Rimbaud qui lui était un écrivain . ML avait de petits talents d’écrivain qui n’ont jamais produit que des romans moyens, de faiblardes sornettes à formules, ce que Philippe Sollers appelle des rhumes, et que personne ne lit plus après 15 jours. Il avoue ici que l’hysterie l’a sanglé dans une approche regionaliste et un narcissisme microcosmique, ou macroncosmique, comme on veut qui s’extasie dans une immortalité d’opérette. Scapin seul sait ce qu’il est venu faire dans cette galère. Y oublier son âge ? La peur de mourir ? Les meilleurs passages concernent le Rock. À ce niveau d’aveuglement Les bons copains sont aussi des bonnes copines. Jugeons maintenant de l’ouverture d’esprit et des ferveurs de l’Anastasie de pileface.com. Bonne journée