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Arthur Rimbaud, manuscrits de jeunesse

D 27 janvier 2017     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Des manuscrits d’Arthur Rimbaud à nouveau en vente chez Sothebys’. Des dessins réalisés vers l’âge de dix ans — Plaisirs du jeune âge, 7 dessins à la mine de plomb — et le manuscrit autographe de La rivière de cassis, poème de 1872.


PLAISIRS DU JEUNE ÂGE. 7 DESSINS MANUSCRITS AUTOGRAPHES. [1865.]
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La rivière de cassis


LA RIVIERE DE CASSIS. [PEUT-ÊTRE JUIN OU DÉBUT JUILLET 1872]. POÈME AUTOGRAPHE.
Seul manuscrit autographe de ce poème encore en mains privées. Exemplaire de Verlaine.
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Manuscrit ayant servi à la première édition des Illuminations dans La Vogue (1886).

1 p. in-8 (206 x 133 mm). Papier vergé, filigrané "CB&Co". Non signé. Encre brune. _ Un numéro "10" en haut à gauche est probablement allographe.
Pliure en quatre avec petite déchirure en queue ; trace d’onglet.

Poème d’une grande modernité et d’une grande liberté : outre le fait que les vers des trois sizains soient impairs (vers de 5, 7 ou 11 syllabes), ce qui est rare dans la versification française, ils sont rimés ou assonancés ("anges" / "plongent").

Transcription diplomatique :

"La riviere de cassis roule ignorée
à des vaux etranges
la voix de cent corbeaux l’accompagne vraie
et bonne voix d’anges
avec les grands mouvements des sapinaies
où plusieurs vents plongent

Tout roule avec des mysteres revoltants
de campagnes d’anciens temps
de donjons visités de parcs importants
c’est en ces bords qu’on entend
les passions mortes des chevaliers errants
mais que salubre est le vent

Que le piéton regarde à ces clairesvoies
il ira plus courageux
soldats des forets que le seigneur envoie
chers corbeaux delicieux
faites fuir d’ici le paysan matois
qui trinque d’un moignon vieux"

Offert à Verlaine en juin ou au début du mois de juillet 1872, ce poème a été publié pour la première fois dans la revue La Vogue (n° 9, 21 juin 1886), avant de paraître la même année dans l’édition originale des Illuminations (Publications de La Vogue, 1886, p. 87) établie par Félix Fénéon, avec une préface de Verlaine. Ces publications se firent alors que Rimbaud vendait des fusils entre la Corne de l’Afrique et l’Arabie.

La version de Verlaine. Il s’agit d’un des trois poèmes subsistant que Rimbaud copia pour Verlaine, avec Bonne pensée du matin et Larme. Ces versions que possédait Verlaine ont en commun trois caractéristiques importantes qui les distinguent des autres versions connues : non datées, sans titre, elles ne sont pas non plus ponctuées. S’agissant de poésie, ce dernier trait a toute son importance : si l’on a pu admirer l’absence de ponctuation dans Alcools d’Apollinaire, force est de constater que l’amant de Lou n’est pas l’inventeur du procédé.
L’absence de majuscules en tête des vers — majuscules conservées seulement en tête des strophes — constitue une dernière différence marquante avec l’autre version du poème, conservée à la Bibliothèque nationale de France et datée de "mai 1872". L’absence de capitale à "Cassis" apporte un indice utile à l’interprétation du texte : devenant un nom commun pour désigner la couleur violette, le mot renforce ainsi l’identification que fit Ernest Delahaye avec la rivière de la Semois coulant dans les Ardennes au nord de Charleville. Notre version comporte, en outre, des variantes textuelles par rapport à la version de mai : "à des vaux…" remplace "En des vaux…" (v. 2) ; " où plusieurs vents…" remplace "Quand plusieurs vents…" (v. 6) ; " qui trinque" remplace "Trinquant" (v. 18).
Ces versions non ponctuées correspondent donc aussi aux versions les plus abouties.

"la féodalité, tout le passé légendaire des Ardennes" (Etiemble). À la suite d’Ernest Delahaye, la plupart des commentateurs voient dans ces vers une évocation des paysages des Ardennes natales du poète, avec la Semois traversant les forêts de sapins et coulant en contrebas des ruines moyenâgeuses du château de Godefroy de Bouillon (les "donjons", les "chevaliers errants").

Les poèmes composés au printemps 1872 se caractérisent par un renouveau poétique qui se traduit par un travail particulier sur le rythme pour exprimer l’indicible. "La musique qui caractérise tous ces poèmes [de 1872], innocente comme une ritournelle, lancinante comme les litanies d’un rite initiatique, contribue à cet exercice de désengagement de l’esprit vers l’impalpable, l’irréel, l’essentiel" (Cl. Jeancolas, p. 305).
Ce sont parmi les derniers vers de Rimbaud : après 1872 ou 1873, il n’écrira plus de vers.

Destin chaotique de pages mythiques. En avril 1875 à Stuttgart, Rimbaud confia à Verlaine, en vue de les éditer, les poèmes en prose qui constitueront les Illuminations ; Verlaine y joignit La rivière de cassis qu’il détenait depuis juin-juillet 1872. Quelques mois plus tard, Verlaine confia l’ensemble de ces manuscrits à Charles de Sivry, compositeur et demi-frère de son ex-épouse, pour qu’il les mît en musique. Bien que ce projet n’aboutît pas, Verlaine ne put jamais récupérer les précieux feuillets, notamment à cause de l’entremise de son ancienne femme. Sivry les céda à Louis Le Carbonnel pour qu’il les publiât ; par l’intermédiaire d’un voisin, Louis Fière, ils parvinrent à Gustave Kahn, directeur de La Vogue, le 5 avril 1886. Après une parution dans le numéro du 21 juin 1886, Kahn publia ces poèmes en volume, dans l’édition originale des Illuminations donnée par Félix Fénéon : une édition biscornue mêlant vers et prose. À partir de là, le parcours des poèmes se complique encore, à la suite d’une dispute entre les associés de l’édition, d’après ce que Darzens a raconté à Verlaine. Certains réapparurent à Drouot en 1929, et furent achetés par Ronald Davis, qui les vendit au Dr Lucien-Graux, avant qu’ils ne fussent acquis à sa vente (IV, 4 juin 1957) par la B.n.F. ; d’autres furent conservés par Kahn, telle La rivière de cassis. À la mort de l’éditeur, en 1936, Pierre Berès s’en porta acquéreur, qui les garda jalousement à l’abri des regards. Pendant la guerre, le libraire les fit sortir hors de France, puis les rapatria, sans jamais les montrer aux chercheurs rimbaldiens. Ce n’est qu’à sa vente posthume, qu’ils réapparurent sur le marché, le 20 juin 1996. (Sur ce parcours compliqué, voir Cl. Jeancolas, in L’Œuvre intégrale manuscrite, III, p. 314-315).

Provenance : Paul Verlaine. — Charles de Sivry. — La Vogue. — Gustave Kahn. — Pierre Berès (20 juin 2006, lot 109).

Références : Œuvres complètes. Édition de A. Guyaux, avec A. Cervoni. Pléiade, 2015, p. 204-205. — Œuvres complètes. Édition de St. Murphy. Champion, 2002, fac-similé reproduit dans IV, p. 370 et commenté p. 574-575. — L’Œuvre intégrale manuscrite. Édition de Cl. Jeancolas. Textuel, 2004, III, manuscrit reproduit en fac-similé, p. 155. — B. Meyer. Sur les Derniers vers. Douze lectures de Rimbaud. L’Harmattan, 1996, p. 37-55.

sothebys

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