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Heures vénitiennes II

Murano - au Florian - Opéras

D 5 août 2016     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Suite des « Heures vénitiennes », la série d’émissions diffusées sur France Culture à l’automne 1969. Cette fois, René Huygue et Marcel Brion nous emmènent sur l’île de Murano rencontrer les maîtres verriers qui témoignent de l’histoire de leur artisanat (devenu 50 ans plus tard une industrie où les contre-façons pullulent), puis se rendent dans le salon chinois du café Florian où, en compagnie de l’écrivain Diego Valeri, ils retracent l’histoire du rapport que les écrivains français ont entretenu avec Venise, du XVIIIe siècle à la première moitié du XXe siècle. Evidemment, comme je l’ai dit en présentant la première série d’émissions, tous ces témoignages sont datés. C’est ce qui fait leur intérêt d’archives. Nos académiciens sont d’ailleurs loin de partager le sinistre cliché dix-neuviémiste d’une Venise vouée à un éternel déclin ou à une mort certaine. Je termine volontairement sur l’émission consacrée à l’opéra vénitien, afin de faire entendre d’autres sons de cloches, y ajoutant quelques interprétations musicales récentes des grands musiciens vénitiens pour que se vérifie le pas gagné et tenu depuis un demi-siècle. Ce que les lecteurs des romans de Sollers (et du Dictionnaire amoureux de Venise, 2004) et de Pleynet (qui d’autre, aujourd’hui, je ne vois pas) connaissent parfaitement.

Émission du 3 octobre 1969.

Les grands palais vénitiens

Sur les traces de Byron, Casanova, Bruno.
Texte lu : Musset.

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Le palazzo Mocenigo où vécut Byron jusqu’en 1819 (une plaque en témoigne).
Le palazzo Berlendis où habita Nietzsche dans les années 1880 (pas de plaque).

Murano

Les maîtres verriers (passé, présent, avenir : témoignages in situ).
Texte lu : D’Annunzio.

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Murano : dès l’arrivée, le grand magasin de verres soufflés.
L’église dei Santi Maria e Donato et ses mosaïques.
Photos A.G., 16 juin 2016. Zoom : cliquez sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


Chez Montin

Fondamenta di Borgo. La locanda Montin et sa très agréable tonnelle. Juin 2014 [1].

A la locando Montin.
Rencontre avec le peintre Vico de Luigi et le responsable de l’Institut des métiers d’art.
Comment sauver l’artisanat artistique de Venise.

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Venise, Le Florian. Attraction musicale en soirée (pour les touristes). Juin 2014. La salle chinoise [2].

Au Florian


Au café Florian dans la salle chinoise :
Marcel Brion, Diego Valeri et René Huyghe.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862..

Avec l’écrivain Diego Valeri.
Évocation des personnalités et écrivains français qui ont parlé de Venise au XVIIIe et XIXe siècle : de Brosses, Voltaire, Rousseau, Mme de Stael, Musset et Sand, Lamartine, Gautier, Barrès, Suarès, Montesquieu, Balzac, Montaigne... Et Lord Byron.
Textes lus : Jean-Louis Vaudoyer, Chateaubriand, Byron, Gautier, Balzac, Montaigne.

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Au début du XXe siècle. Le groupe du « Chinois » et les autres : Barrès, Suarès, Henri de Régnier, Proust.
« Notre ami » Vaudoyer, Emile Henriot, Edmond Jaloux, Claude Aveline, Jean Tardieu.
Textes lus : Claude Aveline, Chateaubriand, Barrès, Diego Valeri.

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Vous aurez remarqué l’étrange absence de Sade et de Stendhal, écrivains français. Des académiciens parlant de Sade, du Voyage en Italie ou de Juliette ou la prospérité du vice, en 1969, à l’ORTF, on comprend, mais Stendhal ?

Eh bien, il faut attendre une autre émission (du 4 octobre 1969) pour le voir évoqué [3] ainsi qu’Hyppolite Taine qui fit aussi son voyage en Italie (en 1864).

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Il manque un autre écrivain, pourtant leur contemporain, élu lui-même à l’Académie française en septembre 1968 : Paul Morand (1888-1976). Mais il est vrai que son livre Venises n’a été publié qu’en 1971. Ecoutez sur Pileface « Venises » de Paul Morand.

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Finissons en musique...

Opéras

Émission du 2 octobre 1969.

Francesco Cavalli (1602-1676)

VOIR AUSSI

Après une évocation des théâtres vénitiens où toutes les classes sociales pouvaient se rendre (les nobles dans les loges crachant volontiers sur le bas peuple du parterre)...

Extrait : Didon (La Didone, 1641).

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Extraits

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Le Final
Les Arts Florissants, William Christie
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Théâtre de Caen 18 Octobre 2011.

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On l’a noté : contrairement à la fin de L’Enéide de Virgile dont l’opéra est tiré, la fin est ici heureuse. « C’est pour les cas désespérés qu’Amour prépare des ports heureux. Jouissons donc de ces jours sereins et riants, ne prononçons plus jamais le mot de tourment. » Les derniers mots sont « âme » et « vie ».

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La tombe de Monteverdi. Basilique des Frari. [4] Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Claudio Monteverdi (1567-1643)

Extrait : Le couronnement de Poppée (1642).

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« C’est un prêtre qui écrit et publie les Madrigaux guerriers et amoureux, le Retour d’Ulysse dans sa patrie (... et le massacre des prétendants... !). C’est un prêtre qui expose la fabuleuse lucidité du Couronnement de Poppée. » (Marcelin Pleynet, L’étendue musicale, Gallimard, 2014, p. 53).

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Monteverdi, Le couronnement de Poppée

"Opera musicale" en 1 prologue et 3 actes de Claudio Monteverdi, créé en 1642 à Venise
Livret en italien : Gian Francesco Busenello, d’après les "Annales" de Tacite

Arrangement et direction musicale : Nikolaus Harnoncourt
Orchestre et chœurs : Das Monteverdi-Ensemble des Opernhauses Zürich
Mise en scène et réalisation (1979) : Jean-Pierre Ponnelle

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Antonio Vivaldi (1678-1741) et Carlo Goldoni (1707-1793)

Extraits : Goldoni, Mémoires ; Vivaldi, Grisaldi.

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En 1969, Cecilia Bartoli a trois ans... Nos académiciens n’ont donc pas pu l’entendre chanter Vivaldi.

« Tout à coup, elle a été là, l’incroyable chanteuse cascadeuse joyeuse. D’où est-elle venue ? De Rome où elle est née ? De ses parents musiciens ? Mais non : de Venise, de l’esprit inlassable et enflammé de Venise, autrement dit d’Antonio Vivaldi.
Il a suffi qu’elle s’empare rythmiquement et vocalement de cette musique pour que celle-ci se mette à vivre comme jamais, à revivre, à supra-vivre travers les syllabes et sa gorge.
Nous sommes dans le superbe et imposant Teatro Olimpico de Vicence (Palladio), en juin 1998.
Cecilia, dans sa belle robe rouge, s’avance devant les musiciens. Elle tape un peu du pied, elle les lance. Elle chante un air de Griselda (texte d’Apostolo Zeno, adapté par Goldoni). Je le donne aussi en français, mais il faut l’écouter en italien :

Agitata da due venti
freme l’onda in mar turbato
e’l nocchiero spaventato
già s’aspetta a naufragar.
Dal dovere da l’amore
combattuti questo core
non resist e par che ceda
e incominci a desperar.

Agitée par deux vents
l’onde frémit sur la mer troublée
et le marin épouvanté
se voit déjà faire naufrage
ce coeur combattu
par le devoir et par l’amour
ne résiste plus et semble céder
et commence à désespérer.

Tempête, donc. Désespoir ? Ce n’est pas ce qu’on va entendre. Attendez Cecilia sur le mot naufragar. Elle le module avec une joie sauvage, elle est ravie de sombrer, l’amour triomphe du devoir (dolore, amore). NAUFRAGAR ! Elle n’a jamais fait mieux, elle ne fera jamais mieux. Vitesse et virtuosité confondantes, éclairs, coups de vent, tornade, percussions, roucoulades, cela s’appelle, à l’époque de Vivaldi et de Haendel, « tordre la voix de légèreté ». Elle a voulu chanter dans ce théâtre, elle a minutieusement préparé son attentat. Ça passe, ça ne casse pas, c’est inouï de torsade. Le public est électrisé, un ange révolutionnaire vient de vibrer. [5]. »

Cette fois, nous ne sommes pas à Vicence mais aux Théâtre des Champs-Elysées, en 2000, pour le concert « Viva Vivaldi » (Bartoli a une robe bleue). Sollers était présent dans la salle.

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« Viva Vivaldi ! » : le concert.

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En 1787, Goldoni décrit dans ses Mémoires (chap. XXVI) sa rencontre avec Vivaldi à propos de Griselda (il se donne le beau rôle) :

« Ce n’était pas un nouveau Drame qu’on devait donner cette année-là, mais on avait choisi la Griselda, opéra d’Apostolo Zeno et de Pariati, qui travaillaient ensemble avant que Zeno partît pour Vienne au service de l’Empereur, et le Compositeur qui devait le mettre en musique était l’Abbé Vivaldi qu’on appellait à cause de sa chevelure, il Prete rosso. Il était plus connu par ce sobriquet, que par son nom de famille.
Cet Ecclésiastique, excellent Joueur de violon et Compositeur médiocre, avait élevé et formé pour le chant Mademoiselle Giraud, jeune Chanteuse, née à Venise, mais fille d’un Perruquier Français. Elle n’était pas jolie, mais elle avait des grâces, une taille mignonne, de beaux yeux, de beaux cheveux, une bouche charmante, peu de voix, mais beaucoup de jeu. C’était elle qui devait représenter le rôle de Griselda.
M. Grimani m’envoya chez le Musicien pour faire dans cet Opéra les changements nécessaires, soit pour raccourcir le Drame, soit pour changer la position et le caractère des airs au gré des Acteurs et du Compositeur. J’allai donc chez l’Abbé Vivaldi, je me fis annoncer de la part de son Excellence Grimani ; je le trouvai entouré de musique, et le bréviaire à la main. Il se lève, il fait le signe de la croix en long et en large, met son bréviaire de coté, et me fait le compliment ordinaire : — Quel est le motif qui me procure le plaisir de vous voir, Monsieur ? — Son Excellence Grimani m’a chargé des changements que vous croyez nécessaires dans l’Opéra de la prochaine foire. Je viens voir, Monsieur, quelles sont vos intentions. — Ah, ah, vous êtes chargé, Monsieur, des changements dans l’Opéra de Griselda ? M. Lalli n’est donc plus attaché aux Spectacles de M. Grimani ? M. Lalli, qui est fort âgé, jouira toujours des profits des Epîtres Dedicatoires et de la vente des livres, dont je ne me soucie pas. J’aurai le plaisir de m’occuper dans un exercice qui doit m’amuser, et j’aurai l’honneur de commencer sous les ordres de M. Vivaldi. (L’Abbé reprend son bréviaire, fait encore un signe de croix, et ne répond pas). — Monsieur, lui dis-je, je ne voudrais pas vous distraire de votre occupation religieuse ; je reviendrai dans un autre moment. — Je sais bien, mon cher Monsieur, que vous avez du talent pour la Poésie ; j’ai vu votre Bélisaire, qui m’a fait beaucoup de plaisir, mais c’est bien différent : on peut faire une Tragédie, un Poème Epique, si vous voulez, et ne pas savoir faire un Quatrain musical. — Faites-moi le plaisir de me faire voir votre Drame. — Oui, oui, je le veux bien ; où est donc fourrée Griselda ? Elle était ici... Deus in adjutorium meum intende. Domine... Domine... Domine... elle était ici tout à l’heure. Domine ad adjuvandum... Ah ! la voici. Voyez, Monsieur, cette scène entre Gualtiere et Griselda ; c’est une scène intéressante, touchante. L’Auteur y a placé à la fin un air pathétique, mais Mademoiselle Giraud n’aime pas le chant langoureux, elle voudrait un morceau d’expression, d’agitation, un air qui exprime la passion par des moyens différents, par des mots, par exemple, entrecoupés, par des soupirs élancés, avec de l’action, du mouvement ; je ne sais pas si vous comprenez. — Oui, Monsieur, je comprends très-bien ; d’ailleurs j’ai eu l’honneur d’entendre Mademoiselle Giraud, je sais que sa voix n’est pas assez forte... — Comment, Monsieur, vous insultez mon écolière ? Elle est bonne à tout, elle chante tout. — Oui, Monsieur, vous avez raison, donnez-moi le livre, laissez-moi faire. — Non, Monsieur, je ne puis pas m’en défaire, j’en ai besoin, et je suis pressé. — Eh bien, Monsieur, si vous êtes pressé, prêtez-le-moi un instant, et sur-le-champ je vais vous satisfaire. Sur-le-champ ? — Oui, Monsieur, sur-le-champ.
L’Abbé en se moquant de moi me présente le Drame, me donne du papier et une écritoire, reprend son bréviaire, et récite ses Psaumes et ses Hymnes en se promenant. Je relis la scène que je connaissais déjà ; je fais la récapitulation de ce que le Musicien désirait, et en moins d’un quart-d’heure, je couche sur le papier un air de huit vers partagé en deux parties ; j’appelle mon Ecclésiastique, et je lui fais voir mon ouvrage. Vivaldi lit, il déride son front, il relit, il fait des cris de joie, il jette son office par terre, il appelle Mademoiselle Giraud. Elle vient ; ah ! lui dit-il, voilà un homme rare, voilà un Poète excellent : lisez cet air ; c’est Monsieur qui l’a fait ici, sans bouger, en moins d’un quart-d’heure ; et en revenant à moi : ah ! Monsieur, je vous demande pardon ; et il m’embrasse, et il proteste qu’il n’aura jamais d’autre Poète que moi.
Il me confia le Drame, il m’ordonna d’autres changements ; toujours content de moi, et l’opéra réussit à merveille.
Me voilà donc initié dans l’Opéra, dans la Comédie et dans les Intermèdes, qui furent les avant-coureurs des Opéras Comiques Italiens. »

Commentaire de Sollers dans le Dictionnaire amoureux de Venise (Pocket, p. 230) :

« On se frotte les yeux, mais oui, on a bien lu : « compositeur médiocre ».
Un tel jugement mérite l’enfer.
Pauvre Goldoni, il fait le malin, il se vante d’avoir retapé en un clin d’oeil le livret de l’opéra Griselda. On comprend tout de suite que ce prêtre roux et sa chanteuse ne lui sont pas sympathiques (c’est un bon et sage mari, Goldoni, avec sa Nicoletta). [...]
Goldoni est très content de sa comédie où l’on voit un prêtre ridicule, lié à une chanteuse dont la voix n’est pas très forte, et qui attend de l’aide d’un parolier pour sa musique au demeurant médiocre.
Pour quel public Goldoni a-t-il écrit ce genre de sottises ? Conformisme anticlérical, moralisme (un curé violoniste et une chanteuse, vous vous rendez compte), ignorance de la grande musique, prétention naïve, tout cela, malheureusement souligne les préjugés d’une époque décadente qui court à sa perte.
Il est parfois dangereux de rencontrer des génies. »

Marcelin Pleynet écrit dans L’amour vénitien :

pour Vivaldi
derrière les grilles
toutes ces voix cachées
dans la rumeur grondante du solfège
et l’impétueuse charité
l’allégro des couleurs
l’amour
dans l’agitation de l’amour

riva degli Schiavone
les musiciennes vives et nues
l’orchestre des saisons
le jaillissement sonore
l’ospedale della Pietà

per Vivaldi
dietro le grate
tutte quelle voci nascoste
nel rumore incombente del solfeggio
e l’impetuosa carità
l’allegro dei colori
l’amore
nell’agitazione dell’amore

riva degli Schiavone
le musiciste vivaci e nude
l’orchestra delle stagioni
lo zampillio sonoro
l’ospedale della Pietà

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Baldassare Galuppi (1706-1785) [6]

Philosophe de campagne (1754).

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Vous ne connaissiez pas Galuppi ? Ecoutez le 1er mouvement de la Sonate in C major (vers 1750) interprété par le grand Michelangeli (1920-1995) en 1962. Mozart est proche.

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ou encore cette autre sonate extraite de Passatempo al cembalo (1781) interprétée par Jörg Ewald Dähler...

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Marcelin Pleynet parle de Galuppi dans ses Chroniques vénitiennes (Gallimard, 2010, p. 124-125) et révèle qu’il pensait à cette interprétation de ces sonates (il y en a six) en écrivant La Dogana dans les années 90.

« [...] En fait d’enregistrement je ne connais bien de Galuppi que Passatempo al cembalo, par Jörg Dähler... le manuscrit date de 1781.

Né à Burano, en 1706, Galuppi a passé quelques années à la cour de Catherine II, à Saint-Pétersbourg. Il est à peine de huit ans plus âgé que Philipp Emanuel Bach. Ses sonates ne sont pas sans évoquer Domenico Scarlatti, de vingt ans son aîné. Un charme tout vénitien... Chaque sonate, ou presque, débute par un andante (ou un moderato)... Viva­cité, transparence, légèreté, mélodie et rythmes dansants, sont entraînés dans la luminosité et la ponctuation heu­reuse, toujours recommencée du paysage vénitien qui accorde ses éclats... L’oreille savante des sensations de l’esprit et du corps...


Edité en 1988. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Jörg Ewald Dähler est un merveilleux claveciniste d’une exceptionnelle virtuosité, d’un sentiment vrai, aussi emporté que réfléchi. Je pensais à son interprétation en écrivant La Dogana, et notamment en reprenant la phrase de Nietzsche : « Nous pouvons voir caprices arbitraires dans les innombrables courbures, ondulations et brise­ments des vagues, mais tout y est nécessaire, le moindre remous mathématiquement calculable... [7] » Ce que révèle, entre autres, le croisement des mains sur le clavier.

J’ai acheté ce disque l’année où j’ai découvert, trop tar­divement, Galuppi, lors d’un concert à la Fondation Cini, sur l’isola San Giorgio. Les sonates de Galuppi étaient interprétées par Egida Sartori... Et j’y suis encore... en cette fin d’un délicieux après-midi ensoleillé...

La lumière passe l’horizon, les sonates semblent courir sur l’étendue... Elles passent finalement la ligne d’ho­rizon... Fabuleuse sonate en mi majeur... Puis la lumière se convertit... Le ciel se partage, gris et bleu. Derrière les fenêtres, les palmiers s’immobilisent... Silence suspendu avec la pluie d’orage. »

Y-a-t-il quelqu’un pour l’entendre ? Essayez de lire La Dogana avec cette musique au coeur.

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Benedetto Marcello (1686-1739) [8]

Extrait : Le théâtre à la mode au XVIIIe siècle.

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Cela manque de musique !
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Venise, La Fenice. Juin 2016.

XIXe siècle. La Fenice. Giuseppe Verdi (1813-1901)

La Traviata (1853).

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Oui, Verdi, « n’en déplaise aux dilettantes qui font toujours la fine bouche » écrivait Michel Leiris, en 1965 [9]. Contrairement à ce que l’histoire récente pourrait laisser croire, on peut dire que le XIXe siècle a délibérément falsifié La Traviata. On connaît l’intrigue qui s’inspire de La dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils. Verdi veut situer l’action dans la société contemporaine, le Paris du Second Empire. Le directeur de La Fenice refuse. L’action se déroulera donc au XVIIe siècle ! On ne peut pas faire contre-sens plus absolu. Lors de la première, le public crie et siffle. C’est un échec. Et même si, dès 1854, l’opéra connaît un triomphe, Verdi ne le verra jamais contextualisé comme il l’avait souhaité. Verdi connaitra les mêmes désillusions avec Simon Boccanegra en 1857.

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« J’ai eu à Venise un fiasco aussi grand que celui de La Traviata. Je croyais avoir fait quelque chose de passable, mais il semble que je me sois trompé [10]. »

On peut sans doute parler de censure politique ou sociale. Et elle est alors « vénitienne » (mais il faut rappeler que Venise est alors sous domination autrichienne [11]).

La Fenice (« le phénix »), déjà victime des flammes en 1837, est à nouveau détruite par un incendie criminel en janvier 1996 et reconstruite à l’identique à partir de 2001. A la réouverture du théâtre en 2003, La Traviata est reprise, 150 ans après sa création, puis, à nouveau, en 2013, dans l’excellente mise en scène de Robert Carsen, l’un des meilleurs et des plus lucides dramaturges contemporains [12]. Carsen en parlait à cette occasion sur France Musique. Il faut l’écouter.

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C’est dans la même mise en scène, à quelques variantes près, que j’ai vu La Traviata ce 19 juin 2016 (avec des chanteurs différents : Ekaterina Bakanova, la soprano russe, dans le rôle de Violetta [13]). Oserai-je l’avouer ? Le livret oublié (pas si vieilli que ça d’ailleurs : Carsen a bien vu le rôle que jouent « la société » (bourgeoise) et l’argent, ces dieux modernes, dans une époque cynique et puritaine), l’interprétation et la musique, souvent énergique (énergie contre mélancolie), m’ont une fois de plus séduit. Pourquoi bouder son plaisir ?

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Le hasard fait que je viens de réentendre La Traviata sur France 3 ce mercredi 3 août en direct des chorégies d’Orange avec Placido Domingo (ténor génial devenu baryton avec l’âge) dans le rôle d’un Germont père autoritaire et tourmenté et Diana Damrau dans le rôle de Violetta. La version Désiré (c’est le nom du metteur en scène) est nettement moins dérangeante que celle de Carsen (Désiré insiste : Violetta, « ce n’est pas une prostituée ») et franchement « mélo » (elle aurait pu être réalisée par George Cukor, auteur du Roman de Marguerite Gautier (1936), ou Douglas Sirk, ce qui, pour moi, n’est pas a priori une critique). Elle comporte pourtant des scènes flamboyantes superbes (la scène des « bohémiennes » et du « matador »). Quant aux chanteurs, ils sont irréprochables.

Leiris (à propos de La Traviata) : « C’est une longue fête, coupée par un entracte à la campagne et conclue par effondrement dans la ruine et la mort, avec, en coulisse, des rumeurs de carnaval. »

La scène du carnaval à Paris

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Vous l’ignoriez ? Cecilia Bartoli a aussi interprété le rôle de Violetta. On peut penser que ce n’est pas pour des raisons purement commerciales. La voici en répétition à Brindisi avec Luciano Pavarotti (Alfredo).

La traviata : acte 1 : « Libiamo ne’lieti calici. »
Symphony Orchestra de Milan ; Symphony Choir de Milan
Direction : Myung-Whun Chung

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Cf. The Art of Cecilia Bartoli

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Richard Wagner (1813-1883)

1859. Tristan et Isolde. Le chant des gondoliers.

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1883. « Richard Wagner est mort ». Les cloches de Venise.
Extrait de Gabriele D’Annunzio. Le témoignage de Pietro Marton.

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Tristan et Iseult ? Voici la fin du 3eme acte : « Liebestod » (l’amour-la mort).
Daniel Barenboim. La Scala de Milan. 7 Décembre 2007.
Yseult : Waltraud Meier.

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« Me noyer, sombrer, voilà le bonheur suprême ! » [14]. Rideau.

Sollers, Dictionnaire amoureux (op. cit. p. 419-421) :

Wagner ou l’anti-Venise. Il est venu ici du 29 août 1958 au 24 mars 1859, à la suite d’une dispute avec sa première femme Minna. Il s’enfuit avec son ami, le poète Carl Ritter, et achève à ce moment-là Tristan et Iseult. Il a décrit la forte impression que lui a faite, une nuit, le chant des gondoliers vénitiens :
« Pendant une nuit d’insomnie, étant allé sur mon balcon vers trois heures du matin, j’entendis pour la première fois le célèbre et ancien chant des gondoliers. Je crus reconnaître le premier appel, rauque et plaintif, qui résonna dans la nuit silencieuse, venait du Rialto, situé à une distance d’un quart d’heure environ. Une mélopée analogue lui répondit de plus loin encore. Ce dialogue extraordinaire et mélancolique continua ainsi par intervalles parfois assez longs et j’en fus si impressionné qu’il me fut impossible de fixer dans ma mémoire les quelques notes sans doute fort simples qui le modulaient. Un autre soir, je compris d’expérience toute la poésie de ce chant populaire. Je rentrais fort tard en gondole par les canaux sombres ; tout à coup, la lune se leva, éclairant les palais indescriptibles et mon gondolier qui maniait lentement son énorme rame, debout à l’arrière de ma barque. Au même instant, celui-ci poussa un cri qui ressemblait à un hurlement d’animal : c’était un profond gémissement qui montait en crescendo jusqu’à un "Oh !" prolongé et finissait par la simple exclamation "Venezia !" Il venait encore quelque chose,mais j’avais reçu une commotion si violente de ce cri que je ne pus me rappeler le reste. Les sensations que j’éprouvai là furent caractéristiques et ne s’effacèrent point de tout mon séjour à Venise, elles sont demeurées en moi jusqu’à l’achèvement du deuxième acte de Tristan et peut-être m’ont-elles suggéré les sons plaintifs et traînants du chalumeau, au commencement du troisième acte [15]. »

Un cri, un gémissement mélancolique, Tristan et Iseult... C’est l’époque, ne l’oublions pas où Monteverdi et Vivaldi sont complètement oubliés, et où on trouve Mozart frivole.
Nietzsche, on le sait, n’a pas de mots assez durs contre Wagner, « corrupteur du goût », « musique malade », « universelle morbidité », « cirque des Walkyries ». Il est vrai, le culte de Wagner, et ses conséquences, nous laisse aujourd’hui stupéfaits. Même Mallarmé s’embrouille dans un galimatias incroyable, en 1886, dans la Revue wagnérienne :

Trompettes tout haut d’or pâmé sur les vélins,
Le dieu Richard Wagner irradiant un sacre
Mal tu par l’encre même en sanglots sybillins [16]

Mozart et Vivaldi, vite.

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Mozart

Mozart alors. Don Giovanni. Livret de Da Ponte (Venise 1749 - New York 1838). « Vous dites Da Ponte, et immédiatement vous entendez Mozart. C’est Venise qui parle dans Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte. Collaboration éblouissante et mystérieuse, comme si Venise, à l’approche de son versant noir, avait transmis toute son énergie et sa lumière à la révolution elle-même. » — (« Don Juan est donc au fond vénitien »).

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L’intégrale de Don Giovanni dirigée par Daniel Barenboim et mise en scène par Robert Carsen à voir ici.

*

[1Voir aussi : Pleynet, Ezra Pound.

[2Cf. Caffè Florian.

[3Note du 11-08-16.

[416 juin 2016. Cette année, des admirateurs avaient laissé un mot.

[7Cf. La Dogana, LiettoColle, 2016, p. 26.

[9« L’opéra, musique en action », L’Arc, n°27, 1965.

[10Lettre de Verdi datée du 13 mars 1857.

[11Elle le sera de 1815 à 1866.

[12Parmi la production prolifique de Carsen, rappelons-nous sa mise en scène du Don Giovanni à la Scala en 2011 ou, plus récemment, de La Flûte enchantée. Voir aussi : Splendeurs et misères - Images de la prostitution.

[13Ekaterina Bakanova a beaucoup d’oeuvres de Mozart à son jeune répertoire.

[14On comparera avec le « Naufragar » de Bartoli dans Griselda de Vivaldi. Voir plus haut.

[15Richard Wagner, Ma vie, Paris, Plon. Folio Classique 5559.

[16Extrait de Hommage à Richard Wagner.

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2 Messages

  • A.G. | 22 juillet 2017 - 00:29 1

    Merci de l’information... qui m’a permis de retrouver ce numéro de Musique en jeu consacré à la musique contemporaine et à Wagner. Le texte dont vous parlez s’appelle D’un albhomme de photos, un entretien de Sollers avec Dominique Jameux transcrit d’une intervention radiophonique sur France Culture du 16 juillet 1976, à l’occasion de la publication de La famille Wagner et Bayreuth de Wolf-Siegfried Wagner.


  • FERREBOEUF | 21 juillet 2017 - 18:44 2

    Il existe un texte de Philippe Sollers sur Wagner.
    Musique en jeu numéro 25 de novembre 1976.
    Titre : d’un album de photos.
    verso de la revue en fichier joint.
    Christian Ferreboeuf