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Collector - L’Infini N° 1

D 12 mai 2006     A par D. Brouttelande - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Décembre 1982, disparaît la revue Tel Quel créée en 1960 dans la sphère du Seuil. Hiver 1983, L’Infini lui fait suite. Changement aussi d’éditeur. L’Infini rejoint la sphère Gallimard.
En contrepoint de ce collector [1] qu’est la couverture de L’Infini N°1, deux extraits [2] du livre de Philippe Forest, DE TEL QUEL A L’INFINI, nouveaux essais, éditions cécile defaut, 2006.


Philippe Forest retranscrit dans son livre de Tel Quel à l’Infini, quelques uns de ses essais analysant le paysage littéraire de ces années là. Regard d’autant plus intéressant qu’il est porté par un universitaire, ce que n’est pas Sollers( il n’est pas du sérail ), et à partir d’un contexte étranger (P. Forest, contrairement à d’autres du sérail, a osé sortir du cocon français pour enseigner en Angleterre, ce qui mérite d’être salué). Comme pour les chaînes de montagne, de loin, la vue d’ensemble est plus nette.

L’ANTI ET LE POSTMODERNISME

J’ai tout à fait conscience d’avoir appris à lire dans art press et dans L’Infini au début des années 1980 et d’avoir découvert dans ces deux revues, au moment de leur plus grande proximité, une certaine vision de la littérature dont se déduisent par la suite et pour moi mes essais (cela va de soi concernant Histoire de Tel Quel) mais également mes romans [...].Cédant à une facilité journalistique et à la tentation de prendre mon propre cas pour une généralité, j’allais écrire : comme tous les gens de ma généra tion qui s’intéressent à l’art du roman, j’ai appris à lire dans art press et dans L’Infini. Mais justement, si j’ai voulu croire cela il y a dix ans, je finis par en douter de plus en plus, tant je me sens très peu de choses en commun avec la plupart des écrivains de mon âge qui, me semble-t-il, ne passent le plus souvent par la littérature qu’afin d’y accumuler le capital minimal de notoriété qui leur permettra, par la suite, de devenir présentateur d’émission télévisée, vedette de cinéma, chanteur de variétés ou plus généralement de faire avantageusement de la figuration dans tel ou tel compartiment de l’actuelle société du spectacle. Que l’enjeu se situe ailleurs, qu’il implique plus de sérieux et d’ambition vraie, qu’il soit nécessaire d’en rester romantiquement attaché à une certaine conception - disons : héroïque - de la modernité, tout cela justifie de collaborer à art press plutôt qu’à n’importe quel autre mensuel ou hebdomadaire travaillant au bon fonctionnement joyeux et lucratif de la grande consommation culturelle.
Où en est la littérature aujourd’hui ? À cette question-là, personne n’ose vraiment prendre le risque de répondre clairement. Pourtant, sur fond de liquidation et de restauration, le tableau d’ensemble est beaucoup plus clair et cohérent qu’on ne le dit d’ordinaire : d’un côté, repli vers les formes les plus régressives et les plus réactionnaires de la création ; de l’autre, basculement généralisé dans l’univers déréalisé du virtuel et de la simulation. Autrement dit : la conjonction de l’anti et du postmodernisme pour déclarer désormais nulle et non avenue cette expérience aporétique - déchirée, si l’on préfère - du sujet à laquelle tient fondamentalement le moderne, et par laquelle persiste tout le négatif, tout l’impossible de la condition humaine.

Philippe Forest
Op.cit. p. 332-333

DE TEL QUEL A L’INFINI
(colloque de Londres, mars 1995)

On ne doit pas s’étonner que la double histoire de Tel Quel à L’Infini soit aujourd’hui matières à colloques et à contributions savantes. J’ajouterai : on ne doit pas s’en inquiéter étant entendu que le devenir universitaire d’une ?uvre -ce que l’on aurait nommé autrefois sa récupération reste toujours accessoire. L’essentiel se joue en dehors de l’appareil des gloses[...] La surprise naîtrait davantage du retard avec lequel se manifeste à ciel ouvert l’importance de tous ces enjeux pour l’histoire littéraire contemporaine. [...]

Cela est de peu d’importance en somme puisque les ?uvres continuaient à s’écrire et trouvaient leurs lecteurs. Il reste qu’on peut malgré tout s’étonner - avec une ingénuité bien entendu feinte - d’un persistant silence, entourant l’activité de l’un des foyers les plus actifs de la pensée et de la littérature vivantes.

Ce silence a longtemps été de règle dans la critique française comme dans la critique britannique. Universitaire français, publiant en France, enseignant en Angleterre, partageant mon temps entre ces deux pays, j’ai pu longuement apprécier d’un côté et de l’autre de la Manche l’épaisseur de ce silence.

En France, vous le savez, l’université, dans la seconde moitié des années 60, s’est passionnément saisie du « telquelisme », avant de s’en détourner avec violence ou condescendance. On déclarait péremptoirement l’expérience close pour mieux se l’approprier. Sollers notait avec humour que la Sorbonne le faisait obstinément mourir en 1968. C’était il y a plus de vingt-cinq ans.

En Grande-Bretagne, vous le savez mieux encore, ce qu’on nomme French Critical Theory a suscité nombre de travaux de pointe consacrés à Derrida, Barthes, Foucault, Lacan. On ne trouverait pas en France même un volume équivalent de commentaires consacré à cette somme de pensée. L’ ?uvre de Julia Kristeva, certains des textes théoriques de Marcelin Pleynet et de Philippe Sollers ont été traduits en anglais. Il reste que, jusqu’à présent, cette aventure intellectuelle n’a pratiquement jamais été interrogée dans ses dimensions historiques et proprement littéraires - romanesque, poétique. Or on ne peut comprendre les enjeux véritables du post-structuralisme français qu’à replacer celui-ci dans un certain contexte où Tel Quel occupait une position-clé.

D’un pays à l’autre, d’un lieu à l’autre de la critique, les censures sont d’ailleurs variables. Ceux qui louent la rigueur aventureuse de Tel Quel condamnent ordinairement dans L’Infini une futile régression vers la littérature commerciale ou l’impressionnisme critique. Ceux qui saluent dans L’Infini la plus vivante des revues d’aujourd’hui dissimulent quelquefois mal leur soulagement à voir tournée la page du « telquelisme ». Pourtant, l’entreprise ne se laisse saisir qu’à être approchée dans sa totale continuité. Le travail réalisé ne doit pas l’être dans l’ordre de la nostalgie ou de l’archéologie. Le centre de gravité de nos échanges doit être déplacé vers l’avant. Ce qu’on peut décliner en une formule, à lire littéralement et dans tous les sens : Tel Quel s’écrit à L’Infini.

[...]
. Depuis le milieu des années 70, l’horizon de la culture française a véritablement basculé sur lui-même. Ce glissement de terrain auquel Tel Quel aura sourdement travaillé et qui est en partie comme l’effet retardé de mai 68 - produit les effets les plus contrastés : libération et liquidation, flux et reflux. Paraissent alors quelques-uns des textes les plus aboutis publiés à Tel Quel : je pense au Paradis de Philippe Sollers, à Rime de Marcelin Pleynet, à Carrousels de Jacques Henric. Pourtant, le sentiment partagé par certains observateurs est que dans ce nouveau contexte une revue d’avant-garde n’a plus sa place. Tel Quel disparaît à la fin de l’année 1982 pour renaître en 1983 sous le titre de L’Infini. C’est le moment où à la stupéfaction quasi-générale paraît le gros volume de Femmes.
Le premier numéro de L’Infini s’ouvre sur un éditorial signé de Philippe Sollers et prenant la forme d’une conversation avec un interlocuteur imaginaire. Le langage a changé et tient d’un certain dialogue philosophique à la Diderot. Le texte s’achève d’ailleurs sur une citation du Neveu de Rameau. Il s’ouvre sur une épigraphe empruntée à Hegel. L’Infini y est présenté comme affirmation, c’est-à-dire comme négation de la négation : renaissant contre toute attente, la nouvelle revue se veut négation de toutes les négations suscitées par elle tout au long de son histoire et dont certains espéraient qu’elles finiraient par avoir raison d’elle.

Dans cet éditorial, Sollers enregistre le changement des coordonnées qui définit le début de la décennie 1980. « Deuil et mélancolie » : Barthes et Lacan viennent de mourir. « Tassement général » : « Le passé semble loin, en effet. Tout est allé très vite ». Par nécessité, L’Infini s’inscrit dans ce champ intellectuel spectaculairement chamboulé : si fermement verrouillé qu’il semble interdire toute initiative, si multiplement fracturé qu’il aménage en lui-même le lieu inattendu de multiples libertés.

Les gardiens d’une certaine orthodoxie avant-gardiste accusent ordinairement L’Infini d’avoir consenti à la débâcle de la pensée française, d’avoir participé à la retombée du roman dans les ornières d’un réalisme exténué. Mais le propre de Tel Quel/L’Infini a toujours été de livrer combat sur deux fronts simultanés, maniant un art très chinois de la contradiction. Afin de maintenir ouverte la question « littérature », la nécessité s’impose d’un dialogue engagé avec l’époque où s’établissent avec les discours dominants des relations qui soient à la fois de proximité imposée et de mise en question obligée. Dans le contexte constamment mouvant au point d’en devenir presque volatile de l’histoire intellectuelle française, Tel Quel/L’Infini aura donc consenti à des langages différents parce que telle était la condition pour que soit tenu un discours somme toute inchangé. Inchangé parce que ne consentant pas à cette négation de l’expérience littéraire qui passe soit par sa soumission à une logique qui lui soit étrangère - politique, science ou philosophie - soit par sa dissolution dans le spectaculaire et l’inessentiel. On lit encore dans ce premier éditorial de 1983 : « L’infini peut être aussi tout et rien, mais absolument nécessaire comme la littérature. C’est en somme un mot qui permet d’insister sur la forme conçue comme réel ultime. »

La littérature, en somme ? Mais sans dévotion ni désinvolture, ni à la manière d’un idéal creux ni comme un ornement vain. Pour une expérience vivante qui soit de jouissance, de critique et de vérité.

La littérature, toujours ? C’est justement le titre d’un des textes réunis dans la toute récente Guerre du Goût et dont il semblerait opportun de citer les dernières lignes : « La fin du vingtième siècle n’est pas si différente de son début. Proust n’est-il
pas exagérément compliqué ? Et Joyce ? Et Céline ? Et Artaud ? D’ailleurs, le vingtième siècle avait-il lieu d’être ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un rêve ou d’un cauchemar ? Voyons : la multiplication des marchandises nous assure que les récits complexes sont morts. Le public veut des histoires simplifiées, des idées consommables, une morbidité de bon aloi, du pré-adapté cinéma, un vocabulaire minimum. Vous êtes énervant, à la fin, de toujours parler de Littérature avec un grand L. Le français ? Ce sera bientôt, et pourquoi s’en plaindre, une langue morte comme le latin ou le grec. Non ? Vous n’êtes pas convaincu ? Vous tenez à votre certitude d’une énergie verbale sans fin renaissante ? Vous l’exprimez systématiquement, et contre l’évidence sociologique, chaque mois, dans un journal du soir ? C’est curieux. »

N’est-ce pas ?
[...]
Tel Quel s’écrit à L’Infini pour que reste ouverte la question « littérature ».

Philippe Forest
Op.cit. p. 49 à 59.




[1collection D. Brouttelande

[2sélection pileface

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