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Sollers ou l’accomplissement des écritures

D 14 décembre 2013     A par Albert Gauvin - Jean-Paul Fargier - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Je viens de relire quelques articles du Dictionnaire Martin Heidegger (« Grèce/Les Grecs », « Nihilisme » : lumineux) ; l’actualité médiatique m’incite à être particulièrement attentif à celui consacré au « nazisme », j’écoute les propos, catastrophés mais dignes, de son auteur, ébranlé, comme un communiste après la publication du rapport Khrouchtchev, par les énièmes « révélations » sur le passé trouble du plus grand penseur du XXème siècle (c’est vrai). Les Beiträge ont été écrits à la même époque que les Carnets privés (noirs ? Schwarze Hefte) — où Heidegger, dit-on, se laisse aller à « quinze phrases antisémites » (beaucoup moins, somme toute, que chez beaucoup de philosophes de l’Occident ou d’écrivains comme Paul Morand récemment relu, et, évidemment, Céline [1]) —, je me plonge dans la traduction récente de ces fameux « traités impubliés » pour trouver une explication, peut-être une clé, le lieu, la formule ; je trouve ça profond, bien sûr, mais, très vite, mon « Da-sein » perd son « ouverteté » et sa « fondamentation », et, qui plus est, son latin ; ma tête devient lourde, et, à l’avenant, « l’abandonnement » me guette, j’ai envie de retrouver mon « être-le-là », ma langue natale, bref le français, sa concision, sa légèreté, sa rapidité, sa désinvolture, sa musicalité [2].
Un petit livre, Philippe Sollers ou l’impatience de la pensée, dans lequel Anne Deneys-Tunney a réuni en 2011 un certain nombre d’articles plutôt alertes [3], me revient en mémoire (mais, diable, pourquoi maintenant ?). Et là, un essai, brillant, très drôle, que son auteur, Jean-Paul Fargier, me dit avoir voulu intituler Le cul et le pape (l’éditeur a refusé), me permet de retrouver le vrai « fondement » des choses (physique et métaphysique), mon Credo. Le Salut est là, à portée de main. — A.G.

*

Sollers ou l’accomplissement des écritures

par Jean-Paul Fargier

« Le bon cul est toujours catholique, expérience de voyageur. » Philippe Sollers

Lisez tout le sommaire ! (Zoom : cliquer sur l’image). Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Benoît XVI au rez-de-chaussée, et les lettres formant le mot sulfureux de Culs au premier étage, sur la couverture de la revue L’Infini, n° 109, hiver 2010. Au fou ! Quel « je » peut tenir ces deux bouts à la fois ? Eh bien, ces extrêmes apparemment inconciliables, de source sûre irréconciliables, quelqu’un les conduit ensemble à la parade. Et ce quelqu’un, qui a écrit Paradis, Nombres, Le Cœur absolu, Le Secret, Une vie divine et vingt, trente autres livres tout autant initiatiques, doit bien avoir une raison (secrète) à la folie (ostentatoire) de les afficher de concert à la une de la revue dont il est le directeur. L’Infini est une revue littéraire qui mène une guerre littéraire contre des ennemis littéraires. Cocktail explosif de deux textes, la bombe « cul/pape » s’inscrit dans une stratégie dont le général Sollers a énoncé depuis longtemps les objectifs (terrasser l’antilittérature) et les moyens (regroupés sous le nom de contre-poisons actifs).

Les contre-poisons actifs pour traiter le démon de l’anti-littérature générale ? Pour détourner et renverser à votre profit l’hydre famille-église-école-université-armée-banque-syndicat-parti-police-médias ? [...] Voici la liste : érotisme de très mauvais goût-dérision-interruption-mystique-gratuité-compassion-charité-amour-jeu-prière. [...] Le médicament n’est efficace que si vous le mettez en oeuvre simultanément, dans son état de plus grande concentration, et sans restriction. Le jeu et la compassion. La charité et l’interruption. L’amour, la gratuité et la dérision. La prière et l’érotisme de très mauvais goût. Et ainsi de suite. N’oubliez pas la mystique, c’est très important. Laquelle, nous verrons plus tard. Voilà les nouvelles vertus cardinales [4].

On commence à comprendre. Le « cul » et le pape : jamais l’un sans l’autre, question d’efficacité du médicament. Gousse d’ail et crucifix pour repousser les vampires rôdant autour de l’écrivain libre, insoumis, « réfractaire », non inféodé socialement, philosophiquement, religieusement. «  Le bon cul est toujours catholique, expérience de voyageur. » [5] Le pape et le postérieur, variante de l’opposition « prière/érotisme » ? À première vue, oui. Mais la machine de guerre est plus subtile, dès qu’on déplie les paragraphes de chacun de ces textes.
À bien les lire, les sentences — suscitées par des photos érotiques prises par Claude Alexandre et republiées par Sollers en 2010 (le texte date de 1986, donc de l’époque du Portrait du joueur) —, on est loin du mauvais goût revendiqué. Sollers s’y affiche en « voyageur du sexe » révélant le fruit de ses expériences sous formes de lois, comme on le faisait du temps des Encyclopédistes : «  Rien n’est aussi autonome, par rapport aux autres parties du corps, que les fesses, le cul : une seule femme vous les révèle, elle vous montre son indépendance. » [6] Ou bien, tout aussi clinique :

Les seins sont une dépendance du sexe, ils le suggèrent, le visage y participe. En revanche, le cul est une tache aveugle. C’est là que se tapissent la voix, le regard. La pupille, l’intention noire. La pensée de fond [7].

L’Infini n° 109, Hiver 2010. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Bientôt, le cul est renommé, par nécessité conceptuelle, « le point ». Le point est cet infiniment petit qui ouvre sur l’infiniment grand. Sollers convoque souvent cette dialectique (dans son explication par exemple de Point de lendemain, le conte libertin de Vivant Denon). Ici, le point est au coeur d’un dogme de l’infaillibilité en amour : «  Une femme vous plaît : tout de suite la bouche et la main au point. Le reste s’ensuit, on gagne du temps. "Derrière d’abord" (Céline). » [8] Cerise sur le gâteau, Céline, autre savant de ces choses vitales et littéraires, est ici convoqué non seulement comme un ultime et classique argument d’autorité, mais aussi en confrère précurseur, spécialiste d’un voyage que Sollers entend continuer, mieux : accomplir, jusqu’au bout.

S’appuyant non sur l’autorité de Céline, mais (à chacun ses docteurs) sur celle de Dante, qui accueille en son Paradis (Chant XII, vers 127-129) Bonaventura da Bagnoregio, la leçon de Benoît XVI, prononcée à Bagnoregio en septembre 2009, sur la sainteté de ce disciple de saint François d’Assise dont le nom signifie « heureuse destinée) (buoana ventura), définit, quant à elle, une autre voie infaillible, celle qui mène droit à la contemplation de Dieu. On y progresse en passant par quatre formes de sagesse : la sagesse uniforme, « qui concerne les principes fondamentaux de la connaissance », la sagesse multiforme, « qui consiste dans le langage mystérieux de la Bible », la sagesse omniforme, « qui reconnaît dans chaque réalité créée le reflet du Créateur », enfin la sagesse informe, « c’est-à-dire l’expérience du contact intime et mystique avec Dieu, alors que l’esprit de l’homme effleure en silence le Mystère infini » [9].
Pourquoi Sollers a-t-il décidé de publier ce texte du pape ? Plusieurs raisons affleurent, mêlées. Cette énumération, d’abord, on dirait du Sollers, on pourrait la trouver dans un roman de Sollers, qui prise fort les listes, les concepts déclinés, les informations précises, épuisant un sujet avec une minutie rationnelle. C’est peut-être cela, outre son incipit dantesque, qui l’a séduit dans ce texte. À moins que ce ne fût, à la fin de cette énumération, le renvoi à un livre de Joseph Ratzinger que glisse Benoît XVI, s’autocitant comme Sollers adore le faire. Ironique effet de miroir entre deux papes ! Plus sérieusement, on peut imaginer Sollers, lisant les lignes de Benoît XVI dans l’Osservatore Romano du 15 septembre 2009, en train de prendre son café au Florian à Venise, ou au Pont Royal, à Paris, et s’écriant : «  Parfait, je prends. » Parfait parce que, comme souvent, les textes que cite Sollers incluent un portrait de lui-même, tracent une part de sa personnalité à lire entre les lignes qui s’appliquent à un autre. Quand Benoît XVI décrit saint Bonaventure comme « un inlassable chercheur de Dieu » [10], Sollers peut se reconnaître, comme nous pouvons le reconnaître, dans cette définition. De même, il signe à coup sûr des deux mains cette conception de « la foi comme un perfectionnement de nos capacités cognitives » [11], lui qui place la connaissance au point de convergence de toutes les activités intellectuelles, spirituelles, y compris mystiques. Autre ressemblance entre Sollers et saint Bonaventure, tel que le peint Benoît XVI : « chantre de la création, saint Bonaventure présente une vision positive du monde, don d’amour de Dieu aux hommes » [12]. Saint Sollers aussi, dont les diatribes contre le nihilisme se doublent d’un éloge du monde, chanté par les vents, les fleurs, les vagues, les oiseaux, le soleil et les étoiles, digne d’un moderne disciple de saint François arpentant tantôt les plages de l’île de Ré, tantôt les fondamente de Venise. Enfin, il y a cette revendication d’une montée vers la beauté, « comme à travers les degrés d’une échelle » [13], que Bonaventure a pratiquée et que Sollers proclame être sa pulsion première et ultime, source inaltérable de bonheur. Oui, vraiment, ce qu’écrit Benoît XVI, fort bien d’ailleurs, sonne comme un programme que l’oeuvre et la vie de l’écrivain Philippe Sollers s’évertuent à accomplir quotidiennement, lui qui se plaît à conter sans compter à longueur d’essais, de romans, d’interviews : sa buona ventura [14] Et nous avons maintenant la réponse à notre question : pourquoi Sollers a-t-il publié ce texte du pape ? Parce qu’il aurait pu l’écrire. Parce qu’il l’a déjà écrit sous d’autres formes.
Pour lutter contre l’hydre de l’antilittérature, il ne faut pas faire semblant dans le maniement des cocktails explosifs. À fond dans le cul, à fond dans le pape, la religion. Sincèrement (ou si l’on préfère, artistiquement) tout en entier dans chacun des discours, dans chacune des pratiques rapprochées. Tout entier art, c’est la traduction du nom Sollers. Exemple parfait de cette unicité, dans Portrait du joueur [15] : les caresses avec Sophie à Saint-Sulpice, suivies à la page suivante d’un jubilant Credo de croyant catholique. Tout se rapproche, tout se fait horizon.
Le sexe d’abord. «  Les Delacroix à droite, en entrant... Tes doigts posés sur moi, sous l’imperméable. Longuement, là, en silence. » Puis le rappel que Sade et Baudelaire, «  écrivains français, insupportablement français », ont été baptisés dans cette église. «  Sade le 3 juin 1740. Et Baudelaire en 1821. Les Fleurs du mal... Juliette ou les Prospérités du vice... » À quoi s’ajoute, de fait, maintenant Les Bonheurs de Sophie, le livre en train de s’écrire (effet de direct) par les gestes de Sophie tapotant le sexe de l’auteur et par la course mentale des doigts de l’écrivain sur son clavier tapant mentalement les phrases qu’il gravera plus tard dans son récit, dans le prolongement des Fleurs du mal et des Prospérités du vice...

On devrait mettre une inscription sur nos sièges... Ici, Sophie a dit des horreurs, en touchant, de ses longs doigts délicats, une queue... Ici, son foulard noir sur la tête, Sophie a mouillé en prononçant des phrases abominables.

Jouissance d’un instant merveilleux ouvrant sur une expérience savante (la partenaire ne se nomme pas Sophie sans raison). «  Ici a eu lieu une leçon fondamentale de géométrie dans l’espace et d’algèbre dans le temps... »
Quelques lignes plus loin, changement de décor, changement d’interlocutrice : le voyageur du temps récite, à l’intention de Joan, le Credo de la foi catholique.

Mais oui, j’ai été, je suis et je serai toujours « croyant », comme vous dites... Et mieux que ça... Je crois à ce qui me fait plaisir. Me transporte. M’enchante. M’allège. Me donne le sentiment d’un salut. Raisonnable, non ?

La raison et la foi, le sens commun relayé par l’idéologie régnante ne cesse de les opposer. Pas le pape, pas Sollers. Pour le pape, on l’a vu, la foi perfectionne les fruits de la raison. Pour Sollers, exultant de prendre à rebrousse-poil la réprobation stupéfaite de son interlocutrice dont les «  lèvres plus ou moins pincées » sifflent : «  Vous n’allez quand même pas me dire que vous aimez ce que vous aimez ? », il n’y a pas de doute à avoir.
Comme si c’était impensable, abominable... C’est drôle... Un Dieu, père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles, ne me gêne pas. Au contraire.
Dieu, père tout-puissant, etc. : ce sont les mots mêmes du Credo, placé au début de chaque messe, et ces mots ne relèvent pas de l’impensable, non, plutôt du « cognitif ». Et Sollers enfonce le clou : la suite (du Credo) est tout autant admirable, pensable, instructive, aimable.
C’est la finesse de l’engendrement de la deuxième personne qui me plaît singulièrement, et de plus en plus, et pour cause... Le fils unique...

Et ex Patre natum ante omnia saecula,
Genitum, non factum, consubstantialem Patris ;
per quem omnia facta sunt ;
descendit de caelis,
et homo factus est
 [16] ...

Le latin, pour certains, c’est comme le cul pour d’autres : un objet d’effroi, de répulsion, épouvantail garanti, infaillible. Il faut choquer Joan, lui faire subir un traitement de choc dans l’espoir de la délivrer de ses préjugés féministes/rationalistes irrationnels. Allez, encore un petit coup de latin :

Je vous prie de remarquer que genitum est clairement distingué de factum. Genitum non factum... Né du Père, consubstantiel au père, dans le genitum avant tous les siècles. Et puis né une deuxième fois, donc dans le factum... Au-dessus du temps et dans le temps. Et à nouveau par-dessus le temps. Regenitum... Traversant la mort du factum... Déclenchant ainsi la Troisième Personne, qui ex patre filioque procedit ; qui cum patre et filio simul adoratur et conglorificatur ; qui locutus est per prophetas... D’où s’ensuit l’USCAE, l’unam santam catholicam et apostolicam ecclesiam, qui va commencer ses démêlées interminables avec l’OEUF, son factum fatal et ses factotums [17] ...

Retour à la case départ. Qu’est-ce que l’OEUF ? « Police, parti, armée, banque, syndicat, université, médias, famille, église, école : appelons ça l’oeuf. L’Oeil Unifié Fraternel. » [18] Coup génial que cette nomination, du même ordre que la concentration du cul en point. L’ŒUF, ça dit tout en un mot bref, en un symbole universel. C’est encore plus court que l’hydre (aux têtes sans cesse renaissantes) ou le démon de l’anti-littérature (que ne dissout jamais aucun exorcisme). C’est l’ennemi constamment recomposé, «  faisant semblant de se diviser pour mieux se perpétuer ».
Toujours le même combat. Littéraire absolument. Toujours les mêmes armes. On pourrait multiplier les exemples de cocktails explosifs : à chaque fois, on débusquerait le même dosage détonant. Et la même mèche. Outre le rapprochement de deux entités opposées (selon la logique de l’OEUF) — prière/érotisme, jeu/ compassion, amour/dérision —, l’arme n’est opérationnelle que si l’étincelle de la vie enflamme la bombe des écrits. Dans la charge : un écrivain, au moins, mais plusieurs en général. Céline, Dante, Sade, Baudelaire dans les exemples cités plus haut ; ailleurs Bataille, Artaud, Mallarmé, Lautréamont, Casanova, Rimbaud, Nietzsche, Proust, Stendhal. Grains de pensées, éclats de rythmes, petites billes serrées d’images, les citations conjuguent leurs potentiels déflagrateurs. Mais ce qui met le feu aux poudres (titre d’un Fragonard souvent convoqué par Sollers), ce n’est pas la simple juxtaposition de deux phrases fulgurantes, ni le subtil entrelacement d’une multitude d’emprunts à la poudrière des écrivains mobilisés contre l’OEUF, c’est une situation concrète personnalisée, un moment vécu de vie. Des personnages, dont le narrateur qui se confond toujours avec l’auteur, et leurs actions façonnent un cadre (espace, temps) où les citations vont fuser, exploser comme des fleurs de feu (pyrotechnie, mon beau souci) qui illuminent leurs nuits (nuit de la raison, nuit des sens).

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Boticcelli, Béatrice et Dante. Illustration pour le Chant XII du Paradis.
C’est au Chant XII que Dante écrit :
« Je suis la vie de saint Bonaventure
de Bagnoregio, qui dans les grands offices
mis toujours en second les soins de la main gauche. » [19]

Que produit cette situation ? Une transformation. Mieux, un accomplissement. Il faut des corps pour accomplir les idées et d’abord les échanger. Des corps qui portent des noms, des prénoms, habitent des villes, exercent un métier, voyagent, s’aiment, complotent, s’amusent, lisent, parlent, s’informent. La différence est de taille. Quand les références, les citations sont seulement tressées au fil d’un article critique, tramées dans le raisonnement d’un essai, leur impact n’est pas négligeable bien sûr, loin de là, et Sollers se livre aujourd’hui comme hier à cet exercice avec un brio percutant dont témoigne chacun des textes critiques qu’il a publiés dans Tel Quel, qu’il affiche dans L’Infini, comme dans les articles qu’il donne à tous les journaux et magazines qui lui réclament ses lumières sur tel ou tel sujet, écrivain, ouvrage, artiste, exposition, etc. Autant de travaux d’aiguille, de canevas, de patchwork, qui de temps à autre sont collectés pour composer un énorme carnet de balles, un manuel de batailles : Improvisations (1991), La Guerre du goût (1994), Éloge de l’infini (2001), Discours parfait (2010). On y trouve redéployé, en tournures d’une grande lisibilité, sur des rythmes trépidants, le fond de pensée mis au point dès 1968 dans L’Écriture et l’Expérience des limites, essai lui-même composé de textes publiés dans Tel Quel depuis 1965, sur Dante (« Dante et la traversée de l’écriture »), Sade (« Sade dans le texte »), Mallarmé (« Littérature et totalité »), Artaud (« La pensée émet des signes »), Bataille (« Le toit »), Lautréamont (« La science de Lautréamont »). Tout est là, déjà là, en formules compactes, en théorèmes irréfutables, en démonstrations plus que convaincantes, brillantes, évidentes, déroulées dans un style au phrasé classique, limpide, dépourvu des amphigourismes dont se gargarisaient à l’époque les autres auteurs du groupe de Tel Quel. N’importe quelle étude ou préface, n’importe quel article ou entretien que Sollers exécute depuis le moment où il est devenu un écrivain à grand tirage, réclamé par les médias, depuis Femmes donc, en 1983, trouve dans ce fond sa source, brode sur des thèmes forgés de longue date. Ce qui lui permet de clamer qu’il dit toujours la même chose, qu’il n’a pas varié. Ce qui est exact. Au ton près. Car après Femmes, si tout continue, tout change : le ton, l’allure, la rhétorique, l’argumentaire (attaque, défense, encerclement, pointe) relèvent maintenant de l’art du fleuret (revendiqué par hérédité d’un grand-père champion de ce sport). Le Bordelais Sollers caracole en d’Artagnan d’une reine aux joyaux nommés Raison/Écriture (Ré pour les initiés).
Des articles, essais et préfaces aux romans, on change d’époque, de capes, d’épées, de munitions, de stratégie : on passe de l’arme blanche aux armes explosives. Il ne s’agit plus d’expliquer, d’analyser, d’éclairer, mais de réaliser, d’enclencher une transformation. «  Don Juan n’a été qu’interprété. Il s’agit de le transformer [...] » [20], déclare, en écharpant le Manifeste de Marx, à sa fille France, le père des Folies françaises, affectueusement nommé par celle-ci «  Pap », car elle a vite pigé, la fine coquine, que Rome n’est plus dans Rome, et que le pape à nouveau couche avec sa fille. D’un côté on théorise, de l’autre on passe à la pratique. À l’exemple, mais beaucoup plus poussé, audacieux, enlevé, de Sartre mettant en pratique dans ses romans (éloge par Sollers de La Nausée) dans son théâtre l’existentialisme qu’il étayait dans ses sommes philosophiques. L’expérience des limites n’est plus alors à déchiffrer mais à vivre, il n’y a pas d’autre mot, par son auteur même. À vivre tel qu’on vit dans un roman, certes, mais un roman qui est vrai (Un vrai roman, titre d’une des autobiographies de Sollers). La fiction est le moment de vérité des idées. Le devenir fiction est un art de vivre. La fiction est le creuset des accomplissements.
L’accomplissement peut se définir comme la rencontre d’une phrase et d’un acte sur une table d’enfantement. La phrase est réelle (signée Lautréamont, Bataille, Mallarmé, Sade, etc.), l’acte est imaginaire, fantasmé, romanesque, donc certifié exact. L’accomplissement suppose au moins deux partenaires, dont la conjonction à l’instant T, en un lieu X, génère une épiphanie, une apparition, une réalité nouvelle que la phrase avait énoncée, mais que personne n’avait encore été tenté d’incarner. Accomplir, c’est réaliser. Transformer l’écrit en vécu à l’intérieur d’un écrit d’un type nouveau. C’est ce que font les gestes de Sophie et de l’auteur sous les voûtes de Saint-Sulpice, un jour de ciel chargé («  quand nous sommes sortis, l’orage avait éclaté. C’était très beau, jaune, vivant, juste. On a marché longtemps sous la pluie [...] ») : pas seulement se donner du plaisir, mais aussi concrétiser les programmes de Sade et de Baudelaire à la fois. En vue de les réinscrire dans un nouveau texte. Qu’ils soient qualifiés, ces auteurs sulfureux, de «  bébés vagissants », car baptisés en ce lieu (« Ici même ») ; que l’adjectif «  vivant » précède celui, souligné par le narrateur, de «  juste » pour qualifier la sensation éprouvée pendant ce qui n’est rien de moins qu’une «  leçon fondamentale de géométrie dans l’espace et d’algèbre dans le temps » méritant d’être gravée dans le marbre ou plutôt le bois des sièges occupés par les acteurs («  Ici a eu lieu une leçon, etc. ») ; que ce qui se déroule entre les deux partenaires soit immédiatement couché (là voilà l’inscription, la vraie, la bonne, la juste) dans un livre, Les Bonheurs de Sophie, inversion à la fois des malheurs de l’héroïne éponyme de la comtesse de Ségur et des infortunes de celle dont se délecte le divin marquis) ; bref, toutes les notations qui circulent autour de l’action vécue (dire des horreurs, toucher une queue, mouiller) convergent (ah ! ah ! con-verge) vers ce changement d’état du littéraire (représentable seulement comme un enfantement, la naissance d’un être neuf) que Sollers revendique accomplir dans ses romans.

Allons, allons, vous êtes troublés. Vous sentez que vous êtes pour une fois en train de lire un roman où tout est vrai. Des scènes de ce genre ne s’inventent pas. C’est la beauté moderne, bizarre, sans importance, vite vécue, vite effacée, déclinée en tous sens, éclatée, féroce, légère [21] ...

Souligner dans une telle déclaration «  tout est vrai » est un truc de magicien faisant semblant de vous révéler ses tours pour mieux vous embobiner. Tout est vrai littérairement. Les lettres sont devenues chair. Chairs d’une nouvelle beauté.
Que la lettre, littéralement, se fasse chair, il n’y a pas d’autre voie à l’engendrement d’une modernité inédite — «  éclatée, féroce, légère » —, aux antipodes de la modernité lourde, concentrée, innocente, idiote qui se pavane partout, a partout pignon sur rut (dans la littérature moderne, l’art moderne, la musique moderne, le cinéma moderne, le théâtre moderne). Et quoi de plus éclaté, féroce, léger charnellement que l’inceste (d’un père et de sa fille) ?

Dans Les Folies françaises, Sollers fait un pas de plus dans la transformation par la vie des textes lus, expliqués, savourés de ses auteurs favoris. L’accomplissement des écritures n’a plus lieu dans les jeux et les joutes (verbales, sensuelles) de deux amants, de l’auteur et de quelques amantes, mais dans la folie d’une vraie rencontre amoureuse entre le narrateur et sa fille. Il ne l’a jamais vue.

Rapide aventure il ya dix-huit ans. Madame m’aimait un peu, moi aussi. Elle fut enceinte... voulut garder l’enfant. Elle accoucha d’une fille [22].

Qu’elle amena grandir à New York. La voici ramenée par sa mère au père, à Paris. «  Vous pourriez la voir de temps en temps ? Certainement, dit ma voix. » Impression de «  mauvais roman », diagnostique l’auteur. Mais la fille s’appelle France, et il se prend à ce mot, s’éprend de ce nom («  Tu m’aimerais moins sans mon prénom ? Aucun doute [...] »). Il va donc écrire avec elle un bon, un vrai roman, une histoire qui s’appellera, s’appelle (il la consigne déjà sous ses yeux, tout en la vivant) Histoire de France. Un livre qui contiendra le meilleur des produits de ce pays, sa littérature, la vraie. Avec, comme exemples privilégiés pour les travaux pratiques, deux monuments à visiter, Villon, Molière, sur fond de promenade à Versailles, cœur de la vraie grandeur française.
Les Folies françaises est le plus court, le plus vif, le plus osé et donc le plus probant des romans de Sollers. L’accomplissement y sera porté au maximum d’intensité dans un minimum de temps. L’auteur est sûr de détenir avec l’inceste père-fille l’arcane absolu, l’atout maître. Preuve a contrario : tout autre inceste est négatif, morose.

Mère et fils : rengaine. Père et fils : tabou pervers et meurtri. Mère et fille : scaphandre, asphyxie. Frère et sœur, au-delà de la haine classique de frère à frère et de sœur à sœur : troubadourisme moisi. Non, non, j’ai raison. Le grand mystère nous appartient. Pont d’Avignon ! Papal ! On y danse ! [23]

Maîtres de danse : Villon, un hors-la-loi mais roi du rythme, Molière, qui s’est marié avec sa fille. Allez, on commence, première citation [24] :

« L’an quatre cens cinquante six
Je, Françoys Villon, escollier
Considerant, de sens rassis,
Le frain aux dents, franc du collier [...] »
Premier commentaire : un peu de vie, d’abord. Zoom avant :
Il a vingt-cinq ans. Dans une rixe à propos d’une femme, il a tué un prêtre, Philippe de Sermoise. Ça s’arrange, mais il cambriole le trésor du Collège de Navarre. Il est de nouveau en fuite.
Suite du commentaire : gros plan sur le rythme.
Écoute bien les octosyllabes, Je, François Villon, escollier, uni deux-trois-quatre-cinq/six-sept-huit. Ça roule, ça coule. Borne dans le français, pas de mousse. Le vrai moule. Il traverse les siècles, bonjour. Apprends-le par cœur, l’effet viendra peu à peu. Exemple
[...]

Et là, attention, première application ad hominem, premier exercice d’accomplissement. Il aurait pu emprunter un fragment de Lois, livre que Sollers a écrit presque tout entier en décasyllabes (comme l’est le Débat du cœur et du corps, autre poème de Villon donné en exemple par le père à sa fille), nuis non, il faut faire du neuf, du brutal (du féroce ?).

[...] Exemple :
Au mois de mai quatre-vingt-huit,
Je, Philippe Sollers, écrivain,
Bien réveillé, lucide en bite,
Calme, allongé, la plume en main...
Première réaction de l’élève, forcément choquée, mais aussi clairement amusée :
— Tu charries ?
— Mauvais goût pour démasquer le mauvais goût
 [25].

On nous avait promis du papal. Et de fait, revoici l’effet cul/pape, prière/érotisme de très mauvais goût. Manoeuvre d’une transformation (Sollers fait son Villon) qui vise à en cacher une autre. Pour l’instant. Elle sera dévoilée plus tard. Avec Molière.
Et voici l’Illustre Théâtre. Rideau.
Syllogisme : « la comédie est française, vous êtes français, donc dans la comédie, tout le reste est inutilement tragique ».
Transformation : Molière auteur contemporain.

— Medicandi, purgandi, saignandi, perçandi, taillandi, coupandi et occidendi, impune per totam terram ! — Que je te propose de lire aujourd’hui : surveillandi, malveillandi, criticandi, interpretandi, censurandi, refoulandi, nevrosandi, moralisandi, philosophandi, politicandi, emasculandi, marginalisandi, impune per totas medias ! [26]

Avec Villon et ses rythmes qui traversent les siècles, Molière et ses flèches toujours d’actualité, voici France armée pour jouir avec son père, loin de tout esprit tragique, dans les lits de la langue («  Tu es ma fille, tu es ma langue. [...] »), dans les plis et replis de la littérature la mieux tournée, la plus franchement déliée («  Viens, ferme les rideaux, viens là [...] »). Vérification («  Relis-moi le passage [...] »). Chateaubriand (nom à deviner par le lecteur, on ne va pas tout lui dire, mais on lui tend des perches, son adresse, très connue).

— Relis-moi le passage.
— En traçant ces derniers mots, ce 16 novembre 1841, ma fenêtre qui donne à l’ouest sur les jardins des Missions étrangères...
— 112, rue du Bac, rez-de-chaussée...
— ... est ouverte ; il est six heures du matin ; j’aperçois la lune pâle et élargie [...]
— Stop !
— Qu’est-ce que tu préfères ?
— « J’aperçois la lune pâle et élargie. » Les A... A-E-O-U-I.
— A noir, E blanc, 0 bleu, U vert, I rouge ?
— Parfaitement. Séquence suivante
 [27].
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Félix Bracquemond, Ex-libris de Édouard Manet, 1876.
« MANET ET MANEBIT » « Il reste et restera... » C’est Poulet-Malassis, l’ami de Baudelaire, qui a inventé la formule en latin. Suzanne n’a pas trouvé d’objections à faire. Il est donc là, en dieu Pan, sur sa colonne. Sa tête ressemble à Marx.
« MANET ET MANEBIT » ?
La palette et les pinceaux sont placés sur le sexe ! Sur le sexe !
C’est extraordinaire que quelqu’un ait pensé à faire ça,
tout de suite après sa mort !
Suzanne n’y a vu aucun inconvénient.
Vous connaissez des veuves comme ça ?
Musicalement fidèles à un faune ?

Suit une lecture de La Recherche... Pareillement vive, savourée. Après Proust, c’est Mallarmé parlant de Manet :

— Vivace, lavé, profond, aigu ou hanté.
— Cinq. M-A-N-E-T. Manet et Manebit : il reste, restera
 [28].

Les mots claquent sur la langue, glissent de bouche en bouche. On gambade de romans en tableaux, de tableaux en musiques. Marin Marais, Rameau, Debussy, Manet, Monet, Picasso, Rodin : la leçon s’élargit, logiquement. Et puis on revient à Molière. Et son Don Juan, dont l’auteur est en train d’écrire une adaptation pour le cinéma. Don Juan... où il déniche l’esprit de Lautréamont dans une réplique de Sganarelle ; où il voit, au détour d’une « nouveauté à introduire » qui consiste à faire intervenir la mère du séducteur, flasher la scène du bordel de l’Ulysse de Joyce, «  quand Stephen, d’un coup de canne, abat le lustre et renvoie sa mère aux Enfers » et dans ce flash, cet insert, se révèle enfin le sens du « non » lancé au Commandeur par le héros : c’est à sa mère qu’il s’adresse. «  Elle voulait qu’il fût homosexuel. Et lui : non. Non serviam ! » [29]
Ce soudain retour du thème antihomosexuel, fréquent chez Sollers, est ici sidérant. Agrafé ou non à la haine des mères, il est modulé à l’infini dans ses romans, interviews, essais, chroniques. Le voici par exemple aussi dans « Culs » :

Je conçois le désir homosexuel mâle, je ne l’approuve pas.
Il consiste à vérifier que le cul est bouché par la bite.
Ce n’est pas la vraie arrière-pensée de la scène primitive.
Il est très délicat de jouir dans l’ouvert.
Très délicat, très interdit, de spasmer à fond dans le manque
 [30].

Dans Les Folies françaises, le non à l’homosexualité délivre, en un éclair, le fond du oui à l’inceste (sodomie comprise). Il en fournit la preuve a contrario. Ce n’est pas une histoire de sexes mais de textes. Entre corps et textes, quoi de commun ? Le point. Et revoici donc le cul masqué sous le point dans la bouche d’un Méphistophélès goethien (einem Punkte) retraduit par Sollers, dans la farandole des auteurs ayant visité Don Juan, avec pour conclure ce conseil salace : «  les lacets du corset sont à vous, bonne pêche » [31]. Rien de plus, rien de moins : tout en fine allusion, puissamment érotique. Dans ce roman, contrairement aux autres, aucune phrase sexuellement démonstrative. Une ligne, à la fin de la scène d’ouverture — «  Depuis deux mois, donc, France et moi [...] » [32] —, pose, affirme, on ne peut plus brièvement, la relation intime père-fille. Paragraphe suivant, le film (porno) commence. «  France n’a fait aucune difficulté. C’était évident dès les premières secondes. » [33] Puis, dix lignes plus loin (employées à situer le père adoptif), il s’achève :

Ah, je sais, vous voudriez tout, tout de suite. Les détails de la première fois, l’effusion, le vertige, la culpabilité, les fantasmes. Vous allez être déçus. Le plus grand naturel, c’est le fond de l’affaire. Curieux que personne ne l’ait décrit [34].

Oui, c’est fini, ce sera tout (à part quelques effleurements « naturels », cou, poignet, lèvres, peau sur peau) question sexe. Et maintenant, place aux textes. À la jouissance des textes.
L’inceste ici (réel ou fantasmé, peu importe, on n’est pas dans une biographie mais dans une fable vivante) est la métaphore du comble de la jouissance textuelle. Son indice vertigineux. La vibration vocalisée (A-E-O-U-I) qui traverse les deux lecteurs repérant ensemble dans le testament de Chateaubriand une mélodie de Rimbaud n’a pas de meilleur équivalent qu’un orgasme partagé consanguin. Coup double ! Entre Rimbaud et Chateaubriand : même tissu charnel, même usage des lettres, même sang circulant entre les mots, les sens. Qui le constate est de la famille. Qui s’en mêle, en jouit, commet un inceste. Continuer le texte, c’est l’accomplir en baisant de la chair consanguine. Le roman sollersien, accomplissement des écritures, est un inceste délibéré. Voilà pourquoi Don Juan ne peut pas être homosexuel, le Don Juan transformé de Sollers, modèle de tout accomplissement. Il n’existe que s’il sépare des filles de leurs mères.
Oui, revenons à Don Juan. Et à sa modernisation impliquant sa mère. Séparer une fille de sa mère, Sollers le répète souvent, est un des actes les plus difficiles (délicats, interdits) qu’un homme (père, amant ou mari) puisse espérer réussir. L’inceste des Folies françaises est le nec plus ultra de cette réussite. Car il se joue deux fois. D’une part dans la vie, de l’autre dans les formes. Dans la vie, la mère constatant du désir chez le père pour sa fille croit fermement que c’est à elle qu’il s’adresse. Bévue fatale.

Madame ne se voit pas, comme tout le monde. Elle doit trouver France immature, bébé, sans sexe. Si je m’intéresse à France, ce ne peut-être qu’un désir inconscient pour elle-même [35] ...

Erreur qui creuse un abîme, signe la victoire du père. Définitivement. La fusion a réussi entre père et fille. «  Tu me parles du même côté du son, comme si j’entendais une modification de ma voix passant par ta gorge. » [36] Du même côté du son : par où la vie bascule dans les formes. La séparation d’avec les « formes mères », voilà l’autre défi que doit relever le « roman père ». Les fruits de l’inceste dessinent un être de fiction absolument nouveau. Un être pétri de chairs littéraires.
Tout roman de Sollers se tisse d’autres livres, qu’il se donne pour but d’accomplir. Cet accomplissement n’est pas seulement l’affaire des personnages, c’est aussi et d’abord l’acte de l’auteur. Transformer ce qui fut écrit en éléments vécus, lui seul en détient l’autorité. Question de « je », essentiellement. Tout roman de Sollers met en scène un « je » inédit, qui ne pouvait être forgé que par lui, à partir d’un « je » déjà entendu, mais que personne, avant ce nouveau « je », n’avait encore vraiment écouté. La prédisposition à l’écoute se vérifie tôt, avant même le stade lecture : le narrateur de Studio se décrit enfant aux aguets du réel. «  Au commencement, donc, j’écoute, j’enregistre les situations où les chocs verbaux ont lieu. » [37] L’habitude prise ne se perdra plus. « Transformer » un livre, ce sera d’abord l’écouter : voilà pourquoi les citations abondent chez Sollers et se trouvent constamment imbriquées dans les récits, les conversations, les joutes, les pensées, les étreintes, surtout les étreintes, emblèmes du corps à corps qu’opèrent les textes. Les citations surgissent des lectures, solitaires ou à deux. «  Lis-moi ça », «  relis-moi ça », «  écoute ça ». Le nouveau « je » ne cesse d’user de ces activateurs de citations propres au récit (j’ouvre tel livre, je note cette phrase, je recopie ceci, etc). La citation se déplace de l’essai au roman aussi en s’entourant d’une circonstance : au lit, en promenade, au bord de la mer, à table, au coucher du soleil, à Paris, à Venise, à Bordeaux ou ailleurs. Cadre spatial, temporel, dessiné a minima, mais avec toujours une note heureuse. Le bonheur d’être encadre la lecture. C’est dans le dessin de ce cadre que les personnages ont leur rôle à jouer : ils sont les ordonnées et les abscisses (géographiques, biographiques) du « je » de l’auteur, par les relations qu’il noue avec eux. Elles, surtout.

Plus bas vers la Seine, c’est le royaume d’Ingrid. Et là-bas vers Monceau celui de Maria, revue à Paris bien des années après, en cachette. Comment font-ils pour avoir une vie dite normale, observable, fixe, découpée, avouée ? Pour dire « Ma femme et moi » par exemple ? Pour ne déclarer qu’une seule adresse, un seul amour, un seul vice, une seule tombe ? Contrôle, contrôle [38].

Le nouveau « je » se caractérise par sa soustraction au contrôle (social, familial, politique, idéologique, artistique), il agit souvent de façon dissimulée (« en cachette ») et il entretient une multiplicité de relations : il n’a pas qu’une seule adresse, un seul amour, un seul vice, une seule tombe. Ni un seul livre à lire, à écouter — à transformer. En quoi consiste son action, précisément ? À adopter la position d’un « je » ancien, reconnu pour sa capacité à se mettre hors la loi du commun, puis à partir de cette position assimilée par les lectures, les citations, à produire un jeu de fom1es inouïes, redistribuant les sens et les rythmes dans un roman « où tout est vrai » et non plus seulement littéraire.

Giovanni Battista Tiepolo, Ciel pour le Palais Manin, Venise.
Photo Sophie Zhang, L’Infini n° 109, Hiver 2010. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Dans Un vrai roman — Mémoires, Sollers donne le chiffre de ce positionnement. Il est en train d’écrire. Où ? Près d’un jardin, en train de changer de couleur sous l’effet de la lumière : simple bonheur. «  Je lève les yeux, le jardin est très beau, les arbres qui ont basculé, hier soir, du vert au noir, remontent peu à peu ce matin, du noir vers le vert. » [39] Aube donc, naturellement sublime. Autre bonheur, sur la table (table non de dissection mais d’enfantement), des livres de Plutarque, de Diogène Laërce. Et soudain, là, devant ces livres, face à ce jardin (paradisiaque), cette confidence, cette formule livrant la clé de toute une œuvre :

Dans un roman, sans craindre la comparaison, je pourrais dire que j’occupe exactement la même position que Montaigne il y a plus de quatre siècles, et inventer que j’entends crisser la plume qui écrit les Essais.

Entendre, écouter la plume qui écrit les Essais, la plume qui écrit La Divine Comédie, la plume qui écrit Les Fleurs du mal, la plume qui écrit Les Chants de Maldoror, la plume qui écrit les Illuminations, la plume qui écrit le Coup de dés, la plume qui écrit La Philosophie dans le boudoir, etc., c’est ce que fait Sollers, au fond, de livre en livre. Dès le premier roman, Une curieuse solitude, des lignes de Baudelaire, Mallarmé, Proust « crissent » entre les scènes de bonheur vécu puis remémoré par le jeune auteur, qui ne manque pas de noter, en préface à son récit, ce qui fait de lui une « exception » : avoir la «  mémoire joyeuse, enchantée ». Mais ce ne sont encore que des citations d’un héros lettré, amenées de façon classique, comme on peut en trouver chez Nimier ou Déon, dans les années 1950. Sauf pour Proust, dont le phrasé déteint sur celui du roman de Sollers. Si bien qu’on peut poser que le « je » d’Une curieuse solitude est le « je » de Proust, transfom1é. Premier accomplissement. Sollers accomplit Proust en transformant La Recherche en récit enchanté, rapide (160 pages), ouvrant, à rebours de la nostalgie résignée du Temps perdu, sur un hymne à la joie, à la vie (à venir). Quelques années plus tard, le « je » (accompli) de Drame est celui de Dante, exploré simultanément dans un texte théorique, « Dante et la traversée de l’écriture », où il est démontré que Dante, dans La Divine Comédie, est à la fois Dante et Virgile. Parcours initiatique («  passage dans une troisième dimension ») vécu au XXe siècle (Sollers est à la fois lui-même et Dante) ouvrant le chemin vers «  le lieu où l’écriture s’écrit elle-même », «  hors du temps et de l’espace, du où et du quand, à l’intérieur de l’éternité transparente, sphérique, brûlante (vers un 9 vibrant) » [40]. Et cela ne s’arrête plus. Le « je » de Nombres est celui de Lautréamont (« ô mathématiques sévères [...], moi, le plus fidèle de vos initiés ») décortiqué d’abord dans un essai (« La science de Lautréamont ») avant d’être « vécu » de l’autre côté du « papier brûlant » des Chants de Maldoror, retrouvés, transformés, dès la première phrase de Nombres :

[...] le papier brûlait, et il était question de toutes les choses dessinées et peintes projetées là de façon régulièrement déformée tandis qu’une phrase parlait : « Voici la face extérieure. » [41]

Puis ça s’enchaîne, ça se croise, ça se superpose, ça se multiplie : «  sans craindre la comparaison », en toute sérénité, avec jubilation, le nouveau « je », le « je » à identités multiples des romans de Sollers, se met à occuper la position des écrivains élus pour écouter comment ils ont écrit leurs livres. Dans Paradis, on entend le « je » de Dante une fois de plus mais aussi le « je » de Joyce. Dans Femmes, c’est le « je » de Céline qui est à la manœuvre. Dans une Fête à Venise, Stendhal donne le la, comme il le faisait déjà pour Portrait du joueur, main dans la main là avec Céline encore, et comme il le fait pour Les Voyageurs du temps, le dernier roman de Sollers, paru en janvier 2009. Le Coeur absolu bat pour et par Marivaux. Rimbaud et Hölderlin président aux recherches du « je » de Studio. L’Étoile des amants brille pour un « je » nommé Nicolas Flamel, capable de fondre dans son creuset Hemingway, Shakespeare, Rimbaud et Nietzsche. Nietzsche se dédouble (s’accomplit) en MN dans le « je » d’Une vie divine. Le cas des Folies françaises est paradoxal. Le « je » de ce récit vrai avance à travers des accomplissements de Villon, de Molière, mais c’est Nabokov qui mène la danse. France, certes, n’est pas une Lolita, elle est nubile, émancipée, mais question scandale sexuel sa relation incestueuse avec le narrateur compense largement la différence d’âge des héros de Nabokov. Pourtant là n’est pas l’essentiel de la transformation. Celle-ci est produite par le déplacement que Sollers opère en accomplissant pour son compte le voyage initiatique décrit par Lolita. Il remplace les États-Unis par la littérature française (tout un pays d’écrits), et au lieu qu’il s’agisse d’une errance apeurée, les voyageurs avancent de bonheur en bonheur. Enfin, Lolita étant autant l’éloge d’une fille délurée qu’une charge impitoyable contre sa mère répugnante, Les Folies françaises, comme on l’a vu, ne ménage pas Madame, mère de France. Consumatum est. Et tout ça, en cent vingt-cinq pages.
Cent vingt-cinq pages au lieu de cinq cents ! Comment est-ce possible ? C’est que tout change... Tout s’accélère, se concentre. La longueur des descriptions, la vitesse des dialogues, la panoplie psychologique, le rythme, le ton, le but. Dire de Madame, par exemple : «  Elle pense qu’elle est à peu près de mon âge, et qu’on n’est pas si mal pour notre âge... Oh le gouffre !... Rire !... Stupeur !... » accomplit en une phrase et trois exclamations des dizaines de ruminations assassines de Humbert Humbert (sans intention de les dévaloriser, de les périmer, car elles sont et restent délectables dans leur genre — à chacun son style flingueur). Un exemple de dialogue express ? Dans les Folies... (p. 98) :

— Je t’aime.
— Moi aussi.
— C’est simple.
— Interdit.
— Étrange.
[...]
— Tu vas dormir ?
— Non, je sors.

Tous les échanges ne sont pas aussi concentrés, ping-pong. Mais tous voltigent, staccato, comme des doigts sur un piano, jazz.
Les descriptions, quelques lignes, mer, jardin, ciel, rues d’une ville, sillage d’un bateau.

Je l’ai raccompagnée à son bateau blanc et bleu, avec ses salons illuminés, ses restaurants, ses salles de gymnastique, ses ponts, ses passerelles, sa foule. À un de ces jours, on ne sait jamais, à Paris, en Norvège. Adieu, adieu. [42].

Les actions : «  Adieu, adieu. » Tout va très vite, oui. On ne prend son temps que pour lire, écrire, penser, réécrire. C’est le but de la cavalcade. Atteindre le point où ça s’écrit tout seul, où le narrateur regarde son double, l’écrivain écoutant crisser la plume de ses auteurs favoris dans les phrases qu’il est en train d’écrire.

Je suis à Paris dans la nuit. En traversant la cour silencieuse ouvrant la porte du studio, j’ai eu une sensation de grande étrangeté. Je me suis vu distinctement du dehors, penché en train d’écrire, je pouvais déchiffrer de loin, non pas les lettres ou les signes, mais l’intention globale, la somme aérienne des mots, A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles. Le temps était beau, l’odeur du jardin entrait par bouffées légères par la fenêtre ouverte [43].

Écrire autrement suppose un autre corps. Un corps capable de dédoublement, de vision globale à distance, aérienne. La parole qui accomplit les livres, les transforme, ne peut surgir que d’un corps glorieux, transfiguré.
Dans Portrait du joueur, le narrateur se rend dans une église, où il avait coutume d’aller, enfant.

L’Évangile est ouvert sur un lutrin... Matthieu 17... Transfiguration... Et il se métamorphosa devant eux, sa face resplendit comme le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme la lumière [44] ...
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Benoît XVI jouant Mozart.

Sciemment, Sollers indique ici le modèle de l’accomplissement qu’il opère dans ses romans. C’est celui que Jésus met sans cesse en oeuvre en se référant aux textes de l’Ancien Testament. Il fait ceci, le Christ, il dit cela, pour accomplir les prophéties, acter les écritures. « Moïse, Isaïe, etc., vous ont dit... eh bien moi je vous dis... », et le disant il le fait, il le vit, il l’incarne... Passion, Crucifixion, Résurrection. Modèle puissant, et position autrement plus hardie que celle d’écouter crisser la plume d’un auteur admiré ; mais qui la comprend. Tous les écrivains que Sollers étudie sans cesse, ramène dans les filets de ses vies, transforme dans ses récits, ont tenté de s’inscrire dans cette position sans y parvenir tout à fait. Sollers seul s’y tient, sans faiblir. Son programme le veut, et le lui permet. La volonté de vivre comme dans un roman et l’aisance à écrire des romans vrais se joignent pour installer Sollers dans une forteresse imprenable, inexpugnable, que lui seul, parmi tous les écrivains de tous les temps, a su conquérir. Si bien que le Christ lui-même fait souvent partie des auteurs qu’il transforme, cite, relance.

Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. J’écris pour les aveugles, les malades, les désespérés, les enfants, les génies, les putains, les saints. J’écris pour ce moi qui n’est pas plus ce que vous croyez que ce que je crois [45].

Pour ceux qui ne le savent pas, précisons : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas » est une déclaration de Jésus. Sollers peut l’endosser, sans hiatus, ou, comme il le dit de Montaigne, «  sans craindre la comparaison ». Et comment, dans Les Folies françaises, Sollers a-t-il nommé son biographe (personnage grotesque que, dans une adaptation de ce livre que Jean-Daniel Pollet avait mise en chantier, je devais incarner caméra vidéo à la main... nous avions même fait les repérages, le casting et trouvé une superbe France) ? Saül. Le nom originel de saint Paul, « biographe » du Christ. Quand nous filmions à Venise pour Paradis vidéo, Sollers insistait pour que je cadre le monogramme du Christ JHS sur une porte d’église, en s’amusant à remarquer que son monogramme à lui, PhS, était superposable à celui du Fils de Dieu. À une lettre près. Celle du prénom. Les deux autres, désignant le titre, la fonction, étaient partagées, communes. HS : homini soter. Sauveur des hommes. Le salut est aussi au programme de PhS. Mais il ne vise pas celui de tous les hommes, seulement le sien. Le salut est individuel. Le salut par la connaissance. La connaissance comme salut. Cette fin de toute action, vitale comme littéraire, apparaît dès (la fin d’) Une Curieuse solitude. «  J’écris ceci qui peut paraître ridicule : je me sentais sauvé. » [46]

Elle est réaffirmée solennellement dans le plus important entretien que Sollers ait donné récemment — à François Meyronnis et Yannick Haenel — sur gnose et catholicisme (L’Infini, n° 107, été 2009).

Les grands noms de la littérature ne recherchaient que le salut. Vous auriez dit à Pascal et à Saint-Simon qu’ils faisaient de la littérature, ils se seraient récriés. Ils ne cherchaient qu’à faire un bond hors du mensonge, en un mot à sortir du bourbier.

On trouve aussi dans cet entretien tous les arguments de Sollers en faveur du pape.

Le pape représente ici-bas le Ressuscité. Qui d’autre mieux que lui s’occuperait du troupeau ? Je ne vois pas de meilleur candidat.

Tout le monde peut être « sauvé ». Le troupeau en suivant le pape, l’écrivain « réfractaire » en bondissant hors du bourbier (« hors du rang des assassins », précise Kafka).

Salut par la connaissance (où le pape a son rôle à jouer). Mais salut aussi par la jouissance (où le cul n’est pas à négliger). « Je ne connais pas d’autre grâce que celle d’être né. Un esprit impartial la trouve complète » : cette action (de grâces) de Lautréamont figure dans presque tous les romans de Sollers, en toutes lettres ou en filigrane. Devise, programme (le seul). Jouissance d’exister : un bonheur qui se vérifie à chaque instant de la vie, à chaque choc ébloui avec le réel.

Bonjour, bonjour, elle sourit. Dis-moi comment tu as trouvé le soleil ce matin, la lune hier, une pivoine la semaine dernière, un fleuve il y a dix ans, un pont, un bateau, un pin, une fille dans l’eau avec un maillot mauve (c’est toi). Pas n’importe quoi, le choc, la vérité du choc [47].

Choc, choc, choc. Fin du voyage sans fin.
Pour finir sans finir, empruntons à L’Étoile des amants son incipit, le plus fulgurant de tous les romans de Sollers.

— On part ?
— On part.

Oui, on s’en va... tout relire.

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Sollers proférant Paradis et jouant du piano.
Photogramme de Sollers au paradis, vidéo de J.-P. Fargier, 1983.
*

[1Pound, quant à lui, parlait, à propos de son propre antisémitisme, de « stupide préjugé banlieusard ».
Voir Gérard Guest, « Faire face à l’ouverture des Carnets noirs de Heidegger » (note ajoutée le 12-01-14).

[4Philippe Sollers, Portrait du Joueur, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1984, p.62.

[5Philippe Sollers, « Culs », L’Infini, Gallimard, n° 109, 2010, p. 29-32.

[6Ibid.

[7Portrait du Joueur, Paris, Gallimard, « Folio », 1984, p. 62.

[8« Culs », L’Infini, n° 109, 2010, p. 29-32.

[9« Culs », L’Infini n° 109, 29-32.

[10Ibid.

[11Ibid.

[12Ibid.

[13Ibid.

[14Ibid.

[15Philippe Sollers, Portrait du joueur, op. cit., p. 206.

[16Ibid. p. 207.

[17Ibid. p. 208.

[18Ibid. p. 62.

[19saint Bonaventure : Bonaventure, le doctor seraphicus, cardinal en 1272, mort en 1274, a laissé une oeuvre théologique considérable, aux tendances mystiques souvent en opposition avec saint Thomas. — « les soins de la main gauche  » : les intérêts de la vie mondaine. (Traduction et note de Jacqueline Risset).

[20Les Folies françaises, Paris, Gallimard, 1988, p. 74.

[21Portrait du Joueur, op. cit., p. 166.

[22Les Folies françaises, op. cit., p. 15-16.

[23Ibid., p. 37.

[24Ibid., p. 32-33.

[25Ibid.

[26Ibid., p. 93-94.

[27Ibid., p. 60-61.

[28Ibid., p. 106.

[29Ibid., p. 73. Cf. Joyce, Sollers : "Non serviam !".

[30Philippe Sollers, « Culs », art. cit., p. 32.

[31Philippe Sollers, Les Folies françaises, op. cit., p. 69.

[32Ibid., p. 17.

[33Ibid.

[34Ibid., p. 18.

[35Ibid., p. 46.

[36Ibid., p. 44.

[37Philippe Sollers, Studio, Gallimard, 1997, p. 37.

[38Ibid., p. 77.

[39Philippe Sollers, Un vrai roman. Mémoires, Paris, Plon, 2007, p. 305.

[40Philippe Sollers, L’Écriture et l’expérience des limites, Paris, Le Seuil, coll. Points, p. 41.

[41Philippe Sollers, Nombres, Paris, Le Seuil, 1968, p. 11.

[42Philippe Sollers, Studio, op. cit., p. 20.

[43Ibid., p. 207.

[44[Philippe Sollers, Portrait du Joueur, op. cit., p. 35.

[45Philippe Sollers, L’Étoile des amants, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002, p. 151.

[46Philippe Sollers, Une Curieuse solitude, Paris, Le Seuil, 1958, p. 159.

[47Philippe Sollers, L’Étoile des amants, op. cit., p. 152.

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