Le 11 octobre 2012 paraissait Fugues.
Il n’est pas inutile d’en rappeler l’exergue de Lautréamont :
« Dans la nouvelle science, chaque chose vient à son tour, telle est son excellence. » Poésies.
Et l’Avertissement au lecteur, « lecteur bénévole » sans doute, daté du mois de mai, à Paris :
Ce volume est la suite logique de La Guerre du Goût (1994) [1], d’Éloge de l’infini (2001) [2] et de Discours Parfait (2010) [3]. Jamais trois sans quatre.
Une fugue, je n’apprends rien au lecteur, est une composition musicale qui donne l’impression d’une fuite et d’une poursuite par l’entrée successive des voix et la reprise d’un même thème, et qui comprend différentes parties : l’exposition, le développement, la strette. La strette, comme on sait, est la partie d’une fugue précédant la conclusion, où les entrées du thème se multiplient et se chevauchent. Les thèmes sont ici multiples, mais, en réalité, il n’y en a qu’un : la formulation comme passion dominante.
Le mot « fugue » a aussi un autre sens, toujours musical : les enfants rebelles font souvent des fugues dans la nature. Il ne leur arrive pas forcément malheur. Il est vrai qu’ils ne deviennent pas universitaires ou membres des institutions académiques. Leur tempérament est foncièrement anarchiste. Leurs choix sont variés, mais tendent tous à la liberté.
En 1985, paraissait un curieux roman, Portrait du Joueur, dont voici le début :
« Eh bien, croyez-moi, je cours encore... Un vrai cauchemar éveillé... Avec, à mes trousses, la secte des bonnets rouges... Ou verts... Ou marron... Ou caca d’oie... Ou violets... Ou gris... Comme vous voudrez... Le Tibet de base... Singes, hyènes, lamas, perroquets, cobras... Muets à mimiques, tordus, érectiles... Hypervenimeux... Poulpeux... Un paquet de sorciers et sorcières, un train d’ondes et de vibrations...
[...]
L’anti-littérature au complet !... »
L’anti-littérature, sans doute, mais aussi, de plus en plus, l’absence totale de pensée. A travers mille difficultés et ennuis, j’ai fait ce que j’ai pu, lecteur. Cependant, je crois à ton avenir d’éclaircie, et j’espère que tu cours encore.
Philippe Sollers, Paris, mai 2012.
Vous pouvez relire la présentation qu’en faisait Sollers dans Je ne vois pas l’apocalypse, je vois l’aurore, l’entretien qu’il accorda à Vincent Roy pour la revue Transfuge (n° 61, octobre 2012).
« Vous avez 1107 pages pour un volume qui va être vendu 30 euros. Soyons stricts sur le marketing : vous disposez-là de dix livres (ou 12), en un, ce qui fait donc dix livres à trois euros. Par conséquent, le rapport qualité-prix est imbattable. Je m’avance déraisonnablement sur le marché avec cette proposition d’acheter dix livres à trois euros chacun. C’est la meilleure définition que l’on puisse donner de la formulation comme passion dominante, c’est-à-dire qu’il s’agit immédiatement de l’évaluer en argent, tant il est vrai qu’il n’y a qu’une seule passion dominante de nos jours, c’est celle-là — et il n’y en pas d’autres. »
Ce livre, pas cher, mais sans doute trop gros, trop touffu, trop riche, n’a guère réveillé les critiques. L’article le plus long, mais si attendu, on le doit à à Jérôme Dupuis dans L’Express, Philippe Sollers, ou l’art de l’enfumage, sur lequel Sollers n’a pas manqué d’ironiser :
« La conséquence immédiate a été le très brillant article du beau Jérôme Dupuis dans L’Express, qui a réussi ce prodige de faire un éloge dithyrambique de mon livre, de façon apparemment négative. Je reconnais bien là la marque de ce magazine incomparable qu’est L’Express, dont la surveillance à mon égard ne faiblit pas une seule minute dans le temps. »
Il y a dans Fugues (p. 884) une réponse au Figaro littéraire de mars 2003 qui résume bien l’impression d’ensemble qu’on peut avoir sur « le milieu littéraire » :
« Le milieu est très critique par rapport au « milieu ». Les réseaux n’en finissent pas de dénoncer les « réseaux », la pensée unique est très sévère pour la « pensée unique », le politiquement correct s’emporte volontiers contre le « politiquement correct ». La police littéraire s’indigne qu’il puisse y avoir une « police littéraire ». L’inquisition est très choquée par l’ « inquisition ». Les lyncheurs médiatiques crient sans arrêt contre le « lynchage médiatique ». Les tartuffes montrent du doigt les « tartuffes ». La mafia, on le sait, a toujours été très morale, et ne se prive pas, quand il le faut, de dénoncer la mafia. Si j’en crois mon dossier de presse, je suis à la fois « mandarin », « parrain », « bookmaker » [4], « gourou », bien d’autres choses encore : clown médiatique, intellectuel à la dérive, francophobe, nul, creux, bavard, omniprésent, tout puissant, paresseux, vieux, mourant, calamiteux, exsangue, je contrôle la presse, la télévision, l’édition, et pourquoi pas Le Figaro littéraire. Les jurys sont à ma botte. Je règne sur les ascenseurs. Une réforme urgente ? Que je me taise une fois pour toutes. Franchement, je crois que, sans moi, tout irait mieux. »
Il y a décidément, en France, un vrai mystère dans les lettres. Que faire ? Ceci, sans doute, c’était la position de Mallarmé, rappelée par Sollers, en 1990, dans ses « remarques » faisant suite à la publication de Paradis III :
« [...] Je préfère, devant l’agression, rétorquer que des contemporains ne savent pas lire —
Sinon dans le journal ; il dispense, certes, l’avantage de n’interrompre le choeur de préoccupations.
Lire —
Cette pratique — [...] » [5]
On peut aussi tenter une expérience, tester le milieu. Dans Génie de Rimbaud (Le Monde du 11 août 2000), Sollers raconte :
« Il y a de cela quelques années, un groupe de jeunes gens, animé d’une volonté de démonstration radicale et humoristique, envoya, sous un nom banal, aux principales maisons d’édition françaises, le manuscrit des Illuminations tapé sur ordinateur. Un jeune poète inconnu proposait ainsi ses proses poétiques à la publication. Le résultat, prévisible au moins pour un des parieurs, ne se fit pas attendre : refus général, justifié par la formule standard. Curieusement, cette expérience ne fit rire personne. Il fut même parfois recommandé d’en oublier la portée. »
Ou bien se livrer à quelque canular... C’est le petit jeu auquel Sollers s’est prêté dans les années 70 avec la complicité de Robert Sabatier, Bernard Pivot et de Claude Bonnefoy.
« En 1973, Marc Ronceraille, poète, écrivain, play-boy, meurt à 32 ans d’une chute dans le Mont-Blanc. Une vie météorite, une belle histoire que public et critiques s’empressent de croire, même si personne ne l’a jamais lu... »
(lemonde.fr — durée : 2’50")
« Tout ceci se passe de commentaires. » (Isidore Ducasse, Poésies II)
La table des matières
Il y a dix ou douze livres dans Fugues (plus de cent pages sur la Chine, par exemple).
Vous trouverez ci-dessous la table des matières. La lire, telle quelle, est déjà instructif.
De nombreux textes figurent déjà sur Pileface, avec leur date de publication (dans les journaux, dans Tel Quel [6], dans L’Infini [7], etc.) ou de leur mise en ligne. Pour les retrouver, il vous suffit de taper le titre de l’article dans « Recherche site », en haut, à droite, de cette page, en prenant garde, cependant, que, parfois, les titres peuvent être légèrement différents, Sollers aimant les remettre en jeu.
Tables des matières | Numéro de page [8] | |
Avertissement | 3 | |
Le dieu Homère | 13 | |
Scandaleux Épicure | 18 | |
Épicure | 22 | |
L’infini de Pascal | 25 | |
La Révolution Lautréamont | 29 | |
Lautréamont au laser | 34 | |
Destin du français | 63 | |
Molière | 85 | |
Le tueur de Versailles | 90 | |
Le plus grand écrivain français | 93 | |
Le triomphe de Casanova | 102 | |
Casanova | 108 | |
Sollers et sa Venise | 116 | |
Secret Chamfort | 123 | |
Non omnis moriar (Haydn) | 127 | |
Sade au J.T. de 20 heures | 140 | |
Sade au Brésil | 144 | |
Dangereux Laclos | 146 | |
Mozart vous écrit | 150 | |
Étonnant Confucius | 155 | |
La Guerre chinoise | 160 | |
Mao était-il fou ? | 165 | |
Le Génie chinois | 171 | |
Comment être chinois | 177 | |
L’Évidence chinoise | 184 | |
Déroulement du Dao | 189 | |
Le Corps chinois | 217 | |
La Chine en direct | 221 | |
Devenir chinois | 227 | |
Shanghai : corps et silence | 230 |
Stendhal dans Libération | 251 | |
Stendhal chez moi | 257 | |
Renaissance de Bordeaux | 260 | |
Magique opium | 263 | |
Une autre guerre du goût | 267 | |
Le grand Figaro | 271 | |
L’imagination au pouvoir (Jules Verne) | 276 | |
Diabolique Melville | 279 | |
Nietzsche en 124 | 283 |
Ducasse et Manet | 294 | |
Renaissance de Manet | 301 | |
La Révolution Manet | 315 | |
Monstre de Poésie (Picasso) | 333 |
Joyce amoureux | 352 | |
Molly Bloom | 357 | |
De Gaulle surréaliste | 364 | |
Céline avant Céline | 369 | |
Le Juif qui aimait Céline | 372 | |
Montherlant, tel quel | 376 | |
Le suicide de Drieu | 400 | |
Le grand Bataille | 404 | |
Lacan même | 417 | |
Le corps sort de la voix | 437 | |
Vitesse de Sartre | 446 | |
Révolution et régression | 450 | |
Guy Debord ou la percée du sujet | 459 | |
Debord dans le temps | 471 | |
La guerre Debord | 483 | |
Métaphysique du dandysme | 488 |
La mutation du Sujet | 492 | |
Femmes, romans | 506 | |
Beaubourg | 541 | |
Trésor d’Amour | 559 | |
L’Éclaircie | 569 | |
Dans l’Éclaircie | 581 | |
De la conversation criminelle | 602 | |
La luxure | 615 | |
Culs | 622 | |
La Beauté | 629 | |
Sur Jean-Daniel Pollet (Méditerranée) | 636 | |
Le Saint-Âne | 656 | |
La Vérité révélée par le Temps | 679 | |
L’androgêne | 684 | |
Du Diable | 693 | |
Vatican II : les effets de la cure | 711 | |
Mozart et le Pape à la Fenice | 724 | |
Le polar du Pape | 729 |
Le couple de l’année | 732 | |
Le voile et la forêt | 737 | |
La cuisine du Diable | 742 | |
Liberté surveillée | 747 | |
Contre le masochisme | 752 | |
Drôle d’Histoire | 760 | |
Ma France | 767 | |
Tout le monde est écrivain sauf moi | 778 | |
Écrire, éditer en Europe | 807 | |
Éloge de l’Infini | 826 | |
Entretien pour Cuba. Toute pensée de la séparation est réactionnaire | 833 | |
L’identité nationale, c’est moi ! | 854 | |
La Discrétion | 862 | |
Transparence | 868 | |
Mélancolie | 878 | |
Film | 880 | |
Le milieu littéraire | 884 |
RAPPELS | 887 | |
Conversation à Notre-Dame | 889 | |
À propos de Lichtenberg | 916 | |
Socrate, en passant | 926 | |
Je suis né dans le vin | 943 | |
L’Immaculée Conception (Duns Scot) | 950 | |
Le Balzac de Rodin de Balzac de Rodin | 955 | |
« Folie », mère-écran | 958 | |
La main de Freud | 968 | |
D’où viennent les enfants | 978 | |
Bukowski, le Goya de Los Angeles | 986 | |
Aragon | 989 | |
Bataille en Dieu | 993 | |
Olympia | 1002 | |
La notion de mausolée dans le marxisme | 1003 | |
Les coulisses du stalinisme | 1010 | |
Révolte | 1017 | |
Tolérance | 1019 | |
De la guerre | 1021 | |
L’assomption du roman | 1039 | |
La guerre et la peste | 1056 | |
Comment aller au Paradis ? | 1065 | |
Femmes. Pourquoi un roman « réaliste » ? | 1080 | |
Histoire de femme | 1095 | |
Studio | 1102 | |
Embrasser | 1105 |
[1] Gallimard, Folio n° 2880.
[2] Gallimard, Folio n° 3806.
[3] Gallimard, Folio n° 5344.
[4] Cf. Sollers le bookmaker : c’était, il y a dix ans, le titre d’un autre article de L’Express.
[5] Mallarmé, Le mystère dans les lettres.
[6] Cf. Sollers dans Tel Quel.
[7] Cf. Sollers dans l’Infini.
[8] Gallimard, coll. Blanche.
2 Messages
Les 36 premières pages de Fugues sont désormais lisibles ici.
Petite erreur dans l’article : c’est le critique littéraire Claude Bonnefoy (et non le poète Yves Bonnefoy) qui a créé l’écrivain fictif Marc Ronceraille.
1. Comment Fugues est composé, 4 mai 2013, 16:55, par A.G.
Oui ! Merci d’avoir vu le lapsus, en toute bonne foi. C’est corrigé.