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Culs

Sur des photographies de Claude Alexandre

D 1er novembre 2012     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Claude Alexandre, Nu sur le sable, 1980. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


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« Point, en français, a été une négation courante, mais c’est aussi, et surtout, une affirmation. [...]
Par ailleurs (un point c’est tout), il est à chaque instant possible de faire le point. »

Philippe Sollers, Le Cavalier du Louvre.

Dans Fugues, Philippe Sollers publie un texte au titre sec : Culs. Il s’agit d’un texte écrit en 1986 pour des photographies de Claude Alexandre. Culs a été publié dans le livre consacré à la photographe en novembre 2009, Corps sacré, puis, en janvier 2010, dans L’Infini n° 109.
Né le 19 mars 1940, Claude Alexandre est décédée dans la nuit du 29 au 30 août 2010 à Séville où elle vivait depuis une dizaine d’années.


Culs

Rien n’est aussi autonome, par rapport aux autres parties du corps, que les fesses, le cul : une seule femme vous les révèle, elle vous montre son indépendance.

Une femme a vraiment deux corps antagonistes. L’horreur des libertins de Sade pour le « devant » féminin exprime cette division.
Une fois contrôlé le principe de reproduction (récemment, donc), le cul féminin devient exploration en lui-même. Nouveau monde, les yeux ouverts.

Tout libertin sait qu’enculer une femme, c’est aller droit à sa pensée impossible. À sa dissimulation, à sa trahison, à sa liberté, à sa cruauté. À sa gratuité.
Les putains : enfin libres pour leur amant, elles lui donnent la bouche, les fesses, le cul. Aux clients : les seins et le sexe. On les pompe s’ils insistent, les clients, on ne les embrasse pas.

Le grand baiser velouté est comme une pénétration en cul, la vérité passionnelle.
Chut !
Rien à voir avec la saillie, mais la saillie est nécessaire aussi.

Devant la glace, découvrant le point. Tête détournée, elle regarde l’étrangère qu’elle est pour elle-même. Effroi, curiosité, enfin dans le tableau, complète.
Elle rougit.
Les seins sont une dépendance du sexe, ils le suggèrent, le visage y participe.
En revanche, le cul est une tâche aveugle.
C’est là que se tapissent la voix, le regard.
La pupille, l’intention noire.

Chute de reins, lac de montagne des fesses, vallée, fente.
La pensée de fond.
Une femme dont on n’aime pas le point : mauvais signe.
Aucune entente possible, pas d’accord intellectuel.

Millions de corps avec leur secret, pensant tout le contraire de ce qui se dit, se répète, s’avoue. Niant la représentation, en ayant horreur. Envers rarement conscient, mais partout agissant dans la ruse.
« Mon con se mouille en la trahissant » fait dire Sade à Juliette. Il aurait pu aussi bien préciser : mes fesses se serrent, je sens que je vais être excitée plus tard.

Une femme vous plaît : tout de suite la bouche et la main au point. Le reste s’ensuit, on gagne du temps.
« Derrière d’abord ! » (Céline)

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Claude Alexandre, « Derrière »

Bataille disait : le petit.
Tout se joue sur une pointe d’épingle.
Ceux qui sont fascinés par les fesses, les rotondités (qui les prennent pour d’autres seins), qui oublient d’aller au point, qui s’arrêtent à la simulation de l’idole, qui ne la font pas parler.

Plus elle est raffinée, intelligente : plus vous pouvez être sûr qu’elle est là.
Elle m’écrit : « J’attends ce beau matin, vif et sale. »

J’arrivai chez elle. Elle m’attendait comme ça, au balcon.
L’idée : il n’y a ni dedans ni dehors, le cul est d’un autre espace , il ouvre et il ferme en même temps, c’est l’ailleurs absolu.
Regardez le chat — ou la chatte — qui passe : flash génial.

Reproduite dans L’Infini n° 109, Hiver 2010. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Penchée à sa fenêtre, quartier bourgeois, fesses découvertes, abolition de la ville. Supposez qu’elle s’adresse à quelqu’un en bas.
Les bas, justement, le fer forgé, la plante verte, les arbres, en face.
Son silence est d’autant plus fort ici.
Nulle part.

Ou, alors béton, banlieue, n’importe où, dans n’importe quel pays, quelle nationalité, quelle langue, vraiment peu importe.
Misère partout, sauf dans ce cul royal découvert.
Le mot balcon est parfait.
« Les cocus au balcon ! »
Même la plus abrutie devant son poste de télévision ira voir.

Les étoffes sont faites pour ce lieu, on les juge d’après lui, coton, satin, soie.
Les fesses d’autant plus en soie que les jambes en sont gainées, pour la forme.
Petit roman : les mauvaises pensées d’une femme assise.
Pendant qu’elles s’ennuient : déjeuner, dîner. Qu’elles pensent à leur amant au dehors. Qu’elles se resserrent très près et très loin, sous la table.
Les dessous de table.
Celles qui ont su, autrefois, aller communier. Agenouillée au retour, sentent le regard sur leurs fesses.
Le bon cul est toujours catholique, expérience de voyageur.

Temple de dieu jaloux.
On ne l’amadoue pas comme ça : il y faut toute la ruse de Rome.

Ces fesses tomberont, elles se plisseront.
Ces culs seront ceux de vieilles et butées sorcières.
Elles enfourcheront leurs balais, la nuit.
Pour l’instant, c’est la gloire, l’ostensoir.
« Dites à la vermine Qui vous mangera de baisers... »

Dans chaque femme, donc, deux femmes.
L’une parfaitement présentable, bien élevée, cultivée, bien prise devant.
L’autre, pleine de choses horribles, d’obscénités inouïes, avec son laboratoire d’insultes et d’injures, ses trouvailles d’obscénités.
Elles ne se rencontrent jamais, c’est pourtant la même.

Avares, mesquines, sordides, avides, maniaques, possessives !
Tous les vices !
En même temps innocences, bien sûr.
Comme un beau cul.

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Main sur la cambrure, cigarette allumée, bout de cendres.
Braise dans la nuit.
C’est compris ?
Pas de fumée sans feu, on brûle.
Plus haut, en récompense de morsure, la nuque, les cheveux.
On ne peut pas photographier le point, il est hors spectacle.
C’est le moment où on appuie sur le déclencheur.
Il est dans l’appareil, il est l’appareil lui-même. Tout le spectaculaire dans un cul.
Critique de la raison impure.

Une charmante lesbienne me montre les photos qu’elle a faites d’un « grand penseur ».
Il ne se doute de rien, elle l’a eu.
Il croît visiblement que c’est de lui qu’il s’agit.
Mon œil.
On aurait pu la photographier, elle, pendant qu’elle photographiait.
Elle aurait laissée voir ses fesses à l’autre objectif.
J’ai connu un écrivain qui photographiait sa femme sous toutes les coutures.
Elle n’y voyait pas d’inconvénient.
Et pour cause : pas de mise au point.
La comédie peut durer indéfiniment, sans problème.

Personne ne s’est occupé du Cul de Marilyn Monroe.
C’est dommage.
On l’a transformé en sein permanent.
C’est de cela qu’elle est morte, de rien d’autre.
J’aurais pu la sauver, elle serait devenue philosophe.
Comme le nez de Cléopâtre, la face du monde eût été changée.

Je conçois le désir homosexuel mâle, je ne l’approuve pas.
Il consiste à s’assurer que le cul est bouché par la bite.
Ce n’est pas la vraie arrière-pensée de la scène primitive.
Il est très délicat de jouir dans l’ouvert.
Très délicat, très interdit, de spasmer à fond dans le manque.
Splendides putains, comme on se comprend.

Philippe Sollers, 1986, L’Infini n° 109 (Hiver 2010), Fugues, 2012, p. 621-627.

Claude Alexandre, Corps sacré. Éditions Édite, 2009.

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Philippe Sollers, 1989

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Photographie de Claude Alexandre.
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Corps sacré


Résumé

Rétrospective biographique de C. Alexandre, spécialisée dans la photo de corps, de couples puis dans le sadomasochisme, le fétichisme et les attachements, plus tard dans la tauromachie et les lieux sacrés de Séville. Les nombreux textes qui accompagnent les images évoquent à travers son oeuvre un univers extrême qui part de la chair pour aboutir au sacré.

Quatrième de couverture

L’oeuvre de Claude Alexandre ne ressemble à aucune autre. Née le 19 mars 1940, ce n’est qu’en 1970 que Claude Alexandre se mettra à la photo. Elle se spécialise dans les portraits de corps, de couples, puis dans le sadomasochisme, le fétichisme, les « attachements », enfin dans la tauromachie et les lieux sacrés de Séville. Très vite des ouvrages présentent son travail : Peaux d’hommes, 1979 ; L’Ordre des ténèbres, 1988 ; Claude Alexandre, 1988 ; Gewalt und Zärtlichkeit, 1993 ; Corps Obscur, 1996 ; Pietragalla, 1996 ; Brigitte Lahaie, 1999 ; Le Sang du Toro, 2003 ; Le Sourire du chat, 2002 ; Toros, 2007 ; Regard, 2007. À ces ouvrages dont beaucoup sont aujourd’hui épuisés, il faut ajouter de nombreuses publications collectives, des articles dans des journaux et des revues. Plus de soixante expositions lui seront consacrées, personnelles ou collectives, en France, en Europe et aux États-Unis — dont une exposition organisée par la Ville de Paris, qui fera scandale. Corps sacré est une rétrospective photographique biographique. Aux côtés de Claude Alexandre, de nombreux auteurs ponctuent son oeuvre. Leurs écrits bordent sa vie, sa création et tentent de cerner un univers extrême qui part de la chair pour aboutir au sacré.

Textes

Claude Alexandre, Pierre Bourgeade, Philippe Sollers, Jean Streff, Henri Chapier, Pierre Charras, Jacques Laurent, Catherine Robbe-Grillet, Michel Nuridsany, Agathe Gaillard, Hervé Le Goff, Françoise Marquet, et Sonia Schoonejans.

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Claude Alexandre, Nu bondage
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Claude Alexandre, Nu bondage, 1980

Le site de Claude Alexandre

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