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Sollers, Lu Xun, même combat

En marge du livre de Jean-Michel Lou, Corps d’enfance corps chinois

D 11 janvier 2012     A par Albert Gauvin - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Lu Xun Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Dans son dernier livre, Corps d’enfance corps chinois, le premier entièrement consacré à Sollers et la Chine [1] — et il fallait pour cela quelqu’un connaissant parfaitement la langue chinoise [2] —, Jean-Michel Lou évoque l’écrivain chinois Lu Xun (Lou sin), son « admirable figure de rebelle », « fidèle par vents et marées à lui-même et à l’écriture ». Le passage se situe à la fin du chapitre consacré au roman de Sollers Lois (1972).


Sollers, Lu Xun, même combat


Poème autographe de Lu Xun (1933) Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

À cet endroit, j’évoquerai rapidement la figure du grand écrivain chinois Lu Xun. Pourquoi ? Parce qu’il a fait dans l’autre sens, un demi-siècle plus tôt, la démarche que Sollers accomplit dans Lois. Le point de départ est comparable : son pays, pense-t-il, est plongé dans un marasme mental et politique [3] dont, il en est persuadé, ne pourrait le tirer qu’un bouleversement radical des structures mentales et sociales, c’est-à-dire, pour l’écrivain qu’il est : de la langue. Les deux se situent dans un moment qu’on peut nommer prérévolutionnaire (au moins subjectivement en ce qui concerne Sollers ; quant à la révolution communiste en Chine, on sait qu’elle s’accomplira, même si Lu Xun ne sera plus là pour la voir ; il adhère au communisme en 1927). Sollers, en 1973, établit lui-même des parallèles entre la situation de l’écrivain d’alors avec la Chine :

(...) l’ébranlement marqué en Chine par le Mouvement du 4 mai est déterminé très soigneusement par Mao comme quelque chose qui a été une nouvelle façon de parler, décrire, de refléter le nouveau dans la société, dans l’histoire : le grand mérite de ce mouvement du 4 mai, dit Mao, « est d’avoir arboré à ce moment-là à la fois le drapeau de la lutte contre l’ancienne morale pour la nouvelle, et celui de la lutte pour la nouvelle littérature contre l’ancienne » (...) [4].

Pour le penseur japonais Takeuchi, d’ailleurs admirateur de Mao, Lu Xun est le symbole de l’intégration douloureuse du moderne européen par la Chine, la crise de l’écrivain reproduisant celle du pays ; Lu Xun serait le symbole d’un « renversement des valeurs », la Chine moderne apparaissant comme la « totale négation » de l’ancienne [5]. Et Lu Xun lui-même, dans la préface à la première édition complète de ses oeuvres, décrit sa vie comme le reflet du déclin de la nation chinoise [6].

Lu Xun insupporte justement dans la langue classique chinoise ce qui en elle fascine Sollers et d’autres, un certain flou ; pour lui la « culture chinoise » (il s’agit surtout d’un certain confucianisme, de l’attitude du lettré...), complètement liée aux structures de sa langue, est l’incarnation même de l’aliénation ; elle donne une assise immémoriale à la lâcheté, la fausseté, l’incompréhension du réel, l’impuissance. Voilà ce qu’il en dit dans un entretien : « Chaque fois que je lis des livres chinois, j’ai l’impression de m’enfoncer dans une quiète torpeur qui m’éloigne de la vie [7]. » Ce rejet de sa propre culture explique également l’attirance de Lu Xun pour le japon et son tranchant [8], qui d’après lui a su adapter la modernité occidentale. Il se sent, tout comme Sollers à l’époque de Lois, prisonnier dans sa culture et dans sa langue, tout en les maîtrisant parfaitement et continuant à s’en nourrir. Ainsi, quand il écrit des notices pour lui-même, il le fait en style littéraire (wényan), qui est son langage naturel ; en revanche, dans les oeuvres qui sont destinées à être publiées, il fait des emprunts systématiques à la langue vulgaire (baihuà). Il s’applique à contaminer sa phrase non seulement avec la langue parlée, mais aussi avec les structures des langues occidentales (il a traduit de l’anglais, du français, de l’allemand et du russe en chinois), disséquant le coulé de la phrase chinoise, qui enveloppe le réel plus qu’elle ne le désigne, pour la recomposer en unités syntagmatiques distinctes (construction sujet-prédicat, différenciation dans la nature des mots, davantage de mots de liaison, subordination, au total un accroissement des indications). Le résultat est singulier, comme certains commentateurs l’ont signalé : « On dirait que Lu Xun s’applique à imiter un écrivain japonais qui essaierait d’écrire en chinois [9] », dit l’un d’entre eux. Car Lu Xun, dans son entreprise de décomposition de la langue classique, est obligé d’agir contre sa propre nature, et son style est l’instrument d’une automutilation ; « il est lui-même tour à tour le scalpel et la plaie [10] ». « Je retrouve constamment en moi ces mêmes pensées odieuses que les Anciens ont consignées dans leurs ouvrages... je maudis sans cesse mes propres pensées [11] », dit-il en novembre 1926.

Simon Leys parle ainsi de Lu Xun : « S’il mettait une telle fureur dans ses attaques [contre la culture traditionnelle], c’était précisément parce qu’il avait à les tourner d’abord et essentiellement contre lui-même, contre cette présence du passé en lui, contre cette complicité maudite qu’il appelait tantôt "les habitudes accumulées", tantôt "le fardeau des ténèbres" ou "les fantômes" [12]. » Takeuchi le dit à sa manière : « Il ne veut pas être ce qu’il est, et en même temps il ne veut pas être autre chose que ce qu’il est [13]. »

Si Lu Xun, étouffant dans la langue chinoise littéraire, subit l’attraction des langues occidentales, Sollers accomplit donc une démarche inverse, qui se dessine clairement dans Lois et H, et se poursuivra, comme nous le verrons, dans toute son oeuvre. La dislocation expérimentale du français le tire vers la langue chinoise (classique) : élision d’articles (qui n’existent pas en chinois), tendance à suppléer la subordination par la juxtaposition, à prendre les mots comme entités à part entière, peu de virgules dans Lois et suppression complète de la ponctuation dans H et Paradis (il n’y a pas de signes de ponctuation dans le chinois classique [14]) ; au total : une réduction de la syntaxe.

Lu Xun apparaît une fois dans les écrits de Sollers, par l’intermédiaire de Simon Leys, auquel Sollers consacre un article, reproduit dans Éloge de l’infini (2001) [15] :

Avec une belle insolence, sur la couverture de ses Essais sur la Chine, Simon Leys a reproduit, en chinois, un poème de Lu Xun daté de 1933 :
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M’étant mêlé d’écrire, j’ai été puni de mon impudence ;
Rebelle aux modes, j’ai offensé la mentalité de mon époque.
Les calomnies accumulées peuvent bien avoir raison de ma carcasse ;
Tout inutile qu’elle soit, ma voix n’en survivra pas moins dans ces pages.

Comme Sollers ne mentionne Lu Xun nulle part ailleurs dans son oeuvre [16], on ne saurait parler d’identification, mais il est probable qu’à l’instar de Simon Leys il ait été frappé par l’admirable figure de rebelle de Lu Xun, fidèle par vents et marées à lui-même et à l’écriture.

Jean-Michel Lou, Corps d’enfance corps chinois — Sollers et la Chine
Gallimard, coll. L’infini, 2012, p. 84-88.

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Sollers politique


Promesse 34-35 (archives A.G.) Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

L’entretien dont Jean-Michel Lou cite un extrait au début de ce passage fut réalisé par Jean-Louis Houdebine à Paris, le 24 février 1973. Il fut publié dans la revue Promesse n° 34-35 (printemps 1973) sous le titre : « Littérature et révolution : vérité de l’avant-garde ». Réédité dans Art et littérature de Marcelin Pleynet en 1977, il était accompagné de cette note :

Cet entretien reste évidemment marqué par les illusions qui étaient encore les nôtres à l’époque quant à la révolution chinoise. On le lira en tenant compte de notre position actuelle (1977) insistant sur l’expérience de l’écrit insubordonné en tout sens. (M. P., Ph. S., J.-L. H.) (je souligne. A.G.)

Voici, dans son intégralité, la première intervention de Sollers. Il revient sur Mai 1968, la scission du groupe Tel Quel en 1971 et sur les causes et les enjeux de cette scission :
— « l’antagonisme irréductible qui s’était manifesté, à l’intérieur même de Tel Quel, entre deux conceptions de la pratique du langage »
— « les transformations de la langue en fonction » des « nouveaux phénomènes apparaissant dans la vie sociale ».
C’est à partir de cette problématique qu’intervient la référence au « Mouvement du 4 mai » en Chine :

La rupture qui a été accomplie par la partie réellement productive de Tel Quel, c’est-à-dire en définitive par les pratiques les plus avancées à l’intérieur de Tel Quel, il serait tout à fait erroné de la voir, comme d’ailleurs le souligne l’éditorial de notre dernier numéro (Tel Quel 53) [17], comme exclusivement déterminée par une situation politique. L’enchevêtrement, et la complexité de cette rupture, demandent une analyse serrée : parce que précisément il est de l’intérêt de ceux qui ont été pris de court par cette transformation, de la faire passer exclusivement pour un « virage » politique conjoncturel, voire anecdotique. En fait, il faut remonter beaucoup plus loin dans le temps pour comprendre ce qu’a été une certaine accumulation quantitative à Tel Quel, et donc, aussi, le saut qualitatif qui s’est produit, et à plusieurs niveaux à la fois. Il faut revenir là-dessus, car si l’on ne tenait pas compte que tout, dans notre pratique, est déterminé par les obstacles que nous rencontrons sur notre route, ces obstacles étant eux-mêmes produits par le creusement et l’avancée mêmes de ce que nous produisons, obstacles trouvant immédiatement leur soutien dans les forces sociales, politiques et idéologiques qui n’ont pas intérêt à cet avancement de notre pratique — si on ne comprenait pas cette reconduction permanente des résistances que nous traitons, on ne pourrait comprendre grand-chose à ce qui se passe à Tel Quel. Je dirai que la véritable raison, du point de vue de notre pratique spécifique, de cette cassure de 1971, qui est apparue de façon spectaculaire comme une rupture politique, c’est l’antagonisme irréductible qui s’était manifesté, à l’intérieur même de Tel Quel, entre deux conceptions de la pratique du langage. A partir du moment où ces deux conceptions, l’une formaliste, profondément fermée sur une appréciation positiviste, abstraite, du langage, et l’autre essayant de dégager une autre dimension, sont entrées l’une par rapport à l’autre dans un antagonisme irréductible, la crise politique et idéologique a pris toute son extension ; et ceux qui aujourd’hui voudraient masquer cet aspect, cette vérité profonde du problème, par tel ou tel artifice politique, que ce soit du point de vue opposé, ou de notre propre point de vue, manqueraient la causalité déterminante de cette crise.
Avec quoi avons-nous rompu ? Avec un statut de notre pratique spécifique qui aurait consisté dans sa mise en tutelle. Mise en tutelle de la part du savoir universitaire, surtout depuis mai 68 — car tout ici part de l’ébranlement de mai-juin 68 : la longueur d’onde a mis un certain temps à se déclencher au niveau de notre pratique, mais la crise est à dater de là —, et mise en tutelle de la part, disons, de la politique institutionnelle. On peut dire que ces deux appareils avaient cru pouvoir considérer que Tel Quel, c’est-à-dire finalement des forces de travail portant sur le langage de la modernité, pouvait être en quelque sorte transféré dans leur processus de réforme.

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Le Mouvement du 4 mai 1919. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Et je ferai ici un rappel de ce qu’a pu être le Mouvement du 4 mai 1919 en Chine, car ce qu’on a peut-être oublié de constater, c’est que ce mouvement qui a précédé de deux ans la création du parti communiste chinois, et qui a été impulsé par les étudiants et les intellectuels, a trouvé sur son chemin, immédiatement, une réaction formaliste, comme dit très bien Mao Tsé-toung, qui a donné par la suite le style stéréotypé dans le mouvement révolutionnaire. Ce style stéréotypé, dit Mao, a été une réaction contre le Mouvement du 4 mai. Et je pense que ce qu’il faut analyser aujourd’hui, c’est tout ce qui fait réaction à la charge révolutionnaire de mai 68. Rupture, donc, avec le savoir universitaire, en relation d’ailleurs avec l’institutionnalisation politique, nommément révisionniste, puisque comme chacun sait, le pcfr est devenu le gestionnaire de la culture bourgeoise, et que le trafic entre le savoir universitaire, en position de croyance de domination sur les différentes pratiques de langage, et l’institution politique révisionniste, réformiste, rendait quasiment impossible toute continuation de la recherche d’avant-garde et de notre pratique spécifique même. J’ajoute que cette crise ne nous a pas pourtant mis sur des positions d’ultra-gauche, comme certains ont pu un moment le croire ou l’espérer ; c’est-à-dire que si nous avons rompu avec l’institution du savoir universitaire, qui aurait été notre tuteur, pour lequel nous aurions travaillé dans notre pratique, et si nous nous sommes éloignés de cette institutionnalisation politique réformiste, ce n’est pas pour rentrer dans le cercle fermé des différentes édifications groupusculaires à langage dogmatique, ceux dont Mao dit très bien que, devenus des phonographes, ils oublient que leur devoir est d’apprendre du nouveau et de créer du nouveau. La situation se complique du fait que ces réactions dogmatiques à la liquidation réformiste et à cette sorte de monnayage du savoir vidé de ce qu’aurait pu être la leçon réelle de la crise de l’Université et du savoir en mai 68, sont en grande partie reprises en charge par des groupements révolutionnaires qui formulent, à l’égard des intellectuels et notamment des écrivains d’avant-garde, des exigences nettement au-dessus de leurs moyens, et qui sont incapables d’apprécier la conjoncture actuelle, laquelle exige au contraire une stratégie très souple, de type « démocratie nouvelle », justement, ainsi que Mao la définit ; et on ne peut que constater, entre ce point de vue dogmatique et l’appréciation concrète de la situation réelle pour nous, une différence nette. Il n’en reste pas moins que cette nouvelle transformation de 71 a désorienté profondément toutes les forces qui avaient cru pouvoir se servir de Tel Quel, exploiter notre pratique, dans un but de censure, de bouchage de notre expérience ; c’est si vrai que ce désarroi continue de se traduire par des attaques très vives, réactionnaires, et je n’en prendrai qu’un exemple, au niveau du pcfr : celui de Thibaudeau qui monnaye servilement sa carrière de bureaucrate révisionniste en calomniant ses anciens amis. Je dois dire à ce propos que du monarchisme de ses débuts littéraires (voir son premier livre, Une cérémonie royale) à son rôle actuel de dénonciateur de l’avant-garde, une certaine boucle, archaïque, régressive, me semble bouclée. Autres résistances : celles qui viennent du bavardage spéculatif qui avait cru trouver dans Tel Quel une plate-forme de publication et qui a mené un travail de sape constant pour que ce qui n’a jamais cessé précisément d’être le point de vue déterminant de Tel Quel, à savoir la pratique d’avant-garde littéraire, soit éjecté de son poste de décision ; je fais allusion ici aux interminables dissertations philosophico-parascientifiques qui n’auraient demandé qu’à ronronner à longueur de temps dans cette revue, alors que les membres les plus avancés de Tel Quel au niveau de la pratique d’avant-garde ont tout de suite compris que tout ce que proposaient ces dissertations n’avaient plus rien à voir avec l’apparition des phénomènes nouveaux de la vie sociale qu’eux-mêmes, dans la transformation pratique de leur langage, s’attachaient à refléter. Ce qui détermine la rupture, et qui se reflète dans les publications qui vont avoir lieu, c’est quelque chose qui porte sur un point décisif : les transformations de la langue en fonction de ces nouveaux phénomènes apparaissant dans la vie sociale, transformations qui auront, dans les années à venir, des effets de démarcation entre l’ancien et le nouveau tout à fait importants ;


Le Mouvement du 4 mai 1919.
Revendications : « Science » et « Démocratie ».
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

et là encore je ferai remarquer que l’ébranlement marqué en Chine par le Mouvement du 4 mai est déterminé très soigneusement par Mao comme quelque chose qui a été une nouvelle façon de parler, d’écrire, de refléter le nouveau dans la société, dans l’histoire : le grand mérite de ce mouvement du 4 mai, dit Mao, « est d’avoir arboré à ce moment-là à la fois le drapeau de la lutte contre l’ancienne morale pour la nouvelle, et celui de la lutte contre la nouvelle littérature contre l’ancienne ; toutefois ce mouvement culturel n’avait pas encore la possibilité de s’étendre aux masses ouvrières et paysannes » [18], ce qui semble bien recouper la situation où nous sommes actuellement en France.

Nous sommes en février 1973. Lois a été publié en avril 1972 [19] ; H sortira en mars 1973 [20] (Stanze de Marcelin Pleynet en avril [21]) et Sur le matérialisme en janvier 1974 [22].

Jean-Michel Lou déclare vers la fin de son essai que « Sollers a regretté [qu’il n’ait] pas traité davantage son "maoïsme", notamment dans [son] chapitre sur Lois. » (p. 200) (je dirais plus volontiers de Nombres à H). Sur ce point, je renverrai à ce qui est, à ma connaissance, la seule étude à avoir, à ce jour, abordé la question, celle de Jean-Louis Houdebine, dans ses Premières notes d’intervention sur « Lois ». Elle remonte à l’été 1972 [23] !

Lois  :

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« Vicobruno hegelo et ça coupe net en carlo marxo naturengelso et surlenino, pas moyen d’y voir sans penser mao »

« un se divise en deux cassant l’androgyne. Et eux, drôle de gueule avec plat vagine. Projetant sur lui leur blabla. Hégélien ! hégélien ! lui crie petit nietzschéen tout gris de service concubin mécaniste bureaucrate cadre supérieur avec sensations d’état. Hégélien ! hegelien ! reprend écho sur fond mère poule irrité coco haletant saurien du do dogme gardien conceptuaille pensée rationalisme moderne avec coupe-file règne science lumière veilleuse du prolétariat spinozant l’éthique en babas. Voulant dire en réalité : à bas lutte procès contradiction et mao vive europe petite monnaie de savoir balançoire idéologique normalisée sans sujet. Chacun dans son kant à soi réel d’un côté connaissance de l’autre lobe droit ignorant lobe gauche et inversement passe-moi l’éponge. Histoire universelle aux chiottes petite carrière assurée dans bifteak professant tuteur et parti de l’ordre. Deux en un bleu blanc rouge et rouge comme si. Et sans en démordre. Vachement à tordre. Traitant donc l’hegel chien crevé [24] au lieu d’y regarder de plus près cosi. Ou d’y chanter comme moi en ceci. Refoulant, eux, vraie tête redressée fruit rationnel replanté d’attaque par karl et friedrich purs génies ceux-là avec vladimir fouillant cru tout ça pas profs pour deux sous et tenant le coup. Puis défigurés par joseph et léon. Puis reprenant droits chinois orient rouge mobilisation masses lutte classes mondiale hors du rond. Tout très pratique et souple rien à voir avec idée absolue qui les tient encore jusqu’au cu. [25] »

(Lois, Seuil, coll. Tel Quel, p. 25 et 65.).

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Lou note également que la démarche de Lu Xun est « l’inverse de celle de Sollers en ce sens qu’à partir de 1927, date à laquelle il se déclare ouvertement marxiste, il se détourne peu ou prou de la littérature, alors que Sollers à partir de 1974 (H) s’éloigne doucement de la politique. » (note 75, p. 218). Il termine cependant en évoquant les rapprochements que Sollers faisait en 2007 (dans Guerres secrètes) et, plus récemment, en décembre 2010, dans La Chine en guerre, entre Mao et Sunzi. Ne peut-on pas penser que, loin de marquer un « éloignement de la politique », cette référence continue à « l’art de la guerre » est le signe d’un changement stratégique et tactique, dans le rapport à la (et au) politique, encore très « chinois » [26] ?

On pourrait démontrer que la critique de la société, de la tyrannie, du Système, est présente dans tous les écrits de Sollers. Rappelons juste ce qu’il écrit à propos de La guerre chinoise dans Guerres secrètes (p.247-276). Il y est question de « guerre défensive » et de stratégie « indirecte » :

« Il y a une guerre incessante : celle qui nous saute à la figure à travers le terrorisme déchaîné par la stratégie directe. Et une guerre plus secrète qui se mène sans cesse, pas seulement économique, et dont les Chinois sont en train de tirer la plupart des fils. Si l’adversaire est unilatéral, je vais faire du multilatéralisme ; comme l’adversaire est capitaliste, je vais devenir encore plus capitaliste, pratiquer la défensive stratégique, utiliser la force de l’adversaire pour la retourner en ma faveur. Le Chinois s’appuie d’instinct sur la compréhension interne de ce que l’adversaire ose, veut, calcule et est obligé de faire. Il mène une guerre défensive qui peut durer une éternité : sa conception du temps n’est pas la nôtre [27]. Cette guerre peut se prolonger indéfiniment pour user l’adversaire. Elle ne cherche pas l’anéantissement, mais la domination. C’est donc en prenant le point de vue chinois qu’on voit l’histoire de la métaphysique s’achever dans sa propre perversion : dans le nihilisme accompli, qui peut tout à fait être emprunté par la logique chinoise sans qu’elle sorte réellement de sa propre substance. L’être, le non-être, le néant sont redistribués autrement. » (p.254)

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Le dernier mot du livre de Jean-Michel Lou est : « secret ».

Il y a un rapport entre le secret et l’art de la guerre — et même entre le Secret et l’Art de la guerre.
Exemple : Sunzi :

La grande science est de faire vouloir à l’ennemi tout ce que vous souhaitez qu’il fasse, et de lui fournir, sans qu’il s’en aperçoive, tous les moyens de vous seconder.

ou encore :

Le secret des opérations militaires dépend de votre faculté de faire semblant de vous conformer aux désirs de votre ennemi.

« Sollers politique » : ce pourrait être le titre d’un essai à venir.

Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Lu Xun tel quel


Tel Quel n° 60 (archives A.G.) Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Comme le rappelle Jean-Michel Lou, Tel Quel a publié un texte de Lu Xun dans les numéros 60 (novembre 1974) et 61 (février 1975) de la revue [28]. Il s’agit des Bavardages d’un profane sur l’écriture (1934). Le texte — qui traite des difficultés de la langue chinoise et propose une réforme de l’écriture — était traduit et présenté par Michelle Loi qui le mettait en relation avec les réformes alors en cours dans la Chine de la Révolution Culturelle (généralisation du "pinyin") [29]. Mais, auparavant, Tel Quel avait publié, dès le numéro 48/49, spécial « CHINE » (printemps 1972) [30], contemporain de la publication de Lois, deux textes de « Lou Sin », Pour oublier (1933) et Opinion sur la ligue des écrivains de gauche (1930). Ce deuxième texte était précédé d’une présentation de Philippe Sollers sans ambiguïté :

Lou Sin est considéré dans la Chine révolutionnaire comme le "précurseur de la révolution culturelle". Célébration à Pékin le 31 octobre 1966 (meeting regroupant plus de 70000 représentants des gardes rouges, paysans et soldats, travailleurs de la littérature et de l’art). Important discours de Yao Wen-yuan (Éditions en langues étrangères, Pékin, 1967). Insistance actuelle sur Lou Sin pour le développement d’une culture révolutionnaire.
Plus récemment, consulter : Littérature chinoise, n° 4, 1971. Choix de textes de Lou Sin, notamment l’important Journal d’un fou, 1913. Important article de Tcheou Kien-jen, Lou Sin, pionnier de la révolution culturelle chinoise. Même numéro : De l’opportunité de ne pas être fair play, 1925 (classique de l’humour révolutionnaire). Le Sacrifice du nouvel an, 1924. A la mémoire de Mlle Lieou Ho-tchen, 1926. Nous reproduisons ici L’opinion sur la ligue des écrivains de gauche, 1930. Consulter aussi : Contes anciens à notre manière, Gallimard, I959.

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Suivait une longue citation de Yao Wen-yuan, un des déclencheurs de la Révolution Culturelle, souvent présenté comme l’intellectuel (il était journaliste) de ce que les dirigeants chinois appelleront plus tard « la bande des quatre » [31] :

Yao Wen-yuan (1966) : « La vie de Lou Sin fut une vie de combat sans compromis contre les réactionnaires de l’intérieur et de l’étranger. Il ne faisait jamais grâce à l’ennemi du peuple. Il réfuta maintes fois "l’idée de ne faire aucune distinction entre le vrai et le faux". A son avis, les combattants révolutionnaires devaient toujours adopter une position bien définie, faire une nette distinction entre le vrai et le faux et avoir des sympathies et des antipathies bien marquées. Ce qu’il haïssait le plus, c’était les "dévots" qui se faisaient passer pour "équitables" et se tenaient en fait du côté des vieilles forces... Il a impitoyablement mis en lumière les traits hideux de ceux qui prétendent qu’ils "ne sont, en fin de compte, ni de l’aile, gauche ni de l’aile droite ; mais affirment qu’ils sont bien au-dessus de tout cela", et il a souligné "qu’aucune tromperie de leur part ne peut durer longtemps". C’est réellement un excellent portrait de certains révisionnistes modernes qui se prétendent aujourd’hui "bien au-dessus de tout cela" et "impartiaux."  » Ph. S.

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D’autres textes de Lu Xun paraîtront dans le n° 53 (printemps 1973) sous le titre La littérature révolutionnaire (et autres inédits). Ces inédits faisaient l’objet d’une longue introduction, également de Michelle Loi, Lire Luxun (sic), en préambule de laquelle on pouvait lire, daté de « septembre-octobre 1972 » :

[...] Cet été — cela aussi doit être dit — parce que Philippe Sollers m’avait demandé en juin de donner à Tel Quel la traduction de quelques-uns des textes de Luxun « que j’aimais le mieux », j’ai osé ouvrir les premiers des vingt et uns volumes de l’oeuvre et, comme disent les Chinois, « mordre l’os ». Comme cela m’est arrivé souvent dans le domaine des choses de la Chine, cette audace-là m’a menée loin. Très loin, c’est-à-dire tout près.

Établir un lien entre «  la pratique d’avant-garde littéraire » telle que la défendait alors Tel Quel — dans la perspective d’une Révolution Culturelle à la française [32] —, et « la littérature révolutionnaire » telle que la pensait Lu Xun après le « mouvement du 4 mai », semble bien avoir été le souci de Sollers. En 1931, Lu Xun n’écrivait-il pas :

[...] lorsqu’on est un combattant, attaché à comprendre la révolution et ses ennemis, le plus nécessaire c’est encore d’analyser l’ennemi qu’on a sous les yeux. Et quand on écrit c’est la même chose : non seulement il faut connaître la pratique révolutionnaire mais il faut aussi pénétrer profondément le caractère de l’ennemi et sa situation actuelle sous tous ses aspects, pour déduire ensuite les chemins à prendre. Il n’y a qu’en voyant clair dans l’ancien qu’on peut regarder vers le nouveau, en comprenant le passé qu’on peut conjecturer l’avenir. Alors et alors seulement on peut espérer que se développe notre littérature actuelle. Telle est, je pense, la situation des écrivains dans la situation d’aujourd’hui : s’ils y mettent leurs efforts, ils auront des résultats.

Lu Xun, Aperçu sur l’art et la littérature à Shanghai, 12 août 1931
(Tel Quel n° 53, p. 75)

Si l’on compare ces propos à ceux de Sollers de février 1973 cités plus haut, on ne peut que souscrire à l’affirmation de Jean-Michel Lou : « Sollers Lu Xun : même combat ».

*

Polémiques

En 1975, Pierre Ryckmans, qui, sous le nom de Simon Leys, avait publié en 1971, dans la collection Champ libre (créée à Paris en 1969 par Gérard Lebovici), Les Habits neufs du Président Mao - Chronique de la Révolution culturelle, venait de traduire La mauvaise herbe de Lu Xun, avec une magnifique introduction. Michelle Loi lui répliquera dans Pour Luxun (sic) Réponse à Pierre Ryckmans (Simon Leys). Elle sera vertement prise à partie par ce dernier dans un article au titre cinglant et repris dans ses Essais sur la Chine : L’oie et sa farce (1976) [33] ! Relevant « la passion policière » qui consistait à révéler qui se cachait derrière son pseudonyme [34], Simon Leys y écrivait surtout :

Ce qu’elle écrit sur Lu Xun lui-même pourrait tout au plus constituer une pièce supplémentaire à verser au dossier du « Mythe de Lu Xun », mais en ce qui concerne la personne historique de l’écrivain, toute ressemblance qui pourrait exister entre celle-ci et la vision qu’elle en donne ne saurait être que l’effet d’un accident.

Après le voyage en Chine de Sollers et de ses amis (1974) [35], Simon Leys avait eu aussi quelques mots très durs contre « les philosophes de Tel Quel » et Roland Barthes, ce dernier accusé « d’investir d’une dignité entièrement neuve, la vieille activité, si injustement décriée, du parler-pour-ne-rien-dire » [36]. Tel Quel, qui rompra bientôt avec le "maoïsme" [37], ne prendra pas part à la polémique autour de Lu Xun (dont Michelle Loi restera une infatigable traductrice).

Notons cependant que Michelle Loi, quelque temps plus tôt, s’en était pris, elle aussi, très dogmatiquement, à Sollers dans une revue éphémère (« Théorie et politique ») à propos d’un article sur « la lutte idéologique » où l’écrivain y défendait (contre la vulgate stalinienne et Mao lui-même)... « la négation de la négation [38] ».

Il faudra, en France, la fin de la « Révolution Culturelle » pour que l’approche de l’oeuvre de Lu Xun fasse l’objet d’une lecture "désidéologisée". Il n’est pas sans intérêt de noter que le premier texte de François Jullien porte sur l’écrivain chinois (Lu Xun, écriture et révolution, Presses de l’École Normale Supérieure, 1979 [39]). Il y écrit :

S’il est un vrai Lu Xun, c’est celui de son écriture et c’est à travers l’étude de celle-ci que nous le percevons. Ou encore, la seule identité concrète est celle de cette écriture elle-même.
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100ème anniversaire de la naissance de Lu Xun

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En 1981, pour le centenaire de la naissance de Lu Xun, Simon Leys écrira un très beau texte sarcastique :

LE DISCOURS DU MOUSTIQUE

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Les gens sont bizarres. Songez par exemple aux inquisiteurs du bon vieux temps ; au lieu de se contenter de simplement torturer leurs clients, il leur fallait encore exécuter leur numéro sous l’image, et au nom même de la plus innocente de toutes les victimes : ce crucifié qu’ils faisaient profession de vénérer comme leur Seigneur. Ou encore, voyez aujourd’hui ces pieux disciples de Khomeyni : ils ne leur suffit pas de massacrer des femmes et des enfants, ils tiennent absolument à le faire au nom d’Allah le Miséricordieux.
La République populaire de Chine, dans le cadre des Quatre Modernisations, est évidemment impatiente d’égaler ces glorieux exemples de civilisation. C’est ainsi qu’au moment de déclencher une nouvelle purge dans les milieux intellectuels et littéraires, les autorités communistes ont jugé bon d’invoquer d’abord la mémoire d’un grand intellectuel et écrivain ; elles répriment ainsi la contestation au nom du plus courageux des contestataires ; elles écrasent la critique au nom du critique le plus audacieux de la Chine moderne ; elles persécutent l’hérésie au nom d’un hérétique irréductible ; elles prêchent le conformisme et exigent la soumission au nom de celui qui fut le rebelle par excellence.
L’étrange discours par lequel le président Hu Yaobang vient de marquer le centième anniversaire de la naissance du grand écrivain qu’était Lu Xun nous remet involontairement en mémoire un propos de ce dernier :

La morsure des punaises n’a rien de très agréable, mais quand elles vous sucent le sang, au moins elles y vont carrément, sans dire un mot, ce qui est malgré tout une façon franche et directe de faire les choses. Quant aux moustiques, c’est une autre paire de manches : bien sûr, eux aussi vous percent la peau sans pitié, seulement, avant de mordre, ils insistent toujours pour prononcer d’abord un long discours, ce qui est fort énervant. Et s’il devait s’avérer que, par-dessus le marché, ce discours était un exposé de toutes les bonnes raisons pour lesquelles ils se sentent obligés de se repaître de votre sang, ce serait encore plus exaspérant. Je suis bien content de ne pas comprendre leur langage.

Aujourd’hui, les intellectuels et les écrivains chinois n’ont pas cette chance : ils ne comprennent que trop bien, hélas, le langage du « Grand Moustique ».
N’empêche, il faut remarquer que le président Hu, qui semble n’avoir jamais lu une ligne de Lu Xun, s’est péniblement embrouillé dans ses citations. Si l’on met les choses en perspective, on trouvera peut-être là matière à optimisme. Rappelez-vous : quand Mao Zedong, qui avait, lui, une jolie culture littéraire, se sentait en humeur d’expédier quelques intellectuels dans la poêle à frire, il commençait toujours par prononcer une éloquente harangue philosophique dont l’étude devenait aussitôt obligatoire pour la population du pays entier ; tandis que Hu doit se contenter maintenant d’ânonner un sermon à demi illettré. Si cette évolution doit se poursuivre dans la même direction, après les bégayants moustiques d’aujourd’hui, elle nous mènera peut-être jusqu’aux punaises de demain, honnêtes et sans façon, des seigneurs de la guerre, qui feront simplement leur métier sans plus éprouver le besoin de l’assaisonner de tant de mots.
S’il faut en croire Lu Xun, cela devrait certainement constituer un progrès.

Simon Leys, novembre 1981 [40]

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De son côté François Jullien écrira Lu Xun écrivain : perspectives de l’année 1925 : symbolisme figurateur et symbolisme dénonciateur :

[...] Le « Grand » Lu xun est condamné à servir de guignol à l’idéologie et nous éprouvons irrésistiblement une impression de lassitude à l’égard d’une oeuvre qui, avant même que nous commencions à la lire, s’est trouvée ainsi figée, gelée, sous son commentaire. [...]
Ce qui se laisse d’abord appréhender au travers des textes de Lu Xun, c’est Lu Xun écrivain, cet individu dont la personnalité même le conduit à être un artiste des signes. [...]

François Jullien, Lu Xun écrivain (texte intégral) , décembre 1981.

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Lu Xun en Chine aujourd’hui

Depuis quelques années, des informations contradictoires nous parviennent de Chine.

Il semble loin le temps où Mao Zedong, dans La Démocratie nouvelle, soulignait l’importance extrême de Lu Xun en ses termes [41] :

Lu Xun est le généralissime de la révolution culturelle chinoise ; il est non seulement un grand homme de lettres, mais encore un grand penseur et un grand révolutionnaire. Lu Xun est l’homme de la fierté inflexible, sans une ombre de servilité ou d’obséquiosité, et c’est la qualité la plus précieuse pour le peuple d’un pays colonial ou semi-colonial.
Lu Xun, qui représente sur le front culturel l’écrasante majorité du peuple, est le héros national le plus lucide, le plus courageux, le plus ferme, le plus loyal et le plus ardent qui ait jamais livré assaut aux positions ennemies. La voie suivie par Lu Xun est celle de la nouvelle culture du peuple chinois.

En juin 2010, dans sa Note sur l’édition de « Cris », qui rassemble les nouvelles écrites au cours de la période dite du 4 mai 1919 [42] , Sebastian Veg émettait « l’hypothèse que nous sommes à un nouveau tournant dans la réception de Lu Xun » :

« Si le grand combat de la génération précédente, mené entre autres par Pierre Ryckmans [Simon Leys] dans le monde francophone, a été d’arracher Lu Xun à l’hagiographie communiste, le défi d’aujourd’hui est sans doute celui du nationalisme. Lu Xun, malgré une réforme des programmes qui a retiré certains de ses textes des manuels du secondaire en 2007, reste un auteur officiel en Chine populaire, si bien que le pouvoir, suivant en cela l’inflexion générale de son discours d’après l’« ouverture » de 1979, est tenté d’en faire le héraut du renouveau national chinois. »

Mais le Quotidien du Guangzhou, en date du 8 septembre 2010, titrait encore :

Importante révision des manuels de langue et littérature chinoises, les textes de Lu Xun disparaissent en quasi-totalité.

Motifs avancés : « trop difficiles à comprendre », trop critiques, et d’un esprit sombre et « négatif ». Parmi les textes supprimés figuraient «  Le remède », « A la mémoire de mademoiselle Liu Hezhen », et surtout « La véritable histoire d’Ah Q », satire de la société chinoise et de la révolution de 1911 écrite après le mouvement du 4 mai 1919.

Qu’en est-il réellement ? Difficile de le dire.

En septembre 2011, on pouvait lire sur le site china.org :


La tombe de Lu Xun à Shanghai. Calligraphie de Mao Zedong. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.
La popularité de Lu Xun ne semble aucunement perdre de sa vigueur, bien que ce pionnier de la littérature chinoise se soit éteint il y a 75 ans.
À l’occasion du 130e anniversaire de la naissance de Lu Xun, de nombreuses personnes étaient venues déposer des fleurs sur sa tombe, rendant hommage à l’auteur dont les oeuvres ont apporté un peu de lumière aux lecteurs, à une époque où les Chinois étaient sous le joug de dirigeants féodaux et de tyrans impérialistes.
Le nombre de visiteurs dans le musée de Lu Xun était bien plus élevé que d’habitude. Tous s’étaient alignés pour acheter des cachets de poste commémorant la naissance de l’auteur.

et aussi :

Selon un sondage organisé sur internet, 72 % des personnes interrogées estiment que les pensées de Lu Xun sont des présents intemporels.
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Lors d’une conférence prononcée à l’université Ji’nan de Shanghai le 21 décembre 1927 sur Les chemins divergents de la littérature et du pouvoir politique, Lu Xun déclarait :

Je n’ai ni grandes théories bien ordonnées, ni opinions remarquables, je ne puis que raconter un peu ce à quoi j’ai réfléchi récemment. J’ai souvent eu l’impression que la littérature et le pouvoir politique se trouvent constamment en conflit. A l’origine, littérature et révolution ne sont pas en conflit, elles s’accordent au contraire pour ne pas se satisfaire de l’état actuel des choses. C’est seulement le pouvoir politique qui cherche à préserver cet état, et se place donc naturellement dans une optique différente de la littérature. D’ailleurs, la littérature qui ne se satisfait pas de l’état des choses n’a connu de véritable essor qu’au XIXe siècle : son histoire est très courte. Les hommes politiques n’aiment surtout pas que les gens résistent à leurs opinions, ils n’aiment surtout pas que les gens réfléchissent ou ouvrent la bouche.

ou encore :

La littérature pousse certes la société à la division, mais c’est seulement ainsi que celle-ci peut commencer à progresser. Puisque la littérature représente une pierre dans le jardin des hommes politiques, on ne peut éviter qu’elle soit évincée. Beaucoup d’écrivains étrangers sont sur un terrain glissant dans leur pays, ils doivent s’enfuir l’un après l’autre et vivre à l’étranger : la seule méthode, c’est la fuite. S’ils n’arrivent pas à s’enfuir, ils sont tués, leur tête est tranchée. Trancher la tête est encore la meilleure méthode : ils ne peuvent non seulement plus ouvrir la bouche, mais également plus réfléchir [43].
***


Quant à la France, parions que tout ce qui précède n’évoquera pas grand chose aux jeunes lecteurs.
Raison de plus pour mieux connaître Lu Xun.

LU XUN (1881-1936)

Un film de Henry Lange
1999 - France, Chine - 49 minutes
« Un siècle d’écrivains », France 3.

À travers la destinée de l’écrivain chinois Lu Xun, nous découvrons la vie des lettrés et l’apparition des intellectuels modernes, au cours des différentes révolutions qui bouleversent depuis un siècle la Chine.

Présentation de Bernard Rapp.

De l’enfance de Zhou Zhangshou au Mouvement du 4 mai 1919.
Où l’on découvre que Lu Xun eut, en 1907, le projet d’une revue intitulée Vita Nuova...
Du Mouvement du 4 mai 1919 à la mort de Lu Xun.

(Archives A.G.)
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《呐喊》自序
Préface de « L’appel aux armes »

Dans cette préface à son premier recueil de nouvelles, datée du 3 décembre 1922, Lu Xun expose les raisons de son choix de la littérature comme arme de combat.

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Dans ma jeunesse, j’ai fait, moi aussi, de nombreux rêves, puis je les ai oubliés pour la plupart, mais je n’en ai aucun regret. Bien que le souvenir puisse être une source de joies, il peut aussi, par moments, être une source inévitable de solitude, et il n’est pas bon de laisser son esprit enfermé dans la solitude de jours révolus ; néanmoins, je n’arrive pas à oublier totalement, et cela me torture, alors ces bribes de souvenirs que je ne peux effacer sont devenues la source de « L’appel aux armes ».

Pendant plus de quatre ans, je suis allé régulièrement, pratiquement tous les jours, chez un prêteur sur gages et un pharmacien ; je ne sais plus l’âge que j’avais alors, mais le comptoir du pharmacien était de la même taille que moi, tandis que celui du prêteur sur gages était deux fois plus haut ; j’allais apporter des vêtements et des bijoux au comptoir deux fois plus haut que moi, d’où l’on me donnait d’un air condescendant de l’argent que j’utilisais alors pour aller acheter, au comptoir de ma taille, des médicaments pour mon père gravement malade. De retour à la maison, j’avais à résoudre un autre problème, car c’était un médecin très réputé qui établissait les ordonnances, et il prescrivait toujours des médicaments dont les ingrédients n’étaient pas faciles à trouver : des rhizomes de roseau cueillis en hiver, de la canne à sucre ayant subi trois ans de gelées… Pourtant l’état de mon père ne cessa d’empirer de jour en jour, jusqu’à ce qu’il finisse par mourir.

Je pense que se retrouver dans le besoin après avoir connu une existence relativement aisée est une expérience qui permet de se faire une image réaliste du monde ; je voulais aller étudier à Nankin, à l’école navale de Jiangnan [44], parce que, semble-t-il, je voulais changer de parcours, d’horizon et de milieu. Ma mère n’eut d’autre alternative que de me donner huit yuan pour mes frais de voyage, en me disant de faire comme bon me semblait ; il est vrai qu’elle pleura, mais c’était naturel, car, à cette époque, il était normal d’étudier les classiques et de passer les examens officiels, aller étudier les disciplines occidentales était considéré, dans la société d’alors, comme une voie sans issue, et un simple moyen de vendre son âme aux diables étrangers. […] Mais je n’en avais cure, et entrai finalement à l’école navale, à Nankin ; je découvris alors qu’il existait sous le soleil des disciplines comme les mathématiques, la géographie, l’histoire […] . On n’y enseignait pas la physiologie, mais nous disposions de livres illustrés de planches, comme le « Nouveau traité sur le corps humain » ou « Essais sur la chimie et l’hygiène ». Je me souviens que, en comparant les théories des médecins que j’avais connus, et les ordonnances qu’ils prescrivaient, avec mes nouvelles connaissances, je réalisai peu à peu que ces médecins n’étaient, consciemment ou inconsciemment, que des charlatans, et en vins, en même temps, à ressentir de la compassion pour tous les malades et les familles victimes de leurs escroqueries ; en outre, en lisant des livres d’histoire traduits, j’ai appris que la modernisation du Japon avait débuté, en grande partie, par l’introduction de la médecine occidentale.

Ce savoir encore immature m’a conduit à m’inscrire dans une école de médecine provinciale au Japon. J’avais un rêve superbe : rentrer en Chine à la fin de mes études pour guérir les maux de tous ces malades mal soignés, comme mon père, et éventuellement devenir médecin militaire en cas de guerre, tout en insufflant chez mes compatriotes la foi dans la nécessité de la réforme. Je ne sais pas quels progrès ont aujourd’hui été réalisés dans les méthodes d’enseignement de la microbiologie, mais, à cette époque-là, on projetait des diapositives pour montrer l’aspect des microbes ; parfois, lorsque le programme d’un cours était terminé, il restait encore un peu de temps, alors le professeur meublait le reste du cours avec des projections de paysages ou d’images d’actualité. C’était l’époque de la guerre russo-japonaise [45], il y avait donc un assez grand nombre d’images du conflit, et il me fallait souvent me joindre aux applaudissements et ovations manifestant la joie de mes camarades dans l’amphi. Un jour, à ma grande surprise, alors que je n’avais pas vu de Chinois depuis longtemps, j’en ai vu soudain un grand nombre sur l’écran ; l’un d’entre eux, au milieu, était attaché, entouré d’une foule d’autres, tous solidement bâtis, mais l’air totalement apathique. D’après le commentaire, l’homme attaché était un espion à la solde de l’armée russe, il allait être décapité par l’armée japonaise à titre d’exemple, et ceux qui étaient autour de lui étaient venus profiter d’un spectacle rare.

Je n’ai pas attendu la fin de l’année scolaire pour partir à Tokyo car, à partir de ce jour-là, j’en vins à penser que la médecine n’était pas une chose vitale ; un peuple faible et abruti, même en bonne santé physique, même robuste, ne pouvait au mieux qu’être utilisé pour servir d’exemple public ou être spectateur de ce genre d’événement ; qu’il y ait beaucoup de ces gens qui meurent ne pouvait être nécessairement considéré comme malencontreux. Par conséquent, la tâche la plus importante était de changer les esprits, et il m’apparut alors que, pour cela, il fallait en priorité développer l’art et la littérature ; j’entrepris donc de promouvoir un mouvement artistique et littéraire. La plupart des étudiants étrangers à Tokyo étudiaient le droit, les sciences politiques, la physique et la chimie, voire les techniques policières ou la production industrielle, mais il n’y en avait aucun inscrit en littérature ou beaux arts. Pourtant, malgré ce contexte peu propice, j’ai eu la chance de rencontrer quelques camarades partageant les mêmes idées, et nous avons fini par réunir les quelques autres personnes nécessaires ; après en avoir discuté, il nous parut évident que la première étape devait être une revue, dont le titre évoquerait l’idée de renaissance ; ce fut simplement « Vie nouvelle ».

Peu avant la parution du premier numéro, cependant, plusieurs des auteurs qui avaient été les premiers à se charger de rédiger un article déclarèrent forfait, sur quoi nos investisseurs retirèrent leurs fonds ; nous nous sommes retrouvés à trois, sans un sou, […] mais, par la suite, même ces trois-là connurent des destins divergents. Ainsi se termina l’aventure de cette « Vie nouvelle » avortée.

[…] En y réfléchissant par la suite, je me suis dit que si l’on obtient une approbation après avoir fait une proposition, il faut le prendre comme un encouragement à aller de l’avant ; si l’on rencontre de l’opposition, en revanche, ce doit être une incitation à lutter ; le pire est d’adresser un appel aux vivants, et de ne recevoir aucune réponse, que ce soit dans un sens ou dans l’autre, c’est aussi terrible que de se trouver perdu dans un désert sans limites ; je me suis alors senti seul.

Ce sentiment de solitude a cru de jour en jour, se lovant autour de mon âme comme un serpent venimeux. Et pourtant, malgré cette tristesse sans raison, je n’éprouvais aucun ressentiment, car cette expérience me fit réfléchir sur moi-même : je réalisai que je n’étais absolument pas l’un de ces héros capables de rallier les foules à sa cause.

Ceci dit, il me fallait absolument me débarrasser de ce sentiment parce qu’il était trop douloureux. J’ai alors utilisé toutes sortes de procédés pour tenter d’anesthésier mon âme […] et ils ont produit leur effet : j’ai perdu l’enthousiasme et l’exaltation de ma jeunesse.
[.. il raconte qu’il copie de vieilles inscriptions sans signification particulière pour passer le temps ..]

A cette époque-là, un vieil ami, Jin Xinyi, venait de temps en temps discuter avec moi ; il arrivait en portant un gros porte-documents qu’il posait sur la table cassée, enlevait sa longue robe et s’asseyait en face de moi, le cœur encore palpitant parce qu’il avait peur des chiens. Une nuit, après avoir feuilleté les pages du carnet où je copiais les inscriptions de vieilles stèles, il me demanda d’un ton inquisiteur :

« Cela sert à quoi que tu copies tout cela ? »
« A rien. »
« Mais, si tu le copies, c’est dans un but déterminé. »
« Non, pas du tout. »
« Je trouve que tu devrais écrire des articles … »

J’ai compris ce qu’il voulait dire. Ils publiaient une revue, « Jeunesse nouvelle », mais alors, non seulement ils n’avaient eu aucune réaction positive, mais il n’avait même pas rencontré d’opposition, je pense qu’ils devaient vraiment se sentir seuls. Pourtant je lui dis :

« Imaginons une maison en fer, sans fenêtre et quasiment indestructible ; à l’intérieur, il y a un grand nombre de gens profondément endormis qui vont mourir asphyxiés dans peu de temps, mais ils vont mourir dans leur sommeil, donc sans ressentir aucune douleur. Maintenant si tu lances un grand cri et réveilles en sursaut quelques uns d’entre eux, ceux qui ont le sommeil le plus léger, les précipitant ainsi dans les souffrances de l’agonie sans pouvoir les sauver d’une mort inéluctable, tu penses vraiment que tu leur auras rendu service ? »
« S’il y en a quelques uns de réveillés, on ne pourra pas dire qu’il n’y a aucun espoir de détruire la maison de fer. » [46]

Il est vrai que, en dépit de mes propres convictions, je ne peux oblitérer l’espoir, car il concerne l’avenir, et je n‘ai aucune preuve qui puisse réfuter l’affirmation de son existence ; alors, finalement, j’ai accepté d’écrire quelque chose, et cela a donné ma première nouvelle : « Le journal d’un fou ». Après quoi je n’ai pu m’arrêter, j’ai écrit d’autres nouvelles, chaque fois à la demande d’amis, jusqu’à en avoir, avec le temps, une bonne dizaine.

Maintenant, je peux dire que je ne suis plus quelqu’un qui ressent un besoin pressant d’écrire sans pouvoir le faire, mais je n’ai pas oublié le sentiment douloureux de solitude qui fut le mien à cette époque-là, c’est pourquoi je ne peux m’empêcher, de temps en temps, de pousser quelques cris, juste pour consoler quelque vaillant guerrier parti au galop dans la solitude, pour qu’il n’ait pas peur de continuer à avancer. Que ces cris soient braves ou tristes, repoussants ou risibles, c’est le dernier de mes soucis ; mais, comme c’est un appel aux armes, il faut bien sûr que je me conforme aux ordres de mes supérieurs, alors j’ai souvent utilisé des allusions voilées pour ne pas transmettre mon terrible sentiment de solitude à la jeunesse actuelle, perdue dans de doux rêves comme je l’avais été moi-même au même âge.
… (traduction Brigitte Duzan)

***


Quelques traductions de Lu Xun en français

Contes anciens à notre manière (1935) trad. Li Tche-houa, Paris, Gallimard-Unesco, 1959.
La Mauvaise Herbe (1927) trad. Pierre Ryckmans, Paris, UGE, 1975.
Fleurs du matin cueillies le soir (1927) trad. François Jullien, Lausanne, Alfred Eibel, 1976.
Sous le dais fleuri (1926) trad. François Jullien, Lausanne, Alfred Eibel, "La Chine d’aujourd’hui", 1978.
Pamphlets et libelles, trad. Michelle Loi, François Maspero, Paris, 1979.
Sur la langue et l’écriture chinoises, trad. Michelle Loi, Aubier Montaigne, Paris, 1979.
La Tombe (1927) trad. Michelle Loi et al., Paris, Acropole-Unesco, 1981.
Un combattant comme ça, textes choisis et présentés par Michelle Loi, Paris, Presses de Paris-VIII, 2° éd. 1982.
Oeuvres choisies, Pékin, éd. en langues étrangères, 4 vol. 1981-1985.
La Vie et la Mort injustes des femmes, trad. Michelle Loi, Mercure de France, « Mille et une femmes », Paris, 1985.
Poèmes, trad. Michelle Loi, édition bilingue, Arfuyen, Paris, 1985.
La littérature en dentelles. Essais (1935), trad. groupe "Lu Xun" de Paris-VIII, Paris, Acropole-Unesco, 1987.
Histoire d’A Q, véridique biographie (1921), trad. Michelle Loi, Librairie générale française, 1990. Livre de Poche 3116.
Brève histoire du roman chinois (1924) trad. Charles Bisotto, paris, Gallimard, 1993.
Cris (1923) trad. Joël Bellassen, Feng Hanjin, Jean Join et Michelle Loi, Paris, Albin Michel, 1995.
"Le journal d’un fou", "Le remède", "La véridique histoire d’Ah-Q.", in Treize récits chinois 1918-1949, trad. Martine Vallette-Hémery, Arles, Philipe Picquier, 2000.
Errances, trad. Sebastian Veg, éditions rue d’Ulm, 2004.

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cher Albert Gauvin,

merci pour votre très attentive lecture et pour les documents que vous ajoutez à mon texte ; quelle mine d’or vous détenez ! j’y avais d’ailleurs largement puisé (dans pileface, rubrique "Sollers et la Chine") en écrivant le chapitre sur Lois, d’où l’extrait que vous citez est tiré (vous êtes cité nommément, ainsi que pileface, en fin de Corps d’enfance corps chinois) : encore merci, cette fois directement. Ainsi, avec vos commentaires et vos compléments, le texte continue-t-il à s’écrire... il ne s’arrêtera pas.

sur Lu Xun : on ne saurait assez recommander sa lecture. Commencer par La mauvaise herbe, et continuer au hasard.

je rectifie un de vos propos : je ne sais pas parfaitement le chinois, l’ayant appris sur le tard ; cela suffit à peine pour lire Zhuangzi dans le texte.

à bientôt

Jean-Michel Lou, 11 janvier 2012, 8h37.


[1Jean-Michel Lou, Corps d’enfance corps chinois, Gallimard, coll. L’infini, 2012. Extrait du livre : « Sauf le nom ».

[2Jean-Michel Lou, né à Paris, est « de mère chinoise et de père franco-chinois ».

[3La Chine au temps de Lu Xun est placée dans une situation quasi coloniale ; l’instauration de la république n’y change rien, qui se révèle être un despotisme au petit pied. La conscience de l’humiliation subie par son pays, du mélange d’arrogance et d’impuissance des classes dirigeantes, enfonce Lu Xun dans une mélancolie qui est, selon moi, le ressort de son style.

[4Cf. Pleynet, Art et littérature, p. 101. Sollers parle du mouvement du 4 mai 1919, qui part de l’université de Pékin et prend une ampleur nationale.

[5Cf. Yoshimi Takeuchi, Oeuvres complètes, l 46, cité et traduit en allemand par Christian Uhl, « Rojin oder wie Takeuchi Yoshimi die Moderne überwinden wollte », in Ostasien im 20. Jahrhundert, Geschichte und Gesellschaft, Sepp Linhart / Susanne Weigelin-Schwiedrzik (Hg.), Promedia, Vienne, 2007, pp. 153-173. Rojin c’est la transcription en japonais de Lu Xun.

[6Cf. Susanne Weigelin-Schwiedrzik, « Rufer in der Wüste und Führer der Revolution. Der chinesische Dichter Lu Xun im Selbstportrait und als polilische Ikone." in So der Westen wie der Osten ?, Walter Berschin u. Wolfgang Schamoni (Hg.), Mattes, Heidelberg, 2003, p. 162. Lu Xun quânji, 20 t., Pékin, t. l, pp. 269-276.

[7Dans la réponse à une enquête sur « ce que doivent lire les jeunes » en février 1925, cité par Simon Leys dans son Introduction à la Mauvaise Herbe de Lu Xun, Union générale d’Éditions et Pierre Ryckmans, Paris, 1975, dans Simon Leys, Essais sur la Chine, Robert Laffont, Paris, 1998, p.447.

[8Réciproquement, Lu Xun a exercé une certaine fascination sur beaucoup d’intellectuels et d’artistes japonais.

[9« Commentaire cruel, mais pas tout à fait inexact », note Simon Leys qui le cite dans La Forêt en feu, « Le feu sous la glace : Lu Xun », Hermann, Paris, 1983, in Essais sur la Chine, pp. 631-632. Leys remarque par ailleurs : « Il y a (. ..) quelque chose d’émouvant à voir cet aigle qui aurait pu planer haut et libre dans la langue classique renoncer volontairement à ses ailes, pour boiter parmi la foule en langue vulgaire », Introduction à La Mauvaise Herbe, ibid., p. 448. La référence à Baudelaire est tout à fait pertinente, cause de la mélancolie qui caractérise les deux écrivains (mais, dois-je ajouter, pas du tout Sollers !).

[10Simon Leys, La Forêt en feu, ibid., p. 633.

[11Traduit et cité par Simon Leys, Introduction à La Mauvaise herbe, ibid., p. 447.

[12Ibid., p. 449. Je ne fais ici qu’esquisser un jeu de miroir. Sur Lu Xun, je renvoie aux réflexions autrement fondées de Simon Leys dans son Introduction à La Mauvaise Herbe de Lu Xun, op. cit., à qui j’ai largement emprunté, et de François Jullien, Lu Xun, Écriture et Révolution, Presse de l’École normale supérieure, Paris, 1979. [...] La plupart des oeuvres de Lu Xun sont accessibles en français (voir à la fin de ce dossier. A.G.).

[13Cf. Takeuchi, IV 156, op. cit., p. 169.

[14La ponctuation commence à être introduite à la fin du XIXe siècle.

[15Éloge de l’infini (2001), p. 611. Article paru dans Le Monde du 3 avril 1998. Cf., sur pileface, Deux et deux font quatre.

[16Mais des textes de Lu Xun paraissent dans les n° 60 et 61 de Tel Quel (hiver 1974 et printemps 1975). Il faut également rappeler l’importance dans les années soixante-dix du débat autour de Lu Xun, ce dernier étant instrumentalisé par le pouvoir chinois comme prototype de l’écrivain révolutionnaire. Sa démarche est également l’inverse de celle de Sollers en ce sens qu’à partir de 1927, date à laquelle il se déclare ouvertement marxiste, il se détourne peu ou prou de la littérature, alors que Sollers à partir de 1974 (H) s’éloigne doucement de la politique.

[17Cet éditorial précise les positions du Mouvement de juin 1971 dans sa lutte contre « l’hégémonie bourgeoisie-révisionnisme ». Il y précise en quoi « révisionnisme » et « dogmatisme » sont complémentaires (d’où le concept de « dogmatico-révisionnisme »). « Les deux masques les plus hideux qu’ait jusqu’à ce jour empruntés l’histoire moderne », le fascisme et le stalinisme (« même si la nostalgie débile en traîne encore ici ou là »), y sont fermement dénoncés. Le stalinisme :

Le stalinisme est pour nous spécifié par les formes dogmatiques que peut prendre, à un certain stade de régression, l’idéologie socialiste face aux contradictions qu’elle met en jeu.

Dénonciation et définition certes insuffisantes, mais qui méritent d’être rappelées : elles témoignent de ce que Tel Quel croyait trouver en Chine : « une critique de gauche du stalinisme ».

Dans le même numéro on trouve un texte de Nicos Poulantzas : Note à propos du totalitarisme, et des... inédits de Lu Xun (voir plus bas).

[18Lire : Mao, La démocratie nouvelle (janvier 1940) . Mao y développe longuement son analyse du Mouvement du 4 mai 1919.

[23Pileface a abordé cette question du « maoïsme » de Tel Quel et de Sollers dans un certain nombre d’articles. Cf. Mao Zedong.

[24La formule est de Lénine dans les Cahiers philosophiques.

[25Je souligne.

[26En fait, à partir de 1974-1976 (9 septembre 1976 : mort de Mao), Sollers ne s’éloigne pas de « la » politique, mais d’une certaine politique (disons, pour aller vite et au risque d’aller trop vite, de la politique « révolutionnaire », au sens marxiste du terme). En témoignent ses nombreuses prises de position d’alors (qui ont pu faire croire qu’il n’écrivait plus. Cf. Barthes, Sollers écrivain (1979)). Cf., par exemple : Un tournant. On lit dans Les intellectuels européens et la crise (novembre 1977 :

Le danger : celui d’en finir avec la religion de la politique, avec la politique ayant pris la place de la religion la plus noire, nouvel obscurantisme peut-être bien plus grave que celui de l’Eglise autrefois, et par rapport auquel le courage intellectuel aujourd’hui est de se déclarer résolument athée , une fois pour toutes.

[27Idem.

[28Dans le même numéro, un texte très important de Marcelin Pleynet, Du discours sur la Chine. Il est regrettable qu’on y ait pas prêté plus d’attention. J’en ai parlé dans Mao et la Chine.

[29Ancienne membre du PCF, Michelle Loi fera son "autocritique" dans Tel Quel 48/49, y défendra les positions du "mouvement de juin 1971" (avec des réserves : « cela ne veut pas dire [...] que je me trouve ipso facto en accord parfait avec vous. Si j’avais à reprendre aujourd’hui la dénonciation dont vous protégea maternellement La Nouvelle Critique [revue du PC. AG.], j’en garderai encore beaucoup de choses »), puis s’enfermera dans un soutien inconditionnel au régime chinois et renouvellera ses critiques (voir plus loin). Sur Michelle Loi, cf. bm-lyon.

[31Avec avec Jiang Qing, l’épouse de Mao, Wang Hongwen et Zhang Chunqiao. Cf. La bande des quatre.

[32En témoigne l’intitulé du colloque dirigé par Philippe Sollers qui se tint du 29 juin au 9 juillet 1972 à Cerisy-la-Salle : Vers une Révolution Culturelle : Artaud, Bataille.

[33Cf. Simon Leys, Essais sur la Chine, Robert Laffont, 1998, p. 544-552. L’oie et sa farce a d’abord été publié dans Contrepoint, n° 21, 1976.

[34« C’est ainsi qu’elle [M. Loi] s’est adonnée depuis tout un temps dans divers journaux, revues et tracts à une dénonciation professionnelle de l’identité réelle de Simon Leys. (La précaire protection que ce pseudonyme était censé m’assurer durant mes séjours successifs en Chine en devint plus dérisoire encore [...]) ».

[35Lire, entre autres : Mao et la Chine.

[37Cette rupture coïncide avec la mort de Mao (septembre 1976). Le numéro 68 de Tel Quel (novembre 1976) s’achève par cette courte note (p. 104), sans doute de Sollers :

A PROPOS DU « MAOÏSME »
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Des informations continuent à paraître, ici et là, sur le "maoïsme" de Tel Quel. Précisons donc que si Tel Quel a en effet, pendant un certain temps, tenté d’informer l’opinion sur la Chine, surtout pour s’opposer aux déformations systématiques du PCF, il ne saurait en être de même aujourd’hui. Cela fait longtemps, d’ailleurs, que notre revue est l’objet d’attaques de la part des "vrais maoïstes". Nous leur laissons volontiers ce qualificatif. Les événements qui se déroulent actuellement à Pékin ne peuvent qu’ouvrir définitivement les yeux des plus hésitants sur ce qu’il ne faut plus s’abstenir de nommer la "structure marxiste", dont les conséquences sordides sur le plan de la manipulation du pouvoir et de l’information sont désormais vérifiables. Il faudra y revenir, et en profondeur. Il faut en finir avec les mythes, tous les mythes.

Tel Quel, octobre 1976.

Avec cette précision :

On peut s’en tenir à un seul symptôme : la momification et l’embaumement du père mort pour que sa lettre soit exhibée-conjurée en langue morte (Lénine, Mao). C’est la signature de toute contre-révolution.

Dans Le Monde du 22 octobre 1976, Sollers avait déjà déclaré :

Ce n’est pas de "doutes" ou d’"inquiétudes" qu’il faut, à mon avis, parler, au sujet de la situation actuelle en Chine, mais de véritable drame. Ce qui apparaît sous une lumière de plus en plus crue, c’est la sinistre réalité stalinienne d’une mécanique de pouvoir et d’information, mécanique à propos de laquelle on pouvait nourrir un certain nombre d’illusions, qui me semblent de plus en plus impossibles. Le "marxisme" en vient-il toujours là ? Certains ont depuis toujours répondu oui à cette question mais l’expérience chinoise portait en elle l’espoir d’un nouvel enjeu. Peu à peu, cependant, de destitutions en arrestations, de répression en pseudo-débats, de stéréotypes en réductions au silence, il devient criant que rien, quant au fonctionnement du pouvoir de l’État, n’a pu réellement aller plus loin que la plus flagrante manipulation.

Se reporter à Philippe Forest, « Histoire de Tel Quel », Seuil, 1995, p. 483-484.

[38Lois : «  Ma négation est passage, suppression du passage. La plupart, n’arrivant pas à la négation, ne supportent pas, c’est normal, la négation de la négation. » (op. cit., p. 120).
Cf. également mon commentaire du 15 mars 2009 au dossier Sur le matérialisme, ainsi que mon introduction à Réfractaire ou encore Althusser philosophe.

[40in Essais sur la Chine, op. cit., p. 636-637.

[41Je cite à nouveau ce texte de Mao car c’est à lui que se référait Sollers en 1973.

[42Plus connu sous le nom de L’appel aux armes, c’est dans la préface de ce recueil que Lu Xun explique les raisons pour lesquelles il choisit de faire de la littérature une arme de combat. Cf. Préface de « L’appel aux armes ».

[44L’école était gratuite.

[45La guerre russo-japonaise, opposant la Russie impériale à l’empire japonais, s’est déroulée de février 1904 à septembre 1905.

[46C’est le passage le plus célèbre et le plus souvent cité du texte.

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3 Messages

  • Albert Gauvin | 7 août 2022 - 15:00 1

    Reçu ce mail d’Arnaud Le Vac :

    Cher Albert,
    Puisque on doit être trois ou quatre à lire et considérer Lu Xun.
    Ce livre, ce lien nous importe hautement :
    https://www.you-feng.com/poemes_luxun.php
    Bien amicalement,
    Arnaud

    Les éditions et librairie Youfeng présentent l’œuvre poétique de l’écrivain Lu Xun 鲁迅 (1881-1936), de son vrai nom Zhou Shuren (周树人), grand auteur chinois moderne, dans une traduction française inédite de Li Guoqiang et Laurent Cornaz : Les poèmes de Lu Xun. Cette édition bilingue parue au mois de septembre 2021 – « première traduction française de l’ensemble des poèmes de Lu Xun, en style ancien comme en langue parlée » – offre quelque 420 pages de texte chinois avec sa traduction française, la transcription phonétique et le mot à mot français, accompagnés d’un appareil de notes.


  • A.G. | 11 janvier 2012 - 11:12 2

    cher Jean-Michel Lou,

    C’est moi qui vous remercie !
    _ Et si, à l’occasion, j’ai pu donner « le la », vous avez composé une très belle partition qui, d’ores et déjà, fait date, n’en doutez pas.

    J’ai découvert Lu Xun dans les années 70 à travers les publications que je cite et j’avais commencé cet article il y a plusieurs semaines sans trop savoir quelle forme il prendrait. La relecture de votre livre m’a permis de lui donner une actualité nouvelle. Ici et peut-être là-bas (je sais que de jeunes chinois sont familiers de pileface).

    A bientôt donc

    A.G.


  • jean-michel lou | 11 janvier 2012 - 08:37 3

    cher Albert Gauvin,

    merci pour votre très attentive lecture et pour les documents que vous ajoutez à mon texte ; quelle mine d’or vous détenez ! j’y avais d’ailleurs largement puisé (dans pileface, rubrique "Sollers et la Chine") en écrivant le chapitre sur Lois, d’où l’extrait que vous citez est tiré (vous êtes cité nommément, ainsi que pileface, en fin de Corps d’enfance corps chinois) : encore merci, cette fois directement. Ainsi, avec vos commentaires et vos compléments, le texte continue-t-il à s’écrire... il ne s’arrêtera pas.

    sur Lu Xun : on ne saurait assez recommander sa lecture. Commencer par La mauvaise herbe, et continuer au hasard.

    je rectifie un de vos propos : je ne sais pas parfaitement le chinois, l’ayant appris sur le tard ; cela suffit à peine pour lire Zhuangzi dans le texte.

    à bientôt