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A Menton sur les traces de Cocteau (I)

Le Musée Cocteau, le Bastion, la Salle des Mariages

D 1er octobre 2013     A par Viktor Kirtov - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Eté 2013, nous nous sommes lancés sur les traces de Cocteau, à Menton et autour.
Des lieux et des hommes.
Menton et Cocteau, les deux musées qui lui sont dédiés, la salle des mariages de l’hôtel de ville qu’il décora entièrement.
Eze et le sentier de Nietzsche, sentier escarpé, où le marcheur créa la troisième partie de « Ainsi parlait Zarathoustra ».
Beaulieu sur mer et la villa grecque Kérylos, reconstitution d’un luxueux palais de l’île de Délos du IIème siècle avant J-C., construit par à la Belle Epoque et aujourd’hui classé Monument Historique. Legs exceptionnel de l’allemand Théodore Reinach, qui sans cela serait resté inconnu de la plupart d’entre nous.
Saint Jean Cap Ferrat et la villa de la baronne Ephrussi de Rothschild aux remarquables jardins, autre legs exceptionnel, sans doute le plus grand mérite de cette femme à qui tout fut donné par héritage.
Saint Jean Cap Ferrat et la villa Santo Sospir où Cocteau accueillie par son amie Francine Vesweiller vécut de 1950 à sa mort en 1963 et en décora tous les murs.
Villefranche sur mer et Cocteau encore avec la chapelle Saint Pierre entièrement décorée par lui. A Cap d’Ail aussi avec la mosaïque du pavement de l’amphitéâtre de plein air, ou encore à Fréjus avec la chapelle Notre-Dame de Jérusalem, la dernière chapelle conçue par Jean Cocteau en 1961 et achevée en 1965 par Edouard Dermit, son fils adoptif et légataire universel.
La Turbie et le Trophée d’Auguste, ce général romain qui conquit ces terres alpines.
Des lieux et des hommes.

Mais c’est Cocteau à Menton que nous allons suivre aujourd’hui en cette année du cinquantenaire de sa disparition.
Les lieux, le ciel, la lumière, la mer, la marche sur les sentiers du littoral, autant d’éléments propices à la méditation et à la création.
Influence des lieux sur les hommes et réciproquement.
Depuis quelques années déjà, Cocteau avait fait de la Méditerranée son miroir de lumière et à la faveur d’une invitation au festival de musique en 1955, s’était épris de Menton.

Loin de là, dans le nord de la France, un jeune apprenti horloger du nom de Séverin Wunderman avait rencontré un dessin dans la vitrine d’un antiquaire. Il en tomba amoureux sans en connaître l’auteur. Et l’acheta sans imaginer que ce serait le premier d’une collection de plus de mille pièces signées jean Cocteau. Séverin Wunderman recueillit à travers le monde, les pépites que l’artiste semait sur sa route comme autant d’étoiles, avant d’éprouver le désir de les regrouper là où le peintre affirmait mourir sans mourir, si par bonheur il était admis à y exposer pour toujours. La collection Séverin Wunderman a aujourd’hui son écrin, le nouveau Musée Jean Cocteau de Menton, inauguré en novembre 2011.

Architecture singulière pour artiste singulier

LE MUSEE JEAN COCTEAU / Collection Séverin Wunderman

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L’édifice et le parvis avec la mosaïque du lézard

Un architecte inspiré, Rudy Ricciotti a donné corps à ce projet. Au pied de la vielle ville aux couleurs ocres, accrochée à la colline, entre la mer et les galets, un édifice blanc, bas, aux ouvertures originales en forme de flammes, comme des failles profondes au bord du rivage, laissent pénétrer des vagues de lumière. Des ouvertures aux lignes souples de béton lisse galbée, l’intérieur et l’extérieur qui s’interpénètrent témoignent de la créativité de cet architecte. Trudy Ricciotti est aussi le concepteur du nouveau musée de Marceille, le Mucem cette dentelle de béton qui joue avec la lumière comme Versailles avec ses jeux d’eau.
Trait d’union autant qu’écrin qu’il faut découvrir de l’intérieur ou en surplomb, de nuit, à partir de la vieille ville.

« Mon musée est délié comme le trait de Cocteau, bas, blanc, puissant et sensuel », affirme Ricciotti dont le projet a été retenu en 2007 pour abriter la collection Séverin Wunderman..

En béton et verre, le bâtiment, construit sur un plan triangulaire, s’ouvre sur un large parvis. À mille lieues d’une esthétique « néo-provençale » ou « néo-moderniste » qui hérisse le poil de l’architecte de Bandol,
le musée affiche une élégante sobriété. Ce qui n’empêche pas le « geste architectura/ ». Rudy Ricciotti a choisi d’animer son bâtiment par un système de failles creusées dans le béton blanc, des découpes qui évoquent des flammes ou les mouvements d’une chevelure, et qui laissent s’infiltrer la lumière en dessinant des ombres portées.

Entre la plage et la vieille ville, l’édifice s’inscrit sans provocation dans son environnement. « Mes musées, en général, se caractérisent par la sensibilité au site, la contextualisation. J’intègre dans le construit des fragments du territoire », explique l’architecte.

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L’architecte Rudy Ricciotti

Les volumes intérieurs aux murs blancs, éclairés par de longues baies vitrées tamisées par des voilages, ouvrent des perspectives à trois cent soixante degrés sur la ville et sur la mer. Les collections permanentes se déroulent sur deux niveaux, en rez-de-jardin et en sous-sol, tandis qu’un vaste espace, à l’entrée, est consacré aux expositions temporaires. Jouant habilement des contraintes - une hauteur d’édifice limitée à 4,5 mètres, la nécessité de maîtriser la lumière naturelle pour préserver les œuvres -, Ricciotti a su créer, comme l’écrit Paul Ardenne dans le catalogue du rnusée.« un objet culturel, un tabernacle voué à honorer la créativité hors du commun d’un homme parmi les plus singuliers qui soient ».

GUILLAUME MOREL

Séverin Wunderman : Une Donation de 1800 oeuvres

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Séverin Wunderman en mai 2006

Séverin Wunderman, homme d’affaires et collectionneur américain d’origine belge, naît en 1938. Passionné par l’oeuvre protéiforme de Jean Cocteau, il réunit tout au long de sa vie une extraordinaire collection et fonde en 1985 un musée dédié au poète, à Irvine, en Californie.

Nourrissant le projet de faire revenir en France cette collection unique au monde, Séverin Wunderman tombe sous le charme de Menton, ville que Jean Cocteau avait choisi pour y créer son musée. En 2003, il rencontre Jean-Claude Guibal, Député-Maire de la ville, pour évoquer le projet de donation de sa collection. Le 27 juin 2005, l’acte de donation est signé avec engagement de construire un nouveau musée pour accueillir la collection de Séverin Wunderman.

Un concours d’architecture est lancé en 2007, dont le projet de Rudy Ricciotti sort lauréat. La première pierre du nouveau musée est posée le 29 décembre 2008, lors d’une cérémonie à laquelle Séverin Wunderman n’assiste pas, disparu quelques mois auparavant.

La donation compte 1800 pièces, dont 990 oeuvres de Jean Cocteau. Intégrant la collection historique du musée Jean Cocteau du Bastion, le nouveau musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman, inauguré en novembre 2011, la plus importante ressource publique mondiale de l’oeuvre du poète.

Les photos de Lucien Clergue

Lucien Clergue (1934), est un photographe né à Arles membre de l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France à qui l’on doit de belles photos de Picasso dont il était proche. Il fit la connaissance de Cocteau en 1956 par l’intermédiaire de Picasso et entretint avec ce dernier une relation amicale et professionnelle jusqu’en 1963, année de la mort du poète.

En 2011, dans le prolongement du legs de Séverin Wunderman, et à l’occasion de l’ouverture du musée, Lucien Clergue a fait don à la Ville de Menton d’un ensemble de 240 photographies originales, liées à l’oeuvre de Jean Cocteau.

Ses photographies de gitans inspirèrent à Cocteau certains motifs de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche et de la Salle des Mariages de la Mairie de Menton. En 1959, alors que Jean Cocteau préparait le tournage de son dernier long-métrage dans les carrières des Baux de Provence, il invita Lucien Clergue à photographier le tournage du film, ses coulisses et ses acteurs. Ces photographies magnifiques, légendées par Cocteau, paraîtront dans le livre intitulé Phénixologie.

Dans l’actualité : 26/10/2013 | conférence
« Lucien Clergue, entre Cocteau et Picasso »

Lucien Clergue reviendra sur son travail et son amitié avec Cocteau et Picasso. Sa conférence sera illustrée par la projection de photographies, que clôturera une déclamation poétique par Daniel Schmitt.

La salle des mariages de Menton

Eté 1955. Cocteau séjourne à Saint Jean Cap-Ferrat chez l’une de ses amies, Francine Weisweller. Il découvre la commune de Menton, son festival de musique ; il est séduit d’emblée.

Au mois d’août 1955, il assiste au Festival de musique et y fait la connaissance du maire Francis Palmero. On en lit un souvenir ému dans son journal :

« Au milieu de l’ignoble vulgarité de notre époque, c’est une grande surprise que le spectacle du festival de musique à Menton. Rien ne peut s’imaginer de plus étrange. On arrive par des marches en pente douce dans une gigantesque chicane de lumière, d’ombres, de façades riches et de façades pauvres, à l’italienne. La cathédrale, sa flèche vue par en dessous, des escaliers à pic vers d’autres architectures religieuses et une arche géante reliant des maisons à volets vert pâle où vivent des familles ouvrières dont les fenêtres deviennent des loges de théâtre. [...] Le maire m’a fait prendre place à sa droite. Il n’y avait ni snobs, ni canaille. Une foule respectueuse et silencieuse écoutait les Quatre Saisons de Vivaldi. L’acoustique est celle d’une salle de rêve où les murmures de la rue et de la mer nourrissent en quelque sorte le silence et le font vivre. Après le concert, le maire nous recevait au club de tennis. Tout cela d’un luxe et d’une simplicité dont on n’a plus la moindre idée. »
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Cocteau, Affiche du Festival de Musique de Menton, 1956
Festival en Août.
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Festival de musique de Menton
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Festival de musique de Menton
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Festival de musique de Menton

Un an plus tard, le maire de la ville, Francis Palmero, lui demande de bien vouloir décorer la salle des mariages de l’Hôtel de Ville. Il s’y attelle en 1957, achève son oeuvre en 1958, et devient citoyen d’honneur de Menton.

Le mois suivant, Jean Cocteau consigne dans son journal une autre visite à Menton :

« le maire voulait me montrer la salle des mariages pour que j’en décore les murs. »

En 1955, le conseil municipal décide en effet de réaménager son hôtel de ville, et notamment de transformer l’ancienne salle des tribunaux désaffectée en salle des mariages. La décoration est confiée au poète, nouvellement académicien, qui travaille en parallèle aux décors de la chapelle de Villefranche Jean Cocteau réalise ses premiers dessins pour la salle des mariages le 8 avril 1956.

Il définit rapidement les grands motifs principaux (Orphée, Eurydice, les centaures), ainsi que les couleurs dominantes (notamment inspirées des fleurs et plantes qui ont fait la réputation de Menton) mais n’attribue pas immédiatement un style graphique à ses compositions. Au cours de l’été 1957, il crée une forme d’écriture en arabesques colorées, qu’il nomme « style de Menton ». Comme souvent chez Cocteau, la naissance d’un style est intrinsèquement liée à l’utilisation de nouveaux outils. En l’occurrence, les craies de couleurs. Le poète trace les lignes à la craie ; le peintre les repasse au pinceau. Dans les dessins préparatoires, apparait ainsi un enroulement de lignes semblables à des spirales ou des grecques. Dès qu’il en trouve l’idée, Cocteau se lance sans retenue dans cette nouvelle entreprise et remplit méthodiquement tous les espaces vides de ses études sur papier puis de ses compositions murales. La salle des mariages, de fait, ne comporte aucun vide, aucun blanc. Les motifs décoratifs abstraits sont intégrés aux motifs figuratifs, les complètent. « Le décor de la mairie se hâte vers sa fin. Les lignes s’enroulent et méandrent presque toutes seules » témoigne-t-il en 1957. La salle des mariages est inaugurée le 22 mars 1958.

Cocteau en a non seulement tatoué les murs et la plafond, mais conçu l’ensemble de la salle, les chaises, les lampadaires, estrade, colonnes, tapis façon peau de panthère, rideaux rouge, destinés à donner une certaine pompe, voire un côté théâtral à l’événement.
...Jusqu’aux bacs à fleurs du vestibule d’entrée aux parois de bambous, touche d’exotisme final en prolongement de celui des fresques murales.

Jean Cocteau à Menton - Salle des Mariages
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Menton, salle des mariages, façade extérieure
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Menton, salle des mariages
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Mur du fond

Sur le mur du fond, un soleil généreux inonde de lumière le visage des mariés. Ils se font face et portent tous deux la coiffe traditionnelle méditerranéenne, elle, la capeline de la paysanne, lui, le bonnet rouge à poche du pêcheur. Ils se regardent profondément, ils vont s’embrasser. On comprend le désir qui unit ces deux êtres et pour montrer cette union, Cocteau n’utilise qu’un seul trait continu pour le contour des deux visages.

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Mur de droite

Sur le mur de droite est représentée une scène de mariage. On y reconnait des personnages de type méditerranéen, les couleurs dominantes y sont le blanc et le bleu, les couleurs de Menton. Au centre, un couple est sur un cheval. La femme en blanc, la mariée, enlace l’homme, et ils partent vers de nouvelles aventures.

En arrière-plan, et sur les côtés, des amis arrivent, dansent, jouent de la musique. Dans l’ensemble, ils ont l’air assez heureux. Une femme en rouge, témoin et amie des mariés, tend une fleur à la mariée, qui ne la prend pas, mais lui caresse la joue. La fleur symbolise l’oubli. Un groupe de trois personnages n’a pas l’air très heureux, c’est la famille du marié. Sa mère perd son autorité sur lui, elle n’est plus la seule dans son cœur.

Deux autres personnages sont également moroses, un frère, et sa sœur, habillée de blanc. Elle était la maitresse du marié et s’évanouit par ce qu’elle découvre. Le mari est un couard, il avait deux relations en même temps et a attendu le dernier moment pour choisir. Son frère lance un regard vengeur vers le mari mais celui-ci détourne le regard.

Au-dessus de la porte de droite, il y a aussi une femme, au teint tout différent. C’est une gitane, ni gaie, ni triste. Pour Cocteau qui est fasciné par les gitans, elle est le médiateur entre le monde des vivants et celui des morts. Elle lit l’avenir et, seule, sait si ce couple sera heureux ou non.
Cocteau pense que les mythes antiques peuvent nous aider à mieux vivre notre vie, et poète lui-même, il veut retracer l’histoire d’Orphée, premier des poètes. D’ailleurs, il se dit lui-même détenteur d’un pouvoir ‘orphique’.
Orphée est un jeune prince venu de Thrace, sa mère est Calliopée, la muse à la belle voix. Comme elle, il possède ce don de charmer tous les êtres vivants, de la fourmi à l’homme en passant par le centaure. Pour accompagner les poètes, il crée la lyre.
Rencontrant un jour un groupe de femmes enivrées à l’occasion de carnaval, il tombe amoureux de l’une d’elles, Eurydice. Elle devient son inspiratrice et sa seule raison de vivre. Avec elle, la poésie est possible, l’équilibre du monde se réalise. Mais Eurydice meurt, piquée par un serpent au talon, et descend alors au royaume des morts, le royaume souterrain dirigé par Hadès. Dès lors, Orphée a du mal à survivre, n’écrit plus de poèmes et petit à petit, l’équilibre sur terre se brise.

Perséphone, l’épouse d’Hadès, vit six mois sur terre et le reste du temps au royaume des morts. Orphée décide de prendre sa lyre et d’aller voir Perséphone afin qu’elle obtienne d’Hadès le retour à la vie d’Eurydice et qu’il puisse venir la chercher. Hadès accepte, à condition qu’Eurydice soit derrière Orphée lors de leur retour et qu’il ne se retourne pas tant qu’ils ne seront pas sortis tous les deux du royaume des morts. Mais Orphée est impatient, et à peine sorti, se retourne. Le pacte est brisé, Eurydice est à jamais perdue. C’est la scène qui est représentée ici sur le mur de droite, Orphée qui brandit sa lyre et tourne la tête, deux femmes du royaume des morts qui enlacent Eurydice pour la ramener.
Les hommes deviennent des bêtes, les animaux méchants. Les centaures s’entre-tuent, l’aigle meurt, comme le flamand rose, aucun n’en réchappe. Il n’y a plus d’amour ni d’équilibre sur terre. Pour Cocteau, ce qui est fait est fait, seul l’avenir compte, rien ne sert de se retourner sur le passé.

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Mur de gauche
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Plafond

Au plafond, il fait à nouveau appel aux mythes antiques, et met l’accent sur la poésie et les rapports amoureux.
Cocteau eut dans les années 1920 une importante relation avec le poète Raymond Radiguet, pour lequel il s’érigea en pygmalion. Pour le faire exister, il le présenta à nombre d’artistes et l’aida à publier ‘Le diable au corps’ ou encore ‘Le bal du comte d’Orgel’. Mais en 1923, Radiguet meurt en trois jours de la typhoïde et, déjà affecté par d’autres décès, Cocteau sombre dans une dépression profonde qui l’amène à toucher à l’opium. Un jour qu’il rend visite à Picasso en 1926, il lui explique qu’un ange vient spontanément de lui apparaitre dans l’ascenseur, qu’il n’a pas eu peur, et que son nom est Heurtebise. Picasso lui demande s’il venait de consommer de l’opium. Il répond oui. De retour dans l’ascenseur, il se rend compte que ce n’était que le nom de l’ascensoriste. L’ange Heurtebise devient pour Cocteau un ange gardien, la réincarnation de Radiguet. Il représente l’amour de l’homme pour sa femme, qui doit jongler avec ses désirs, la satisfaire, même s’il est mal vêtu. Il apporte aussi la rigueur, la logique.

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Pégase, le cheval ailé, est né du sang de la gorgone Méduse après que le héros Persée lui ait tranché le cou. Sur la montagne de l’Hélicon, Pégase tape le sol du sabot et une source jaillit. C’est à cette source que tous les poètes doivent boire pour trouver l’inspiration. Orphée y a bu. Pégase représente la poésie.

La fresque du plafond montre un homme, assis sur le dos de Pégase. Le cheval ailé et son cavalier sont en équilibre instable car des boules de jonglage sont lancées par un homme ailé vêtu de guenilles. L’homme ailé est l’ange Heurtebise, la rigueur, et par son action il vient déranger la poésie des rapports amoureux.

Plus loin, un autre ange, Cupidon a les yeux fermés. Il décoche ses flèches sur les amants.
Les peintures sont faites comme un tatouage. D’abord les contours, puis, à la place de la couleur, Cocteau utilise des lignes qui vont accentuer les motifs ou les musculatures, sauf pour les boules de jonglage au plafond qui sont dessinées en relief plein.

Les Marianne de Cocteau

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Sur les miroirs de part et d’autre de l’entrée, Cocteau a gravé des Marianne, allégorie de la République française et figure obligatoire dans les salles de mariage.
(photo V.K.)

Dès l’entrée dans la salle des mariages, deux grands miroirs se font face, à droite et à gauche, sur lequel le buste de Marianne est gravé. Lorsque les mariés s’y regardent, ils voient leur dos dans le miroir opposé, montrant que ce qui compte n’est pas le passé mais l’avenir. Puis un rideau rouge s’ouvre, découvrant des sièges eux-aussi rouges, traversés au centre par un tapis en panthère. Il symboliserait la belle-mère... [1]

Cocteau déclarait : « Contrairement à une chapelle qui doit être nue et vêtue de sa seule innocence, une salle des mariages civils doit présenter quelque faste ». Soucieux toutefois de ne point enfreindre la légalité, le poète au cours d’une visite du président Coty (janvier 1958) demande à ce dernier si la représentation de la République est réglementée. L’absence de textes en la matière va permettre à Cocteau de faire preuve d’originalité et d’expérimenter la gravure sur verre. Il dessine alors une Marianne à la moue boudeuse, la figuration de cette effigie de la République constituant un décor gravé sur deux grandes glaces argentées de trois mètres dix-huit de hauteur sur un mètre quatre-vingts de largeur. Placés face à face, ces deux miroirs forment, par l’effet de répétition créé, une galerie de « Marianne » visible à la sortie des cortèges nuptiaux.

Sur le plan technique, la revue professionnelle « Glaces et verres », dans son édition d’août 1958 détaille les tâches de cette opération : « Les dimensions des glaces et l’absolue précision attendue de la reproduction du trait exigeaient un soin de tous les instants. Il s’agissait bien entendu de graver le dessin au jet de sable sur la face argentée de la glace afin d’éviter tout risque de doublement de l’image sous certains angles. Depuis l’encollage jusqu’au sablage, toutes les opérations furent menées à bien par les meilleurs techniciens. La découpe du dessin à reproduire retint notamment l’attention de Jean Cocteau qui se rendit lui-même dans les ateliers de Nice pour surveiller l’opération : il tenait en effet à conserver à la gravure la netteté et la souplesse du tracé original. Tout apport de peinture fut écarté et seules les initiales « RF » ont été traitées à la feuille d’or » [2]

Outre la maîtrise d’une nouvelle technique, celle de la gravure sur miroir, comment ne pas
penser à la symbolique du miroir si présente dans l’oeuvre de Cocteau en particulier dans Le Testament d’Orphée. La traversée du miroir pour passer du monde des vivants au monde des morts.
plus légèrement, « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images. » faisait dire Cocteau dans un dialogue du film Le Sang d’un poète

Nota : Il est possible d’écouter l’audio-guide de la salle des mariages, ici :
http://www.franceculture.fr/2011-11-07-la-salle-des-mariages-de-menton.
Sur place, tous le jeudis, à 14h30, visite commentée (3/4 d’heure) par une conférencière. Une bonne façon de découvrir la salle des mariages et se familiariser avec l’univers de Cocteau.

Lettre de Jean Cocteau au Ministre Michel Maurice-Bokanowski

Lettre autographe de Jean Cocteau datée de 1960
adressée au Ministre Michel Maurice-Bokanowski, écrite en marge gauche d’une repro-photo représentant une des "Marianne" de Jean Cocteau gravée sur miroir, à la Mairie de Menton :

"Voici, mon cher ministre une Marianne gravée dans les miroirs qui la répètent"
Achat en vente publique en 2008 par le Musée de la Poste.

Et en 1961, la Marianne dessinée par Cocteau et gravée par Albert Decaris devenait timbre de valeur 20c, destiné à l’affranchissement des cartes postales de 1961 à 1967, une cocarde ayant remplacé le motif spirale. Par la suite, de nouveaux tirages avec des variantes graphiques furent publiés.

Le Bastion

En septembre 1957, alors que le poète travaille aux décors de la salle des mariages, Francis Palmero propose à Cocteau de faire à Menton « un musée de [ses] oeuvres, dans le bastion qui termine la digue entre le port et la promenade ».

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Menton - Le Bastion

Cocteau s’attelle à la restauration de l’édifice, réfutant toutefois le terme de musée : « un musée de mes oeuvres serait sinistre. Il faudra trouver autre chose. "Le Bastion Jean Coteau" par exemple.

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Menton - Le Bastion

Je changerai les oeuvres dès qu’elles prendront un air d’habitude. » Le Bastion revêt pour le poète une vocation testamentaire, En 1961, il envoie au maire une maquette pour la grande mosaïque représentant un lézard. En 1962, il surveille l’exécution des mosaïques de galets de la façade, du rez-de-chaussée et des onze meurtrières de l’étage. Il écrit « j’ai terminé la grande mosaïque de galets du bastion de Menton. Elle représente le lézard qui symbolise la belle paresse méditerranéenne. »

En ce qui concerne le contenu du Bastion, il semble que Cocteau ait soumis à Francis Palmero une première liste d’oeuvre dès septembre 1958. Il précise cette première sélection jusqu’à sa mort en 1963. C’est Edouard Dermit qui permettra la fin des travaux selon les directives et dessins laissés par le poète. Le musée ouvrira ses portes en 1966, en présence d’André Maurois de l’Académie française, d’Edouard Dermit et de Francine Weisweiller. Le fonds originel est constitué de 102 oeuvres, dont 70 dessins, 2 peintures, 3 lithographies, 2 tapisseries, 11 poteries de Jean Cocteau. Parmi les dessins, trois ensembles thématiques se détachent : la série des 21 Innamorati, les 16 sphinx, aussi appelés « animaux fantastiques », ainsi que 7 études pour les décors de la salle des mariages, la plupart de ces oeuvres étant donnée à la ville par Edouard Dermit. Viendront s’ajouter à cette collection historique d’autres donations et acquisitions : l’Association des amis du musée acquiert un ensemble de 17 lithographies originales de Jean Cocteau et Moretti, réalisées en 1963 ; Irène Lagut artiste et proche amie de Cocteau, résidente mentonnaise à la fin de sa vie, fait trois donations successives au musée, dont un ensemble de 50 lettres, billets et cartes postales que Cocteau lui avait destinés.


J’ai connu Jean Cocteau à l’occasion de la publication de mon premier roman, Les Marais, en 1942. J’avais envoyé le manuscrit à Robert Denoël, qui l’a tellement aimé qu’il en a fait lire les épreuves à ses proches : Jean Paulhan, Max Jacob, et Cocteau. Tous trois m’ont prise pour un homme, à cause d’un prénom qui était encore plutôt masculin. J’ai eu connaissance par Robert Denoël de la lettre, incroyable d’enthousiasme, que lui avait retournée Cocteau. Je l’ai rencontré pour la première fois chez Drouant, où avait été organisé un déjeuner à l’occasion de mon service de presse. J’étais intimidée au possible. J’arrivais de ma petite Belgique où je ne connaissais personne sur le plan littéraire et, bien sûr, j’avais lu Les Enfants terribles, dont tout le monde parlait. Non seulement Cocteau influençait sur le plan littéraire, mais il infléchissait jusqu’au comportement des gens par les personnages qu’il avait mis en scène ! Or il m’est apparu à la fois comme un homme d’une extrême distinction, et comme un être adorable de simplicité et de gentillesse.

A cette époque, je l’ai revu trois ou quatre fois. Il avait eu envie de faire un dessin de moi, et il l’a fait, mais avec énormément de difficulté. Il m’avait donné rendez-vous dans son appartement du Palais-Royal, et je le revois, déchirant à mesure les feuilles dont il était mécontent. Il les jetait à terre, recommençait. A l’occasion de ces séances de pose, nous avons évidemment beaucoup bavardé. Sous des dehors légers, un peu farfadet, Cocteau était d’une grande profondeur. Profond dans son élégance, profond dans sa volonté de choquer. C’était un homme cohérent, sachant très bien ce qu’il voulait. Je ne dis pas que son projet était grandiose, mais c’était d’une grande pureté. Cocteau « voyait juste ». Il ne s’est trompé ni dans sa vie (c’était un roman vivant !), ni dans sa démarche d’écrivain. C’est pourquoi ses livres n’ont pas vieilli.

Cocteau « se ressemblait ». Il avait cette beauté et cette force de séduction qui peuvent me paralyser. Je sortais des Beaux Arts de Bruxelles, et je faisais des portraits d’écrivains pour Les Nouvelles Littéraires. Son visage m’aurait énormément intéressé : si raffiné, avec de très bons plans, en même temps un visage assez sobre, un peu long ... Il était sensible à mon visage, et j’étais sensible au sien, parce qu’il sentait chez moi ce que je devinais chez lui : une sorte d’absence à l’égard du monde extérieur à soi-même, un monde intime qui continue à vivre où qu’on soit, quelle que soit la personne avec laquelle on se trouve ... Je relis toujours avec la même émotion la dédicace écrite sur son recueil des illustrations pour Les Enfants terribles  : « A Dominique Rolin, qui dort debout. »

En somme, Cocteau était un faux mondain. Il avait son empire à lui, c’était aussi sa fiction à lui, il fallait qu’il la garde jusqu’au bout. Mais il avait tellement d’activités (cinéma, poésie, dessins, romans ... ) ! C’est pourquoi, au-delà d’une grande générosité, il était d’une certaine façon avare de lui-même et, en dépit des apparence, très fermé. Bien des années plus tard, je l’ai revu, à un déjeuner chez Florence Gould, où elle m’avait placée à côté de lui. Il a été charmant, rappelant notre rencontre de 1942, mais ça n’a pas été plus loin. C’était suffisant, il avait raison. Il savait certainement qu’il avait été la pierre angulaire de mon début de vie, il poursuivait la sienne, je poursuivrais la mienne.

On m’a dit qu’il avait influencé mon écriture, moi je ne l’ai pas senti. Si je m’apparente à lui, c’est par mon côté visuel, ce côté « rêve éclaté » qui tout à coup s’ouvre. C’est ma dimension surréaliste, avec cette réserve qu’il partageait, je crois, à l’égard d’André Breton qui détestait la musique : le visuel passe par l’oreille. Je n’écris pas de poèmes, Cocteau était essentiellement poète ! Son ami Jean Marais, qui m’était apparu au détour d’un couloir, renversant de beauté (et intelligent, du reste), était comme l’incarnation de sa recherche poétique. Une recherche qui le posait face à la mort, comme tous les grands écrivains. Il est mort subitement, comme si sa mort même était impliquée dans son projet. Mais pour moi, il reste présent, infiniment proche et absolument secret, fidèle à son choix de vivre comme à la surface des choses en maintenant son univers personnel.

Propos recueillis par Nadine Sautel
Le Magazine littéraire n° 423, 5 sept. 2003. C’était à l’occasion du 40ème anniversaire de la disparition de Cocteau.

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GIF VOIR AUSSI : A Menton, sur les traces de Cocteau (II)


[1Crédit commentaires relatifs à la salle des mariages : Adoren http://s410946299.siteweb-initial.fr/

[2Crédit : Jean-Pierre FREDIANI, La politique culturelle à Menton - Résumé d’un mémoire de maîtrise préparé sous la direction de Ralph Schor.

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5 Messages

  • Viktor Kirtov | 17 décembre 2023 - 09:54 1

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    le livre sur amazon.fr

    Claude Pinoteau, Derrière la caméra avec Jean Cocteau, entretiens avec Monique Bourdin, préface de Jean-Loup Dabadie, postambule de Lucien Clergue, Editions de La Table Ronde, 2023 (nouvelle édition),

    « Ces entretiens offrent un document précieux sur la manière dont une vision poétique trouve à se réaliser concrètement par l’entremise de trouvailles inattendues ou de bricolages inventifs. »
    www.lesinrocks.com - Robin Vaz

    En 1942, Claude Pinoteau est accessoiriste sur le tournage du Baron fantôme dont Jean Cocteau a écrit les dialogues et dans lequel il joue le spectre du baron. « Mon rôle était de couvrir Cocteau de toiles d’araignées et de poussière. Étrange manière de faire connaissance ! » Pourtant, elle paie. Cocteau fera bientôt appel à Pinoteau. Entre 1948 et 1960, ils tourneront sept films ensemble.
    Richement illustré –photographies, plans de tournage, décors, découpages, dialogues, correspondances –, Derrière la caméra avec Jean Cocteau est l’histoire de cette collaboration en même temps qu’un document exceptionnel sur le cinéma.

    Hors collection
    • Paru le 09/11/2023
    • Genre :
    • Essais et documents256 pages - 17 x 21 cm
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    Description de l’ouvrage

    Jean Cocteau écrivait à Claude Pinoteau : " Sache que je ne ferai jamais un film sans toi. " En septembre 1942, Pinoteau rencontre Cocteau sur le tournage du Baron fantôme, dont le poète a écrit les dialogues. Dans les années qui suivront, Claude Pinoteau participera à la mise en images des visions cinématographiques du poète : L’Aigle à deux têtes, Les Parents terribles, Orphée, Les Enfants terribles et Le Testament d’Orphée. C’est l’histoire de cette longue collaboration que nous conte Derrière la caméra avec Jean Cocteau. Ces entretiens, établis par Monique Bourdin, révèlent la face cachée d’un cinéaste majeur au travail. " Le cinéma de Jean Cocteau est inimitable. Son influence est ailleurs, intemporelle et vivante " déclare Claude Pinoteau. Accompagné de documents inédits - plans de tournage, décors, découpages, dialogues, correspondance - et de nombreuses illustrations photographiques, Derrière la caméra avec Jean Cocteau est un document exceptionnel sur le cinématographe.

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    Critique (extrait)

    Par Vincent ROUSSEL
    05/12/2023

    Durant ces entretiens, Claude Pinoteau se montre peu avare en anecdotes croustillantes, qu’il s’agisse de ramener en train de marchandises le cheval d’Edwige Feuillère ou de recruter à Saint-Germain-des-Prés des figurants crédibles pour Orphée. Son témoignage est à la fois riche et vivant, offrant un regard assez unique sur l’atmosphère régnant sur les tournages des films de Cocteau. Le lecteur en apprend beaucoup sur les méthodes de travail du poète, son extrême courtoisie et sa manière de traiter sur un pied d’égalité les plus grandes stars comme le plus modeste des techniciens : « Il ne pouvait pas travailler dans un climat tendu, comme certains metteurs en scène qui favorisent une atmosphère délétère de rapports de force. […] Jean Cocteau avait cette même exigence, mais obtenait beaucoup plus par sa gentillesse et sa rigueur bienveillante. Jamais il n’avait un mot trop haut et surtout, jamais un mot trop bas vis-à-vis d’un technicien. »

    L’auteur revient également sur la manière dont Cocteau bricola certains de ses effets spéciaux (« Il lui est arrivé de tourner « à l’envers », en faisant marcher l’acteur à reculons, pour obtenir une démarche singulière, en projetant le film à l’endroit. »), notamment la fameuse scène de la traversée du miroir dans Orphée. Entre les visions très précises du maître et un certain sens du bricolage et du système D, on constate que le hasard a aussi tenu un rôle essentiel, qu’il s’agisse de débusquer un décor conforme aux attentes du cinéaste ou encore de ce moment extraordinaire où un avion à réaction passe au-dessus de l’équipe de tournage du Testament d’Orphée au moment où Minerve lance sa flèche pour tuer le Poète. Extraordinaire parce que Cocteau avait écrit dans son scénario que le sifflement de la flèche serait remplacé par le bruit strident d’un avion à réaction !

    Constamment passionnants, les propos de Claude Pinoteau sont, de plus, agrémentés de précieux documents. Outre une iconographie très riche, où se mêlent photographies, plans de tournage, découpages de scènes, on pourra en effet découvrir de nombreuses lettres de Cocteau, adressant parfois un simple salut amical à son « petit Claude » ou le chargeant de démarcher pour lui des producteurs au moment de réunir, difficilement, les fonds pour Le Testament d’Orphée (« Lorsque je songe aux chipotages des « grands », je m’incline devant la gentillesse des « petits ». (Car le redoutable Truffaut signe sa lettre « votre petit Truffaut ».) »)

    Avec une grande modestie et un certain sens de l’humour, Pinoteau relate son compagnonnage avec Cocteau et nous offre un document unique sur un certain pan de l’histoire du cinéma. De quoi satisfaire aussi bien les cinéphiles que les amateurs de « beaux livres » et les inconditionnels de l’auteur de La Belle et la bête.

    www.culturopoing.com

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    A propos de l’auteur

    Claude Pinoteau a collaboré avec les plus grands metteurs en scène - René Clair, René Clément, Henri Verneuil, Max Ophuls, Jean Giono, Philippe de Broca, Claude Lelouch... - avant de passer derrière la caméra. Il se révèle en 1972 avec Le Silencieux et s’impose avec La Gifle en 1974 et La Boum en 1980. Monique Bourdin est l’auteur d’une thèse sur Jean Cocteau, en 1995, et co-éditrice des Œuvres poétiques complètes de jean Cocteau dans la collection de La Pléiade, aux éditions Gallimard en 1999
    editionslatableronde.fr


  • Viktor Kirtov | 27 avril 2019 - 23:16 2

    Dans Plaisirs, suivi de Messages secrets, édition d’avril 2019 L’Infini / Gallimard :

    Dominique Rolin : […] Je ne savais pas ce qu’était devenu mon manuscrit des Marais , envoyé chez Gallimard en 1939, dans la tourmente de la guerre. Et puis, il y a eu le miracle de ce premier livre publié le 6 juin 1942. Un lecteur en avait parlé à Robert Denoël, qui a tout de suite voulu l’éditer. Tout le monde, à commencer par Max Jacob, qui m’appelait « cher maître », Gaston Gallimard, Jean Paulhan et Jean Cocteau, croyait qu’il avait été écrit par un homme, à cause de mon prénom.

    Patricia Boyer Latour : Voici ce que répond Jean Cocteau au début de juin 1942 à l’envoi des Marais par Robert Denoël : « J e n’aime pas les lettres (je n’aime ni la peinture, ni la musique, ni le reste), j’essaie d’attendre un accident et, s’il arrive, je tombe amoureux de lui. (S’il m’arrive à moi je ne respire plus.) Ce livre est une grande merveille, une joie profonde. Dites-le à Rolin. Du reste, il le sait, car les racines qu’il enfonce dans la nuit du corps humain, la nuit du sommeil et toutes les nuits inconnues n’empêchent pas l’intelligence parfaite d’éclater dans le moindre mécanisme de sa fleur. »

    D.R. : Ça a été la grande cassure heureuse de ma vie ! J’ai eu des débuts brillants et une reconnaissance immédiate par les plus grands de l’époque. Robert Denoël est ensuite tombé amoureux de moi. Je l’ai aimé, il m’a aimée. C’était ma première vraie histoire d’amour, elle a été décisive pour moi. Je sentais que la vie pouvait s’ouvrir, je sortais de mon labyrinthe. On l’a accusé d’être un collaborateur, il ne l’était pas. Mais il voulait continuer son travail d’éditeur et, pour cela, il avait besoin de papier. Il a donc été obligé de pactiser avec certains services pour en obtenir, mais il n’était pas progermanique. Il croyait à la victoire des Allemands… En même temps, il a sauvé Louis Aragon et Elsa Triolet qui étaient poursuivis par la Gestapo, il les a cachés. C’était aussi un grand ami de Robert Desnos et de Max Jacob.

    En ce qui me concerne, je n’ai jamais été militante… On me l’a reproché d’ailleurs. J’ai même été convoquée à Bruxelles après la guerre, parce que certains de mes premiers textes avaient été publiés dans les pages littéraires d’une revue qui s’est révélée collaborationniste. Mais je ne m’occupais déjà que d’écriture, je voulais qu’on me lise… La personne qui m’a interrogée l’a très bien compris et il n’y avait rien à me reprocher.

    […] je devais me battre pour tenter d’exister moi-même pendant la guerre, sans me rendre compte que je pouvais être inquiétée, puisque ma grand-mère maternelle était juive, ce que ma mère ne m’avait jamais révélé. Ma tante Judith Cladel avait même dû se justifier de n’être pas juive. Mais, plus tard, la littérature engagée ne me disait rien non plus. De toute façon, je ne supporte pas les embrigadements que supposent les combats collectifs pour une cause. Ce qui est vrai, c’est que les gens que j’ai connus pendant l’Occupation vivaient en déséquilibre. Certains étaient obligés de fréquenter des gens pas très clairs politiquement, mais je n’ai jamais entendu un mot prononcé par Cocteau ou Denoël qui aurait été proallemand.

    Robert Denoël est mort assassiné le 2 décembre 1945, je l’ai su à Bruxelles en lisant le journal. Ça a été un choc. Je suis tout de suite partie pour Paris afin d’assister aux funérailles. Il m’avait déjà quittée pour JeanVoilier, une femme très belle, richissime, légère et mondaine, avec qui il vivait tout en étant toujours marié par ailleurs. Quand il m’avait fait comprendre qu’il me quittait, tout en me disant qu’il croyait en moi et n’abandonnerait jamais l’écrivain que je devenais, je l’avais trompé immédiatement avec un type délicieux qui travaillait avec lui aux éditions Denoël, parce que je voulais lui montrer que j’étais plus forte que le destin. Je le lui avais donc annoncé dès le lendemain, et il avait quand même été un peu… déconcerté.

    À la Libération, on lui avait conseillé de se cacher, et il était en quelque sorte prisonnier de cette femme chez qui il habitait clandestinement. Un jour, il en a eu assez et il a voulu sortir pour aller écouter une chanteuse très célèbre à l’époque, Agnès Capri. La voiture tombe en panne sur l’esplanade du Champ-de-Mars. Elle se rend alors au commissariat afin d’obtenir un laissez-passer pour avoir un taxi. Quand elle arrive, elle trouve le commissaire au téléphone, à qui l’on annonçait qu’on venait de découvrir un homme assassiné. On n’a jamais su ce qui s’était passé exactement…

    Plus tard, elle m’avait fait dire qu’elle souhaitait me rencontrer. Elle habitait rue de l’Assomption, dans un splendide appartement. Je l’ai trouvée dans son lit… Quand elle m’a vue, elle s’est mise à pleurer en me disant : « Je vous redoutais. » Je ne lui ai posé aucune question et je suis partie. Cette scène est restée dans ma mémoire.


  • Viktor Kirtov | 11 septembre 2017 - 11:10 3

    Chère Bénédicte admiratrice de Jean Cocteau, vous avez parfaitement raison, la Gorgone Méduse, la mère de Pégase, a été tuée par le héros Persée, non par la magicienne Médée et je viens de corriger le texte de l’article.
    D’ailleurs il existe au musée Cocteau de Menton une peinture de Cocteau « La naissance de Pégase » qui s’en fait l’écho. Il s’agit d’un tableau de la collection Séverin Wunderman sur lequel nous voyons Méduse, Persée et Pégase. Persée occupe une position centrale, majestueuse : il est debout au centre et toute la scène s’organise autour de lui :
    Au premier plan le corps de Méduse s’écroule, sa tête, tranchée par l’épée de Persée roule à l’arrière. Le sang coule sur son épée.
    Cocteau était passionné par les chevaux et fasciné par les animaux fantastiques de la mythologie et de l’imaginaire du moyen-âge. Ce tableau peint en 1953 réunit les deux sources d’inspiration.


    Jean Cocteau, La naissance de Pégase, 1953 (collection Séverin Wunderman, Musée Cocteau, Menton)
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    Ce que nous rappelle aussi la statue de Percée tenant la tête de Méduse située sous la Loggia dei Lanzi sur la place piazza della Signoria à Florence. Une commande de Cosme Ier, duc de Toscane, en 1545, à l’orfèvre, sculpteur, fondeur Benvenuto Cellini (1500 – 1571) pour orner la place de la Seigneurie, lieu de passage obligé au cœur de la ville. Le sujet choisi fut celui de Persée et Méduse ! Première œuvre en bronze coulée d’une seule pièce qui demanda 10 ans de travail à l’artiste.


    Benvenuto Cellini, Persée tenant la tête de Méduse , Florence, (ca 1545-1555)
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    Merci pour ce signalement et vous recommande Menton et sa région, sur les traces de Jean Cocteau, qui fut ma destination pour un séjour (comblé) de découverte, une fin d’été en septembre, sans la grande foule et encore sous un ciel serein..


  • Bénédicte Couturier | 9 septembre 2017 - 19:08 4

    Bonjour,
    j’ai lu avec attention votre commentaire sur la décoration de la salle des mariages.
    Je l’ai trouvé très interessant, et cela m’a réellement donné envie de visiter votre ville, que je ne connais pas du tout.
    Je me permets cependant de vous signaler une petite erreur concernant Pégase : sa mère, la Gorgone Méduse, est tuée par le héros Persée et nom par la magicienne Médée.
    Bien cordialement
    une admiratrice de Jean Cocteau


  • V. Kirtov | 8 novembre 2015 - 19:21 5

    Au Grand Palais, les premières années du photographe marquées par la mélancolie de Picasso. Ses images de femmes nues, déesses tout en courbes, jaillissant des flots ou sur la plage ont fait sa renommée. » Photographe aussi des taureaux, de Picasso, et de la Camargue, fondateur des Rencontres d’Arles.

    Saltimbanques aux yeux tristes

    « Il racontera avoir réalisé ses premières photos de nus féminins parce que ses amis de son âge, le trouvaient sinistre » raconte François Hebel, son ami, co-organisateur de l’exposition avec le couturier Christian Lacroix, et qui jusqu’à l’an dernier, dirigeait les Rencontres photographiques d’Arles. La jeunesse de Lucien Clergue avait de quoi alimenter la sinistrose. Lucien, élevé par sa mère, commerçante et séparée de son mari (qui se soucia peu de son fils) vit modestement à Arles. A la fin de la guerre, sa maison et l’épicerie familiale sont détruites par les bombardements alliés. La première salle de l’exposition présente justement des vues aériennes de décombres et de ruines. Un profond traumatisme pour le jeune garçon. Sa mère est malade, tuberculeuse, l’enfant s’en occupe. Après guerre, il travaille chez un grossiste pour subvenir aux besoins du foyer (il parlera de « l’usine »). Quand Mme Clergue meurt, il a tout juste 18 ans et hérite des dettes de l’épicerie, 100 000 francs de l’époque. Mais sa mère a toujours cru en lui, voyant en son fils un artiste, un musicien ; elle lui paya des cours de violon pendant quelques temps, puis son premier appareil. Lucien a un certain penchant pour le macabre : il prend en photo des tombes, des croix, des charognes… L’adolescent qui a subi la guerre, les bombes et la maladie de sa mère, met aussi en scène dans la ville abimée des enfants grimés en saltimbanques aux yeux tristes. Et ce sont ses photos de cadavres d’animaux charriés par le Rhône qui tapent dans l’œil de Picasso. 19 ans, Lucien Clergue ose l’aborder à la sortie d’une corrida et lui montre ses clichés. « Imaginez la rage étonnante de ce gamin qui a l’audace de se lancer dans une voie artistique. » poursuit François Hebel.

    Inspiré par Edward Weston

    Fort du soutien du peintre, puis de Cocteau ou de Saint-John Perse, l’autodidacte abandonne l’ « usine », réalise ses séries sur taureaux, rois sacrifiés dans les ferias. Ou ce reportage intimiste, magnifique sur les Gitans, sur lesquels « il jetait un regard bienveillant, soulignant la joie, les fêtes », décrit François Hebel. Marqué notamment par le travail d’Edward Weston sur le nu ou les paysages désertiques, il expérimente sa série des femmes-troncs (la tête souvent coupé par le cadrage) de Née de la vague », du nom de son livre à succès de 1968, et toute une série plus graphique, de plissés de sable et de jeux d’eau et de lumière, accrochée en une fresque de 198 tirages dans l’exposition. « Sa vie est peine de ruptures, car il y a toujours eu cette tension en lui, cette lutte interne. ». Entre la tristesse et la jubilation.
    (D’après Marie-Anne Kleber, JDD du 8 novembe 2015)
    Picasso et Cocteau shootés par Lucien Clergue

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    Lucien Clergue. Extrait du reportage sur les Gitans
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    Lucien Clergue. Série « Née de la vague »
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    Lucien Clergue. Série « Née de la vague »
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    PHOTOGRAPHIES (1951-1970) : Les Gitans… série de nus féminins « Née de la vague »…, que restitue, en partie, un diaporama de l’OBS, ICI… : http://bit.ly/WBce5h
    Grand Palais : 14 nov 2015 – 15 février 2016.

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