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Alessandro Mercuri, Holyhood, vol. 1 — Guadalupe, California

D 22 mai 2019     C 2 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Après Le dossier Alvin, Alessandro Mercuri récidive. Voici les dix commandements particulièrement jouissifs de son dernier essai, petite production fabuleuse, très indépendante et holyhoodienne. Quelle idée boiteuse de lire un tel livre en plein festival de cannes !

Alessandro Mercuri, Holyhood, vol. 1 — Guadalupe, California

Il était une fois, au bord de l’océan, les ruines d’une antique cité égyptienne. Sur une plage au nord de Los Angeles, errait le fantôme du pharaon. Un pharaon égyptien californien ? Pour percer ce mystère, l’auteur enquête à la recherche de spectres et de faux-semblants. Est-ce un mirage, un décor de film, et quelle énigme cela cache-t-il ? Une superproduction avec par ordre d’apparition dans leurs propres rôles : Ramsès II, Cecil B. DeMille, Jules César, John Wayne, Ed Wood mais aussi un ferrailleur, une actrice suicidée, un projectionniste assassin, un explorateur et un pasteur, la reine Calafie et Cervantes, des extraterrestres, le roi d’Hawaï, Moïse et... YHWH, Dieu en personne. Ainsi Hollywood, le « Bois du houx », devint Holyhood, la Cité du sacré.

Auteur et réalisateur franco-italien, Alessandro Mercuri a publié Kafka-Cola (2008) et Peeping Tom (2011) aux éditions Léo Scheer et Le dossier Alvin (2014) chez art&fiction.

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Soleil sur le Pacifique

Spécia­liste des détour­ne­ments en tout genre, mani­pu­la­teur d’archives ou d’images, Ales­san­dro Mercuri, à l’heure des “fake news” est à son aise. Il propose un discours drôle, sans pitié ni piété. Il est vrai que l’auteur a déjà de la bouteille et pas seulement de soda même s’il a écrit un essai : Kafka-Cola, sans pitié ni sucre ajouté avant de pousser le bouchon un peu plus loin avec Le Dossier Alvin (art&fiction).
Il y suivait le journal de bord d’un submersible engagé dans des missions secrètes des services de renseignements américains. L’auteur, concepteur, a publié des textes critiques et nouvelles dans des revues dont “L’Infini”. Entre autres l’ironique “Onfray, Sade et Sar­kozy – Le bon, l’obscène et le vulgaire.

Holy­hood n’est pas une nouveauté chez lui : Les aventures de Jesús Maria Vero­nica à Holyhood annoncent ce nouvel essai qui sonne comme un conte mixé. Soudain, la colline du Bois du houx, Holly­wood, devient Holyhood, la Cité du sacré. Mer­curi enquête à Los Angeles sur les pas ou plu­tôt les souffles de fantômes et de leurres au moment où surgissent les ruines d’une antique cité égyptienne. Est-ce un mirage, un décor de film ? De quel mystère est-il question ?
Une super­pro­duc­tion post-warburgienne se déve­loppe avec des som­mi­tés tuté­laires qui s’incarnent elles-mêmes : Ram­sès II, Cecil B. DeMille,sans oublier et entre autres Jules César, John Wayne, Ed Wood, un fer­railleur, une actrice sui­ci­dée, un projectionniste assas­sin, un explo­ra­teur et un pas­teur, Cer­vantes, le roi d’Hawaï et Moïse, des psy­cha­na­lystes suisses etc.

Preuve que la crise de la fic­tion, mise en de bonnes mains, crée des plis et des vagues nar­ra­tives. Le roman devient un tour­billon où péris­sent les non ini­tiés ou les pares­seux. Et il n’est pas jusqu’aux mouches à deve­nir dan­ge­reuses lorsqu’elles entrent dans une telle romance apo­ca­lyp­tique hors des che­mins bat­tus. Nous pou­vons dès lors apprécier l’oeuvre pour la gran­deur de sa cou­ronne de stuc ou pour la den­sité de ses ombres por­tées.
Le men­songe n’est plus seule­ment l’apanage du poli­tique. Et nul ne peut repro­cher à un tel auteur d’exposer des idées que les éru­dits n’amplifient ou n’exploitent que trop peu dans leur sagesse approxi­ma­tive. Mer­curi fait le tra­vail pour eux en sa fiction.

Beverly Hills n’est plus que de la bou­gie au che­vet d’un mort. Et si le roman n’instruit guère, il fait mieux : il illu­mine autre­ment.
Sou­dain, au milieu de décor d’Universal et autres stu­dios le dieu égyp­tien Ra se réveille et fait briller sur le Paci­fique son soleil.

jean-paul gavard-perret, lelitteraire.com.

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Toujours un vrai plaisir de lire un de ces livres, confidentiels peut-être, mais érudits, et qui font de leur érudition tous azimuts la chair même d’un récit curieux, excitant, et passionnant. Mercuri parle de tout ce qui n’intéresse pas les histoires officielles du cinéma, des petits faits, des recoupements, des coïncidences par-delà les temps et les genres, des minuscules anecdotes qui font sens (ou pas) dans l’obscure histoire des films oubliés. Pas si oublié que ça en l’occurrence puisque ce volume tourne autour de la première version des Dix Commandements de Cecil B. DeMille (1923), projet pharaonique traité ici comme tel : le livre s’ouvre sur la magnifique description d’une cité enfouie sous les sables, sans qu’on sache exactement s’il s’agit d’une ville antique égyptienne ou d’un décor de cinéma hollywoodien, si on est dans un roman d’anticipation façon Planète des Singes ou dans le documentaire de l’effondrement d’une civilisation. Le texte cultivera cette délicieuse ambiguïté jusqu’au bout : l’imposant décor construit pour le film servira de support à une longue élégie pour une époque morte, qu’elle soit antique ou moderne, qu’elle s’appelle Egypte ancienne ou Hollywood. De la naissance du cinéma considéré comme un âge d’or désormais enfoui sous les sables, et traité comme tel par l’histoire : Mercuri invente un imaginaire historique nouveau, et fouille archéologiquement cette histoire du cinéma muet, où la démesure d’un cinéaste a pu donner naissance à des villes entières, et surtout à un état d’esprit oublié et disparu.

Holyhood est alors un livre d’histoire(s) au sens plein : il s’agit de considérer Hollywood dans sa plus éclatante santé comme une période de l’Histoire du monde, aussi superficiel et "carton-pâte" eût-elle été. On a alors droit à une foultitude de détails qui tournent autour de ces fameux Dix Commandements : des choses factuelles (le devis "chevaux" que se permettait le mégalo DeMille, ou le nombre de trains nécessaires pour transporter les milliers de figurants sur le lieu de tournage), des faits historiques (les incessants allers-retours entre ce que raconte DeMille et la "vérité" de la Bible), des extrapolations et des hypothèses (les multiples parallèles avec les autres arts, littérature, peinture...), les rêveries pures. Tous menant à cette nouvelle mythologie amenée par ce cinéma muet si iconographique, si magique, et à la démesure d’Hollywood à sa naissance, avec ses excès en tous genres (Kenneth Anger en ombre tutélaire). Mercuri étant un érudit, et un super-geek, il va trifouiller très loin dans les parallèles et les hypothèses : il lui suffit de prononcer un mot pour que celui-ci lui autorise une digression, d’abord mystérieuse, puis soudain pertinente. Le gars s’embarque souvent dans des tours de piste et des acrobaties assez vertigineuses, qui l’emmènent très loin dans les chemins de traverse, avant de retomber miraculeusement sur ces pieds 5 pages plus loin, après avoir traversé une biographie de Robin des Bois, un petit tour dans le statuaire égyptien, une notation sur l’espionnage américain, un relevé sur les effets spéciaux au cinéma et une observation sur John Wayne. Pour ce faire, un procédé idéal : la note de bas de page, ici souvent encore plus importante que le corps principal du texte, et avec laquelle Mercuri joue en vrai pirate de son propre texte, comme s’il le laissait se faire dévorer par le détail, par la digression, par le parallèle. Il faut dire que le bougre s’y connait en "pollutions" littéraires de tous genres : on ne sait jamais si on est dans l’information, dans l’ouvrage historique, dans le catalogue de fantasme (la fake news érigée en figure de style), ou dans un mélange de tout ça, tout comme on ne sait pas si on nous parle d’histoire ancienne, d’histoire moderne ou d’un univers utopique et science-fictionnel issu du choc des deux. Holyhood n’est pas tout à fait Hollywood, le Moïse de Cecil B. DeMille s’éloigne de l’original, ou même celui de son remake de 1956, et cette impression de doublure impacte magiquement tout le texte. Ce qu’on lit est vrai, mais tout est aussi imprégné de fantasme, de ce profond amour pour le cinéma de Mercuri : il le considère comme une succession de faits et de dates, mais aussi et avant tout comme le lieu de tous les rêves, de tous les faux semblants, de tous les mensonges aussi. Ce livre est une merveille de tenue entre les deux univers, celui de la fiction et celui du documentaire, et un petit précis "d’érudition inutile" (et de ce fait primordial) qui poursuit le travail de Mercuri sur la place de la fiction dans l’histoire, entamé avec ses précédents livres. Content d’avoir été parmi les lecteurs de la chose.

shangols.canalblog.com.

Ales­san­dro Mer­curi, Holy­hood, vol. 1 — Gua­da­lupe, Cali­for­nia, art&fiction, coll. Shush arry, Lau­sanne, 2019, 190 p.

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