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Un éclair dans des yeux noirs

D 9 janvier 2012     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

L’Eclaircie : la critique de Sud-Ouest

Un éclair dans des yeux noirs

Tout, dans ce livre, tient aux éclairs et à la lumière.De ces fugaces, rapides et saisissantes lueurs qui font reculer le noir et révèlent le bleu sombre des nuits.

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« L’Éclaircie ». (ph. dr)

De ce propos, Philippe Sollers construit un argument magnifique. Est-ce un roman ? Un essai ? Une digression brillante difficile à classer ? Peu importe. C’est surtout un hommage rendu à la vie, dans une voracité et une faim de bonheur que l’écrivain entend nous faire partager. Que découvre-t-on derrière ce beau titre, « L’Éclaircie » ? On y trouve des femmes, bien sûr. Des souvenirs. Des histoires d’amour, beaucoup. Des amis choisis dans une passion élective qui voguent au-dessus des siècles se nomment Haydn, Manet ou Picasso.

Et, surtout, comme un portrait à jamais enchâssé dans un nuage, le beau visage d’Anne, la s ?ur trop tôt disparue. Sollers l’aima. Pas tout à fait comme un frère. Pas tout à fait comme un amant. Reste la saveur douce-amère d’un long baiser échangé à Venise. Un baiser qui, plus que tendre, devenait amoureux et trouble comme un secret. C’est Anne que le narrateur retrouve beaucoup plus tard en Lucie, jeune femme libre, riche, drôle, iconoclaste, tellement passionnée de manuscrits qu’elle les achète pour leur permettre de vivre plus longtemps. Manuscrit de Casanova. Manuscrit de l’auteur avec qui il entretient une liaison clandestine, dans un studio de la rue du Bac.

Content de tout

Cela paraît peu. C’est pourtant l’argument de ce livre gonflé de sève. Sollers y apparaît content. Surtout content de tout. Heureux de ce qui vient. Indifférent à ce qu’il n’a pas. Drôle toujours. Plein d’éclats, de labyrinthes, de couloirs secrets, de raccourcis, de références et de comparaisons qui enchantent. « Qu’est-ce qu’une belle femme, demande-t-il, s’il n’y a pas un Manet ou un Picasso pour la voir » ? Le comble, c’est qu’il a raison.

On retrouve dans les yeux de Dora Maar, de Jacqueline, de Berthe Morisot, dans ceux de Lucie, son amante, le noir des yeux de sa s ?ur, « une mirada fuerte, un regard fort et noir qui fait exploser le Minotaure ».

Est-ce tout ? Pas vraiment. Il n’est pas contradictoire d’ajouter qu’il existe une mélancolie Sollers. Mais une mélancolie unique, rieuse comme ce gai scepticisme dont il a fait sa marque de fabrique, qui se moque assez du monde dans lequel nous vivons pour en trouver un motif de plaisir.

Il suffit en revanche qu’il évoque les arbres d’un parc d’une grande maison, un cèdre dans un Bordeaux d’avant-guerre, ce tronc totémique et immense sous lequel il se blottissait avec Anne, pour comprendre le temps qui passe. Ou d’évoquer dans une sobriété d’écriture les jours d’été d’avant, les courses brûlantes, les crépuscules rouge sang, les oiseaux dans les bosquets, les haies qui bordaient ce qui était encore une campagne, pour que revienne le souterrain chemin que trace l’enfance tout au long d’une vie. Comment elle façonne un homme. Comment elle le construit à son insu. Et combien on trouve une belle lumière dans cette éclaircie.

Il existe une mélancolie Sollers, unique, rieuse comme ce gai scepticisme dont il a fait sa marque de fabrique

Crédit : Sud-Ouest 8/01/2012

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et aussi L’Eclaircie (I)