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Stéphane MARIE "je suis moi-même la guerre"

D 30 décembre 2009     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Revue des combattants de Sprezzatura (suite).
Au tour de Stéphane MARIE

Q&R

Q. : Les terroirs d’origine des auteurs de Sprezzatura sont variés. Quel est le vôtre, vos racines... Et votre terroir intellectuel, où se situe t-il ? Dans la citation d’Artaud en exergue de votre article, il y a les mots philosophie et guerre « Tout ceci n’est pas de la philosophie mais de la guerre », quelle est la place de la philosophie chez vous ?

R. : Je suis né en Normandie, mais je ne me sens attaché à aucun territoire particulier. Foncièrement mon terroir c’est la langue.
Candide, puis La Nausée comme un choc, Lautréamont comme remède et un jour à 21 ans j’ai ouvert Paradis et je m’y suis senti chez moi.Sollers m’a mené vers les présocratiques, la théologie, la pornographie, la philosophie, l’immédiatement classique, le taoïsme, la peinture que l’on voit penser en couleurs, la gravité qui retranche la douleur, la littérature américaine du début du XXe (Faulkner et Hemingway),...
Les cardinaux : Joyce, Dante, Proust, Baudelaire, Rimbaud, Sade. Eux et d’autres m’offrent toutes les réponses que je peux souhaiter.
Mon "terroir" intellectuel c’est ce qui développe la joie. Si ce n’est pas musical, ce n’est rien.
La philosophie n’est pas pour moi une spécialisation mais une des voies de la pensée.

Q. : Dans la discussion inaugurale, d’emblée vous invoquez Heidegger puis dans votre article : Artaud, puis Musil, puis Bataille, puis Kafka... qu’appréciez-vous le plus chez ces auteurs et penseurs ?

R. : Heidegger, avec une ampleur formidablement avertie, a diagnostiqué le nihilisme pour ce qu’il est. Prétendre penser l’époque du monde sans lui me semble relever du désir de suicide.
Artaud et ses corps verbaux remettront toujours à leur place les sains à lier.
Musil a fait d’un livre ce qu’il devrait toujours être : un monde habitable au sein de l’inhabitable. Il m’a aussi fait rencontrer ma femme.
Bataille est la non-abdication faite homme, la royauté sauvage de la dépense.
Kafka c’est le corps talmudique en acte, la nervure de la loi.

Q. : Mais ces références sont datées, même si toujours actuelles. N’y a-t-il pas quelques auteurs ou penseurs plus proches de nous dans le temps, ou contemporains, susceptibles d’entrer dans votre panthéon pour illustrer des propos comme ceux-ci très actuels, à la fois clairement et densément exprimés :« Il s’agit d’une mondialisation de la guerre au-delà même des guerres mondiales... [...] La différence entre la guerre et la paix a été d’une certaine manière complètement abolie. Conséquence : la guerre est sur l’homme [...] »

R. : Oui bien sûr : Yannick Haenel, François Meyronnis - les lectures coup sur coup d’ Evoluer parmi les avalanches et de L’Axe du néant à l’été 2003 ont été le prélude à la période de forme la plus extravagantesque j’ai connue jusqu’à présent... Philippe Sollers encore une fois, Marcelin Pleynet, Bernard Lamarche-Vadel, Guy Debord, Stéphane Zagdanski... La liste est ouverte à qui voudra.

Q. : « Il faut être cubiste. Comme dit Cézanne :...soit que chaque côté d’un objet, d’un plan, se dirige vers un point central. », cette citation arrivait parfaitement en situation, une affection particulière pour Cézanne ? Qui d’autre dans votre ciel artistique, dans votre arc-en-ciel des arts ?

R. : Enfant je me levais et m’endormais devant une reproduction des Joueurs de cartes. Chez Cézanne, qu’il s’agisse d’un fruit, d’une montagne, d’un arbre, d’une baigneuse... c’est toujours "l’enchevêtrement aux racines mêmes de l’être" qui parle, délié, senti, simple ; la lumière et l’ombre définies comme un rapport de couleurs. Affection est le moins qu’on puisse dire ; et toute particulière pour le Baigneur vert-olive de 1882.
Arc-en-ciel artistique, dites-vous ? Oui : c’est une question d’iris. De qui j’apprends à voir ? De Giotto, Picasso, Rodin ; du Gréco ; des Annonciations, des Crucifixions, des Résurrections, de Titien, de Fragonard, de la sculpture baroque brésilienne sur bois, de Francis Bacon, de Mark Rothko, de Wang Wei, de Chu Ta...
Musique classique, baroque essentiellement, jazz jusqu’au free et surtout Coltrane, musique chinoise (amour du luth piriforme), ragas indiens.

Q. : « L’économie , ce doux commerce, montre tous les jours son Projet de paix perpétuelle [Kant] » dîtes-vous, et aussi dans la discussion inaugurale « si la victoire n’est pas celle de la jouissance de toutes les dimensions, ce que les grecs appelaient oikonomia, l’ensemble des terres et des zones navigables connues - ça a donné « économie » notons bien -, ce n’est la victoire de personne ». L’économie, économie... j’ai bien noté ! C’est tellement dans l’air que nous respirons, et où que nous portions nos yeux et nos pas, que je souhaiterais que vous nous en disiez quelques mots supplémentaires...

R. : Vous aurez relevé l’ironie de cette première phrase. L’économisme confisque l’espace et le temps eux-mêmes. Pour aller au plus simple et, selon moi, au noyau de la chose, je dirai que toute cette histoire de "valeurs" est un gigantesque détournement de fond(s). C’est la continuation de l’erreur sur l’existence de la représentation, de l’erreur qui consiste à croire qu’un corps a un quelconque équivalent général ou particulier..

Q. : Vos lectures en cours ou récentes ?

R. : Arno schmidt, Scènes de la vie d’un faune ; L’Exploit, de Nabokov.
En cours, Ethique et Infini d’Emmanuel Lévinas.
A suivre, le Monteverdi de Maurice Roche.

Q. : Une citation pour terminer ?

R. : De Hölderlin : « Qui a pensé le plus profond aime le plus vivant. »

Infiniment merci de vos réponses


Illustration

Illustration en regard de l’article "Le point vif" [1]


GIUSTO DE’ MENABUOI, Paradis (1375-76), Baptistère, Padoue.
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A propos de l’auteur

« J’ai décidé à 20 ans que ma vie ne saurait être faite d’autre chose que de lectures-écriture ; décidé ou plutôt constaté. Pour paraphraser Philip Roth : ce n’est pas que tout doive nécessairement rentrer dans un livre, mais que tout le puisse... ».


[1En monochrome dans la revue

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